Exercices littéraires
effectués pour
par Jean-Louis Piette
Décembre 2001 – Décembre 2004
Ce site a été créé fin décembre 2001 et a été en constante évolution et
amélioration jusqu’en 2005 grâce à son constructeur/concepteur Vincent Rochet,
analyste programmeur, et l’interaction des auteurs. Le site a été supprimé
début 2008, et le nom de domaine repris par des publicitaires.
« Ce site a pour but de proposer aux auteurs amateurs
audacieux une série d'exercices de style destinés à les mettre à l'épreuve.
Chaque exercice est limité dans le temps et les auteurs dûment enregistrés
devront poster leur texte avant l'expiration. Les textes seront disponibles
immédiatement on-line et il sera permis aux auteurs de commenter les œuvres de
leurs confrères. »
Divers pseudonymes ont été utilisés pour déposer des textes sur ce
site. Les exercices sont décrits brièvement, et les pseudos utilisés pour
publier l’exercice ainsi que la date de publication sont indiqués en regard du
titre de ces exercices.
Les gens heureux, moi, ça m’énerve !
On disait que c’était les vacances
Comment j’ai découvert que mon père était - n’était pas -
James Bond.
Quaoar, Ceinture de
Kuiper, 2089 A.D.
Les bons, le niais et le truand
Il était une fois… aujourd’hui
Mozin Festin façon Ferreri sauce Rabelaisienne
OUvroir de LIttérature POtentielle
Vous n’auriez pas un entonnoir ?
Madame, Monsieur, je vous hais !
Gnnnnnnnnnnnnrrrraaaaaaaaaah !
A nos actes manqués... (Copyright JJ. Goldman)
Au Suivant... (Merci Grand Jacques!)
Nul n'est censé ignorer la loi
Prendre déclics et des claques
Les premiers ne seront pas les derniers
C'est ça qu'on appelle une bévure, chef?
Il s'agit de créer un texte court (soit poésie, prose poétique, soit une nouvelle, au choix), contenant douze des mots suivants : drupe-glauque-Prozac et Viagra-pléiade-androgyne-corallien-page-orphelin-futaille-potelée-anatomie-habité-cyprès-marivauder-quinzaine-la femme de ma vie-parjure-anarchie.
La liste Orange (Navelmaniac, 15/12/2001)
Baby blues (Navelmaniac, 22/12/2001)
Jeu de drupes (Fayal, 10/01/2002)
1
« Drupe
Glauque
Prozac
Viagra
Pléiade
Androgyne
Corallien
Page
Orphelin
Futaille
Potelée
Anatomie
Habité
Cyprès
Marivauder
Quinzaine
La femme de ma vie
Parjure
Anarchie
Bon sang, c’est quoi cette connerie ? »
Celui qui venait de s’exprimer ainsi tenait en ses mains un bout de papier
chiffonné. Il avait tout de l’inspecteur Colombo. Et pour cause : c’était
l’inspecteur Colombo.
Entendons nous bien, je ne suis pas en train de vous raconter le dernier
épisode de la série télévisée. Non, l’homme à qui je venais de tendre cette
pièce à conviction était inspecteur de police, et se nommait Edouard Colombo.
Pas facile à porter, mais au vu de son imperméable et du chapeau qui le
quittait rarement, et son cigare à la main, il s’en était accommodé depuis
longtemps. En tout cas, il ne souriait jamais lorsqu’on essayait certaines
répliques de cinéma en sa présence.
« Alors, crapaud synesthétique, vous avez certainement une explication ? »
Je me suis toujours demandé pourquoi, alors qu’il m’apprécie énormément jusqu’à
m’affubler de surnoms affectueux, il n’a jamais cessé de me vouvoyer. Il est
gentil, mais un peu vieux jeu.
« Les collègues sont dessus et ont soumis la liste à Claudia, mais j’ai un
doute »
Claudia était l’ordinateur du chiffre, comme on dit, dédié uniquement au
déchiffrage des messages et codes secrets. Un gars à l’humour déridé avait
donné ce nom à sa bécane et maintenant tous l’appelaient comme ça.
« Vous êtes donc persuadé que c’est un code ? »
« Si ça ne l’est pas, je crois qu’on est mal barrés, parce qu’on a vraiment
très peu d’éléments là dedans.
Ce qui me gênait dans cette affaire était que le macchabée semblait tout à fait
ordinaire. Quelques secondes avaient suffit pour savoir que celui-ci n’a jamais
eu aucun casier judiciaire. Il était célibataire, gagnait correctement sa vie,
aucune affaire sordide en cours, aucune plainte de ses connaissance, rien !
Il n’était pas collectionneur, non plus. En fait, rien ne nécessitait sa venue
en ces lieux. Il n’était même pas habitué aux cambriolages et n’a rien fait
pour empêcher l’alarme silencieuse de retentir au commissariat du quartier. Il
n’empêche qu’il avait été trouvé mort dans la maison d’un collectionneur
d’antiquités de hauts prix. Un genre d’empoisonnement asphyxiant, car on
l’avait retrouvé tout cyanosé, les lèvres bleues gonflées et les yeux
exorbités. Outre son portefeuille et un bouquin dans sa poche, on n’a trouvé
sur lui que cette liste.
Le propriétaire des lieux est Kurt Lectör, un vieil Allemand très riche qui a
trempé dans pas mal d’histoires louches qui avaient toutes un point commun : il
en est sorti à chaque fois blanchi et avec un objet de collection en plus. Et
souvent un concurrent mort dans un étrange accident. Le dernier ajout à cette
collection était un magnifique crâne d’ancêtre Asmat au splendide poli
brillant. C’est la première fois que je rencontre un objet dont la forme et le
poli s’accorde parfaitement au goût poivré qu’il évoque en moi. Je trouve qu’il
n’est vraiment pas à sa place, ici. Il règne un tel capharnaüm, au milieu de
ces vieux masques africains et bouquins poussiéreux, même enfermés dans de
belles vitrines, que ce crâne serait bien mieux chez moi, sur ma cheminée.
L’ancêtre et moi, on se parlerait. Mais assez de digressions, je suis
malheureusement du côté de la loi et l’ordre, et cette relique restera quelque
temps encore chez ce coquin. Il l’a d’ailleurs sûrement piégée avec l’un ou
l’autre neurotoxique exotique comme celui qui a causé la mort de ce malheureux.
Il est désolant que le vieux collectionneur fut en voyage, car il sera
innocenté une fois de plus !
Donc nous sommes avec une affaire de mort pas trop mystérieuse sur les bras,
sauf pour ce qui est des motivations du mort en question. Enfin, de
l’ex-vivant, je me comprends.
Toute cette affaire me convient. Cette histoire de mort mystérieuse, cette
liste-code. Voilà pourquoi je me suis engagé dans la police. Où d’autre
aurais-je pu avoir des puzzles à résoudre qui ne soient déjà connus ou résolus.
Les mathématiques m’embêtent, mais la logique, ça c’est autre chose. Et cette
liste était une de ces choses ce qui rendait mon métier passionnant. Je suis
retourné voir les collègues chargés de Claudia. Ils n’ont rien trouvé et ce
n’est pas pour me déplaire. J’avais pressenti que cette liste n’était pas un
code déchiffrable par quelque puissance de calcul que ce soit.
En fait, l’enquête piétine, bien qu’elle avance. Je veux dire qu’on a plein
d’éléments de plus, mais rien qui ne nous aide vraiment. Les empreintes
montrent que le pauvre gars cherchait sans doute un livre, il n’a rien touché
d’autre. Il est mort empoisonné par un bouquin qu’il a essayé de déplacer, à
cause une aiguille dissimulée dans la reliure. Le vieux Lectör a juré ses
grands dieux qu’il en ignorait totalement l’existence. Mais il est toujours
vivant, lui. Les gars du labo a d’ailleurs trouvé trois autres pièces piégées
dont le fameux crâne que j’aimais tant..
Premier point négatif pour le bonhomme qui s’est fait piquer : il paraît qu’il
travaillait de moins en moins au boulot et surfait de plus en plus souvent sur
Internet, d’après ses collègues. Le disque dur de son PC a été ajouté comme
pièce au dossier. Nos gars sont encore dessus, mais on sait qu’il passait
beaucoup de temps sur les moteurs de recherches et sur des sites de rencontres.
Rien d’intéressant ici, sauf que la veille de sa mort, toutes ses recherches
étaient apparemment orientées vers les livres et des sites religieux.
« Au fait, Vous en êtes où avec cette liste ? »
« L’ordinateur n’a rien trouvé. J’aimerais bien l’envoyer à des gens qui ont
des grosses bécanes. J’ai des copains à
« Ca ne va plus la tête ? Manquerait plus que ça. Et sur quoi vous allez baser
votre requête ? Vous trouvez logique de demander de l’aide parce qu’un voleur
qui est mort de façon tout à fait claire avait une drôle de liste de courses
dans sa poche ?
Rien du tout. Et votre orgueil, vous l’avez oublié pour une fois ? Au fait, ça
donne quoi, votre recherche personnelle ? »
Le boss me connaissait comme s’il m’avait fait. Il est évident que je n’aurais
pas aimé qu’une machine décode cette liste avant que je sois absolument certain
de ne pouvoir le faire. Il faut admettre que je le connais un peu aussi, et je
comptais sur son orgueil à lui pour me refuser cette requête.
« Là, j’ai des infos intéressantes. Vous vous souvenez de ce groupe de discussion
sur les puzzles et jeux d’esprits ? Et bien j’ai posté un message avec cette
liste hier et Bastet, une fille très calée en cryptage et en codes, me demande
si ce ne pourrait pas être un code Playfair déguisé. »
« Code Playfair ? Et pour les ignorants qui sont seulement capables d’être
votre chef, vous pouvez traduire ça en français ? »
« Il s’agit d’un code où les lettres sont groupées deux à deux, chaque groupe
étant l’abscisse et l’ordonnée d’un carré reprenant toutes les lettres de
l’alphabet. »
« Ah bon, vous savez faire un carré avec vingt-six lettres, vous ? »
« Vous avez mangé du poisson hier, ou quoi, boss ? Vous êtes bien vif,
aujourd’hui, attention à l’overdose de phosphore ! En fait, le I et le J sont
combinés en une lettre. Ca fait donc un carré de cinq sur cinq »
« Bon, et ça donne quoi ? »
« Elle me demande le mot code pour construire le carré. »
« Et bien, donnez lui et ne m’emmerdez plus avec vos bêtes jeux, monsieur l’évasif
sarcastique ! »
Sur cette remarque un peu acerbe, il me quitta et allait refermer la porte sur
lui quand il se retourna et me lança son désormais classique : « Ah oui,
j’oubliais! »
Autant j’appréciais la scène à la télévision, et j’attendais avec délices ce
qu’il allait bien pouvoir dire pour inquiéter le meurtrier ou forcer des
témoins à se confesser, autant l’utilisation de cette phrase sur moi avait
tendance à me crisper. Le plus embêtant est qu’il n’y avait aucune raison pour
cela, à part peut-être une certaine réaction de chien de Pavlov. J’ai
certainement trop regardé les séries télés étant petit.
« Le mot-code, vous n’espériez quand même pas que j’allais le trouver pour
vous, non ? Je ne suis que votre supérieur hiérarchique, ne l’oubliez pas.»
Il se trouve drôle, sans doute lui ! Comment savoir quel est le code qui permet
d’organiser le carré ? Il me faut un mot de cinq lettres différentes au moins.
Et comment savoir quelles sont les paires de lettres à prendre dans ces mots ?
Certainement pas les mots en entier, il est impossible de générer un message
codé cohérent une fois l’original transformé. Enfin, ça c’est le problème de
Bastet. Je vais lui donner ce qu’on a. De toutes façons, je reste sceptique,
même si je pense que c’est une meilleure approche que le déchiffrage
mathématique.
J’espère que le boss ne tombera jamais sur ce courrier. D’abord, il me
suspecterait de sensiblerie, ensuite je ne sais pas s’il apprécierait que
j’utilise son nom comme pseudo, même s’il n’est pas le seul à l’avoir porté.
Bastet
Re : liste 19
04/12/01
Colombo, pour ta liste, une possibilité est que ce soit un code Playfair
maquillé. Je veux bien faire des essais de décodage, mais j’ai besoin d’une
idée pour la première ligne du carré. Comment tu fais pour trouver des trucs
aussi débiles ? J’aime :-)
Colombo
Re : liste 19
04/12/01
Ma chère Bastet, quel plaisir de te voir pencher ton lourd cerveau vers mon
humble devinette. Je ne peux malheureusement pas te dire si tu t’égares ou pas.
Et je ne peux hélas te fournir aucun mot pour l’instant ; j’espère t’en fournir
avant la fin de semaine. Bon amusement.
2
Ma tête tourbillonnait de couleurs et de mots, de lettres bleues, vertes,
rouges. Trois jours avaient passés, et nous n’avions plus d’éléments neufs.
Pour me distraire l’esprit, j’entrepris de lire le bouquin trouvé dans la poche
du mort. C’est à ce moment que j’entrevis le début de la solution. Ce roman, «
Vert clair » était une ode un peu mielleuse à la vie naturelle et bio, non
dénué d’humour il faut l’admettre. Il avait été examiné sous toutes les
coutures et déclaré innocent et inintéressant.
Je ne sais pas si beaucoup d’entre vous ont déjà lut le mot ’drupe’ dans un
roman. Et bien moi jamais, et c’est une certitude. Et à la lecture de celui-ci,
ma mémoire illumina soudain huit des mots de la liste sur leurs pages. Je me
suis bien sûr empressé de survoler le reste du bouquin à la recherche de ces
mots qui m’enflammaient l’esprit. Ils y étaient tous, parfois à plusieurs
reprises, leur goût acidulé ou doux tranchant sur le blanc amer de la page.
A votre avis, quelle est la chance de trouver un bouquin avec tous ces mots
réunis ? Une liste de dix-neuf mots n’est peut-être pas si difficile à caser
dans un roman, mais le fait de trouver ce bouquin dans la poche du gars est
impossible.
Serait-ce lui qui a écrit cette liste, comme une liste de mots dont on
cherchera la signification précise plus tard ? Avec des mots comme drupe et
glauque, peut-être, mais pas aussi simples que page ou cyprès ? Hum, question
intéressante pour ma chère Bastet…
« Dites donc, espèce de fistuline hépatique, vous buvez pendant le service,
maintenant ? »
« Juste des vitamines patron, du jus multi fruits ! Au fait, depuis quand vous
intéressez vous à la mycologie ? »
Il me regarde d’un air peiné et me rétorque :
« Je vous parle de problèmes de foie, et vous me répondez par vos problèmes de
pieds. Qu’en est-il de vos petits jeux et devinettes sur Internet ? »
Il m’amuse beaucoup, le boss. Son humour est assez déroutant et je me demande
parfois comment il tombe si vite sur une répartie fine, sans jamais sourire. Je
sais qu’il connaît toujours la signification exacte des mots qu’il utilise, et
je le soupçonne de comprendre chacun de ceux qu’il entend. Je vous ai déjà dit
que je l’aimais bien ?
« En fait, j’ai trouvé quelque chose de très curieux, et grâce à cela Bastet a
lancé plusieurs hypothèses et semble très enthousiaste. Connaissez-vous la
probabilité qu’un roman reprenne chacun des dix-neuf mots de la liste ? »
« Je dirais zéro. »
« Bravo patron ! Vous avez presque raison. En fait des matheux littéraires du
groupe de discussion ont sorti la valeur de zéro virgule huit fois zéro et
trois cent quatre-vingt un. Quatre chances sur un milliard ! Et devinez où je
les ai trouvés, ces mots ? »
« Au dictionnaire ? »
« Patron ! »
« Alors sortez moi ce bouquin de votre poche, nigaud théâtral, que je sois au
courant aussi »
La mine ahurie du boss quand je lui ai montré le bouquin ! Quand je dis mine
ahurie, entendons nous bien, n’est-ce pas. Moi seul qui le connais depuis
longtemps arrive à déceler dans un si faible lever de sourcil un ébahissement
sans borne. Son silence en disait long. Mais avant que je ne m’étrangle dans un
rire que j’essayais laborieusement de masquer, il me remit à ma place avec un
de ses tirade bien à lui.
« Vous en aviez fait votre livre de chevet ? Et si la pièce à conviction avait
été une poupée gonflable, vous auriez fait quoi ? »
Il est bien le seul à combattre sans hésiter mon esprit par sa connerie. Le
pire, c’est que ça marche !
Colombo
Re : liste 19
5/12/01
Bastet, chère collection inégalable de synapses, que penses-tu de la
probabilité de trouver réunis en un roman tous le mots de cette liste ?
Bastet
Re : liste 19
5/12/01
Je dirais que c’est impossible, mais je dirais aussi que tu as trouvé
l’impossible. ;-)
Tu ne poses sûrement pas cette question pour rien, en fait je l’espère, car
cela ouvre de nouvelles possibilités bien plus plaisantes que le carré de
Playfair qui n’a encore rien donné. :-(
Tu connais cette méthode de chiffrement qui consiste à prendre dans un livre la
référence des mots utilisés dans un message ? Tu obtiens ainsi une suite de
chiffres (par groupes de trois : page, ligne, mot) qui représentent ton
message. Qu’ont à voir la liste des 19 mots, tu me diras. Eh bien, c’est la clé
inverse mon tout beau. Repère la première apparition de chaque mot dans le
bouquin que tu as trouvé, convertis-les en chiffres, et reconvertis-les ensuite
avec un autre bouquin comme clé.
As-tu un indice pour trouver ce bouquin ?
« Patron, nous cherchons un bouquin. Si c’est bien ce que je crois, cette liste
de mots donne une suite de chiffres, grâce à la clé qu’est ce premier livre, le
‘Vert Clair’. Et cette suite de chiffres devrait permettre de retrouver des
mots ou des lettres, constituant le message final »
Un bouquin. Je cherche donc un livre qui serait la clé inverse du ‘Vert Clair’.
Le gars a visiblement eu connaissance du code de départ et a acheté celui-ci en
conséquence. Les recherches faites sur ce roman récupéré sur le mort ont montré
qu’il avait effectivement été acheté par lui deux jours avant sa visite au
vieux collectionneur. C’est aussi à cette période que l’utilisation des moteurs
de recherches et la visite des sites religieux a été plus intense. Des sites
catholiques.
Il me fallait absolument trouver le livre en question. Je pris comme hypothèse
que ce livre était ce que cherchait le gars chez le collectionneur. Je décidai
donc d’y faire une visite guidée, ce qui, j’étais certain, ne plairait pas au
vieux grigou. Mais auparavant, il me fallait absolument une piste
supplémentaire. J’avais déjà visité le lieu de l’effraction, et il y avait des
milliers de livres, au bas mot. Je me résignai donc à refaire le tour des
pistes infructueuses. Comme il était célibataire, le mieux encore était de
consulter ses collègues si je voulais le connaître un peu mieux.
Il travaillait dans un ‘open space’ où les bureaux sont séparés par des
cloisons. La disposition de celles-ci faisait que les personnes étaient
regroupées par deux ou trois par zone de travail. Il partageait son espace avec
une petite brune à lunettes, et un rondouillard à col roulé et à lunettes
aussi. Manquerait plus qu’il soit boutonneux pour faire le parfait
informaticien. Je concentrai mon attention sur la petite brune. Par plaisir,
bien sûr, mais surtout parce que les femmes sont plus fines observatrices du
comportement. Il me semble très peu probable que le gars ait annoncé aussi
clairement « Ce soir, je vais chercher le bouquin Untel chez le vieux
Machinchose ». Et comme je suis de la police, je me suis permis, avec l’accord
de son supérieur bien sûr, de l’interroger hors de son bureau pendant une heure
ou deux. Il se fait qu’il était l’heure de midi et que j’en ai profité pour
l’inviter au restaurant.
J’attendis qu’elle ait touché à la première olive de l’apéritif pour entamer
mes questions.
« Où étiez-vous mardi passé à vingt deux heures quarante ? »
« Je devais être en train de réconforter mon petit dernier qui faisait un
cauchemar pendant que mon mari regardait la fin d’un bête match à la télé »
« Vous n’aimez pas le foot ? »
« J’adore ! Et vous, vous aimez les enquêtes bêtes et méchantes? »
Hum ! Pourquoi ne m’étais-je pas encore aperçu à quel point mon boss avait du
féminin en lui ? Un peu d’entraînement, et cette fille aurait exactement le
même répondant que lui.
« Excusez-moi cette tentative d’humour un peu gauche. Bien que mon domaine de
prédilection soit la logique, je suis plutôt faible en délicatesse et
subtilité. En fait, j’aimerais en savoir un peu plus sur le personnage, car
l’enquête n’avance plus beaucoup. »
« A quel niveau voulez-vous ces informations ? J’ai déjà dit ce que je savais!
»
« Pas sexuel, si vous voulez savoir. A moins que vous n’ayez vraiment des
choses à en dire, évidemment. Il me faut des renseignements sur ce qu’il
apprécie, ce qu’il aime, quel est son comportement habituel, et ce qui fait
qu’il en a changé ces derniers temps. Des impressions générales, avec de temps
en temps vos interprétations, si vous voulez bien »
S’ensuivit une heure de discussions et petits plats mêlés, le tout fort
agréable, ma foi. Le coup d’attaquer un peu sèchement puis de faire marche
arrière en s’excusant permet souvent aux gens de se croire votre débiteur, une
fois la première animosité dépassée. J’appris ainsi qu’il était réellement
écolo, tout du moins dans la perception de ses collègues. Il réutilisait
toujours ses gobelets plastiques, n’achetait jamais de sandwiches mais se
préparait toujours des petits plats ou de simples tartines de pain gris fait
maison, souvent qualifiés de ‘bizarre’ par ses compagnons de table. Jamais de
sucrerie du distributeur, toujours des fruits. Jamais de café, non plus.
J’aurais plutôt qualifié cela d’ascétisme bio que d’écolo, mais l’idée reste la
même.
Les choses inhabituelles de ces derniers jours se résument finalement à peu de
choses. D’abord ces passages de plus en plus fréquents sur Internet et sa
productivité en baisse. Ensuite l’épisode du livre ’Vert Clair’, deux jours
avant sa disparition. Là, mes collègues vont m’avoir sur le dos, car ils
n’avaient même pas posé la question. Il semblerait qu’il s’est tout d’un coup
exclamé, puis il a enfilé son manteau et est descendu sans rien dire. Il est
revenu à peine dix minutes plus tard avec un bouquin tout neuf qu’il ne s’est même
pas caché de lire à son bureau. Il a ensuite beaucoup feuilleté en comparant
avec son écran. C’est à partir de ce moment qu’il a vraisemblablement terminé
tout travail pour sa société, malgré ses longues soirées devant l’ordinateur.
Il restait après les derniers collègues et arrivait avant les premiers. Il ne
répondait plus aux questions, il ne mangeait plus, tout au plus quelques fruits
avec lesquels il jouait. Sa collègue se souvient de l’avoir vu taillader
pensivement dans une orange avant de la jeter. Comme s’il avait voulu extraire
des zestes en forme de croix. Et ce soir là, il est parti à son heure
habituelle.
Je retournai auprès de l’autre collègue à qui son chef permit de partir une
heure plus tôt, à condition de venir boire un verre avec moi au bistrot du
coin. Enfin, cela n’a peut-être pas été présenté de la sorte, mais l’effet y
était. Et comme c’était moi qui offrais, mon jeune informaticien à lunettes
était tout souriant, et enclin à une bienveillante curiosité. J’espérais
recueillir des confidences de mec d’un petit gars timide, mais je me suis
trompé. Il m’a donné des informations inédites et ne parlait pas beaucoup, mais
pas par timidité. Il était très circonspect et extrêmement habile, je pense.
J’ai en tout cas eu l’impression par deux fois d’avoir moi-même donné des
réponses sans le vouloir. Il était capable de répondre à chacune de mes
questions, d’inférer la suivante la plupart du temps. Et je ne suis pas certain
qu’il m’ait dit tout ce qu’il savait au sujet de son collègue.
Ce dernier en tout cas, s’il était célibataire, ne l’était pas par conviction.
Il rencontrait assez fréquemment des filles avec qui il restait peu de temps,
mais sans que cela ne lui cause de problèmes. Et il avait un vice qu’il cachait
bien, connaissant les possibilités de traçage informatique : le cyber-porno. Et
qui l’avait renseigné sur les moyens de se cacher de l’administrateur réseau ?
Monsieur le jeune informaticien pas si timide !
Hélas, tout cela ne m’aidait pas grandement pour identifier le second livre-code.
3
« Que voulez vous savoir, exactement, monsieur le policier ? »
« Je m’intéresse à vos livres. Vous en avez d’exceptionnels, m’a-t-on dit. »
« Tout chez moi est exceptionnel, monsieur. Livres, masques, objets
funéraires,... Tout est unique ! »
Et voilà. En dix secondes j’étais rétrogradé de ‘monsieur le policier’ en
simple ‘monsieur’. Il n’empêche que ce collectionneur avait de beaux objets,
notamment une copie d’un bouquin Mormon de 1833, ‘The book of commandments’,
quelque chose d’exceptionnel si j’ai bonne mémoire, ainsi qu’une édition du
‘Tabula novarum Insularum, quas Diversis Respectibus Occidentales &
Indianas uocant.’ de Sebastian Munster, de 1550 ! J’ai toujours aimé les
livres, surtout les toutes anciennes impressions. Je peux vous assurer que j’en
ai eu tout mon content en cette seule visite.
Tout s’est éclairé quand il m’a montré une de ses récentes acquisitions : la
seule copie disponible en Europe de
« Cette version de la bible écrite après le second concile d’Orange en 529 (je
rappelle en passant que le premier s’est tenu en en 441 après Jésus-Christ),
est exceptionnelle à plus d’un titre : tout d’abord, il n’en existe que trois
exemplaires, et c’est cet exemplaire qui a servi de guide au concile de Trente,
près de mille ans plus tard, pour condamner Luther. Ensuite, jusqu’il y a un
mois, on croyait que cet exemplaire avait été détruit. Or donc… »
C’est à ce moment que j’ai failli hurler de joie. Je venais de me rappeler les
commentaires de la fille avec qui j’avais dîné hier midi. Elle a dit que son
collègue chipotait avec sa nourriture, qu’il traçait des croix sur son orange,
tout en surfant sur des sites catholiques. Il traçait sûrement des croix
catholiques, pas des simples ‘X’ !
Je ne l’écoutais déjà plus. J’essayais d’imaginer sa réaction en demandant ce
livre à prêter. Visiblement, les pages ne sont pas numérotées séquentiellement,
mais il existe bien des numéros ‘d’anathemati’ et de ‘capitula’, chacun séparés
en versets. Rien ne s’oppose donc à l’utilisation de cette ‘bible’ comme clé de
transcription.
Je dus d’abord rentrer chez le boss demander un papier officiel afin
d’emprunter le splendide manuscrit. Je fus très heureux de présenter en
personne la requête, demandant au sieur Kurt Odin Lectör, domicilié en cette
belle mais traître bâtisse, de mettre à ma disposition pour les prochaines
vingt-quatre heures la plus belle pièce de sa collection. Sitôt de retour au
commissariat, je m’empressai de le compulser, religieusement, cela va de soi.
Même le regard du boss par-dessus mon épaule était respectueux. Mon esprit
enfiévré imaginait quantité de scénarii quant au but de cette liste et à sa
traduction.
Un espion ? Bah, rien ne justifie ces vieux codes manuels, maintenant, avec la
puissance de calcul d’aujourd’hui.
Un rendez-vous amoureux ? Vachement tordu, en tout cas. Mais c’est sûr que ça
éliminerait bien des désillusions quant à l’esprit de l’autre. Mmmmh, Bastet
lancerait une invitation de ce style, je me laisserais tenter…
Un ancien message chiffré remis au goût du jour par un illuminé ? Pourquoi pas,
mais alors on n’est pas plus avancé.
Le premier mot de la liste, drupe, avait donc été trouvé dans le livre « Vert
Clair » à la page cent vingt-deux, ligne vingt-trois, neuvième position. La
bible contenait quatre cent treize anathemati. A première vue, ceux-ci
pouvaient atteindre plusieurs pages, soit jusqu’à quarante capitula, qui eux
étaient en général très courts. Je décidai donc d’attribuer le deuxième chiffre
aux capitula, et le troisième à la position du mot des celui-ci, indépendamment
de la ligne sur laquelle on se trouvait.
A l’anathemati cent vingt-deux, capitula vingt-trois, le neuvième mot était
Apostolarum. Il fut recopié soigneusement, la plume de mon stylo ressorti pour
l’occasion grattant un peu.
Les pages craquaient en me révélant chaque mot suivant. Le parfum se dégageant
de ces feuillets était pour moi une ivresse que je tentais de prolonger en
tournant ceux-ci très lentement, délibérément. Je finis enfin par avoir ma
liste complète :
‘Apostolorum residentum ex nativitatem Dominium responsorio est antequam
vestigiis ad nullus temporalis leges ergo XV XII sextus visu proximius’
« Vous comprenez quelque chose à ce charabia, vous ? Le Latin n’était pas
considéré comme très utile dans mes études. Ce n’est pas comme si je confessais
les parrains siciliens tous les jours»
« Mon latin est un peu loin dans ma mémoire, patron, mais je jurerais que cela
ne veut rien dire. Il me reste l’autre solution... Mais... NON ! »
« Hé là, pustule explosive, prévenez quand vous réagissez comme ça ! Mon
cardiologue va encore me prescrire de la natation, alors qu’il sait que j’ai
horreur de l’eau. Que vous arrive-t-il, mon petit ? »
« Il y a un plaisantin que cherche mon suicide, ici. Si c’est bien ce que je crois,
quelqu’un s’est foutu de nous. L’autre codage consiste à prendre seulement la
première lettre. Essayez vous même, et considérez les nombres comme une seule
lettre »
L’inspecteur Colombo sortit son feutre rouge de la poche et se mit à écrire :
‘ARENDREAVANTLEXVXIISVP’
'A RENDRE AVANT LE 15/12, SVP'
« Bon sang ! Que faut-il rendre demain ? Quand ma femme va savoir cela ! »
Il remit pensivement son chapeau sur la tête et s’en alla, son cigare froid à
la main, me laissant à ma misère.
Il se lève et se dirige vers la porte. Il
s'arrête, se rassoit. Deux heures déjà qu'il regarde ce téléphone. Il lui a dit
d'appeler pour n'importe quelle raison. Il sait qu'elle n'appellera que pour
une seule. Dieu qu'il est nerveux !
La journée s'étire, du téléphone à l'écran, du soupir à l'absence rêveuse. Des
yeux amusés l'observent à la dérobade. Il sait qu'il est risible. Il sait qu'il
n'a pas à se tracasser. Il se relève, se dirige vers la fenêtre pour observer
quelques secondes l'anarchie de la circulation en silence, se rassoit.
Deux ans déjà que son corps androgyne s'est éveillé sous ses caresses, ce jour
là, sous les cyprès. Depuis quelques mois, ses formes ont bien changé. "
La femme de ma vie ", répétait-il. Elle n'y a jamais cru. Mais maintenant,
personne ne peut douter de son statut. Une joie féroce s'immisce en elle à
l'idée de se promener, de montrer ses seins et son ventre gonflés tels des
drupes gorgées de suc. Une femme que l'on regarde avec plaisir, avec envie, que
l'on n'ose dévisager, parfois. Mais une femme.... Elle n'a pas d'impatience,
plus d'attentes. Son plaisir à elle est cet instant de plénitude, cette
conscience de sa féminité, cette lourdeur d'organes délicieusement douloureuse.
D'aucuns appellent cela l'attente de la délivrance. Elle l'appelle sa naissance
définitive.
Les médecins on dit que le bébé ne risquait rien à attendre une quinzaine de
plus. Attente. Nervosité. Non il ne refumera pas. Il n'ose plus la toucher,
elle a changé. Elle est si calme, elle qui avait peur. Il suppose que son
esprit est en communion avec l'être qui s'annonce. Il a peur de sa sérénité. Il
a peur du changement. Elle a grandi sans lui. Il doit retourner au boulot.
Tourner dans sa cage. Il ne sait plus ce qu'il attend, de la naissance ou de
retour de sa femme enfant, quêtant ses attentions comme des caresses de l'âme.
Il se lève, se rassoit. Il essaye de se souvenir de son petit corps qui se
blottissait contre lui, qui l'accueillait en lui comme s'il était le seul à
pouvoir l'accepter et l'aimer. Il regarde son écran, ses yeux glauques dans le
vague. Il regarde par la fenêtre, se rassoit.
La nouvelle conscience d'elle-même lui ouvre les yeux. Tout est neuf, tout est
à comprendre. Elle observe son anatomie potelée et se rappelle le regard
dérouté de son homme devant ses rondeurs. Elle a senti son pincement de coeur,
a compris que ce qu'il lui fallait, c'était une enfant à qui faire l'amour. Une
enfant comme elle n'est plus. Une enfant de vingt-cinq ans dont le ventre
habité l'a délivrée des fantasmes d'un homme possessif, sans combat. Elle a
compris ce qu'il ne veut pas encore admettre, mais elle sait que sous peu, il
sera parjure. Déjà il n'ose plus la toucher, elle lui est comme étrangère. Il a
beau marivauder, elle lit en lui. La femme de sa vie ! Maintenant, elle est
femme, et sa vie semble s'éloigner de la sienne, comme si une page était
tournée.
Elle a appelé. Il a quitté son travail rapidement. Il est à l'hôpital, au
milieu d'une pléiade de médecins, et lui tient la main. Il ne dit rien. Elle
essaye de ne penser à rien. Surtout pas à son ventre qui va redevenir plat, à
son corps qui va peu à peu reprendre son allure garçonne. La douleur lui fait
du bien. Elle peut se focaliser dessus. Elle voit son homme au travers des
brumes coralliennes de l'effort. Il dit, l'air absent, avec un léger sourire:
" J'espère que ce sera une jolie petite fille "
Un fier Prozac, bien droit sur son cheval
longeait lentement les chutes majestueuses du Viagra, suivi par un indien. La
page, peintures de guerres sur le visage, quelques plumes comme tout ornement,
se déplaçait silencieusement, l’arc bandé, de futaille en futaille. Il
s’approcha cyprès qu’il faillit être vu par Perette, appelée ‘Iade’ dans cette
histoire. En plus de son petit potelée, elle afait une quinzaine t’oeufs et une
lifre de farine. Eh oui, Iade, bien qu’avançant d’une démarche orphéline, avait
un accent allemand et comptait faire des crêpes à sa mère-grand.
Voyant le cavalier se diriger vers la moche et minuscule masure de sa mère-grand,
Iade se dissimula prestement dans la crêperie bavaroise voisine, ses
ingrédients à crêpes et son accent lui offrant un camouflage parfait.
Le Prozac, fier comme Artaban dans ses pantalons bouffants, était licencié en
études de l’environnement et foutrement attiré par la mère-grand qu’il avait
découverte dans un catalogue de lingerie fine durant ses études, quarante neuf
ans auparavant
A l’arrivée, il attacha son cheval dans le corral, lien inutile puisqu’il était
entouré de barrières. Après avoir tiré la chevillette, la bobinette chut et la
mère grand parut. Laissons le Prozac se présenter lui-même...
« Bonjour, je suis Androgyne, écologue de profession, Vous êtes la femme de ma
vie et je demande votre main »
« Mais je suis mariée, et Tommy mon vieux marivauder Prozac à la pelle ! Je
n’ai plus besoin de vous, par mes dix-huit enfants et par Dieu je le parjure !
»
De tout fier qu’il était, Androgyne s’effondra en pleurs. Il retira son habit
étincelant, laissa là son prestige et son cheval et s’en fut sur l’âne à Tommy.
Et l’indien, me direz-vous ? Eh bien l’indien n’a finalement rien vu de tout
cela car un homme vert bleuâtre était passé devant lui peu auparavant, le
distrayant de sa tâche. Il faut admettre que nous aurions été tous aussi
surpris que lui, et aurions voulu connaître cet étrange personnage. Et nous
n’aurions rien vu non plus de la scène qui venait de se passer à cause de ce
glauque homme !
Ecrire, pour le 31 janvier, un texte de 1000 à 4000c, à l'infinitif. Exemple : "Descendre en ville, le soir. Quitter le bureau. Eteindre l’ordinateur, rassembler cigarettes, agenda, clés, un dossier à lire à la maison pour se donner bonne conscience, éteindre les lumières, fermer la porte à clé, lancer un bonsoir aux collègues attardés – mais parfois on est la dernière – et descendre en ville."
Un sourire (Navelmaniac, 03/01/2002)
Apprendre (Navelmaniac, 06/01/2002)
Vivre (mozin-infinitif) (Navelmaniac, 16/01/2002)
Comment définir cette sensation ?
Le vide ? Impossible à sentir avec cette protection semi-rigide. L’apesanteur,
ça oui. Se sentir comme un poisson dans l’eau. Des nausées aussi, nettement
moins agréables que cette sensation de liberté. Vomir dans le casque ? Quelle
horreur ! Reprendre le dessus, faire réagir ses muscles, se contrôler, le
maître mot dans ces situations désespérées. Aspirer quelques gorgées de liquide
soigneusement dosé, ingurgiter calmants et anti-vomitifs préparés avec soin par
l’ordinateur médical incorporé. Scaphandre sophistiqué, canot de sauvetage
bourré de technologie, dernier refuge après la navette noircie et déchirée.
Mémoire. Se souvenir de sa vie par flashes. Maudire les circonstances, haïr
cette maudite guerre, haïr ces nations orgueilleuses. Essayer vainement
d’oublier ces quelques moments d’indécision afin d'effacer l'erreur. La station
inconnue soudain découverte sur le radar, les détecteurs de vie clignotants
puis ces appels au secours. Et enfin le flash du maser. Superpositions d’images
amères, trahison des sentiments sur l’entraînement. La peur de la mort donnée
entraînant celle de mes compagnons d’infortune. Ressentir le dense rayon de
particules traverser l’habitacle et faire frémir toute la coque.
Dépressurisation, autre flash, explosion rapidement silencieuse. Débris et
corps tournoyants. Kaléidoscope mortel. Moi. Le vide.
Mémoire encore. Ma femme, ma fille. Doux souvenirs à emporter pour l’éternité.
Des yeux malicieux parmi les mélèzes dorés de l’automne. Les fous rires du
pique-nique raté, gravés à jamais sur le Polaroïd. L’audition du concours de
danse, ses pleurs de honte et de rage lors de sa chute, ses douces larmes sur
mes bras, l’odeur de ses cheveux. Le soleil d’hiver sur les façades
renaissantes et leurs cheminées fumantes, le jeu de l’architecture et de la
lumière, de l’homme avec la nature et les sens. Sa voix rauque et chaude, ses
courbes douces et moites, sa passion accordée à la mienne. Sa confiance en mon
retour, toujours. Images douces, images tendres, chaleur.
Le vide. Les étoiles tournoyantes. Ne pas penser aux petites lampes rouges, à
l’intérieur de la visière. Oublier la jauge d’air, le froid insidieux. Aspirer
encore un peu de liquide et s'enfoncer dans la chimie et les souvenirs.
Un sourire sur mes lèvres.
" A ton avis, Jacques ? "
Et David de me tendre le curieux artefact dégagé avec soin des strates
légèrement indurées de la zone de fouilles.
" Difficile à dire... Certainement pas naturel, en tout cas. "
Mais cependant impossible, dans ce niveau du Pliocène récent. Un artefact
visiblement usiné, intégré dans des couches vielles de près de deux millions
d'années? Complètement absurde. Pourtant, nulle perturbation locale à impliquer
ici. Point de bioturbation, ni de gélifluxion, pas de diapirs possibles dans
ces dépôts de sables marneux desséchés
Tracé au feutre d'une suite de caractères nerveux sur le formulaire d'envoi :
" Artefact métallique d'origine inconnue retrouvé dans la couche T3, à
côté de silex taillés et de mandibules inférieures de mégathérium. Apparemment
impossible d'expliquer la création de cet objet par diagenèse ou concrétion in
situ. Corrosion avancée impliquant une origine ancienne. Conditions paléo
climatiques autorisant la conservation de métal au moins sur plusieurs
centaines de milliers d'années. "
Emballé, fermé, envoyé par courrier spécial reliant les deux continents.
" A eux de se débrouiller, maintenant, à ceux de Winnipeg de se creuser la
tête "
Retour vers le sol. Petite brosse, quadrillage, tente abritant du soleil.
Obsession, professionnalisme, difficile à préciser. Pas le temps de se laisser
encombrer l'esprit avec des impossibilités, en tout cas. Pour faire la
découverte du siècle, aucune hésitation permise. Le chaînon manquant sera
trouvé par lui et son équipe. Pas l'autre. L'explication d'une civilisation
acheuléenne taillant le silex de façon si précise cinq cent mille ans avant son
heure sera associée à son nom dans les manuels de préhistoire.
---
Retour dans le temps. Steppes, savane. Hominidés et mégathériums. Pebble
culture.
" Merde, foutu enregistreur holo ! Bon à jeter... "
" Chuut ! Silence. Vraiment pas moyen d'être discret avec toi. "
Pas discret, ha! Débiles, ces homo abilis, de toutes façons. Impossible
d'arriver à quoi que ce soit avec eux.
Observer en France les solutréens, voire même les acheuléens, voilà un boulot
intéressant. Des arcs, des lances, la fabrication de fines pointes de flèches,
le tout enregistré en holo, voilà des images choc. Ici, juste des galets
cassés, des grognements. Et leur stupidité !
Foutu holo, foutue technologie, même pas moyen de récupérer l'enregistrement.
Juste bon à jeter.
Un sourire, une pensée tordue. L'holo jeté dans la savane. Aux hominiens de se
débrouiller avec.
Pas discret, vraiment ?
---
Arrêt. Curiosité. Caillou différent. Dur, long. Prendre, renifler, tenir, frapper.
Frapper encore.
Eclair, lâcher, grogner.
Lumière, autres singes, pas d'odeur. Pas peur, rien voir, rien sentir, pas
faire attention.
Singes ramasser cailloux. Casser, casser, casser. Cailloux très pointus.
Attacher cailloux sur bois. Lancer bois sur animaux ! Tuer animaux !
Autre lumière, autres singes, autres cailloux. Casser, casser, très fin,
pointu. Attacher sur bâtons. Bâtons projetés très loin avec autre bâton. Tuer
animaux !
Lumière recommencer. Encore et encore.
Chercher cailloux. Essayer comme autres singes.
Apprendre...
Parapente
Courir, étendre les bras en arrière, élever les suspentes, contrôler la voile
d’un regard. Courir droit devant, le plus loin possible, et s’envoler. Se
laisser envahir par la sensation de légèreté, de liberté, de contrôle absolu.
Après une quinzaine de vols, enfin être totalement seul, sans contrôle ni
supervision des moniteurs. Flotter au dessus de la carte, transcrire cette page
en prairies, bois, villages. Ajuster les proportions, se sentir presque un dieu,
comme Icare.
Marche
Sac au dos, gourde, pique-nique léger. Marcher au soleil, se faufiler entre les
prunelliers. Mordre une drupe astringente au passage. Bottines crottées, regard
dans le ciel, inspirations profondes. Sentiers, cailloux, méandres. Flèches de
calcaire, coteaux de chênes, de pins sylvestres. Repérer les terriers habités.
Croquer et sucer les jeunes pousses des graminées, se rafraîchir d’une feuille
d’oseille sauvage. Découvrir un pays.
Spéléo
Casque, calbombe remplie de carbure, longes, mousquetons. Bien tout vérifier.
Pénétrer dans cette gigantesque bouche noire, se laisser avaler par la terre.
Ramper, explorer. Admirer les fistuleuses excentriques, faire résonner les
draperies. Dans l’explosion sourde de l’acétylène, se sentir soudain orphelin
du monde. D’un tourniquet de l’interrupteur piézo-électrique, faire revenir la
flamme, renaître. Maudire son anatomie potelée lors de la remontée du puits,
pester dans les étroitures. Bénir le jour et ses muscles fatigués à la lueur
glauque de la sortie.
Méharée
Oeil hautain et marche altière, animal étrange, respecté puis aimé. D’un amble
lent, traverser les dunes en longs entrelacs. Silence, chaleur fraîche, désert
pluriel découvert grâce aux Touaregs. Traces d’animaux, de plantes, vie
parcimonieuse et intense, vie tranquille et impitoyable. Sable, ondulations,
vagues, dunes, si différents, partout. Guider le dromadaire vers les maigres
pâturages. Lui donner à boire avant de boire soi-même. Découvrir silex taillés,
poteries, gravures et peintures rupestres. Découvrir l’homme. Se découvrir.
Escalade
Les chaussons bien serrant aux pieds, le pof, dégaines et mousquetons accrochés
au baudrier, regarder vers le haut. Repérer la voie, au travers des cyprès,
estimer les prises. Répéter les mouvements avec les mains, danse imaginaire,
comme pour apprivoiser le rocher. Puis commencer la voie. Monter le pied gauche
un peu plus haut. Encore cinq centimètres. Encore trois. Ne pas trembler.
Prendre appui, basculer le poids pour pouvoir étendre la main gauche. Ne pas
trop admirer la structure du récif corallien préservée dans le calcaire. Se
concentrer sur les mouvements jusqu’au prochain relais. S’assurer. Avaler.
Poursuivre.
Astronomie
Madagascar. Poursuivre l’éclipse au bout du monde. En profiter pour admirer les
étoiles, et pas seulement le soleil. Dans les hautes terres, admirer l’anarchie
totale de ces petites perles de lumière. Musique des mots, des noms : Ruche,
Pléiades, Hyades, Anneau de
Plongée
Revêtu d’une combinaison de Néoprène, se laisser glisser dans l’eau froide
d’une carrière. Attendre la silhouette androgyne de son compagnon,
reconnaissable dans la pénombre à sa bouteille jaune et ses palmes vertes.
Vider le gilet stabilisateur, vider les poumons, descendre, pendu à un fin
chapelet de bulles. Penser à l’exercice du jour : atteindre cent mètres plus
loin une cible. Pour cela, nager entre deux eaux, à la boussole. Rater,
recommencer. Penser aux eaux chaudes et aux multitudes de poissons à observer
plus tard, soi-même poisson dans un aquarium géant.
Boulot
Ecran, et clavier. Réfléchir, et penser. Chercher et pianoter. Abstraction,
abrutissement, mais argent comptant à la fin du mois. Voie de garage,
dénigrement, répétition. Prozac ?
Et puis refus, évasion, voyages sur ma chaise, Internet, femme de ma vie.
Sites littéraires.
Viagra !
Déclinez le texte ci-dessous dans plusieurs registres, tels que: descriptif, dramatique, comique, craintif, emphatique etc... « .... Une nuit, Clémence a frappé à la fenêtre de ma chambre. Je l'ai fait rentrer. Elle avait la même robe et portait la même valise que le soir de son départ. Sa figure était toute blanche, trouée seulement de ses petits yeux marron que les larmes rendaient brillants. Elle venait de faire le trajet des Ziès aux Bugues à pied dans la nuit. Eblouie par la lumière, elle n'a pas eu l'air de remarquer que Tiène était là. - Noël, où est Noël ? Je suis allée le chercher dans la chambre de Tiène où on le couchait depuis le départ de sa mère. J'ai compté qu'il y avait deux mois que Clémence était partie. Je l'ai enroulé endormi dans sa couverture et je lui ai apporté sur mon lit. En le voyant, elle s'est mise à trembler légèrement, puis elle s'est agenouillée devant lui, sans pleurer, sans rien dire et elle l'a examiné attentivement. J'ai vu que Tiène était un peu pâle et qu'il regardait par la fenêtre. Noël s'est réveillé, il a un peu pleuré. Elle a attendu qu'il se rendorme et elle a défait ses couvertures pour le voir nu, elle a dit : " Il s'est allongé. " Elle a tourné vers nous son visage tordu et tout craquelé d'un sourire. Elle m'a demandé si c'était moi qui m’en occupais et s'il était sage. J'ai dit oui à toutes ses questions. Je me tenais debout derrière elle, à côté de Tiène. Elle m'a remercié de m'occuper de Noël : " Merci pour tout ce que tu fais pour moi. »...... Le vie tranquille - Marguerite Duras
Exercices variés Navelmaniac (16/01/2002)
Le vit tranquille Fayal (28/01/2002)
Inquiet
Il faisait très noir. Un bruit soudain à le fenêtre de ma chambre me fit
sursauter. Une figure pâle trouée de taches marron et brillantes apparut. Un
frisson me parcouru l’échine avant de reconnaître Clémence. Elle entra.
Bizarrement, sa robe et sa valise étaient les même que le soir de son départ.
Elle venait de des Ziès à pied. Elle fit semblant de ne pas remarquer que Tiène
était là. D’une voix rauque, elle répétait : " Noël, où est Noël " ?
Cela faisait deux mois qu’elle l’avait abandonné, que voulait-elle ? Je suis
allée le chercher dans la chambre voisine, inquiète et effrayée. Je l'ai
enroulé endormi dans sa couverture et je lui ai apporté sur mon lit. A ce
moment, elle s'est mise à trembler légèrement, puis elle s'est agenouillée
devant lui, les yeux dans le vague comme sans le voir. Tiène pâlit et regarda
au dehors, essayant de se rendre invisible, insensible. Noël s'est réveillé, il
a hurlé. Elle a tendu brusquement ses mains vers lui, a défait ses couvertures
pour le mettre nu, elle a dit : " Il s'est allongé. " Elle a tourné
vers nous son visage tordu et tout craquelé d'un sourire féroce. Elle m'a
demandé si c'était moi qui m 'en occupais et s'il était sage. Je n’ai pas osé
dire non à une seule de ses questions. Je me tenais debout derrière elle,
tremblante à côté de Tiène. Sarcastique, elle m'a remercié de m'occuper de Noël
: " Merci pour tout ce que tu fais pour nous. "
Descriptif
Une froide nuit de décembre, trois petits coups furent frappés sur l’un des
carreaux dépolis de la fenêtre de ma chambre. Surprise, je me lève de la table
où j’étais en train d’écrire un lettre à ma mère. En me rapprochant de la
fenêtre de sorte à éliminer les reflets, je reconnus Clémence. Je la fis
rentrer. Elle était vêtue de cette même robe à plis et sa petite valise brune
qu’il y a deux mois, le soir de son départ. Sa figure ovale était toute
blanche, trouée seulement de ses petits yeux marron que les larmes rendaient
brillants. Elle venait des Ziès, près de vingt kilomètres par les chemins dans
les champs, à pied dans la nuit. Eblouie par la lumière chaude du lampadaire,
elle n'a pas eu l'air de remarquer la présence de Tiène dans l’ombre. - Noël,
où est Noël, balbutiait-elle. L’enfant dormait dans la petite chambre contiguë,
celle où on couchait Tiène depuis le départ de sa mère. L’enfant dormait comme
un bienheureux. Je l'ai enroulé sans le réveiller dans sa couverture de laine
et je lui ai apporté sur mon lit. En voyant sa figure pouponne dépassant de la
couverture, ses mains se sont mises à trembler légèrement, puis elle s'est
agenouillée devant lui sur le petit tapis de sol, sans pleurer, sans rien dire
et elle l'a examiné attentivement. Tiène était un peu pâle, il regardait par la
fenêtre, bien qu’il n’y avait rien à voir en cette nuit noire. Noël s'est
réveillé, il a un peu pleuré et remué en s’agitant, une petite main potelée
dépassant de la couverture. Après avoir froncé les yeux quelques fois et s’être
retourné, il s’est rendormi. Elle s’est alors approchée et d’un geste tendre,
comme apeuré, elle a défait ses couvertures pour le voir nu. D’un chuchotement,
elle a dit : " Il s'est allongé. ". Elle a emmailloté à nouveau son
petit corps sous les couvertures, puis elle a tourné vers nous son visage tordu
et tout craquelé d'un sourire. Elle m'a demandé si c'était moi qui m 'en
occupais et s'il était sage, s’il mangeait bien. J'ai dit oui à toutes ses
questions, adoucissant ses inquiétudes d’un petit sourire. Je me tenais debout
derrière elle, à côté de Tiène. Elle m'a remercié de m'occuper de son petit
Noël : " Merci pour tout ce que tu fais pour moi. "......
Heureux
Enfin, Clémence frappa à la fenêtre de ma chambre. Je l'ai fait rentrer,
heureuse. Elle avait la même jolie robe et portait la même valise que le soir
de son départ. Sa figure était toute blanche, trouée seulement de ses petits
yeux marron que les larmes de bonheur rendaient brillants. Elle venait de faire
le trajet des Ziès aux Bugues à pied dans la nuit. Essoufflée, éblouie par la
lumière, elle n'a pas eu l'air de remarquer que Tiène était là aussi. - Noël,
où est Noël ? Je suis allée le chercher rapidement dans la chambre de Tiène où
il se reposait depuis son arrivée de la mer. J'ai compté qu'il y avait deux
mois qu’il n’avait revu Clémence. Je l'ai réveillé, et encore endormi il s’est
enroulé de couvertures et est venu vers mon lit. En le voyant, elle s'est mise
à trembler légèrement, puis elle s'est placée devant lui, sans rien dire,
retenant sa joie, et elle l'a examiné attentivement. J'ai vu que Tiène, jaloux,
était un peu pâle et regardait par la fenêtre. Noël s'est réveillé, des larmes
coulaient sur son visage joyeux. Elle a attendu qu'il l’enlace et elle a défait
ses couvertures pour le voir nu, ignorant notre gêne, elle a dit : " Je
t’attendais depuis si longtemps. " Elle a tourné vers nous son visage
tordu et tout craquelé d'un sourire. Elle m'a demandé si c'était moi qui
l’avais retrouvé et s'il était venu rapidement. Il a dit oui à toutes ses questions,
sans me laisser le temps de répondre moi-même. Je me tenais debout derrière
elle, à côté de Tiène dont je serrais la main très fort. Elle m'a remercié
d’avoir retrouvé Noël, son amour de sa vie : " Merci pour tout ce que tu
fais pour moi. "......
Observateurs - Dialogue
" Je t’assure ! C’est cette Clémence. Je l’ai vue frapper au carreau de la
chambre de Lulu. "
" Clémence ? Celle qui est venue apporter son petiot il y a deux mois ?
"
" Tout à fait. J’ai pu voir à la lueur de la porte entrouverte qu’elle avait
la même robe et portait la même valise que la dernière fois. Je crois bien
qu’elle est venue des Ziès à pieds ".
" Des Ziès aux Bugues à pied, la nuit ? Hé bien ! Qu’est-elle venue faire,
à ton avis ? "
" C’est bien de toi, ça ! Elle est venue voir son bébé, pardi. Deux mois
sans le voir pour une jeune mère, c’est dur "
" En tout cas elle a de la chance que
" Regarde, la voilà qui s’en va déjà. Elle n’a pas traîné. Ha, ça lui a
fait plaisir, en tout cas, à voir comme elle lui embrasse les mains. Cette
passion, cette frénésie, ça me rappelle il y a soixante ans... "
Observateurs – Police
Les Buges, domicile de Lulu dite " La
belle vie ", zéro heures seize
" Ca y est chef, la voilà "
Clémence Dulière, 22 ans, domiciliée aux Ziès venait de frapper à la fenêtre de
la chambre que nous surveillions.
Elle s’est faufilée dans l’ouverture de la porte. L’observation par la fenêtre
n’était pas fameuse.
" La bande tourne ? Passez-moi ça sur haut-parleur, que j’entende ça...
"
Bruit de porte qui se ferme.
‘Clémence, comment vas-tu ? Mais, tu pleures ?’
‘Noël, ou est Noël ?’
‘Dans la chambre de Tiène, je vais te l’apporter.’
Bruit de porte qui grince faiblement, des pas qui s’éloignent, une pause, qui
reviennent .
Vincent, au téléobjectif nous signale soudain : " Lulu passe devant la
fenêtre. Elle tient un paquet enveloppé de couvertures. Clémence la suit. Hors
champ, zut !"
Bruit de lit qui grince légèrement, lames de plancher qui grince, petit choc
sourd.
Pause.
" Mais qu’est-ce qu’ils fichent, bon sang "
Juste à ce moment, gémissements et pleurs d’enfant, de bébé.
Nouvelle pause, plus longue. Puis bruits à peine perceptibles.
‘Il s’est allongé’.
Pause
‘C’est toi qui t’en occupe ?’
‘Oui, qui d’autre ?’
‘Il est sage ?’
‘Oui, très calme, il ne me gêne pas du tout, ne t’inquiètes pas’
Pauses, bruits indéfinissables, le plancher grince.
" Ca y est, Lulu repasse. Elle a toujours le paquet. "
Bruits de pas, pause. Une porte qu’on referme doucement.
" Clémence repasse à nouveau "
Bruits indéfinissables. Peut-être une accolade
‘Merci de t’occuper de Noël, merci de tout ce que tu fais pour moi.’
Bruits de pas, la porte d’entrée qui s’ouvre.
" Elle sort, patron, on fait quoi ? "
" Laissez tomber, on remballe.
Son gosse, bon sang, c’était juste son gosse ! Si je tenais cet informateur de
mes deux... "
Après coup - Dialogue
- Tiens, hier, Clémence est venue voir son petit
- Tiens, tiens... Cela faisait combien de temps ?
- Deux mois. Elle s’est contentée de le regarder et a fait une bête remarque du
style " Il a grandi "
- Et c’est une mère, ça !
- Elle m’a même remercié de tout ce que je faisais pour elle. Tu parles ! Moi
je fais cela pour le petit Noël, c’est tout.
Télégraphique
Passée voir Noël aux Bugues cette nuit. Va bien, a grandi. Remercié Lulu.
Cinéma
Séquence N°53 " Clémence vient voir Noël "
Plan général de la chambre de Lulu, en direction du lit. Tiène est assis sur
une chaise près de la fenêtre, et lit. Lulu est assise à la table et écrit. On
toque sur la vitre, Lulu et Tiène relèvent la tête.
Plan rapproché sur la fenêtre, pris du lit. On voit Clémence au travers de la
fenêtre, la nuit. Elle est éclairée par la lumière de la chambre, on voit
qu’elle a les yeux très brillants. Lulu vient voir, on voit juste sa tête, de
dos. Elle s’écarte et part en direction de la porte. Le visage de Clémence
derrière la vitre disparaît dans la même direction.
Plan large sur la porte, du lit. Lulu ouvre, Clémence entre, elle porte la même
robe et la même valise que pour la séquence du départ (N°31), Lulu referme la
porte. Sur sa chaise, Tiène observe, son livre fermé sur les genoux. Gros plan
sur le visage de Clémence. Des larmes ont coulé, les yeux sont brillants. Elle
plisse les yeux pour atténuer la lumière. Puis elle dit " Noël, où est
Noël ? ".
Plan large, du lit, pivotant de la porte d’entrée vers la porte de la chambre
voisine. Lulu se dirige vers la porte de la deuxième chambre, et l’ouvre.
Plan dans la deuxième chambre, vue plongeante sur le berceau. Lulu l’emmaillote
dans une couverture, le prend dans ses bras, et se dirige vers la première
chambre.
Retour au plan large sur la porte de la deuxième chambre. Lulu en sort, un
paquet de couvertures dans les bras et se dirige vers la caméra.
Plan vers le lit, de la porte de la chambre. Lulu dépose son paquet sur le lit.
Clémence la suit. Lulu se retire et Clémence passe devant elle et puis
s’agenouille devant le lit.
Plan rapproché sur le lit. On voit la tête et les épaules de Clémence à genoux.
On voit la tête du bébé dépasser des couvertures. Le bébé se réveille, s’agite
un peu, pleure.
Gros plan en contre plongée sur le visage de Clémence. Elle observe
attentivement en regardant un peu plus bas que la camera.
Gros plan sur le visage du bébé, en plongée. Il se rendort.
Plan large de la porte de la deuxième chambre. Clémence commence à démailloter
le bébé, caché par son dos. Tiène se lève et vient se placer à côté de Lulu. Le
bébé démailloté, Clémence dit " Il s’est allongé ".
Gros plan sur la tête et les épaules de Clémence, qui se retourne, en souriant.
Elle demande " C’est toi qui t’en occupe, il est sage ? "
Gros plan sur la tête de Lulu qui répond " Oui, tout va très bien, ne
t’inquiètes pas ".
Plan plus large, on voit Lulu et Tiène de dos à l’avant plan, Clémence de dos
qui emmaillote le bébé qu’on ne voit pas devant elle, sur le lit, à
l’arrière-plan. Elle se lève après avoir terminé, s’approche de Lulu et lui dit
" Merci pour tout ce que tu fais pour moi. "
Fin de séquence.
Poétique - Pieux
Des Ziès aux Bugues, évanescente silhouette, nocturne voyageuse, chemin empli
d’espoir et de chagrin. Un ovale blanc, troué seulement de marron brillant, se
dessina dans le puits de lumière, une main se signalant à la fenêtre. Coup
d’épée dans le jour, transformé par les gonds amènes en flot brillant, la porte
s’ouvrit. Clémence, de ses atours parée comme à l’accoutumée, entra, cligna,
balbutia. - Noël, où est Noël ? La douceur et la douleur, l’urgence de
l’attente, ses larmes, je ne pus rien faire qu’acquiescer silencieusement en me
détournant. Une demi saison de séparation, la moitié de la vie entière de ce
nourrisson que je porte en offrande, endormi, emballé dans ses couvertures. Je
l’ai porté sur mon lit, humble autel devant lequel s’agenouille Clémence, en
adoration. Le petit être s’agite, se rendort, émeut. Comme on déballe le calice
pour la consécration, d’une main blanche, elle l’a offert à lueur de la
chambre, à la nuit. Miracle quotidien révélé par la distance : Il s'est
allongé. Manifestation de vie obstinée, indépendante, continue. Sourire.
Questions, assurances, remerciements. L’essentiel était là, vision d’un instant
de bonheur fugace, volé à la nuit et à la distance, écrasant de sa puissance
doutes et fatigue.
S-F
Se découpant dans le clair de terre, Clémence se signala devant le hublot du
module de repos. J’ai actionné le sas. Elle avait la même combinaison et
ramenait les mêmes outils qu’à sa sortie, deux jours auparavant. Sa figure
était très pale, trouée seulement de ses petits yeux noisette que les larmes
rendaient brillants. Elle venait de faire le trajet du vieux module Zvezda
jusqu’ici sur ses seuls correcteurs d’attitude. Eblouie par les néons, elle n'a
pas eu l'air de remarquer Tiène à ses côtés. - Noël, où est Noël ? Je suis
allée le chercher dans la compartiment de Tiène où on le soignait depuis le
départ de Clémence. Je l'ai enroulé endormi dans la couverture de survie et je
lui ai apporté sur mon bloc. En le voyant, elle s'est remise à trembler
légèrement, puis elle s'est repliée devant lui, sans pleurer, sans rien dire et
elle l'a examiné attentivement. J'ai vu que Tiène était un peu pâle et qu'il
regardait par le hublot. Noël s'est réveillé, il a un peu miaulé. Elle a
attendu qu'il se rendorme et elle a défait la couverture pour l’examiner, elle
a dit : " Il a encore empiré. " Elle a tourné vers nous son visage
tordu et tout craquelé d'un sourire. Elle m'a demandé si j’avais fait tout ce
que j’avais pu et s'il était fini. J'ai dit oui à toutes ses questions. Je
flottais debout derrière elle, à côté de Tiène. Elle m'a remercié de m’être
occupé occuper de Noël : " Merci pour tout ce que tu fais pour moi. "
La vieille station avait été trop bien cannibalisée. Il ne restait plus aucun
médicament permettant de sauver le chat. Plus de combinaison anti-radiations,
plus d’équipement radio intact. Clémence déclinait rapidement, et nous
suivrions bientôt. Saleté d’éruption solaire.
Minuit vingt. La nouvelle, Clémence, a frappé à la porte du studio. Je l’ai fait
rentrer. Je lui avais demandé de mettre la même robe que lors du bout d’essai
il y a deux mois. Elle avait pris la même petite valise aussi. La garce. Elle
savait bien que ça lui donnait un petit air d’ingénue faussement virginale
qu’on avait envie de culbuter, là, tout de suite. Faut dire qu’avec son teint
pâle, ses petits yeux marron et brillants, et son corps à faire damner un
saint, elle aurait même fait bander un boeuf ! Une fine pellicule de sueur
donnait à sa peau un air de fruit frais et juteux. Sa poitrine se soulevait un
peu rapidement, légèrement écrasée par le fin tissu à fleurs. Elle venait de
monter de la réception au cinquième à pieds. Elle me rend fou, elle a tous les
trucs. Eblouie par les spots, elle n’a même pas eu l’air de remarquer que la
caméra tournait déjà. Jowel, où est Jowel ? Je suis allé le chercher à côté, où
il attendait de tourner la scène. J’ai compté qu’il y avait deux mois que le
Jowel n’avait plus joué de scène de cul. Il allait être magnifique ! Il s’est
enroulé dans son drap blanc, impérial, et s’est dirigé vers le grand lit sous
les spots. En le voyant, elle s’est mise à trembler, puis elle s’est
agenouillée devant lui, sans rien dire et elle l’a examiné attentivement.
Jowel, son dieu du X, surnommé « le vit tranquille ». Il était là, impavide,
majestueux, subissant sans frémir l’inspection de cette femme splendide qui
retirait sa robe comme si elle la brûlait. Ses seins fermes et généreux se
soulevaient plus rapidement encore. J’ai vu que le cameraman, un peu rouge, regardait
consciencieusement l’écran de contrôle de sa caméra, son jeans l’air vachement
serrant, tout à coup. Elle a retiré son drap, pour le mettre nu et elle a dit
‘Comme il est grand’. Elle tenait entre ses mains l’objet de ses convoitises,
qui restait détendu. Bon sang, comment il fait le Jowel, moi, je serais déjà
prêt à exploser... Elle a tourné vers nous son visage tordu de désir et tout
craquelé d'un sourire. Puis elle a enfourné ce vit énorme dans sa bouche avide.
Reprenant de temps en temps sa respiration, elle lui susurrait des phrases
douces, hachées : « Laisse moi m’occuper de toi, sois sage ». Oh oui, ça
c’était de l’action. Je me tenais debout derrière elle, à côté du cameraman, je
n’aurais pu m’asseoir sans défaire mon pantalon. Bon sang, ces fesses, cette
peau... Jowel, plus tellement tranquille maintenant, l’agrippait à pleines
mains et s’enfonçait dans Clémence à genoux qui hurlait en essayant d’une main
de l’enfoncer encore plus. Ha, cette scène ferait vendre le film comme des
petits pains. « Merci de tout ce que tu fais pour moi, ma belle... »
P.S.
Cette idée est partie de l’erreur dans l’énoncé de l’exercice « Le
vie tranquille, de Marguerite Duras »
Vous connaissez le principe :-) les mots sont : accès, saisie, vide, boucle, écho, taille, résider, nom, active, début, situation, positions, spéciaux, armoire, minimum, fructueuse, souhaiter, existence, libérées, mémoire. - Amusez vous bien.
Le bûcher de l’inquisition (Navelmaniac,
01/02/2002)
Réincarnation (Fayal,
05/02/2002)
Dure, noire, et froide. Etanche. Vide, à
part moi. Telle était la cellule de taille minuscule dans laquelle je me
tenais, osant à peine bouger. L'écho des recherches s'éloignait. Deux fois les
salopards étaient passés devant l'accès. Peut-être que la troisième passe leur
sera fructueuse, ruinant ainsi nos derniers espoirs.
Lorsque les positions des navettes d'Inquisition furent signalées par nos
instruments de détection, nous sûmes dès le début que nous ne pourrions pas
leur échapper. La mort dans l'âme, nous avons voté au sujet de nos dernières
actions. Je fus désigné..
" Julius, tu es le seul à connaître toute la procédure de récupération de
mémoire. Tu sais que nous devons supprimer toute trace "
" Mais vous savez que cette procédure existe. Vous connaissez les
positions des caches. Ils ont leurs extracteurs mémoriels spéciaux. Même si
vous vous suicidez, vous ne serez pas morts depuis longtemps assez "
" Ils ne savent rien extraire d'un cerveau vaporisé ".
Mâchoires serrées, il me tendit son désintégrateur.
Bon sang, pourquoi fallait-il que je sois l'expert système de ce rafiot ?
J'avais mis au point l'autodestruction de la banque de données stellaires, de
façon à ce que personne n'imagine qu'elle soit récupérable. Nous ne pouvions
nous permettre que ces coordonnées tombent en des mains ennemies. Mais, hélas,
dans notre situation, nous ne pouvions les supprimer sans risquer l'existence
même de trois systèmes solaires au complet. L'idée était que je me dissimule dans
une des caches de contrebande du vaisseau après avoir simulé la destruction des
données, rendant le vaisseau inutilisable pour les inquisiteurs impériaux.
Hélas, je ne pouvais absolument pas être découvert, d'où la nécessité de la
destruction absolue du cerveau de mes compagnons.
" Non, vous ne mourrez pas. Supposez que j'introduise dans l'interface de
saisie une trajectoire en boucle serrée vers cette naine brune, puis que je
détruise la base. Sans mon aide, la navigation ne pourra pas être active, et
dans une dizaine d'heures, nous serons carbonisés. Je connais bien ce vaisseau.
Je peux me cacher où vous n'avez pas idée. Ils ne me trouveront pas à temps et
devront abandonner. Je pourrai alors restaurer la base, et les planètes
pourront être libérées "
" Ils nous tueront quand même, et cette mort n'est pas à souhaiter. "
" Je connais un peu la façon de penser des inquisiteurs. Voyant les
données d'astrogation détruite et la perte du vaisseau inéluctable, ils
prendront un malin plaisir à vous laisser à bord. Vivants. "
" Hum. Cela peut marcher. En tout cas, cela nous donne une chance. S'ils
essayent de te trouver, nous les ralentirons "
" Ils nous ont arrimés, commandant. Ils ouvrent le sas par la commande
extérieure. "
" Combien de temps avant que nous entrions dans la coronosphère de ce
soleil ? "
" Un peu moins de quatre heures, commandant. "
" Espérons que le plan de Julius marche. Je n'ai pas envie de résider à
vie sur une planète minière en compagnie de ceux que nous aurons trahis. "
Dépressurisation. Sifflement de l'air de la navette se mélangeant à celui,
vicié, du vaisseau. Trois silhouettes, sans armes. Le premier porte la main à
son casque, l'ouvre, dévoile un visage fendu d'un grand sourire.
" Qu'est-ce que vous dites de ça, les gars ? Trois navettes ! Dommage
qu'on ait dû détruire tous les équipements radios avant d'en être maîtres. Une
sacrée chance qu'on soit arrivé jusqu'ici, et qu'on ait pu s'arrimer, en tout
cas. Nos cellules d'énergies sont mortes. "
" Nom de... Julius ! "
Dure, noire et froide. Irrespirable. Ils cherchent toujours. Tenir encore une
heure minimum derrière cette armoire. Vertiges, ne pas m'évanouir, ne pas ...
Au paradis, discussion avant la
réincarnation.
Que souhaiter dans ma vie future ?
Au minimum une existence fructueuse, pour avoir accès à toutes les call-girls
du monde.
Un pénis de taille imposante. Afin que les femmes libérées me sautent dessus.
Avec moi, les godes et accessoires spéciaux resteront dans leur armoire, ils
sortiront même de la mémoire de ces donzelles. J’abuserai de ma situation bien
sûr, la saisie par la taille n’étant que l’une de mes positions favorites.
J’aime aussi quand je me vide dans leur gorge, les mains dans leurs boucles
dorées, serrant fort pour étouffer tout écho de protestation. Je laisserai mon
sexe résider dans leur ventre, du début de journée lascive à la fin de la nuit
active. Toutes crieront mon nom.
Note de Gabriel à Pierre.
Pour celui-ci : Réincarnation dans un élevage de porcs pour extraction de
semence et insémination artificielle. En faire du boudin après quatre ans.
Pour le 14 février, en 14 mots, case ta plus belle déclaration d'amour
C’est pas moi, c’est lui (Navelmaniac, 09/02/2002)
Eros. Jeune homme trentaine cherche femme idem pour démarrer amour passion
sans tabous. Spontanéité exigée.
Christian. Guerrier planétaire
cherche beauté astrale afin d'être enfin sidéré. Lune de miel : Ganymède.
Emmanuelle. J'écris ceci en
soupirant. Je préférerais de loin ta peau sous mes doigts.
Navel. Courbes, contre-courbes,
rondeur, plan, douceur et velouté. Dépression dévoilée. Je t'aime, joli
nombril.
Amano. Si tu es blonde et que tu as
de gros seins, tu m'intéresses.
Alex. Une pincée de poudre, un rêve.
Alchimie des corps, magie de la douche. Lyosha !
Fayal. Ouvre moi ton cul, femme, je
te ferai sentir la vigueur de mon amour.
Lyosha. Vous êtes fou, trésor ! Un
château Yquem avec ce foie gras ? Je vous aime !
Lulu. Eros, laisse moi tranquille. La
dernière fois tu m'as eue dans le dos.
Lulu. Ton regard fut doux, nos
paroles agréables, pétillantes. Lierons nous plus que nos doigts ?
MG. De l'amour ? Et puis quoi encore
? Tu me dois dévotion, comme tous ici !
Pierre. De la douceur de ton corps,
je dis ceci : Encore. Toujours. A jamais.
Walt (sans e). L'amour. Passion du
corps, aspiration à plus. Toi, moi, nous. Unis pour toujours.
Busner. Laisse tomber ce mac véreux.
Y t'apportera que des emmerdes. Viens avec moi.
Plume Pralinée. Quoi, mec ? J'suis ta
gonzesse ou pas ? Arrête de r'luquer ailleurs alors, péquenot !
Ecrire un texte d'au moins 500 mots qui doit commencer par: "Cela promettait d'être un de ces lundis démentiels de Lagos, où partout, dans la chaleur et la poussière, allaient s'étirer les embouteillages." (Nkem Nwankwo, Ma Mercedes est plus grosse que la tienne) et doit se terminer par: "Je n'ai pas rêvé cet héroïsme, je l'ai choisi. On est ce qu'on veut." (Sartre, Huis-clos)
Je ne suis pas un zéro (Fayal, 03/03/2002)
Professeur (Navelmaniac,
05/03/2002)
Cela
promettait d'être un de ces lundis démentiels de Lagos, où partout, dans la
chaleur et la poussière, allaient s'étirer les embouteillages.
" Dites-moi ce que cette phrase évoque pour vous... "
" Ca doit être une sacrée gosse s'il y a des embouteillages pour aller la
voir ! "
" Thomas, silence ! Vous ne pouvez vous empêcher de faire des commentaires
absurdes et inutiles. Continuez comme ça et vous irez voir le proviseur avant
la fin du cours. "
" Mais vous avez parlé de la gosse, tout de même ? "
" Silence ! "
Hou là, pas rigolo, le prof. Soit, je ne dis plus rien, je vais juste noter
comme un sage petit élève.
J'étais en train de dessiner un pendu dans la marge quand je vis le prof arriver
à ma hauteur. J'eus juste le temps de retourner mon crayon et de gommer la tête
du pendu, caricature trop évidente. Mais son regard s'est arrêté ailleurs sur
ma feuille
" Thomas, qu'est-ce que c'est que ça ? "
Il me montrait un dessin représentant deux cercles côte à côte, légèrement
ovales, avec en intersection centrale un ovale très allongé verticalement.
" Ben, vous avez parlé des valseuses de Vienne, tout à l'heure... "
" Et alors ? "
" Eh bien, ce sont des diagrammes de Venn ! "
" Et pourquoi cette allure phallique, dites-moi ? "
" Il fallait bien que je me rappelle que ce sont des valseuses. Vous
n'avez jamais entendu parler de mémoire associative ? "
" Impertinent ! Vous avez gagné un allez simple chez le proviseur. Si ça
ne tenait qu'à moi, vous seriez déjà hors du lycée. Et montrez-lui cette
feuille ! "
Je me levais, ramassant mes affaires quand il m'interrompit.
" Attendez, je me méfie de vous, passez-moi cette feuille "
Il prit ma feuille et en fit une photocopie, en me promettant de la montrer lui-même
par après au proviseur, afin de savoir si je l'avais bien montrée.
Je sortis assez joyeux de la classe. Ce prof rétrograde et pète-sec (je
l'imagine dans sa voiture, passant de la troisième vitesse en seconde, lâchant
des vents dans un bruit court et saccadé) commençait à me courir menu (je le
vois avec un tomahawk, courant à tout petits pas autour de moi). Il était un
des seuls à ne pas voir que je connaissais l'amas d'hier, que les jeux de mots
étaient pour moi la peau de l'os de la langue. Je pansais et réfléchissait en
jeux de maux (je me vois en médecin lumineux sélectionnant au hasard le
pansement à placer sur le malade stupéfait). Ce prof ne savait que soupirer et
souffler. Or souffler n'est pas jouer.
Le proviseur me reçut d'un air comprimé.
" Encore le prof de français ? "
" Euh oui, pourtant cette fois-ci, j'étais silencieux et je notais ce
qu'il disait. Il m'a demandé de vous montrer ma feuille. "
" Et que signifie ceci ? " dit-il en désignant le diagramme.
" Les valseuses de Vienne "
Un sourire vint immédiatement à ses lèvres, vite réprimé.
" Je vois que vous avez effacé la tête de votre dessin dans la marge.
Pouvez-vous me le refaire ? "
J'hésitai un instant entre accepter ou refuser, entre dessiner l'original ou
caricaturer le proviseur. Je choisis l'honnêteté et croquai à nouveau le prof
de français. Nouveau sourire.
" Vous comprenez tout de même pourquoi il ne vous aime guère. Pour lui
vous êtes tout le temps dans la lune, vous êtes un rêveur, Thomas. Pour lui,
vous êtes un zéro. "
Là, je ne pus m'empêcher, surtout qu'on nous avait fait lire Huis-Clos le mois
passé. Je répliquai par cette phrase de Sartre :
" Je n'ai pas rêvé cet héroïsme, je l'ai choisi. On est ce qu'on veut.
"
Cela promettait d'être
un de ces lundis démentiels de Lagos, où partout, dans la chaleur et la
poussière, allaient s'étirer les embouteillages. La transhumance journalière de
ces travailleurs modernes qui s'enfermaient dans leurs boites en fer blanc
avant de s'enfermer dans leur boite en béton me paraissait l'exemple même de la
tragédie du peuple africain. D'un haussement d'épaules, je continuai mon
chemin, pieds nus sur le chemin de latérite poudreuse. Le village où
j'enseignais ce mois-ci devait compter une soixantaine d'enfants en âge de
scolarité. J'espérais en rencontrer vingt. L'éducation était un moyen pour
trouver notre propre voie, non pour copier d'anciennes.
Mes professeurs ont été d'éminents esprits cartésiens et lettrés. Dialectique
et physique, chimie et psychologie, mathématiques et rhétorique. On voulait
faire de moi un ministre, grosses voitures, ambassades, sommets européens. Je
crois que mes parents ont compris pourquoi je me balade maintenant vêtu d'un
pantalon de toile sans couleur et d'une veste élimée. Mes livres sont dans ma tête,
mon coeur dans mon pays, mes pieds dans la poussière. J'enseigne à la manière
des griots. Je suis un conteur qui a juste appris bien plus que la tradition
orale n'a enseigné.
Les greniers sur pilotis se font plus fréquents, çà et là des hommes et femmes
retournent la terre aride entre les baobabs. J'entends le son rythmé des
racines pilées, j'arrive au village. Comme à chaque fois, je salue d'abord le
chef du village, escorté par quelques enfants curieux. On m'offre des noix de
bétel. La surprise passée de voir le professeur annoncé simplement vêtu et
porteur d'un seul baluchon, on m'accompagne pour ma deuxième visite : le chef
spirituel. Parfois un sorcier, un marabout, un vieux sage, une guérisseuse.
Ici, c'est un vieux marabout qui m'accueille. Il est responsable de l'école
coranique, et contre le mur de boue séchée des enfants lisent les symboles
arabes peints sur des plaques de bois. D'un geste, il les renvoie chez eux. Ils
s'éparpillent en riant.
Je parle de ma vie, ma vision, ma mission. Je veux instruire notre peuple, lui
donner les connaissances du monde sans le façonner de la même façon. Je veux
faire de la connaissance une arme et non un asservissement. Un choix et non une
obligation. Une façon de permettre à nos frères de se retrouver et de se
libérer de leurs dépendances et du carcan où nous ont placés les blancs.
Il me parle de sa vie, de son passé, de son instruction. De son apprentissage
de longues années, loin des siens, à apprendre des sons inconnus, une écriture,
le Coran. Dix ans durant, il a servi d'esclave à un homme tyrannique qui
faisait entrer en lui le savoir à coups de bâtons. Il en est fier. Il est fier
aussi d'avoir retenu ses leçons sans être dominé par son savoir. Fier
d'enseigner sa doctrine autrement, de rendre les dépositaires de son savoir
heureux et légers. Le vieux marabout a alors dit cette phrase qui résumait
tout, et que j'avais entendu sous diverses formulations au cours de mon
périple. Ce que je ressentais en moi n'était pas nouveau, cela existait en nous
depuis des générations et me remplissait d'espoir.
Il a dit : " Je n'ai pas rêvé cet héroïsme, je l'ai choisi. On est ce
qu'on veut. "
Ecrire un texte(nouvelle - poèmes etc) avec comme sujet les insomnies. (vaste sujet pour certains, j'en suis sûre :-)
Insomnie (Navelmaniac,
08/03/2002)
Plus ou moins (Sylvie,
22/03/2002)
Immobile.
Yeux ouverts.
Fermés.
Ouverts.
D'un geste rageur, il fait voler sa couette, se lève. Attrape au passage et à
tâtons son peignoir. Satisfaction personnelle : il s'est arrêté à l'endroit où
en tendant le bras, le peignoir est exactement sous ses doigts.
Dans l'autre pièce noire comme un four, il avance, se retourne, s'assied dans
le vide. Exercice plus risqué, il ne se laisse pas tomber sur le siège comme
quand il rentre du boulot. Se fesses entrent en contact avec le tissu. Presque
parfait.
Son doigt s'avance dans le noir. Ah, cette fois-ci il doit déplacer le, les
doigts pour reconnaître l'endroit. Le bouton est là.
Bip.
Bang assourdi de l'écran qui entre en charge, léger bruit du grave vers l'aigu
du disque, staccato des têtes de lectures. Le clavier apparaît progressivement
dans la lueur glauque du PC qui s'allume. Il se relève et va au salon, où les
lueurs blafardes de la ville lui indique l'emplacement du bar. Comme s'il en
avait besoin.
La main gauche ouvre le meuble, la droite plonge entre les bouteilles, ressort
avec celle à l'étiquette rouge. Pas de verre, pas le temps. Il retourne face à
l'ordinateur au moment précis où la fenêtre lui demandant d'introduire son mot
de passe s'affiche. Bien calculé à la seconde près.
Clic clic clic, les huit lettres tapées à toute vitesse. Le PC termine son
démarrage. La bouteille est ouverte, une grande rasade est avalée. Contrôle des
muscles et de la respiration pour ne pas tousser, c'est quand même du quarante
degré. La souris ouvre la fenêtre du navigateur, accepte la connexion du modem.
Cri strident des données de connections, chuchotement de la porteuse, la pièce
se teinte d'une couleur étrange.
La souris virevolte.
Click forum.
Click friends.
Click 1h20, c'est toujours mort sur RDV ...
Une autre gorgée au goulot.
Insomnie.
Monter cet escalier seule avec les courses. Lui en vouloir rien que pour cela.
Je me souviens, une fois, on m'a arrêtée en rue en me disant : " Ca fait
plaisir de voir quelqu'un heureux comme ça ! ". Les deux cent mètres
séparant la sortie du métro de l'appartement, je croyais toujours vouloir les
courir.
Merde. Etre dépendante du bonheur. En subir l'absence comme une perte
irremplaçable. Même si ma poubelle à papiers se remplit d'emballages de
chocolat, témoins honteux du manque.
" Never forget that I'm a man " répétait-il quand je voulais le
décharger de ses sacs qu'il me prenait des mains, ses yeux rieurs disparaissant
dans l'escalier.
Me relever en pleine nuit, m'asseoir devant le petit secrétaire, dresser une
liste pour en finir.
Il était peu attentif à mes tracas.
Il a oublié mon anniversaire les deux fois.
Il se mure dans son silence quand il est contrarié.
Il ne fait pas attention à la façon de placer le rouleau de papier toilette.
Il ne prévient pas quand il est en retard.
Il faut que j'arrête cette bêtise.
Froisser la feuille, la jeter. Pleurer un peu.
Sur mon lit, si proche et si loin du sommeil, je me bats dans mes nuages
sombres. Ils sont chauds, moites, irrespirables. Ils sont pesants,
anesthésiants. Mes pensées tournent, tournent, passent du ridicule au
dramatique. Je mets vingt minutes à chercher le petit hérisson en peluche qu'il
m'a offert. Puis vingt minutes, ou deux heures, ou dix secondes, à le tenir
contre mes seins, les yeux dans le vague. Je le jette dans le vide, par la
fenêtre entrouverte sur le néant de la nuit. J'espère qu'il est écrasé par une
voiture, déchiqueté par le tram, poussé du caniveau à l'égout par la pluie. Je
pleure ma peluche jetée. Je pleure de ma réaction.
Reprendre une feuille, la lisser pensivement, une caresse de la paume qui n'a
plus de corps à toucher.
Laisse couler tes mots, me dit la plume
Laisse errer ton regard, me dit la page.
Laisse parler ton corps, me dit la chambre.
Et mon coeur, répondis-je, qui veut l'entendre ?
Fenêtre, falaise éclatante, obsession tentante, vision floue et vacillante,
comme ma raison...
Et aussi moments clairs, montagnes de futilités, gravité soudaine d'un sourire
timide. Respiration, explosion, légèreté. Pluie joyeuse, gel dynamisant, four
énergisant.
Pain, mains, arbre, sourire, vie, papillon, joie, caramel, foins, pipeau, yeux,
bicyclette, nappe, paroles, bougie.
Mots, mémoire. Eclats de sourires, cristaux de bonheur gelé.
Pardon la plume, pardon la feuille, la chambre. Pardon les mots, je ne sais pas
vous habiller, vous faire danser en son souvenir.
Caresser le secrétaire, perdue dans les jours passés, puis se recoucher.
Essayer de respirer un parfum qui n'est plus. Se retourner pour chercher des
formes, pas du vide. De la peau, pas des draps.
Regarder le matin arriver sans plaisir.
Soupirer.
Un de plus ou un de moins ?
Texte d'une page maximum (moins de 1000 mots) sur les plaisirs de la table. Texte à poster après le 9/3/2002. ;-)
Souvenirs (Fayal, 10/03/2002)
Un pizzaïolo à terre (Navelmaniac,
11/03/2002)
Compagnie (Navelmaniac, 11/03/2002)
Une histoire sur les plaisirs de la table ?
Hum, je peux vous raconter quelques-uns de mes souvenirs, pourquoi pas ? Par
quoi vais-je bien commencer ...
Ah oui, Eva ! Disons que ce sera l'histoire apéritive.
Eva Tequila, la rousse sud-américaine. Je l'avais appelée ainsi un soir où
j'étais plus d'humeur à boire qu'à la galipette. Pourtant, Eva faisait son
possible, je peux vous l'assurer. C'est sa chute de reins et sa superbe
cambrure qui m'ont donné l'idée. Agenouillée, son cul magnifique tourné vers
moi, j'avais posé un verre de tequila, plein à ras bord sur le méplat de son
dos. Sur la fesse gauche, un quartier de citron vert, sur la fesse droite, une
pincée de sel. Sur sa peau mate et bronzée, je ne vous dis pas le tableau, j'en
ai presque une larme d'émotion en y repensant. Vous connaissez le principe, on
presse quelques gouttes de citron, on lèche le sel, et hop, on vide le verre
d'un coup. Au deuxième verre, ça allait déjà beaucoup mieux, et je l'ai pris
cul sec. Au troisième, j'ai compris pourquoi on appelait aussi cela tequila
boum-boum, et je peux vous assurer qu'Eva a adoré. D'ailleurs, elle m'a souvent
susurré par après, les yeux brillants " Une petite tequila ? ". Aaaah
Eva Tequila...
Vous ne prenez pas de tequila à l'apéritif ? Vous devriez, les amis, vous
devriez.
En entrée, laissez moi vous parler de Lucie. Je l'avais rencontrée dans le sud
de
Vous savez, certains plats ne sont vraiment appréciés que consommés dans leur
contexte. Comme les hamburgers, par exemple. Ils peuvent parfois être très
bons, aux Etats-Unis. Ailleurs, ils sont infects, bien sûr. Je garde un très
bon souvenir d'un hamburger mangé à Los Angeles. Betty m'en avait préparé un
succulent. Des oignons doux grillés à vif, et une viande juteuse. " Very
juicy ", comme ils disent là bas. Very jouissif, en tout cas. Car voyez
vous, je m'étais présenté comme un producteur de cinéma X français cherchant
une soubrette américaine pour un film de cul. Eh bien elle m'avait invité chez
elle pour me préparer ce hamburger à sa façon. Elle s'était habillée d'un petit
tablier noir à bords en dentelle. Et comme il y avait du carrelage dans la
cuisine, elle avait aussi mis des chaussettes. Après m'avoir servi, elle s'est
installée face à moi, mais sous la table, à genoux. Elle s'est occupé de moi
d'une façon très... professionnelle. J'ai terminé ma dernière bouchée de viande
au moment même où j'explosais dans sa bouche. J'ai encore son book de petite
actrice hollywoodienne. Quand je le regarde, l'odeur de viande grillée remonte
à mes narines, et je salive en pensant à ce hamburger. Cette Betty, c'est ma
madeleine à moi.
Ah, parlant de madeleine, je crois que l'histoire de Maddy sera parfaite pour
le dessert. La cerise sur le gâteau , l'apothéose d'une nuit de stupre et de
lucre, comme on dit. Oh oui, ses fesses, ses seins, son...
Mais je vois que nous arrivons déjà en fin de page, et nous avions dit une page
sur les plaisirs de la table. Moi quand je m'emporte, je peux aller très loin.
Une autre fois pour l'histoire de Maddy ?
L'inspecteur Colombo regardait avec une
moue pincée les cadavres du patron du restaurant et de ses deux serveurs. Un
beau gâchis.
Attention, hein, pas le Colombo de la télé. Edouard Colombo, mon boss. Bien
sûr, avec son chapeau et son imper, il aime ajouter à la confusion, bien qu'il
n'ait absolument rien du physique de Peter Falk.
Donc, nous étions avec un règlement de compte sur les bras. Trois parrains
locaux se disputaient le territoire, et le pauvre Ciro avait eu le malheur
d'ouvrir sa pizzeria à l'intersection de leur zone d'influence. Un pur sicilien
qui n'a pas voulu se laisser racketter. Bilan : trois mort et un blessé grave.
" Comment va le blessé, patron ? "
" Dans le coma. On ne sait pas s'il pourra récupérer. Dommage car c'est le
seul qui pourrait nous dire qui a fait le coup "
" Des indices ? "
" Non. Des traces de pas dans le sang frais, essuyées sur le paillasson.
Ils ont pris la peine d'essuyer ce qu'ils ont touché. Je comptais sur vos
perceptions tordues de cinglé pour avoir d'autres idées "
" Vous savez que ça faut toujours plaisir d'être apprécié, patron ? "
Bon, récapitulons. Quinze heures, les derniers clients sont partis. Petit
restau de quartier, pas de voisin présents, pas de témoins, personne qui a
entendu quoi que ce soit. Peut-être des silencieux. La caisse a été vidée. Pas
de petits profits, n'est-ce pas ?
Les légumes à pizza n'ont pas été remis au frigo. Il n'en reste presque plus.
Deux boules de pâte sur la platine, aussi.
" Tiens, patron, vous avez faim ? Il y a une pizza dans le four "
En faisant gaffe à pas mettre les pieds dans le sang, je prends la pelle à four
et retire la pizza, peut-être la dernière de Pascuale, le pizzaïolo. Pâte un
peu croquante, mais pas trop cuite.
" Vous n’en voulez pas un peu, elle est encore tiède ? "
" Non merci. Mais ne vous gênez pas pour moi, goulafre fesse-mathieu
"
Est-ce le qualificatif surprenant ou autre chose, mais toujours est-il que mon
mouvement vers le couteau à découper s'est arrêté dans le vide.
" Y a du sang sur le plateau de travail "
" Ben mon petit y en a sous vos pieds, aussi " dit-il avec un sourire
narquois. Il avait bien vu que j'avais fait attention à ne pas marcher dedans,
mais la brusque sensation d'anormalité m'avait fait oublier ce détail.
Je fis semblant de rien.
" Mais regardez, patron, dans le bol à tomates, et sur le manche de la
pelle à four. Elle était rangée, pourtant. Vous trouvez normal qu'un gars avec
deux balle dans les poumons décide de se faire un pizza ? Je suis certain qu'il
l'a enfournée après avoir été abattu. "
De fait, d'ou j'étais, les pieds dans le sang on ne voyait pas le comptoir où
avait eu lieu les meurtres. Les tueurs avaient du passer devant le four à
pizza, faire son compte à Pascuale avant de se diriger vers Ciro et ses
garçons. Il avait très bien pu se relever en terminer cette pizza. Mais
pourquoi ?
" Patron passez moi une carte des repas, là sur la table "
" Ne comptez pas sur moi pour prendre la commande. " dit-il en me
tendant la carte.
" Parmeggiana, Quattro stagione, Calzone, Romana, Primavera, ... Une pizza
avec des tomates, des olives, de l'ail, du jambon. Comment ça s'appelle ?
"
" Je suis plutôt cuisine française, moi, vous savez. Demandez moi comment
préparer du sot-l'y-laisse ou du boeuf mironton, mais là... Pourquoi ? "
" Parce que ça n'existe pas, ce qu'il a préparé "
" Bah, cherchez pas midi à quatorze heures, il se préparait une pizza avec
les restes, c'est tout. "
" Pas avec deux balles dans le buffet, patron ! "
" Ah oui, c'est vrai. Heureusement que vous êtes là pour les détails
"
" De plus, il restait encore de la mozzarelle, du salami. Pourquoi n'en
a-t-il pas rajouté, hein ? "
" Dites, patron, comment s'appelle ces caïds du coin ? Je tiens peut-être
quelque chose. "
" Carlo Radazzi, Paolo Mongibello et Ricardo Venerdi "
" Paolo, ce ne peut être que Paolo. Oui, J'y suis ! "
En fait, le pizzaïolo avait décidé de désigner le meurtrier. Il a disposé ses
ingrédients sur la pizza de façon à le nommer. C'est pour cela qu'il y avait si
peu de garniture. Il n'avait pas l'intention qu'on la mange. Les tomates dans
un coin, les gousses entières, groupées. Les olives, de part et d'autre du
jambon ! Ce jambon m'a dérangé avant de voir le L formé par les deux tranches.
Et il n'y a pas de garniture commençant par L
Pomodoro, aglio, Olive, L, olive. Paolo !
" Patron, demandez au gars de photographier en vitesse cette pizza, pour
la rajouter au dossier! "
" Pourquoi vite ? "
" Elle refroidit et j'ai faim. "
Il y avait trois dépressions dans la pâte
que je venais de sortir du frigo. Trois marques de doigts. Il me restait donc
encore à l'étaler et à la tartiner de beurre une dernière fois. La pâte
feuilletée faite main, rien de tel pour le goût et l'épate.
Les courgettes primeurs finissaient de dégorger, petits dés juteux et salés,
les chicons tranchés prêts à être braisés. Dans la petite tasse, à côté de la
poêle, mon secret de fabrication : le jus de citron mélangé au sucre de canne,
de quoi caraméliser et exalter le goût de la cuisson.
" Ne te tracasse pas pour le repas, quelque chose de très simple me suffira
parfaitement ", m'avait-il dit au téléphone. Une petite tarte aux lardons
et courgettes, pommes de terre en chemise et chicons braisés. Petit plat
innocent n'est-il pas ? Mais la préparation se devait d'être parfaite, si je
voulais l'impressionner. J'ai beau me répéter que je suis belle, intelligente,
et tout ça, mais à quarante ans, et avec des enfants, un homme, ça doit quand
même se travailler au corps.
Un domaine de Capoulade, Corbière 2000, peu connu et simple au premier abord,
complétera efficacement ce repas. Elevé en fûts de chêne neufs, il surprendra
agréablement, je l'espère, par son goût boisé et fruité à la fois.
Je venais de prélever un peu du nectar acide du vinaigrier, afin de déglacer
les lardons, lorsque le téléphone sonna. Joie, c'était à nouveau mon soupirant.
Joie mitigée cependant.
De l'hypothétique huit sur dix dans lequel je place à priori tout locataire
potentiel de ma vie, il descendit au moins à sept, voire six. Oh rien
d'irrattrapable, non. Il voulait juste me signaler qu'il apportait le repas
lui-même, ce soir. Je n'aime pas être interrompue dans un élan créatif
culinaire. Ou voir mes plans bousculés. J'ai lancé de rage la tasse pleine de
vinaigre dans l'évier, juste après avoir salué d'une voix mielleuse mon
correspondant. C'est une des raisons pour laquelle j'avais été conduire les
filles chez ma soeur, qu'elles ne me voient pas réagir comme une gamine
stupide.
Maintenant, je n'ai même plus la préparation du repas pour me tenir occupée.
Ally Mc beal va bientôt commencer à la télé. Aurais-je quand même la
possibilité de regarder le feuilleton ? Un point de moins s'il arrive à ce
moment là.
J'allume la télé, on sonne. Merde, cinq.J'ouvre, le regarde. Oups, quatre !
Il me tend une boîte, m'explique avec un sourire que son copain l'a lâché hier,
et qu'il ne pouvait pas recongeler la pizza, trop grande pour lui seul.
Un reste de conscience sociale se bat avec les chiffres qui dégringolent dans
ma tête. A zéro, la conscience s'efface. A moins deux, je fais un pas en
arrière, à moins quatre, je lui claque la porte au nez, masquant la lueur
surprise et offusquée qui apparaît dans ses yeux.
Le feu ouvert crépite, la tarte fumante sur la table basse dégage un fumet
captivant. Le verre de Capoulade à la main, je me dis " Rien de tel qu'un
petit repas simple en bonne compagnie "
La sonnette de la porte a cessé depuis longtemps de m'importuner.
Le chat ronronne de plus belle contre mes jambes.
Un texte pour une image. Pas de style,
longueur, forme exigés. A voir, et à lire.
Vague (Navelmaniac, 13/03/2002)
Lointain.
Brume effilochée.
Vent fort, embruns.
Attente, inutile et vide.
Vague qui disparait, qui revient.
Quatre jours de retard.
Habitude, mon oeil.
Chandail serré.
Froid.
Seule.
En colère.
Dieu, saints, hommes!
"Rendez-le moi vivant".
Vague désespoir, remis à demain.
Pari stupide et vain.
"Rendez-le moi".
Il reviendra.
Encore.
Espoir.
Respirer, enfin.
Un bateau, loin.
Une fois de plus.
Vague à l'âme persistant.
Encore combien de fois?
Survivre en fait.
Continuer ainsi?
Désespoir.
Décision.
Mer furieuse.
Cela doit cesser.
Il est rentré hier.
Vague de pleurs, rage, frustrations.
Elle le quitte demain.
Cela cessera enfin.
Mère furieuse.
Décision.
Créer un texte d'une page (max 3500c) comprenant les mots suivants : spinelle, clochette, soliflore, hippopotame, liturgique, carabistouille, intuition, manivelle, arlequinade, MacFarlane, queue, défection, rancunier". Genre libre.
Carabistouille (Fayal, 18/03/2002)
Carabistouille 2 (Fayal, 19/03/2002)
Carabistouille 3 (Fayal, 28/03/2002)
Mots imposés (Navelmaniac, 18/03/2002)
MacFarlane,
niant son intuition, agita la clochette liturgique, relique sacrée du septième
bouddha. Surgit alors du néant un hippopotame en tutu rose. Il s’approcha de
lui sur les pointes et susurra : « Exauce mes trois voeux, et j’astiquerai ta
lampe » Prenant son air abasourdi pour un refus, celui-ci se lança alors dans
une arlequinade grand-guignolesque, mimant à la perfection Bjorn Borg perdant
la balle de set contre Alice Sapritch (suite à la défection de dernière minute
de Rocco, champion de tennis à quelques lettres près). Ce surprenant retour de
manivelle acheva de le rendre paf, et il s’en voulu fortement de n’avoir laissé
cette relique entre le soliflore en béton armé et la bague au cabochon de
spinelle. Pour les gens qui n’auraient pas suivi (et on peut le comprendre,
tout le monde n’a pas lu la « Biographie édifiante d’Alex von Glock, alias
Buddha the Seventh ») le vase en béton armé avait été offert au bouddha par sa
belle mère, dont la fille se plaignait que dans leur disputes, son mari
rancunier cassait toujours ses potiches en premier lieu.
Pour le lecteur curieux, il est à noter que si au lieu d’agiter la clochette,
MacFarlane avait passé la bague à son doigt, il aurait instantanément fait
apparaître une créature de rêve, bombe sexuelle avide et totalement aux ordres
du premier mâle rencontré. Pas de chance, hein ?
Comment cette histoire n’a ni queue ni tête ? Z’êtes surs d’avoir bien lu le
titre ?
MacFarlane, suivant son intuition, s'empara de la bague au cabochon de
spinelle, celle située à côté de la clochette liturgique et du soliflore en
béton armé d'Alex von Glock (non, je ne vais pas tout vous ré expliquer, allez
lire l'autre carabistouille). Passant la bague à son doigt, la marche nuptiale
de Mendelssohn explosa soudain en dolby stéréo surround, et dans un petit nuage
rose puant la lavande apparut une femme. Flottant à dix centimètres du sol, les
sous-titres en lettres dorées annonçaient: "Qréature de rêve, bombe
sexuelle, etq, etq..." . Il y avait probablement eu défection du 'c' lors
de la création du texte. Le deuxième 'etq' tournait encore, animant la
manivelle des fantasmes de MacFarlane qui, bien qu'abasourdi par son propre
costume à queue de pie et certains autres détails, se décida à expérimenter sa
bonne fortune. "Retire ta nuisette et rampe devant moi, femme!" Un
rictus de plaisir passa sur le visage de la femme qui arracha d'un geste
brusque le fin tissu révélant une tenue de combat kaki. Empoignant son fusil
d'assaut, elle plongea devant lui, le nuage de lavande sentant tout à coup
l'ypérite, Mendelssohn faisant place à Sturmgewehr. "Stoooooooop!"
Fébrilement, il retira la bague, effaçant le regard rancunier de la femme à
plat ventre. Il voulu se saisir de la clochette, mais, telle une intuition
fulgurante, un hippopotame en tutu rose s'imposa dans son esprit, criant
"Touche pas à ça, ducon!". Ah, s'il avait voulu prendre la
monstruosité en béton armé pour commencer, tout eut été fort différent,
arlequinade gentillette, musique douce et guimauve.
Mais ça, c'est une autre histoire.
« C’est quoi ce bazar ? » s’exclama MacFarlane
en s’emparant du soliflore en béton armé (oui, c’est celui placé près de la
bague au cabochon de spinelle et de la clochette liturgique, il y en a qui
suivent, c’est bien). Son exclamation fut suvie d’un « Oumphh » étouffé et d’un
« Blang ! » pas étouffé du tout. La monstruosité venait de s’écraser à terre,
son poids ayant visiblement surpris notre homme. La poussière soulevée par la
chute se mit à tournoyer, et une forme vague, bien que très féminine apparut.
« Merci d’avoir libéré l’esprit de celle enfermée dans le vase »
« Quoi ? De l’acide chlorhydrique ? Mais c’est dangereux, ça », lança-t-il en
s’éloignant du tas de gravats d’un pas soupçonneux et avec un regard rancunier
à la forme évanescente.
« Je m’appelle Eva, et tu m’as fait naître à nouveau, laisse-moi te remercier.
» Et d’un claquement silencieux de doigts poussiéreux, elle fit apparaître un
machin boudiné en tutu rose.
« Je t’offre cet hippopotame dont la queue remplacée par une manivelle lui
permet de jouer avec intuition n’importe quelle arlequinade sans défection ».
« Je ne vois vraiment pas ce que c’est comme remerciement, franchement. Tout ce
que tu as fait, c’est faciliter le boulot de cet abruti de Fayal. C’est
vraiment n’importe quoi comme carabistouille ! »
« De quoi tu te plains », lui répondit le nuage de poussière (qui était
indubitablement féminin, je vous l’ai déjà dit ?) d'une voix suave « Tu viens
de lui donner le dernier mot ! »
« Et m... »
Demain. Il leur fallait un texte pour demain. Avec des mots imposés, qui plus
est. Encore heureux que le style est libre et qu’il ne faut pas plus d’une
page. Visiblement, ils me prennent pour une poule pondeuse de textes. Comment
voulez vous que je trouve encore inspiration et talent dans ces conditions ?
Dieu, que mon ego ne s’est-il tu lorsque j’ai signé ce contrat avec cet
éditeur. Las ! trop jeune et naïf dans le domaine j’ai troqué liberté contre
publication, tranquillité contre renommée. Renommée ! Un périodique lu par des
ultra cathos, payements de plus en plus anecdotiques. Et maintenant cette liste
de mots : « Lépreux, poutre, semailles, génuflexion, consécration, peste,
dévotion, humilité... ». Blah blah blah, carabistouilles à grenouilles de
bénitiers.
D’un soupir, je baisse la lumière, branche le lecteur CD. « Pastorale et
Arlequinade » d’Eugène Goossens conviendra bien à mon humeur actuelle. Piano et
flûte, assez doux que pour me laisser penser, assez folâtre que pour laisser
divaguer mon imagination. Je me sers un petit verre de rhum, à siroter pendant
les pannes. Finalement, je garde la bouteille à portée de main. Je me laisse
tomber sur le futon, pose le verre sur le museau de l’hippopotame empaillé. Il
est, avec le vieux gramophone à manivelle, le seul souvenir de l’Afrique
coloniale de mon grand-père. J’ai souvent laissé courir mes doigts sur le
vernis craquelé de son superbe pavillon en bois, en laissant mon intuition
s’envoler. Malheureusement il ne pourra pas m’aider cette fois à déblatérer ce
fatras liturgique. Je laisse la musique m’envelopper, les orteils en éventail
afin de capter chaque parcelle de lumière et de chaleur diffusée par l’âtre
crépitant, cherchant à me consoler de la défection du vieil instrument.
Cela fait bien longtemps que je n’ai vu mon beau-frère Ian MacFarlane. Je n’ai
jamais aimé ce bigot, mais il est le seul point de départ auquel je pense. Il
me servira au moins de source d’inspiration pour cette fois, et je savoure son
regard peiné accompagné de silence dans mes observations mentales. Je lui place
une clochette au pied, une crécelle à la main. Je l’envoie errer dans les rues
nauséabondes du Paris de 1348. J’imagine processions, génuflexions, fenêtres et
portes barrées de poutres. Charrois de corps, prières incessantes, effroi des
passants. Puis, comme de plus en plus souvent, viennent des images parallèles,
prostitution, queue fourchue, satanisme. Je regarde l’hippopotame d’un oeil
rancunier, puis tend quand même la main. J’essaie de noyer ces parasites dans
une gorgée de rhum et me concentre, les doigts sur le clavier du portable.
Au dehors, le jour baissant découpe les arbres, vert sombre sur bleu sale. Le
merle nerveux lance son tsic tsic crispé. Dans l’âtre, une dernière bûche joue
de reflets changeant avec le soliflore sur la table basse. La coupole aux
galets de spinelle et crocidolite jette quelques éclats ors et vermeils. La
statue en terra cotta dans le coin accentue son sourire.
Mes doigts sur le clavier s’agitent, je les laisse faire, curieux.
Thème : la séparation. Contrainte : adopter le point de vue du sexe opposé. Tous genres acceptés (poésie, nouvelle, texte court...)
May (Navelmaniac, 13/04/2002)
Chasteté (Fayal, 13/04/2002)
La circulation sanguine extracorporelle maintient son cerveau fonctionnel,
comme ne le sera plus jamais son corps déchiqueté, irréparable. Elle est
consciente, très lucide. L'interface optique 3D avec suivi oculaire lui permet
de communiquer bien plus facilement que les vieux systèmes questions/réponses
avec clignements d'yeux. Il lui permet d'espérer réussir ce qu'elle a demandé,
sa seule chance de survie à long terme. Tenter une collection Mayenhof
spinoneurale.
" Dix neuf pour-cent des nanotubes connectés aux neurones en un mois ?
Cela avance mieux que prévu. Et elle, comment avance-t-elle ? "
" Elle surprend énormément. De n'arrête pas d'expérimenter des connexions,
jour et nuit. Je dirais qu'elle a testé plus de quatre-vingt pour-cent de
combinaisons. Elle est systématique. Pourtant, la masse de données à traiter, à
expérimenter, est plutôt déprimante. Une vraie stakhanoviste. "
" Se rend-elle compte que cela ne lui rendra pas son corps ? Une connexion
Mayenhof pour contrôler un bras ou une jambe prothétique d'accord, mais on ne
pourra jamais créer un corps artificiel complet. Beaucoup trop cher et complexe.
"
" Je crois qu'elle l'a compris avant nous. Ce qu'elle expérimente le plus,
c'est le décodage des impulsions électriques sur un niveau binaire et non plus
analogique. Je crois qu'elle cherche à apprendre le langage informatique au
niveau somatique. "
" J'espère qu'on ne va pas la perdre complètement sur le plan humain, même
si c'est cela qui va lui permettre de survivre. Elle est déjà beaucoup trop
machine à mon goût. Si systématique, si persistante. Quatorze heures de sommeil
en un mois! Déjà que techniquement elle n'est plus qu'une tête paralysée reliée
à des appareils... "
Hier j'ai rêvé sept minutes. Cela ne m'était plus arrivé depuis la fin de la
connexion. Bon sang que ça a été pénible. Je n'arrive pas à me rappeler son
visage, seulement ses mains. Ses mains sur mes hanches, ses doigts caressant
mes côtes et remontant vers mes seins. Ses paumes chaudes les enveloppant d'un
mouvement caressant, les frissons le long du dos se rejoignant entre mes
cuisses... et le chaos généré dans l'interface somatique. La panique s'est
emparée de moi durant les secondes où je n'ai pu me connecter à mes bases
heuristiques. Non, il me faut décidément bannir les émotions, ne plus jamais
dormir et rêver. Ma santé mentale, mon contrôle sur mon environnement est au
prix de ce dernier bastion d'humanité.
" Cent quarante huitième jour de voyage. Aujourd'hui, la grande antenne
nous reliant à la terre est tombée en panne. Micrométéorites, d'après
l'ordinateur. Il a vérifié les inventaires et les différents programmes de diagnostic,
c'est irréparable avec les moyens du bord. La petite antenne de guidage a été
testée et utilisée avec succès. C'est la fin du dialogue par vidéo, nous
n'avons plus droit qu'à cinq minutes de connexion à haute compression par jour.
De toute façon avec sept minutes de décalage, ce n'était plus vraiment un
dialogue. "
C'est ce commentaire de Piotr qui salua ma trahison. Ou mon retour vers la
condition humaine. Vers la duplicité et les sentiments, en tout cas.
Accompagner au travers du système solaire les cinq hommes d'équipage m'avait
paru la meilleure solution à mon agoraphobie grandissante. C'était aussi l'avis
de mes psycho analystes et du directeur du programme spatial. La complexité et
variété des systèmes embarqués ainsi que la durée de la mission nécessitaient
un système superviseur polyvalent. En tant qu'interface humaine fonctionnant
depuis plus de vingt ans, j'avais prouvé ma stabilité et mon efficacité. Je fus
donc désignée comme responsable digitale de la mission.
Cinq hommes.
Les discussions interminables des psychologues de la mission avaient retardé la
sélection des candidats. Il avait été décidé d'éliminer les femmes de la
mission, trop de risques émotionnels dans un équipage mixte, avaient-ils dit.
De même, les spationautes avaient du couper les ponts avec la plupart de leurs
connaissances. Les messages personnels seraient strictement limités à la
famille proche. J'avais été ignorée en tant qu'être humain. Pour la mission,
tout comme depuis tant d'années, je n'étais plus qu'un ordinateur.
+ + +
Tout se déroula parfaitement durant plus de quatre mois, jusqu'à ce que
j'accède aux fichiers de Piotr. Il tenait un journal personnel, mi journal
intime, mi journal de bord. Mais il avait aussi d'autres fichiers. Des essais
de poésie, des proses d'une beauté poignante, d'une mélancolie infinie et qui
pourtant me donnaient une énergie que je ne connaissais plus depuis longtemps.
Je me mis à lire tout ce qu'il écrivait, écouter tout ce qu'il disait. Je
naviguais sur ses mots, je les avalais, les chérissais. Ils me faisaient vivre.
A nouveau.
Ecorces, rameaux, troncs et brindilles
Sèches arabesques faisant siffler le silence.
Des traces de pas sous le vent vacillent
Souvenirs d'une vie présentant sa dernière danse.
Ou encore ceci :
Déshabille ma vie, bois à ma solitude
Déchire cette incertitude définie en termes précis
Quantique des leptons avides et rudes
Viole-moi, emplis-moi, o espace sombre et infini.
Ses textes m'ont poussée à écrire mon propre journal en réponse. Durant des
jours, j'ai emplis des unités de stockage entières de textes, de mots
enfiévrés, de rimes avides et absurdes. Mais cette écriture solitaire et sans
lecteur ne me suffisait plus. C'est alors que m'est venue cette idée qui m'a
fait peur autant que trembler d'excitation. Pouvoir lui parler par courrier
interposé. Je pouvais facilement surveiller et censurer tout échange
alphanumérique, tout comme en créer d'imaginaires, ce que je ne pouvais pas
faire avec une vidéoconférence. Jamais personne ne saurait mes sentiments, je ne
mettrais pas la mission en danger. Mais il me fallait supprimer le contact
direct avec la terre, afin que je puisse contrôler les échanges. Il ne fallait
pas que mon dialogue fictif remonte jusqu'à eux.
J'avais décidé que tu ne serais plus seul, Piotr.
+ + +
" Cher Piotr Vladchkoï,
je suis étudiante en linguistique et fais une thèse sur l'œuvre de
l'astrophysicien russe Andrei Linde. L'agence spatiale a accepté avec intérêt
ma requête d'information et m'a suggéré de vous contacter Si je ne prends pas trop
de votre temps précieux, j'aimerais avoir votre aide dans la traduction de deux
ou trois chapitres.
May Enhoff "
J'étais presque honteuse de ce subterfuge de collégienne. Mais son besoin de
compagnie, son besoin d'expliquer sa vie, sa passion, étaient trop présents
dans ses textes, dans ses appels au secours poétiques. Introduite dans ses
notes personnelles venant de l'agence spatiale cette missive passa très bien.
J'avais rajouté un post-scriptum expliquant la dérogation à la règle excluant
les communications personnelles avec des inconnus. Il a très vite remarqué que
je voulais lui plaire, et qu'il me plaisait beaucoup. Je suppose qu'il n'a
jamais soupçonné que je connaissais tout ce qu'il écrivait ou disait. Mon
Piotr, comment as-tu pu rester seul si longtemps ? Comment ai-je pu oublier moi
aussi qu'il était si bon d'aimer, de faire plaisir ?
Mes échanges avec Piotr devinrent de plus en plus nombreux et de plus en plus
intimes.
Bien sûr vint le jour déchirant où je me rendis compte que cette relation avait
une fin et qu'elle approchait. La mise en orbite se ferait deux semaines plus
tard et la navette du vaisseau transporterait tout le monde à la surface de la
planète, me laissant seule en orbite. Et bien sûr une seule antenne subsistait.
La transmission vers la surface avec la petite antenne serait impossible et
sacrifier les fusées de transmission pour du courrier personnel était
impensable. J'avais réagi trop impulsivement à ce moment et, bien que toujours
fonctionnelle, la grande antenne ne peut malheureusement plus être utilisée
sans me trahir. J'étais responsable de mon propre malheur comme je l'avais été
de ce bonheur éphémère. Et j'étais responsable de lui, comme de son équipe, et
de la mission, hélas.
Il faut que je trouve le moyen de te garder avec moi, Piotr. Comment
pourrais-je te perdre, toi que j'ai attendu si longtemps ?
+ + +
Flotter devant l'ordinateur. Pousser un soupir interminable.
" Piotr, je te signale qu'on a une fenêtre de lancement, il te reste
quatre-vingt secondes pour rejoindre ton poste dans la navette "
" Je sais. J'essaye de ressentir une dernière fois cette sensation. C'est
comme un sentiment de plénitude que j'ai rarement atteint. Je suis triste de
perdre ça. Triste aussi de perdre l'ordinateur. Je ne comprend pas pourquoi
"
" Oui, avoir perdu la grande antenne nous handicape sérieusement. Dès
qu'on sera détaché, on sera seul. Amène toi."
Mettre la main sur le mécanisme du sas, regarder une dernière fois l'interface.
Attendre vainement un événement retardant l'inévitable. S'asseoir sur le siège
rembourré. Vérifier l'étanchéité du casque. Fixer le harnais inférieur.
Resserrer le harnais supérieur. Tester la communication avec le vaisseau,
l'ordinateur. Entendre sa voix électronique. Pour la dernière fois, l'écouter égrener
les secondes.
" Quatre, trois, deux, un,... "
Laisser le silence suivant le "un" s'étendre, en être surpris.
Craindre et espérer en même temps. Stridulation dans les écouteurs, cri bref,
bruit digital. Sentir le choc sourd de boulons explosifs détachant la navette
du vaisseau en même temps que résonne le dernier mot de l'ordinateur à voix
basse, comme chuchoté à ses seules oreilles.
" Séparation ! ".
Si vous êtes comme moi, et que vous voulez quitter votre mec, je crois
que le meilleur moyen, c'est de lui faire la grève du sexe. Qu'il soit macho,
intello ou autre, qu'il vous assure de son amour sans limite, qu'il vous assène
de mièvreries du type " Le physique, l'acte en lui-même n'a pas
d'importance, je t'aime pour toi-même ", en fait, ils ne pensent qu'à ça,
et je n'ai pas besoin de vous convaincre.
Le problème est que j'ai essayé maintes fois de lui résister, mais le beau
salaud, il m'a toujours fait craquer, tôt ou tard. C'est qu'il sait s'y prendre
avec mon corps. Autant qu'avec celui de toutes les garces qui lui passent entre
les mains, d'ailleurs. J'enrage !
J'étais tellement à bout qu'il m'est venu une idée pour le moins saugrenue. De
par nos jeux amoureux, il m'avait fait goûter à certains plaisirs sado-maso,
qu'au départ toute personne saine d'esprit refuserait, mais qu'il avait fini
par me faire apprécier. Je me suis souvenue d'une ceinture de chasteté aperçue
dans un catalogue, tout métal et cuir. Elle disposait d'un système de cadenas
vraiment efficace et absolument inviolable, disait le commentaire, visiblement
sans trace d'humour. Excédée et décidée, J'achetai l'article en cachette,
l'enfilai et fini par pouvoir le mettre, même si cela avait indubitablement été
conçu pour être fermé par une autre personne. Les clés, j'en fis un petit
paquet que je m'envoyai par la poste. Plus question de craquer.
Quand il vit cela, il eut ce petit sourire aux yeux malicieux qui me fit
frémir. Il m'attacha nue sur le lit, écharpes de soie blanche nouant mes
chevilles et poignets aux montants du lit. Puis il revint de la cave portant sa
caisse à outils. De beaux, d'anciens outils. Manches en bois, métal foncé,
limes, tenailles, pinces. Il mit une pile de bougies à côté du lit, en alluma
une, éteignit la lumière. Puis se mit au travail. Doucement, pour ne pas faire
trop chauffer le métal. Lentement, sensuellement, il lima, lima, les vibrations
du métal se transmettant à mes os, ma chair. Il s'arrêtait parfois, utilisait
la pince qui d'un coup sec faisait sauter un maillon affaibli. Qui me faisait m'arquer
sur le lit. Puis il reprenait le va et vient de la lime. Sans jamais me
toucher. Le supplice fut long, très long. Il aurait pu terminer, me soulager
bien plus tôt. Sept bougies ont été consumées avant qu'il n'en ait terminé.
Puis il me toucha.
Si vous êtes comme moi, et que vous voulez quitter votre mec, je crois que le
meilleur moyen, c'est de lui faire la grève du sexe. Mais je peux vous dire que
la ceinture de chasteté, ça ne marche pas. En tout cas, pas si votre mec
s'appelle Fayal !
A la demande de nombreux utilisateurs du site, cette section vous permet maintenant de poster vos textes indépendamment des exercices proposés, et donc de laisser libre cours à votre imagination débordante. J'espère que vous apprécierez cette nouvelle possibilité et qu'elle ne sera pas victime d'abus au détriment des exercices du site.
Nihil (Navelmaniac, 18/04/2002)
Etre (Navelmaniac, 4/05/2002)
La leçon (Navelmaniac, 4/05/2002)
Retrouvailles (Sylvie, 17/05/2002)
Le collectionneur de nombrils (Navelmaniac, 30/05/2002)
Joël (Sylvie, 28/07/2002)
Solitude (Chrysope, 06/09/2002)
-Rien n’existe réellement, tu sais.
-Que veux-tu dire ? Je te vois, je te parle, tu me réponds !
-Tu crois ? Qui te dit que tu ne t’illusionnes pas ?
-Tu veux dire que je suis fou, et que j’imagine ce dialogue ?
-Non, un fou ne l’est qu’en comparaison, or il n’y a rien à comparer, puisque
rien n'existe.
-Mais... et mes pieds, le sol, la pesanteur ?
-Vues de l’esprit
-Les étoiles, la musique, les couleurs ?
-Imaginaires plaisants
-Mes souvenirs, ma mémoire ?
-Ah, là c’est plus subtil. Tes souvenirs n’existent pas bien sûr. Ta mémoire,
c’est autre chose, mais je ne peux pas encore t’expliquer.
-Pas encore ? C’est une question de temps ou de conditions ?
-Le temps n’existe pas, voyons.
-Bien sûr, voyons ! C’est évident. De quelles conditions cela dépend-il ?
-Que tu prennes conscience du néant. Que tu dissocies la notion de mémoire et
de temps.
-Je ne comprends pas. Comment prendre conscience de ce qui n’est pas ?
-Rien n’est. Tu te poses les mauvaises questions.
-Je suis totalement confus. C’était ton but ?
-Tu te parles à toi-même n’oublie pas.
-Bon reprenons. Rien ni personne n’existe.
-Oui.
-Tu ne me réponds pas, et nous n’avons jamais eu de conversation.
-Exact.
-Pourquoi ceci, alors ?
-Je te laisse juge.
-Fou ou pas, inutile d’y penser si je suis seul. Je pense donc j’existe. Je
peux au moins partir de cette base.
-Tu crois ?
-Le monde entier, les milliards de personnes, les découvertes faites par des
associations de chercheurs, des générations d’esprits concentrés sur une
multitude de problèmes, tout cela est sorti de ma tête ? Alors que je n’existe
pas ? Je maintiens : je pense donc je suis !
-Hum.
-Maintenant, supposons un instant que tout ceci n’est qu’une vue de mon esprit.
En fait l’univers entier n’existe que par moi. Il pourra donc disparaître dès
que je serais persuadé de ce que tu dis. Je serais dieu, le créateur, en fait !
-Rien n’existe.
-Mais je n’en crois rien.
-Rien n’existe.
-Laisse-moi.
-Je suis troublé. Finalement, il se peut que tu aies raison.
- Explique-moi ton raisonnement.
-Que j’existe pour me poser ces questions est en soi troublant. Beaucoup de
hasards ou de coïncidences seraient expliqués ainsi. Que l’univers soit vaste
et incompréhensible pourrait être simplement dû au fait que je ne veux pas y
penser. Ce que je ne veux pas savoir disparaît de ma mémoire, et n’existe plus.
J’ai parfois l’intuition que cela se passe à la limite de ma conscience.
-Penses-y. Commence par de petites choses.
-J’avais froid, je frissonnais. Il fait chaud, maintenant. Ai-je ajusté la
température du monde ?
-Arrête d’avoir peur. Ceci est beaucoup trop petit.
-Cette étoile est un point minuscule, un soleil gigantesque. Elle n’existe pas.
-Je ne l’ai jamais vue.
-Il n’y a pas d’étoiles. Mon dieu, il n’y a plus d’étoiles, plus de lumière, il
n’y a plus rien !
-Qui es-tu?
-Je ne suis...
Extrait final de : « Mémoires d’une
conversation à bâtons rompus avec dieu, ou pourquoi il ne faut jamais
convaincre un dieu de son essence » par Eloi Newgod.
Mon enfance, je ne m'en rappelle plus trop, tu sais. Il ne faisait pas si
chaud. Nous étions nombreux. Les grands nous faisaient de l'ombre sans faire
attention à nous. C'était la tradition, et ils ne savaient de toutes façon pas
faire autrement. Il y avait moins d'agitation, aussi. Ou bien non. Elle était
plus humaine. Je veux dire sans machines.
" Parle-moi encore d'eux, d'avant les moteurs, d'avant les guerres "
Hé, avec quoi tu viens toi ? Je ne suis pas si vieux ! Les guerres ont toujours
existé, d'ailleurs.
Mais c'est vrai que c'était quelque chose de voir tous ces grognards avec leurs
habits bariolés, bleu, blanc, et leurs hauts chapeaux. Je ne comprends toujours
pas comment on peut aller se faire tuer ainsi. Avancer en rang face à des
fusils et des baïonnettes ! Qu'est-ce qu'ils en ont tués, de mes amis, de mes
frères... Je revois encore leurs chevaux tirant les charrois dans les ornières
du chemin. Le macadam, c'est peut-être plus pratique pour circuler en voiture,
mais où est le charme, la vie ?
Je suis bien content qu'ils aient installé ce banc. J'étais bien seul avant que
tu ne viennes t'asseoir ici. Ces conversations me font du bien.
" Et depuis quand es-tu seul, mon ami ? "
Oh, tu étais déjà né, je pense. Ce n'est pas si ancien, mais tout de même.
Déjà, avec l'arrivée des tracteurs, les terrains ont été exploités à plus
grande échelle. Rien ou presque ne résistait à leur besoin d'extension. Ils ont
même rasé des petites masures. Mais c'est surtout avec toutes ces saloperies
qu'ils foutent sur la terre que ça a empiré. Les autres n'avaient pas ma
constitution. Et ils étaient vieux aussi, leur coeur était déjà malade.
Tiens, en parlant de souvenirs, tu sais l'épisode qui me fait le plus frémir ?
La venue des charbonniers.
" Les charbonniers ? "
Oui, ces hommes sans terre ni loi, qui occupaient un endroit et qui
l'exploitaient jusqu'à sa mort complète. C'étaient des brutes qui n'hésitaient
pas à piller pour se nourrir. De pauvres hommes qui avaient besoin de ce dur
travail pour vivre, me diras-tu, mais regarde le résultat : d'immenses pâtures
au lieu de ces bois gigantesques d'antan. Regarde les champs labourés, tu
verras les cicatrices de leurs passage : ces auréoles noirâtres qui marquent la
terre, autant de témoins de leur meules ou fours à charbon. Tu vois la trace
dans le champ derrière toi ? Je revois encore ce grand bourru, silencieux, qui
ne parlait qu'avec sa hache. Heureusement, les villageois excédés par leurs
rapines ont fait appel à la maréchaussée afin de les déloger.
" Je t'aime bien, tu sais. Tu as vécu tant de choses, tu m'en apprends
tant. C'est dommage que nous ne nous soyons pas rencontrés plus tôt "
Plus tôt ? Qui te dit que nous nous serions parlés, alors ? Aurais-tu eu envie
de m'écouter dans ta jeunesse ? Tout à ta fougue et ton mouvement ? Il me faut
du temps pour ordonner mes souvenirs. Seul un vieil homme peut prendre le temps
d'écouter ainsi un autre vieux radoter. Je crois qu'avec l'âge, quand on a fait
son temps, celui-ci n'a plus d'importance, et on n'y fait plus attention. On
peut alors commencer à se comprendre.
En fait j'ai moi-même commencé à prendre plaisir à ces conversations quand la
petite chapelle en pierre a été construite. D'abord, j'aime ce calcaire, riche,
savoureux. Et puis j'aime l'esprit des gens qui s'y recueillent. Leur âme que
j'entrevois parfois m'a fait prendre conscience de bien des choses, dont
découle cette envie de partager mes impressions, mon expérience. Mais la
chapelle n'attire plus personne. Heureusement ils ont mis le banc. Tu crois que
ce banc a une âme ? Qu'il est heureux de notre présence ? Je crois que oui,
mais à un niveau que je ne peux percevoir, malheureusement.
" Je n'en sais rien. J'aime en caresser les planches. Je me fais trop
vieux, moi aussi, je ne pourrai bientôt plus venir te voir. J'aimerais raconter
notre histoire, te faire rencontrer de nouveaux amis. Tu ne serais plus seul,
même si je suis parti. Tu aimerais avoir d'autres personnes avec qui parler
?"
Je ne pense pas. En fait, je voudrais finir ma vie tranquillement, sans y
penser. Je t'en prie, ne dis à personne que c'est moi qui t'ai raconté tout ça.
Un hêtre, ce n'est pas censé parler.
Tu crois qu’ils vont faire de moi un banc ? J'ai un peu peur.
Fouillant dans la ferraille disposée dans
le coin de la pièce, l'homme écartait telle ou telle pièce rouillée, barre
tordue et sans intérêt. Il finit par se relever tenant entre les mains une
petite paterne, à laquelle adhérait encore un peu d'argile brune séchée. Ses
doigts grattant sa barbe poivre et sel, il chercha des yeux des longueurs
utilisables dans le métal enchevêtré. Deux morceaux de tiges à béton vinrent
compléter sa récolte.
Du soleil électrique en bout de la baguette de soudure, il fixa les tiges sur
la paterne. Un squelette de la hauteur de son avant-bras prenait naissance.
Armature simplifiée, support pour l'argile, esquisse d'une pièce future dont on
ne pouvait encore déterminer l'apparence finale. Un personnage debout,
vraisemblablement. Tordant le métal encore tiède, il ajustait tel angle, telle
position, pliant la raideur du métal à sa connaissance de l'anatomie humaine.
Dans le bac où l'argile était mise à tremper pour être réutilisée, il saisit la
bêche. D'un mouvement sec, il trancha la terre, en détacha une motte dans un
bruit mouillé de succion. Il la posa sur le bloc adjacent en plâtre et commença
à la battre, maniant le michel-ange d'un mouvement ample et rythmé. Ecrasée,
battue, assouplie, la terre se soumet, enfin suffisamment homogène pour pouvoir
être utilisée. De la corde de chanvre fut enroulée sur les tiges métalliques,
assurant par là une bonne adhérence à matière. Enfin, par petites touches,
comme le peintre sur sa toile, l'homme ajouta l'argile, couvrant l'armature,
révélant petit à petit sa vision, ramures de métal aux parures fauves. Sous ses
doigts agiles naissaient des muscles, des articulations, des mouvements.
L'ébauchoir prit la relève, appliquant avec sûreté et précision sa spatule,
façonnant, relevant ici, ajoutant là, creusant ailleurs. Au delà du mouvement,
c'est l'expression, la vie qui prit naissance sous les va-et-vient de l'outil
de bois.
Penché en avant, le visage serein dans l'effort, les jambes solidement campées
dans le sol, poing droit à l'épaule gauche, serrant une corde imaginaire, le
haleur était né en à peine une heure. L'élève qui avait observé le professeur
travailler du coin de l'oeil était venu admirer les dernières touches. Lui qui
travaillait sur une pose avec modèle depuis plus de deux semaines en était
béat. Devant son air, le professeur lui sourit, les yeux moqueurs. " C'est
tout de même mon métier, n'est-ce pas ? "
Le silence.
Le soleil, rayons couchés, se faufile entre les meubles, caressant le bois. Le
bouquet de muguets dégage sa fragrance fruitée, se mêlant à celle plus amère du
café.
Petit bruit sec.
Les toasts grillés rappellent en elle le goût de la marmelade d’orange du Bed
and Breakfast près de Clifden.
Dans sa mémoire, l’odeur du pain grillé s’associe ensuite à la tourbe brûlée,
parfum subtil baignant toutes les rues du Connemara par temps brumeux.
Bruit assourdi du tram, dans l’avenue en contrebas.
Elle passe la main sur son bras, comme pour en effacer le frisson. Une larme
coule sur sa joue.
Elle se lève, se sert un verre d’eau. Pétillante. Fraîche. Elle laisse là le
café fumant, les toasts tièdes, les souvenirs doux-amers. Elle s’habille,
culotte et soutien assortis, rouge, dentelle. Une crème pour le visage, une
pour les mains. Elle peut se faire belle pour elle-même, tout de même. Reflets
du miroir, mèche blonde masquant le regard d’une beauté honteuse. Fatigue à
l’idée de sortir, de sourire, de dire non, encore. Oui elle est jolie, et alors
? Fatiguée de penser encore à lui après treize mois et dix-huit jours. Et quelques
heures, qu’importe. Cliquetis des clés qu’elle prend sur la tablette, elle
ferme la porte. Un, deux, triple tour, les barres de la porte blindée
s’enfoncent partout. Elle ne pense pas. S’efforce de ne pas penser. A Sean, aux
collines, aux brumes, aux murets, aux moutons.
Le soleil attire les gens dehors, leur caresse la peau, les font danser sur les
trottoirs. Un jeune homme lui sourit, incline la tête. Bonjour, il fait beau,
vous êtes belle, je suis heureux. Elle sourit à son petit signe silencieux. Au
loin, une ambulance se dépêche d’emmener sa sirène à l’hôpital.
Elle regarde le ciel. Il est bleu, à peine voilé. Une mouette glisse,
l’observe. Elle ne rit pas. Le tram jaune, grand, absent, inexorable, pousse
ses voyageurs jusqu’à l’arrêt suivant. Il secoue les maisons grises de son dos,
génère des vagues sur le tarmac. Les rails plongent dans la tourbière des pavés
à ses pieds. Les moutons paissent au loin. Elle avance, les pieds dans la
mousse. La boue froide monte rapidement au niveau de ses genoux. Le tram n’a
pas le temps de klaxonner. Mourir avalé par une tourbière, quelle mort stupide.
Elle s’était faite belle. Elle a rejoint Sean.
" Bonjour, je fais une collection de photos de
nombrils. Le vôtre est bien visible, je peux en faire une photo ? "
Petit appareil photo digital en main, il montrait souvent la carte de visite de
son site Internet, afin de rassurer la fille. Non, ce n'était pas une attaque
facile de dragueur. Oui, il en avait déjà beaucoup, cela faisait plus de trois
ans qu'il arpentait les rues. Je peux ? Merci.
Sourire, photo, appareil tenu à hauteur de nombril, bonne après-midi. Discret
et rapide. Aller-retour de la rue commerçante, deux ou trois fois. Soleil et
moisson de photos sont au rendez-vous, c'est si rare, finalement. Cinq, dix
photos par fin d'après-midi propice, il a fallu persévérer pour arriver aux
trois cent exposées sur le site.
Et puis il y a la sculpture. Les plus belles photos, il les rêve en relief, il
les rêve les mains dans la terre. Du 640 par 480 pixels de l'image digitale, il
passe au 48 par
Les filles en rues sont parfois intéressées par cette passion, curieuses,
heureuses de cet attrait qu'elles provoquent. Le côté artiste émoustille leur
vanité. Et si moi aussi, j'avais une sculpture de mon nombril ? Mon ventre
est-il assez joli pour cela ? Oui, bien sûr, certaines veulent voir la
collection. Les photos, oui, mais surtout l'artiste chez lui, et les œuvres
qu'il décrit avec tant de passion. Quelques dizaines sont ainsi venues voir les
pièces exposées.
La structure blanche de quatre cellules de haut sur cinq de large occupe un mur
vide, fortement éclairé. Les vingt cases sont occupées chacune par une
sculpture différente. Des hanches au début du buste, vingt nombrils représentés,
sombres, translucides, blancs, noir, brillants. Sur le mur opposé, en tôle
martelée, une pièce de deux mètres de large. Walkyrie métallique, nombril
gigantesque. Une obsession, oui. Mais de la beauté, aussi.
Il repère alors les filles dont les yeux brillent, se laissant porter par sa
voix, et il leur propose du rêve, de l'audace, de l'érotisme. Ils se rendent à
la cave atelier. Il y fait chaud. Il y pratique le moulage direct. Il la
déshabille au dessus de la taille, l'enduit de vaseline. Les mains passent sur
les seins, le mont de vénus. Les plâtres qu'il fait ici sont plus audacieux, il
ne les expose pas. Pas vraiment. Il y en a sept ou huit accrochés au mur. La
vaseline bien étendue, il gâche le plâtre, fait tremper les bandelettes. Puis,
la fille debout, bras tendus reposés sur des supports, il applique ses
bandelettes. Verticales sur les seins, puis quand elles ont durci, d'autres
horizontales. Une méthode pour garder à la silhouette son maintient. Il dispose
les bandelettes jusqu'aux premiers poils du pubis qu'il a abondamment enduits.
Quinze minutes plus tard, il les déshabille de leur armure blanche et chaude.
Et là, il sent, il voit celles qui sont prêtes à aller plus loin. Il les
choisit avec soin. Celles dont le physique est parfait, d'abord. Celle qui on
l'air artistes, rêveuses. Seules, aussi. Celles qui sont venues directement
chez lui, parfaites inconnues, lucioles attirées par la lueur de sa passion.
Celle-ci est la troisième.
" Il y a encore une forme plus pure de l'art, une perfection qu'il est
très difficile d'atteindre. Je me suis installé un atelier de précision bien
isolé. Je travaille avec des produits chimiques de type plastique. Tu veux voir
? "
Il est clair que la question n'est que pure rhétorique, elle a été choisie et
amenée jusqu'ici avec soin, elle ne peut reculer. Appuyant sur un bouton
invisible, une étagère et une partie du mur pivotent. Quelques marches amènent
la fille médusée dans une pièce où des cuves renferment un liquide translucide,
où des récipients en verres sont reliés à des tubes, des cornues et des
réchauds. Il lui tend un masque à cartouche respiratoire. Pour les vapeurs,
c'est légèrement toxique, dit-il en mettant le sien. Il la conduit vers le mur
éclairé derrière les cuves, à côté d'une table en métal poli. Sur le mur, deux
bustes superbes de jeunes filles, encadrés du haut des cuisses aux seins dans
de solides cadres en verre. Ils s'approchent. La fille chancelle. Les corps
sont tellement réalistes. Il rattrape la fille qui s'évanouit dans ses bras, la
pose sur le billard. Il lui laisse le masque avec l'anesthésique sur le visage,
retire le sien. D'une main sûre, il s'empare d'un bistouri. Il lui sourit.
" Bienvenue dans mon atelier de plastination, ma belle. "
Cela vous arrive sûrement comme à beaucoup
d'autres. De voir une porte comme une fermeture, une vitre comme un obstacle,
des murs comme un silence.
Si le soleil écrase au lieu d'éclairer, le vent détruit au lieu de dévoiler, le
son abrutit au lieu d'apaiser, il est temps.
Il est temps de s'arrêter, de s'évader, de rêver.
Il est temps de penser à la poésie.
Il est temps de rencontrer Joël.
Parcourez les impasses et les venelles, écartez d'un geste les murs de béton,
d'un sourire les bourdonnements de la cité. Accompagnez les trams dans leur
quadrille, valsez avec les affairés, chantez les bougons. Semez le tarmac
d'insouciance, arrosez-le d'humour. Et peut-être les herbes et les fleurs y
pousseront, peut-être les voitures placides avanceront en ruminant. Peut-être
trouverez-vous Joël, mâchonnant un épi, le cœur tourné vers le ciel, les yeux
jouant à saute-mouton.
Et si par hasard vous lui demandiez quelle inspiration il cherchait, couché
parmi les herbes folles, il répondrait probablement qu'il ne cherchait rien. Et
son sourire expliquerait tout. Peut-être répéterait-il ce que la danse des
dactyles lui aurait soufflé. Peut-être partagerait-il leur indignation. Il
dirait qu'ils se sentent moins fous que ceux qui dévorent le temps et la vie,
que ceux qui ne savent pas écouter chanter les mots. Il vous dirait d'observer
la sittelle fouillant l'aubier, l'ellébore courtisant les tricholomes nus, le
soleil amarante se noyant dans l'indigo du crépuscule.
Le soir tombé, si Joël est encore là, regardant le ciel, c'est que les étoiles
ont besoin de lui pour scintiller. Car ça leur arrive aussi, aux étoiles,
d'avoir besoin des poètes.
Je vais tout vous dire.
Il s'appelait Kenjo, avait cinq ans de moins que moi. Un coup de foudre, je croyais qu'à mon âge, ça n'arrivait plus. J'avais pris des précautions contre la malaria, pas contre ça. Pas contre un sourire franc, dénué de malice. Pas contre les pas dansant entre les poissons séchés du marché. Pas contre les muscles luisant d'exercice sur la plage de Dakar, face à l'océan.
Mais non, excusez-moi.
Sean. Il m'avait dit s'appeler Sean. Assistant à l'université de Gallway en virée à Dublin, il était roux, oui. De cette couleur qui fait une nation, de la couleur des tourbières à l'approche de l'hiver, avec l'accent dur, tout en murets et whiskey. Avec un regard dur, aussi. Ce regard qui est une caresse insistante sur ma peau, sans concessions. Avec des mains de pêcheur qui ont caressé tant de sirènes qu'un seul doigt vous enflamme. C'est pour Sean que je...
Je suis désolée. Je radote, je rêve. Je bois. C'est de ma faute.
Mais je préfère raconter que c'est de la sienne.
Rien n'avait été normal ou rêvé, avec lui. Il attendait le tram. Des larmes coulaient sur ses joues. Sans retenue. Perdu dans la foule, isolé. Chacune de ses larmes était arrachée à mon ventre. Son impudeur, sa fragilité criaient en moi. Sur cette banquise, il n'y avait que ce petit enfant et une mère. Et la mère s'approcha de cet homme. Il me dit son nom, Avril. On s'est embrassé. Rien n'était normal, je vous l'ai dit.
Avril et moi, cela a été confus. Il n'était pas d'ici, mais de nul part. Cent cinquante kilomètres au sud de nulle part, précisait-il. Et il était né un autre siècle. C'était un homme, je crois. Je ne sais pas, je n'en n'ai jamais rencontré d'autres. J'étais sa mère, sa fille. Il ne me demandait jamais rien, et je ne faisais que ce qu'il voulait. Comment expliquer cela ? C'est comme l'abandon à un ouragan qui ne dérange que les tic-tacs de l'horloge. Nous roulions à tombeau ouvert, assis dans le fauteuil du salon. Son regard battait dans mes veines. Il buvait mon sang et le recrachait en fontaines lumineuses. J'écrivais des hectares de plaisir sur sa peau, il me répliquait en cataractes de silences à la bergamote.
Et puis Avril coulait des larmes. Et de son silence, il m'éventrait. Ma souffrance lui arrachait un sourire triste. Alors ses mains parlaient. Elles disaient des mots légers, apaisants. Elles parlaient de voyages, de découvertes. De soleil, de papillons et de dauphins. Ses mains devenaient nuages chargés de sable, devenaient faucon. Ses mains étaient des lézards, épousant la chaleur. Et Avril coulait du silence en longues traînées.
Oui, je veux un autre verre, bien sur que je veux un autre verre.
Comment voulez-vous que je me rappelle sans ça ?
Que je me rappelle ces mots qu'il jetait à mon corps, accompagnant ses coups. Que je me rappelle mes lèvres, mon nez tachant son épaule. Que je me rappelle sa détresse quand il me reprenait dans ses bras. Il hurle pour ne pas pleurer. Je pleure pour moins saigner. Je saigne pour encore l'aimer. Le monde nous est fermé. Nous sommes nus sur une plage déserte. Sur cette plage, il n'y a pas de fenêtre. Par ces fenêtres, on ne voit pas les appartements en face, personne n'entend le ressac des vagues, personne ne nous voit nus, enlacés. Cette plage est encadrée de quatre piquets, reliés par des cordes. Des gradins emplis de gens hurlants s'élèvent partout jusqu'à l'horizon. Les spots sont sur nous. Mon dieu, je suis folle. Il me démolit, je me pends à son cou. Il est si fragile, je peux bien faire ça pour lui. Mon Jacques, il a mal, vous comprenez. Il est fragile, alors je dois être forte pour lui. Alors, je colore ses nuits, les draps, mes chairs. Arabesques, auréoles, gouttes. Rouge, bleu. Caravage, illumination savante, Rembrandt, ronde de nuit, clair obscur, rouges et noirs. Nous faisons de l'art baroque, il trempe ses pinceaux dans mes veines, ma peau. Il en plonge les soies dans mon cœur et trace les ombres de tableaux immenses. Il peint rien que pour moi une composition extraordinaire, sur les pas de Van Gogh et son champ de blé aux corbeaux, en plus sombre et grandiose. En plus fou.
Mon verre est à nouveau vide.
Où est le soleil ? J'ai du le ranger avec les papiers à la maison. Laissez-moi chercher, je dois le retrouver. Tout le monde a besoin du soleil, il faut que je le retrouve, c'est important. Donnez-moi encore un verre, puis je pars. Il faut que je le retrouve pour demain, je dois chercher toute la nuit. Que deviendra le monde si je ne le retrouve pas ?
Juste un verre, s'il vous plaît
S'il vous plaît.
L'air était glacé. L'air était bleu foncé, très foncé.
Des immeubles tracent des angles droits sur l'horizon. Rectangles, carrés, fenêtres, lumières.
Un lampadaire tout proche explose ses décorations lumineuses. Je souffle doucement. Je regarde la vapeur diffuser les phares des voitures. Puis je la vois. Disque lumineux, énorme, au ras des toits. Mes pas ralentissent, s'arrêtent. Le bruit de la circulation disparaît, se fond. Je regarde. Une fascination du fond des âges monte en moi. Je regarde la clarté laiteuse glisser sur les carrosseries, rebondir sur les sons, se mêler au piquant de l'air. Immobile, j'entame une danse rituelle, je suis nu, je suis fou, je suis bien. J'observe les détails de cette lune, les cratères, les zones sombres, claires. Je m'emplis du cercle impossible, je plonge dans ce corps qui m'appelle.
Je respire. Mon souffle passe devant la lune. Mariage éphémère, langueur coupable, mon corps reprend sa marche. Les toits défilent, les murs avancent, s'approchent. Les façades me la cachent. J'accélère, referme mon manteau, enfonce mon bonnet. J'en appelle aux dieux, aux géants guerriers, qu'ils fendent la ville, que je la revoie. Puis je m'arrête, frappé en plein cœur. Dieux, géants ou architectes passés m'ont entendu. Une faille bordée de joyaux, d'arbres garnis de diamants scintillants, s'est ouverte devant moi. Dans l'ouverture, enchâssée dans un écrin de verre et de pierre, de droites et d'angles sombres, le cercle parfait défie la ville de sa puissante beauté. J'ai envie de m'agenouiller, de remercier la terre et le ciel. Je ne bouge pas, ne respire plus. Je me contente de vivre par les yeux. Elle est tellement proche que j'ai envie de la caresser. Je retire un gant, j'avance la main, mais je m'arrête, intimidé. Elle est trop pure, trop belle. Mon cœur cogne, ma raison me dit d'abandonner.
Des gens s'arrêtent. Ils l'ont vue aussi. Je ressens une jalousie vaine. Je me reprends, relève, reconstruis. Je regarde la lune au bout de la rue. Je remets mon gant sur ma main glacée, je repars. Les bâtiments grandissent, se rapprochent. La silhouette éclairée d'un tram me poursuit. Je ne les regarde pas, je n'ai pas peur. Je rentre.
Et dire que j'avais mon appareil photo.
Ecrire au sujet d'un des péchés capitaux, péché au choix, texte d'environ une page... Rappel: L'avarice, l'envie, l'orgueil, la colère, la luxure, la gourmandise,... et la paresse.
Attirance (Navelmaniac, 30/04/2002)
Capital (Fayal, 30/04/2002)
Confession (Fayal, 04/05/2002)
Paresse (Fayal, 08/05/2002)
John se sentait légèrement honteux, mais c’était plus
fort que lui. Depuis qu’on lui avait parlé de ce clandé, et des possibilités de
la machine, il lui fallait absolument essayer. Vous pensez bien, des péchés !
Et des capitaux, encore bien. Il n’avait aucune idée de ce que cela voulait
dire, mais cela avait ce parfum d’interdit qui rend toute chose irrésistible.
Bien sûr, il était surpris que dans la société actuelle, il puisse exister
quelque chose d’illégal, voire de caché. Tellement de choses étaient
automatisées et réglementées, humeurs, appétits, envies, que la curiosité était
presque inexistante. Presque.
Installé sur un fauteuil en tout point semblable à ceux des centres de
délassement et reconstruction de soi, il laissa le mécanisme l’enserrer de
toutes parts sans crainte. Les électrodes étaient habituelles, ainsi que les
sondes et les trois perfusions qui s’agrippèrent automatiquement à ses veines.
Ce qui l’était moins fut la sensation suite à l’injection d’adrénaline dans son
corps lorsque les boutons holographiques apparurent devant lui. Sept boutons.
Aucun des noms ne lui disaient quoi que ce soit. Le coeur battant, il se laissa
guider par le hasard et en désigna un. Les électrodes envoyèrent leurs signaux
factices au cerveau, les sondes injectèrent leurs chimies fallacieuses. Des
sensations nouvelles naquirent en lui...
A sa sortie, l'employé qui l’avait accueilli était remplacé par une jeune fille
très peu vêtue, affalée sur un sofa, en train de se vernir consciencieusement
les ongles. Une petite musique douce planait, un fauteuil moelleux faisait face
à la fille. Au mur, à côté du miroir plain-pied, un frigo-vitrine laissait
entrevoir de gros gâteaux aux fraises avec crème chantilly. Sur le comptoir,
les billets qu’il avait donnés semblaient abandonnés, ainsi que ceux d’un autre
client. Interloqué, il s’arrêta. Puis fit un pas en avant, main tendue, des
glandes se mettant à travailler sans que n'intervienne sa volonté.
« Bingo ! » Le bras passa au travers de la vitrine du frigo, au travers du
gâteau.
« Je te l’avais bien dit qu’il choisirait ça. »
« Tu m’énerves. » D’un geste rageur, il éteignit la simulation holographique.
« Pourquoi les nouveaux choisissent presque toujours la gourmandise ? »
« Tu n’as pas encore compris ? Ils réagissent comme des gosses. Regarde bien
les boutons. Ils ont la taille du texte inscrit dessus. Ils sont attirés par le
plus grand, c’est tout. »
Péché, péché, ils m’emmerdent avec leurs grands mots !
D’abord, je ne vois pas pourquoi ce serait des péchés. C’est qu’ils ne savent
plus vivre les gens ! S’ils avaient un minimum d’intelligence, ils verraient
comme moi que ces péchés capitaux ont été inventés pour satisfaire les pauvres
cons qui ne savent pas se débrouiller dans la vie et qui ont besoin d’excuses
pour justifier leur médiocrité. Regardez-moi ! Mon miroir ne reflète-t-il pas
un beau corps, dans la force de l’âge ? Silhouette altière, visage avenant et
brillant d’intelligence ? Moi j’ai tout ce qu’il me faut. Enfin c’est pas pour
ça qu’il faut pas être prudent, n’est-ce pas ? J’ai beau être riche, le mari de
ma fille l’est autant que moi, j’ai d’ailleurs dit plusieurs fois qu’elle
ferait mieux de divorcer et de se faire payer une bonne pension alimentaire.
C’est le meilleur moyen de lui pomper un max de fric. Je n’aurais qu’à lui
envoyer une de mes petites chattes qui sait si bien y faire au lit, suivie de
près par un détective, et hop, il crachera le maximum. Reste plus qu’à trouver
une bonne excuse pour la renier après, et le tour est joué je n’aurai même plus
à lui verser quoi que ce soit.
Tiens, en parlant de pomper, ces petites m’ont épuisé, j’espère qu’elles n’ont
pas oublié de me ramener mes pâtisseries au miel. Elles sont gentilles mais
tellement distraites. Ah non, mes sucreries sont là. Faut dire qu’après la
raclée qu’elles ont eue la fois passée... j’en ai encore mal au poignet. Je ne
comprends pas pourquoi tout le monde me cherche comme ça.
Ce n'est pas comme si je...
« Fayal, t’es encore derrière ton ordinateur ? »
« Euh, oui chérie »
« T’es vraiment qu’un paresseux ! Toujours à te débiner pour tout. Arrête ça
tout de suite et commence un peu à ranger. Tu vas quand même pas croire que je
vais toujours tout faire pour toi ? »
« Euh, non mon amour, je m’y mets tout de suite, mon amour »
" Mon père, j'ai encore péché. "
Un soupir. Puis il dit d'une voix légèrement étouffée: " Racontez-moi
"
" Qu'est-ce qui est le plus grave, mon père ? L'envie ou la luxure ?
J'ai un excellent ami, un chirurgien à qui tout a réussi. Son travail est
réputé, et il m'invite souvent à sa villa en été. Nous avons passé de
nombreuses soirées à discuter de la vie, des plaisirs, de tout et de rien,
allongés au bord de sa piscine, à manger des grillades accompagnées de bon
vins. Au début, j'étais heureux qu'il m'inclue dans son bonheur. Puis j'y ai vu
comme une sorte de suffisance qui a fini par m'irriter. Oh, je n'en montrais
rien. Pour lui, j'étais toujours heureux de lui rendre visite. Puis il y eu
cette femme. Pourquoi de tels hommes rencontrent toujours des femmes à la fois
sublimes et intelligentes ? Elle alliait en plus une sympathie à sa beauté qui
la rendait extrêmement agréable à côtoyer. Quelques mois plus tard, ils étaient
mariés, et je fus bien évidemment invité à la noce, comme témoin et ami
privilégié.
Rien n'avait changé, je venais toujours plusieurs fois par mois profiter de la
piscine, du barbecue, et des sourires enjôleurs de sa femme. Je m'étonnai un
jour qu'ils n'avaient pas d'enfants. La femme me répondit que
professionnellement, elle n'en voulait pas avant cinq ans, que ce serait une
catastrophe, ce qui arrangeait très bien mon ami. Là, ça a commencé à me
travailler. Je veux dire la luxure, en plus de l'envie. Au fait, savez vous
que, sans être chirurgien, je suis habile de mes mains, moi aussi ? Et que j'ai
un certain talent artistique ? Toujours est-il que j'ai réussi à faire un
moulage de ma tête sur lequel j'ai façonné un masque en latex et silicone de la
tête de mon ami. Nous avions la même stature, ce qui avait été un des éléments
en faveur de ce plan. L'autre chose qui m'y a poussé, c'est une phrase passée
dans une de nos conversations à trois assez libre. En toute innocence, elle
avait annoncé qu'elle ne prenait pas la pilule et qu'ils devaient donc faire
attention. Je me mis à surveiller les toilettes afin de savoir quand elle était
fertile. Deux mois plus tard, j'étais fixé. Je dérobai certains produits
chimiques dans la réserve de l'hôpital, et me mis à guetter mon moment.
Patiemment, durant des mois. Puis vint le jour où il fut appelé d'urgence pour
une opération durant la bonne période du mois. Pendant qu'il arrivait à
l'hôpital, je m'en retournai chez moi m'affubler du masque et de vêtements
identiques aux siens. Mes répétitions m'avaient permis d'être prêt rapidement.
Arrivé chez eux, elle m'accueillit avec joie et surprise. Imitant sa voix,
j'expliquai vaguement que le patient était décédé et déclarai avoir envie de
boire. Quand elle revint avec les verres, je cassai l'ampoule que j'avais
préparée sous son nez. C'était un anesthésique puissant à effet rapide et
limité. Elle fut mise K.O. immédiatement, et j'eus juste le temps de la porter
sur son grand lit avant qu'elle commence à marmonner et à papillonner des yeux.
Ma seringue était prête, et je lui fis l'injection en maintenant fermement son
avant-bras. Ce produit était plus subtil et à effet nettement plus prolongé.
C'était un hypnogène modéré associé à un euphorisant. La personne à qui on
injectait ce produit devenait calme, heureuse et obéissait à toutes suggestion,
tout en restant consciente. En tout cas, elle ne résistait pas vraiment. Le
plaisir que j'ai eu à voir ses beaux yeux incompréhensifs passer du réveil
apeuré à ce regard plus trouble, le plaisir de voir sa réaction assourdie quand
je lui ai expliqué le pourquoi de cette injection. Quel dommage qu'un des
effets secondaires soit aussi une certaine amnésie. Quand je lui ai demandé de
se déshabiller, elle n'a pas hésité. Que je sois sous les traits de son mari
aidait, bien sur, mais avec ce que je lui ai fait subir par après, elle a tout
de même gémi plusieurs fois, essayant de refuser. Oh elle a fini par aimer et
participer, mais je voyais bien une détresse tout au fond de ses grands yeux.
Quelle jouissance, mon père ! C'était extraordinaire. Pouvez-vous imaginer cela
? C'était si bon ! ".
Le silence flotta quelques secondes, comme si le prêtre essayait vraiment de
s'imaginer la situation. Puis il parla.
" D'accord, je vous ai écouté, et bien que ce soit grave, je pense qu'il
n'y a là rien d'irréparable, surtout pour Dieu, car le repentir absout tout. Et
rappelez-vous qu'un prêtre est lié par le secret du confessionnal, vous n'avez
donc rien à craindre. Maintenant, j'aimerais partir. "
Il frissonnait en disant cela. Cela se voyait à la chair de poule sur ses
fesses. Il agita encore une fois ses mains attachées aux montants du lit par
les menottes. La position sur le ventre lui semblait inconfortable, mais il
n'essayait plus de se mettre sur le coté. Les cordes maintenant ses jambes
écartées aux coins du lit n'étaient pas assez lâches pour cela.
" Vous avez oublié de me dire combien cela fait en Pater et en Ave, mon
père. De toutes façons, je vais encore pécher. Qu'est-ce qui est le plus grave
selon vous, la sodomie ou le meurtre ? "
J’ai eu envie d’écrire un texte sur Nic Altman. Un texte
avec un vieux gros soufflant, un vorace lubrique. Avec une maison dont les
boiseries fatiguées pleurent de toutes leurs échardes. J’ai eu envie d’y
inclure une Emmanuelle Pinson, aussi. Toute en chignon et lunettes, en jupe
droite, en gris chic mais sobre. Avec des maisons qui se déplacent, écartant la
fine bruine. Avec des nuages bas qui ralentissent puis s’arrêtent et regardent,
aussi curieux qu’elle ne l’est pas. Avec une madame Pinson qui ne veut plus
penser à son prénom depuis que cette diablesse d’Arsan a inspiré ces films.
Avec une madame Pinson qui s’achète du paradis supplémentaire en nourrissant la
bête. J’ai eu envie de parler de Jerry Line, de son cul et de Vince Lequeu. Il
s’appelle Vincent, évidemment, mais personne ne connaît son nom de famille,
alors personne ne lui demande si c’est une coïncidence qu’il travaille dans un
sex-shop. Vince, c’est le dealer en matériel de Nic. Et de sa fille, bien sûr.
J’ai eu envie de parler des discussions de Nic et Vince, de l’idée de ce
dernier de tourner un film porno avec Jerry Line. Jerry Line, fille aussi belle
que son père est méchant, aussi jeune qu’il est gras. Un vrai rêve de producteur.
Une illettrée qui ne rêve que de baiser, qui n’a vécu que ça. Une histoire de
rêves de gloire, de magasines de WC, d’argent facile et sordide. J’ai hésité à
y inclure ce prêtre qui donne la messe en robe de nuit. Qui dort avec sa
soutane. Dont les habits sont aussi variés que le rituel de la petite cuillère,
du sucre dans le vin de messe. Qui va bientôt devoir passer à l’insuline et qui
ne le sait pas.
Et puis...
Et puis je suis fatigué, je crois que je vais laisser tomber. De toutes façons,
d’autres écrivent cela tellement mieux que moi.
P.S. Ce texte se veut en même temps un hommage aux autres textes écrits dans ce sujet par Joël Lapierre, textes parlant de Nic Altman, Madane Pinson et Jerry Line
Ecrire un texte commençant par : "Pourquoi j'ai commencé cette collection pour le moins inhabituelle? En fait, c'est assez compliqué." et comprenant les mots suivants: nombril, photo, Internet, livre, exposition, gloire, richesse. Attention, cela ne peut pas parler d'une collection de nombrils sur Internet! ;-)
Saints
(Navelmaniac,
10/06/2002)
Moments (Sylvie, 25/06/2002)
Happy
Birthday (
Pourquoi j'ai commencé cette collection pour le moins
inhabituelle? En fait, c'est assez compliqué. Il se fait que j'avais hérité
d'un grand-oncle, qui avait fait beaucoup de voyages en Russie, quelques
peintures sur bois. Me spécialisant dans l'histoire de l'art, ces icônes
m'avaient fait fort plaisir, d'autant qu'une d'entre elles m'avait semblé être
un authentique Andreï Roublev, père de l'iconographie russe traditionnelle.
Cette peinture m'a poussé à refaire deux fois le voyage au musée de beaux-arts
Pouchkine à Moscou, notamment en 1987, lors de l'exposition spéciale à la
gloire de l'iconographie orthodoxe. J'étais si troublé par la pureté de ces
icônes que j'ai décidé de rechercher tout de qui avait rapport avec Roublev et
ses successeurs. J'ai maintenant près de cinquante livres parlant de l'œuvre de
ce moine fresquiste et iconographe du quinzième siècle. Nulle part, la peinture
dont j'avais hérité n'était mentionnée, or le style était manifestement le
sien. Bien sûr, il pouvait s'agir d'une copie ancienne, qui avait certainement
déjà beaucoup de valeur en tant que telle. En tout cas, la richesse des
couleurs dans les ors et les bleus était typiquement Roublevienne, si je peux
me permettre ce néologisme.
Ma passion grandissante finit par m'attirer des sympathies russes (je m'étais
mis au cyrillique pour pouvoir traduire certains ouvrages), et certains
confrères dont le responsable de la galerie Trétiakov de Moscou montrèrent
certains écrits parlant d'une partie cachée de la vie de Roublev. Tout d'abord,
la date de sa mort, incertaine vu qu'elle ne repose que sur une copie de pierre
tombale du XVIIIe siècle, ne serait pas 1430 mais 1439. Et durant ces neuf
années de sa vie, il aurait vécu en reclus dans un monastère byzantin,
enseignant son art aux Ottomans. Je suis persuadé que mon tableau fait partie
de cette partie de son œuvre, et que ce qui a été peint durant ces neuf années
est aussi important que durant le reste de sa très longue vie.
Depuis près de dix ans, maintenant, j'essaye d'acquérir des œuvres de Roublev,
originaux, copies, reproductions, ou même tableaux d'élèves doués. Je pense
avoir dans ma collection un Saint Paul fort semblable à un autre peint par lui
en 1411, probablement peint par un de ses élèves sous sa direction. J'ai aussi,
je crois, la plus ancienne représentation du peintre, hélas bien postérieure à
sa mort : Andreï Roublev décorant une église. Il s'agit d'une miniature
extraite du manuscrit "Vie de Saint Serge" vers la fin du XVIe
siècle.
Mais il est vrai que la partie la plus intéressante de ma collection est ces
saints, dont les ors sont restés parfaits, certains grandeur nature, et celui,
exceptionnel d'une autre version de Saint Jean-Baptiste de près de trois
mètres.
---
" C'est quoi c'te merde ? t'as viré religieux ou quoi ? ", lui
demanda Kevin, la lettre en main, regardant les photos étalées sur le bureau.
" J'en suis autant sur le cul que toi, tu sais. En cherchant sur le net de
quoi remplir le sujet du webzine du mois prochain, j'avais envoyé un mail à
tous ceux qui collectionnaient les photos de nénés, mais à part des bêtes types
qui se foutaient de ma balle et de mon orthographe, j'ai eu que ça. Pourtant,
la fois passée avec les nombrils, ça avait marché du tonnerre !"
" Ouais. Fais moi voir ton mail ... "
A : Jean.Vanderdonck@kmkg-mrah.be
De : ze_beast@hotmail.com
Bonjour Monsieur
Le sujet de notre magazine du moi prochain étant les saints, j'ai vu sur
Internet que vous en avez une belle collection. Pouver vous nous dire pourquoi
vous avez démarré une collection si originale, et est-ce que vous avez des
photos qu'on peut mettre avec ?
Merci de votre réponse rapide.
SexyWebZine
SexyWebZine @hotmail.com
www.sexywebzine.com
Editeur responsable :
Kevin Demotte
13 rue Branqueville, 1030 Bruxelles
" Dis, tu me fais un plaisir, vieux ? "
" ... "
" Tu ne mets plus mon nom dans ta signature. Ou alors, tu apprends à
écrire ! "
Pourquoi j'ai commencé cette collection pour le moins
inhabituelle? En fait, c'est assez compliqué à réaliser, bien que tout le monde
fasse ce genre de choses à des degrés divers. Beaucoup en gardent simplement le
souvenir, parfois avivé par un parfum, un goût, le titre d'un livre... J'ai
décidé de faire plus, d'en garder plus. Une collection de moments, en fait.
Mais conserver un moment est une affaire délicate et extrêmement personnelle.
Mes fardes à soufflets protègent chacune une dizaine de ces instants. Courts,
futiles, longs, pénibles, heureux pour la plupart. Tentative de figer
l'éphémère pour l'éternité.
Premier soufflet, impulsion initiale, le départ de ma collection. Le second
baiser de Marc, le vrai. Il y avait un morceau de calcaire, que je suis retourné
chercher trois mois plus tard. Des feuilles de prunellier et deux prunelles,
séchées malheureusement. La photo de Marc. Un post-it avec un mot, dont j'avais
compris la signification réelle à ce moment : astringent.
Je me retrouve assise, là, dans les bois aux abords de l'ancienne carrière.
Marc à mes côtés, rencontré une semaine auparavant. C'était la fin de l'été et
le soleil ondulait dans les herbes fauves, nous caressait de verts
translucides. Marc avait cueilli une prunelle, encore verte. Tu connais ça,
avait-il demandé, les yeux pétillants. Il a mordu la pointe de la prunelle,
s'est frotté les dents avec. Puis il m'a embrassée. La surprise de la sensation
râpeuse de ses dents, de sa langue a éclipsé quelques secondes toute sensation.
Puis j'ai senti ses mains, ses lèvres, l'instant a basculé. Mais c'est cet
instant qui m'a marquée, cet instant que j'ai voulu garder, que je retrouve
parfois en ouvrant ce soufflet.
Un autre, au hasard.
Un fil rouge, une pochette de disque, Eagles, Hôtel California. Du sel marin.
Une étiquette de vin.
Un stage de voile du côté d'Argelès avec des amies. Un grand catamaran. Le fil
rouge sur la voile, pour nous expliquer comment la voile prenait le vent. La
musique, le soir au mouillage, les repas de crudités, poisson, petit vin.
Papote entre filles, exposition au soleil, yeux doux au skipper, sel sur la
peau, rien de plus. Une semaine douce, physique, saine.
Un autre.
Une lettre, chiffonnée, jamais envoyée. Un préservatif dans son emballage. Un
test de grossesse, positif. Moment important mais souvenir sans gloire.
Un autre.
Oui, chouette ! Une sucette entamée, incrustée de gravillons. Je l'ai emballée
pour ne pas qu'elle colle. Un ticket de zoo, avec marqué 'Julie' dessus. Un
petit bout de papier écrit de sa main enfantine : 'Merci mon ami'.
J'avais emmené ma nièce à Anvers, au zoo. Je lui avais acheté des friandises,
et elle courait d'attraction en attraction. Elle s'était faufilée près d'une
cage où quelques chimpanzés nous regardaient passer. Je ne sais plus pour
quelle raison il y avait des barreaux et non des vitres, ni comment Julie a pu
se trouver si près, mais un des singes lui a pris la sucette des mains. Elle a
hurlé, de surprise d'abord, puis à sa sucette perdue ensuite. Le singe l'a
léchée, puis a crié comme elle. Ensuite il s'est rapproché des barreaux et a
jeté la sucette aux pieds de Julie qui s'est tue d'un coup. Elle m'a regardé de
ses grands yeux pleins de larmes, heureux maintenant. Elle m'a dit qu'il était
gentil et qu'il ne voulait pas qu'elle pleure, et elle a repris sa sucette.
J'ai du mal à expliquer tout ce que j'ai vu dans ces yeux à ce moment là, mais
il y avait une telle quantité de sentiments, de bonheur, de gratitude,
d'humanité que j'en ai pleuré.
Ah oui, celui-ci.
Deux pages de textes imprimés. Un email, où un ami me parle de cet atelier
d'écriture, sur Internet. Et puis mon premier texte écrit, et les commentaires
qui ont suivi. Un peu d'orgueil est sans doute glissé dans ce soufflet. Mais à
ce moment, ces commentaires m'ont réchauffé le cœur. 'tu manipules les mots à
merveille', 'joli texte' 'Le aïe aïe aïe (...)côtoie le plaisir pur', 'J'aime
beaucoup'. Peu importe la suite, à ce moment, j'ai découvert un nouveau
plaisir. Ma vie, ma douleur, mon bonheur pouvait faire plus qu'exister. Je
pouvais les voir du dehors, les utiliser.
Allez, le dernier.
Une photo de nombril, avec au dos une adresse 'point com'. Une photo d'un gars enturbanné,
barbiche souriante. Un carton de Kriek, taché de rose. Une carte postale de la
grand-place. Un morceau de la page du programme des cinémas de cette semaine
là.
C'était en avril ou mai, je ne sais plus. J'avais accepté une invitation à
aller boire un verre sur la grand-place de Bruxelles. Les pavés avaient été
couverts de collines, de gazon, de cerisiers en fleurs. Diverses échoppes
vendaient leurs bières, Kriek à la cerise en tête. Des chevaux de trait étaient
attelés à des chariots chargés de tonneaux, les gens riaient, parlaient,
buvaient. Il y avait du soleil dans l'air et dans les têtes, dans les vêtements.
Il a pris des photos, on est allé au cinéma. On a bu un autre verre, parlé
jusque bien tard, et on est rentré chacun chez soi. C'est le lendemain matin
que ça m'a frappé : je n'avais pas pensé à mon amour envolé de toute cette
journée. La richesse d'un moment, c'est aussi cela, une absence. Je n'ai jamais
revu l'homme, bien qu'il m'ait envoyé quelques photos prises ce soir là.
Des moments, simplement.
Moi, je collectionne les attestations de
soins donnés. Vous savez, ces fiches vertes qu'il faut renvoyer à la mutuelle
pour récupérer une partie des coûts de la prestation. Je les collectionne. J'en
ai peu. D'abord, je ne suis jamais vraiment malade, puis la plupart du temps,
je les renvoie dûment complétées de ma vignette E111. Pourquoi certaines ?
Parce qu'elles correspondent aux médecins que j'ai tués. Vous n'avez jamais été
énervés au point de faire des choses qu'il fallait pas, vous ? Attendre une
heure vingt pour une consultation de cinq minutes, ça ne vous énerverait pas,
vous ? Habituellement, je suis patient. Habituellement, je renvoie bien
gentiment mon enveloppe. Mutualité par correspondance, facile, juste un timbre,
et le remboursement arrive sur votre compte quelques jours plus tard. Quelques
milliers de francs sur une année, c'est toujours ça. Convertissez en euros si
vous voulez. Déjà ce rendez-vous, premier jour de libre depuis un mois et demi,
tombe le jour de mon anniversaire, je n’ai pas trop envie de faire des bonds.
Mais quand en plus les cinq minutes de rendez-vous accordées par ce chirurgien
play-boy au bronzage estampillé " Antilles " pourraient correspondre
à une conversation téléphonique de trente secondes, je dis non. Et quand je dis
que je ne peux pas accepter son prochain rendez-vous - eh oui, c'était un
rendez-vous pour prendre rendez-vous, je ne ris pas, non - parce que à ce
moment là, je suis en vacance, quand il m'assène de son sourire Pepsodent un
" bonne vacances " en plus du " bon anniversaire ", en
ouvrant son carnet au mois suivant, je dis encore non. Et je m'empare du
bistouri que je plonge dans son nombril. Puis dans ses yeux surpris. Puis dans
sa gorge, qui crie comme un goret. Pas de chance, tout le monde est parti, il
est tard, c'est fou ce que ces journées sont longues hein docteur ? Surtout que
le dernier à être parti du bâtiment, c'est sans doute son collègue avec qui il
a parlé vingt minutes avant de me voir. Qu'est-ce que c'est embêtant, ces
attentes à l'hôpital, on travaille tard, on se retrouve tout seul le soir. Mais
ça paye bien toutes ces consultations, hein docteur ?
La fiche verte rejoint les quelques autres dans ma boite. C'est en voyant celle
que je n'avais pas encore renvoyée que j'ai repensé à ce dermatologue qui
m'avait expédié chez ce chirurgien. Il m'avait fait attendre une heure quart.
Mais cela s'était terminé moins tard et la jeune fille qui attendait avant moi
a réussi à me faire patienter. Une petite mignonne bien différente des quasi
grabataires sourdingues qui attendaient avant moi ce soir. Une petite qui m'a
fait oublier un temps qu'ils se connaissent tous, qu'ils se valent tous. Je
glisse son attestation dans la boîte avec l'autre. Je trouverai bien son
adresse. J'ai toujours en main le bistouri du précédent. Bel outil.
La téléportation: pour faire plaisir à certains (dont moi), un petit sujet de S-F. Qui devrait être traité dans le style de la nouvelle : comment c’est encore ? Unité de temps et de lieu, peu de personnages, effet de bascule, chute, fin ouverte ?
Le premier (Navelmaniac,
16/07/2002)
Le Kcud (Fayal,
18/07/2002)
La lumière s'est allumée deux heures plus tôt que d'habitude. Elle lui fait mal
aux yeux. Il a les yeux plus sensibles depuis sa maladie.
Le gardien ouvre la grille, le menotte. C'est le grand jour. La chaise électrique.
Il se sent euphorique. On lui montre la salle d'exécution, la chaise, les
attaches, le casque, les câbles. L'interrupteur. Il regarde la salle vitrée,
pour les témoins, pour les plaignants. Les victimes. Il sourit, sachant qu'on
lui demanderait quelles étaient ses dernières volontés. Il sait qu'on ne lui
refusera pas cette petite demande. Cinq ans, déjà. Elle doit être très
appétissante aujourd'hui.
Cinq ans dans cette prison à attendre la mort, à vivre avec les souvenirs
uniquement. Mais quels souvenirs !
Celle qui l'avait fait prendre, il ne connaissait même pas son nom. Elle était
la huitième. Il les avait d'abord prises jeunes, mais sexuellement matures.
Puis tuées, après deux ou trois jours d'amusement privé. Alors, persuadé qu'il
contrôlait tout, il avait laissé ses fantasmes le diriger. Il les prenait plus
jeunes. Puis les gardait plus longtemps, attendant de les voir brisées, puis
soumises, leur innocence écartelée par la cruauté féroce. La huitième avait dix
ans. Il n'a toujours pas compris comment elle s'était échappée. Elle était très
forte. Moralement, surtout. Et elle serait là dans quelques heures, à le
regarder griller.
On lui accorde sa demande. Il se retrouve dans la pièce vitrée, regardant la
chaise, sa chaise. Se mettant à la place des voyeurs morbides. A la place de la
fille. Il examine la pièce, les chaises. Il s'imprègne de l'espace. Puis il
suit les gardes pour son dernier repas et ses ablutions, son sourire flottant
sur les lèvres. Un sourire présent depuis quelques jours, depuis qu'il n'a plus
mal à la tête, depuis qu'il est guéri. Un sourire qui embête les gardiens, parce
qu'ils ne le comprennent pas.
Après le repas, de beaux habits. Le rasage, le ciel bleu, une journée parfaite.
La pièce est violemment éclairée, l'audience installée. Il cherche des yeux la
fille, quatorze ou quinze ans, il ne sait plus. Elle est idéale pour fêter son
dernier jour de prison. Il aurait sans doute renoncé à la retrouver, mais ils
ont facilité cette rencontre. Ils sont bêtes, mais ils ne peuvent pas savoir.
Son sourire s'accentue quand ils referment les bracelets métalliques, qu'ils
lui installent le casque.
Derrière la vitre, Kate ne bouge pas, cille à peine. Elle préférerait ne pas
assister à ça, mais elle est forte. Ses démons, elle veut les tuer. Son docteur
en a discuté avec elle, lui a dit que les démons ne survivraient pas longtemps
sans cet homme. Son docteur ne lui a pas dit qu'il sourirait en la regardant.
Le même sourire qu'il y a cinq ans, le sourire du bourreau à la victime.
La procédure, lui a-t-on expliqué, veut que la personne chargée de l'exécution
enclenche le disjoncteur dès que la lampe rouge s'allume. Le condamné voit sa
mort annoncée, faisant face aux vitres, aux témoins, à la lampe. Face à Kate.
La lampe s'allume, elle ferme les yeux. Très fort, comme si elle pouvait fermer
ses oreilles et ses narines en même temps, bien qu'on lui ait expliqué que la
pièce était complètement insonorisée. Aucun bruit, aucune odeur ne filtrera. Le
bruit, pourtant, a raison de ses yeux fermés. Exclamations, chaises renversées,
gens qui se lèvent autour d'elle. Tous regardent la pièce éclairée. Et elle
voit la chaise vide, l'exécuteur la main encore sur le poignée à mi course.
Quelqu'un derrière elle s'approche, comme pour la protéger. Il met les mains
sur sa taille puis rapidement les glisse sous le tee-shirt, agrippe ses seins
et l'écrase contre lui. Elle hurle, se débat, se retourne à demi. Un sourire
dément de victoire s'affiche sur le visage du condamné. Il la pétrit, la serre,
une main descend le long son ventre. Elle griffe, mord, écrase. Un coup de
coude, puis un coup de genou, l'écartent du malade en même temps qu'un policier
hurle et que les gens qui s'avançaient reculent. Ses démons sont revenus, ils
se sont incarnés dans cet homme dont soudain le torse éclate, puis la tête. Le
policier, l'air farouche, abaisse son arme fumante. Il n'a rien compris, sinon
qu'il a fait son devoir. Personne n'a rien compris.
Kate, elle, éclaboussée de sang, sait que ses démons étaient des durs à cuire,
mais qu'ils sont morts, maintenant.
--------------------------
Dans la prison, très peu furent épargnés par l'épidémie. Beaucoup de gardiens
durent rentrer chez eux également. Les nausées et violents maux de tête
duraient jusque près d'une semaine.
Maintenant, certains détenus étaient visiblement guéris. Peu après la
disparition de ce mal de tête, ils se mirent à sourire.
Et à disparaître.
" Maman, maman, je peux jouer à ça, dis? "
Le gosse criait fort pour couvrir les bruits de la foire. Les musiques les plus
variées se chevauchaient dans une cacophonie sentant la friture, la bière plate
et les animaux exotiques. Trépignant devant l'échoppe du vieux monsieur, il
faisait ses yeux de cocker, un truc qu'il avait appris à trois ans avec sa
baby-sitter. Personne n'y résistait, mais il se gardait bien d'en abuser.
" Tiens, voilà un billet. Pendant ce temps là, je vais un peu me reposer
en face. Tu veux que je te prenne des beignets? "
" Non, merci beaucoup ", dit-il en prenant prestement le billet avec
un grand sourire.
L'échoppe aux couleurs bariolées représentait un espèce de canard vert, et les
grandes lettres dépassant de la cabane disaient d'une voix kitsch: "Prenez
de vitesse le Kcud de Ninrutas, et gagnez un lot au choix". Le gosse donna
son billet au vieux monsieur tout ridé. Celui-ci pris sous le comptoir trois ou
quatre marteaux en bois.
" Tiens, mon gars. Si tu crois que tu peux y arriver, tu peux même prendre
deux marteaux, un pour chaque main. Tu sais comment ça marche? "
Le gamin, timide, secoua la tête, tout en fixant des yeux les lots suspendus à
l'arrière de l'échoppe.
" Y a une peluche qui te plaît? Elles sont belles, hein? Certaines sont
très vieilles, et elles ont toutes une histoire. Tu peux en gagner une si à la
fin du temps écoulé tu as huit kcuds dans la boite. "
Il s'approcha de la boîte colorée, dont la partie supérieure était percée de
trous d'une dizaine de centimètres de diamètres.
" Tu vois, la boite a six rangées de six trous. Je vais placer mon kcud
dedans, et tu essayes de taper un coup de marteau dessus. Si tu y arrives, tu
as deux kcuds qui sont deux fois plus rapides que le premier. Ils tiennent une
seconde avant de pouvoir disparaître, puis une demi, puis un quart. Il faudra
être très rapide. Tu as compris? "
Le gosse le regarda d'un air qu'il voulait mauvais, du genre "c'est pas
parce que tu es si vieux et moi si petit que je te comprends pas", et se
saisit d'un marteau. Le fait est qu'il n'avait pas tout compris sinon que s'il
voulait sa peluche, il lui faudrait taper de plus en plus vite.
Après avoir actionné un interrupteur, l'homme ouvrit une petite boite et en
sortit un petit canard vert qu'il plaça dans un des trous. " Voilà, c'est
à toi ", dit-il.
Se saisissant du marteau, il s'approcha du jeu, fixant le marteau, puis le
canard.
" Mais il ne bouge pas! " se plaignit-il enfin.
" Ne t'inquiètes pas, fiston, si tu tapes, il va bouger. Il aime pas ça
", conclut-il comme s'il était embêté.
Le gosse assène alors son marteau, sur le vide, bien entendu.
" La vache, l'est rapide! " Un sourire illumina son visage.
" En fait, il est instantané. Ta seule chance, c'est de le frapper
rapidement dès qu'il apparaît. Vas-y mon gars, le laisse pas se reposer. "
Blam, blam, le marteau s'abat frénétiquement.
" Ouais, je l'ai eu, je l'ai eu! " Il se retourna pour montrer son
exploit à sa mère qui lui fit un grand sourire et un signe de la main.
" Les laisse pas reprendre leurs esprits, gamin, il pourraient se
recombiner. Trente secondes sans taper dessus, et hop, t'en aurais plus qu'un à
nouveau. Tape vite! "
Blam, blam, blam. Oui, un autre! Ils sont trois, maintenant. L'horloge décompte
les secondes. Il reste une minute.
Le gamin s'excite. Il court rechercher sur le comptoir un marteau
supplémentaire, et revient taper des deux mains. Blam blam, blam blam, encore
un autre, puis encore un!
Ding! Les lumières s'éteignent, puis se rallument.
" C'est fini, donne moi ces marteaux, fiston ". Il compta ensuite
lentement les canards verts, à voix haute. " Un, deux, trois... Cinq, tu
n'en n'as que cinq. Pas de chance, mon bonhomme. Tu veux rejouer une partie? Tu
as droit encore à deux autres, ou alors, je te rends ta monnaie. "
Déçu, le gosse regarda les peluches, puis sa mère qui se relevait pour le
rejoindre, et enfin le vieux bonhomme. Il commença à faire ses yeux de cocker.
Le vieux sourit et dit " Mon p'tit gars, vaut mieux que tu gardes ces
yeux-là pour ta mère. C'est elle qu'il faut convaincre, pas moi "
" Alors mon chéri, comment ça marche ? "
" Ben, j'ai tapé très vite, mais je suis arrivé qu'à cinq, il en faut huit
pour avoir le petit chien. Je peux encore rejouer, dis ? "
" Et tu as encore de l'argent pour jouer ? "
Le vieil homme s'avança.
" En fait, avec le billet qu'il m'a donné, il peut jouer trois parties. Et
si au bout des trois parties, il n'a toujours pas gagné, il pourra quand même
choisir une petite peluche. "
" Oh oui, m'man, je peux jouer encore, dis ? "
Sur le signe de sa mère, le gamin repris ses deux marteaux et se dirigea vers
le jeu où le canard attendait tout seul. L'homme remis en route la minuterie et
la musique.
Blam blam blam ! le gosse et ses marteaux s'en donnaient à cœur joie.
La mère observant le manège fronça les sourcils.
" Expliquez-moi un peu comment cela marche ? "
" Eh bien, quand il en touche un, il y en a deux, deux fois plus rapides,
et ainsi de suite. Il en faut huit à la fin du temps imparti pour gagner "
" Oui, ça j'ai bien compris, mais comment cela marche ? ", dit-elle
en insistant sur le 'marche'.
Le vieux soupira. Puis il montra les lettres au dessus de son stand. "
Kcud de Ninrutas ". Il raconta comment il avait pu aller dans le système
de Dranac, et explorer la planète Ninrutas. Il avait fait partie des
explorateurs qui avaient fait découvrir au monde ces curieux petits animaux téléporteurs.
Ils avaient réussi en en capturer des dizaines à l'aide de champs magnétiques
puissant, perturbant le réseau tellurique qui semblait nécessaire à leur
téléportation. Cependant, une fois sur terre, ils dépérissaient et ne se
téléportaient plus. Il avait participé aux recherches, et disait avoir compris
comment la fréquence et la forme des courants telluriques leur donnaient ces
curieuses facultés. Il avait fabriqué un réplicat en céramique et
supraconducteurs du sol de la planète, et le dernier Kcud avait continué de
vivre et même à se téléporter, dans les limites de la plaque de céramique aux
étranges pouvoirs, bien sûr.
A la fin de la troisième partie, le gamin était épuisé et regardait d'un air
déçu les sept canards verts.
" J'ai entendu à propos du kcud, c'est vrai que vous êtes allé le chercher
sur une planète bien loin ? "
Le vieux se contenta de sourire et lui ébouriffa les cheveux.
" Quelle peluche tu voulais encore, mon gars ? "
Il désigna du doigt, sans oser insister oralement, le petit chien qu'il avait
repéré au début.
Avec un grand sourire, le vieux décrocha le chien en peluche, aux yeux bleus
comme les étoiles naissantes.
" Tu es un connaisseur, toi. C'est le plus âgé du lot, il a vécu plein
d'histoires ce chien. Prends-en bien soin. "
La mère et l'enfant serrant sa peluche s'éloignèrent.
" M'man, quand je serai grand, j'irai explorer les planètes comme ce
monsieur "
" Il ne faut pas croire tout ce que raconte ce vieux bonhomme, tu sais. Je
me rappelle que ton grand père avait écrit un article quand il était jeune sur
ces kcuds, longtemps après leur découverte. Ils n'ont jamais pu en garder
vivants pendant longtemps. Si ce monsieur a fait ce qu'il disait, d'abord il
serait très connu, et surtout, il devrait avoir plus de deux cents ans, et ça
c'est impossible. Il était gentil et son histoire amusante, mais ce n'était
qu'une histoire. Ce jeu, c'est simplement un mécanisme rapide et bien fait,
voilà tout... "
" Mais j'ai quand même envie d'aller explorer les planètes, moi "
" On verra quand tu seras grand. Montre moi ce joli chien ? "
Dans son stand, le vieux récupéra son canard vert et lui caressa la tête
gentiment. L'animal lui jeta comme un air de reproche. Il le remit délicatement
dans sa boite, installa sa chaise sur la dalle en céramique, et ralluma
l'interrupteur. Le petit fourmillement apaisant dans ses os et sa chair reprit,
comme depuis près de deux cent ans, maintenant.
Thème : L'objet Décrire en une page (3000 c. max.) l'émotion d'un personnage face à un objet : un cadeau sous le sapin, une alliance perdue pour un divorce, un grenier à souvenir.. Quelle soit joyeuse ou triste, déchirée ou participative, le but est de décrire cette émotion. Pas de point de vue imposé.
La petite souris (Sylvie, 15/07/2002)
Perdu le fil (Navelmaniac,
22/07/2002)
Natacha (Fayal, 23/07/2002)
Cela fait trois ans que ma mère est morte. Je sais qu'il aurait fallu tout
vendre tout de suite. Mais me voici, fouillant le grenier, triant, rangeant.
Poutres, tuiles disjointes, capharnaüm, rais de poussière lumineuse pointant
tel et tel souvenir. Voilà dix minutes que je tiens la boîte, assise sur une
malle de voyage.
Le trésor de la petite souris. Pourquoi l'avoir gardé si c'était pour ne jamais
le montrer ? Maman, pourquoi as-tu conservé cela, quelles étaient tes pensées ?
Je n'avais jamais vu la boite. Vieux coffret à bijoux sans intérêt, je ne
l'aurais sans doute même pas ouvert si une bouffée de soleil chargée des ans ne
m'avait fait éternuer. Le cliquetis étouffé eu raison de ma curiosité. Encore
une fois, dirait Juliette.
Dans ce coffret, des dents. De petites dents. Et un vieille photo d'école. Une
petite fillette, deux couettes, un grand sourire, fier. Qu'est-ce que j'étais
ridicule de montrer ainsi mes dents manquantes !
Mon père avait pris un malin plaisir à monter une histoire parallèle à celle de
ma mère. Mon père, le pourfendeur d'araignées, le tueur de mouches, l'assassin
des taupes et le chasseur de souris. Le plaisir de trouver des douceurs sous
mon oreiller le matin était teinté d'anxiété. Et si la souris qui venait
chercher ma dent se laissait avoir par la cage à fromage ? Je ne comprenais pas
bien le regard de ma mère à mon père installant ce piège. Reproche peut-être?
Moi, j'y croyais, en tout cas. La nuit, je retirais le fromage de la cage, et
le mettait à côté de ma dent. Et au matin, la cage était vide, et j'avais deux
bonbons. Et tu regardais d'un sourire entendu la perplexité de papa devant la
cage sans fromage.
Henri...
Dieu que je hais les souvenirs amers se substituant aux doux. Combat du récent
contre l'ancien. Juliette n'aura pas ces souvenirs ce complicité, de tendres
batailles. Henri, qui m'a laissé seule avec elle. Qui n'a même jamais voulu la
revoir.
Je me lève en soupirant. Je ne sais plus ce que sont devenues ses dents de
lait. Je ne suis même pas certaine d'avoir compris comment elle a grandi si
vite. Je serre la boite contre mon cœur. Je ferme très fort les yeux. Et je
jette la boite dans le grand sac poubelle.
" Juliette ? "
" Oui, m'man ? "
" Tu as encore l'adresse de ce type qui vide les greniers ? "
" Je l'appelle tout de suite. Je te l'avais bien dit que ce ne serait pas
possible. Tu te fatigues trop à vouloir tout faire toute seule. Ce sera vite
terminé tu verras. "
Une feuille blanche. Un bic, des post-it.
Un taille-crayon.
Des attaches trombones.
Bizarre comme un objet anodin peut vous inspirer du ressentiment, plus de
trente ans après les faits. Rien d'extraordinaire, non. Stupidement rentrer son
doigt dedans, et tourner pour voir l'effet que ça fait. C'est bête comme on est
curieux, quand on a de tout petits doigts, hein ? Je m'étais arrêté à la moitié
de l'ongle. Depuis, je les regarde d'un œil mauvais. Et je taille mes crayons
au canif. Je me suis déjà coupé avec un canif, mais c'est pas aussi idiot. Des
coups de couteau, ça fait blessure de guerre. Pas dans le cas d'un
taille-crayons.
Le pire, c'est qu'avec les années, on ne se rend plus compte de ce qui se
passe. Tout sombre avec la brume des souvenirs. J'avais trois ans, sans doute,
quand j'ai essayé cela. Maintenant, je me demande comment ce taille-crayon est
arrivé là, devant moi. Et je me rends compte que depuis ce moment, je ne m'en
suis jamais servi. Pas une phobie, non. Peut-être un inconscient qui bascule
chaque fois l'objet dans un trou de mémoire. Pour un taille crayon, un petit
trou suffit, on ne le voit même pas.
Je n'arrive même plus à remonter le fil de mes réflexions, pour retomber sur le
point de départ. Pourtant ce petit jeu m'amuse souvent. Je me bloque sur une
pensée, et je remonte, association par association jusqu'au stimulus de départ.
Comment ai-je réussi à retrouver un si vieux souvenir, par quelle association
d'idées ? Qu'est-ce qui a fait que je m'interroge sur cette non utilisation ? J'essayais
de décrire des sentiments attachés à un objet. Je cherchais un objet.
Je regarde mon bureau.
Une feuille blanche. Un bic, des post-it.
Des attaches trombones.
Toujours rien trouvé à écrire pour ce sujet.
Maudite page blanche.
Tout m'est revenu quand j'ai ouvert le
placard et que je l'ai vue.
" Natacha ? Mais que fais-tu là ? Mon Dieu dans quel état tu es ! "
Ses yeux écarquillés me regardaient, la bouche ouverte dans une supplique
silencieuse. Je la pris dans mes bras, la gorge nouée, les yeux humides ne
sachant qu'ajouter. Natacha, comment ai-je pu la laisser si longtemps dans ce
placard. Elle doit y être depuis que ma Vicky est passée à l'improviste. Mon
Dieu !
Je l'ai allongée sur le lit, et la couvre de baisers. Mes doigts caressent sa
peau élastique, souple. Je fais glisser un doigt jusqu'à la pointe du téton
érigé. Elle se réchauffe sous la plume de mes doigts alors que j'explore les
recoins les plus sensibles. Je suis un expert, elles sont toujours folles de
moi. Le silence lourd de reproche de Natacha se mélange maintenant à ma respiration.
Il devient un silence d'invite. Elle se cambre sous mes remords latents, offre
sa bouche à mes mots d'excuses silencieux. Mes mains glissent vers son sexe
soyeux, presque entièrement épilé. Ses cuisses ouvertes m'appellent, des
pulsations courent dans son ventre, appelant mon sexe d'une frénésie comme
mécanique. Je m'enfonce en elle en ahanant de plaisir, jetant mes forces et mon
énergie dans une offrande à son corps, en une demande silencieuse de pardon.
Pardon de t'avoir laissée, pardon de t'avoir oubliée, tu es pourtant la plus
douce de toutes, tu es parfaite.
Noyant ma honte et mes remords dans des assaut plus violent, je m'arque, je
lève la tête et plonge le regard dans celui de Pamela, au dessus du placard.
Merde !
Je m'écarte, sexe se recroquevillant, toute envie évanouie dans le latex
Merde ! J'en ai trop, de ces poupées. Faut que je les range mieux, putain de
merde. J'y étais presque.
Je jette Natacha au bas du lit, prend la télécommande et relance la cassette,
énervé. 'Vicky en safari'.
Vas-y, fais-toi mettre par tous ces noirs, salope ! Je me mets à triturer
frénétiquement le bout de chair flasque en soupirant.
A partir d'un événement, créer cinq textes dont chacun présentera l'appréhension dudit événement par l'un des sens. Les textes feront en dix et vingt lignes. Ils peuvent être postés séparément, mais l'exercice consiste bien à passer par les cinq sens.
La pluie avait cessé (Navelmaniac, 06/00/2002)
Femmes (Fayal, 26/08/2002)
La pluie avait cessé. Il avait décidé de
passer par le bois. Inspirant à pleins poumons, il se cherchait de la force, de
l'audace. Puis il respirait, simplement. La pluie dégageait toujours les
parfums primaires. Le béton, acide, métallique de son immeuble avait cédé le
pas à cette odeur végétale, l'humus vivant et électrique qui avait le don de
tonifier en même temps que relaxer. La puissance de cette odeur l'étonnait à
chaque fois, télescopant en lui les dizaines de moments similaires, oubliés,
rangés dans le tiroir " forêt après l'orage ". Il se surprit à faire
un pas dans le sous bois, pour trébucher sur une branche pourrissante qu'il
ramassa. Le mycélium dégageait la même essence de jeunesse, de jachères, de
bottes de caoutchouc, et de sacs remplis de champignons. Empli de rêverie, il
arriva devant sa porte, bordée de clématites, mises à mal par l'orage.
Il sonna, chercha une corolle des doigts, se pencha pour en humer le parfum.
Presque pas d'odeur, la pluie avait ici effacé au lieu d'exalter. L'endroit
était neutre.
Au loin, une pelouse venait d'être tondue, certainement. Par là bas.
Nez en avant, il continua son chemin.
Il avait essayé de dormir. Impossible, il y pensait de trop. Et au matin, enfin
endormi, il avait sursauté au brusque son du tambour des gouttes sur le vélux.
L'orage avait été court mais intense. N'y tenant plus, il claqua la porte,
dévala les escaliers quatre à quatre, délaissant le vieil ascenseur grinçant.
La rue l'accueillit des ses klaxons, le poussant à faire le petit détour par le
bois. Pieds crissant sur le sentier, inspirant à plein poumons, il se laissait
envahir par le calme d'après l'orage. Par le bruit des gouttes délaissant les
feuilles des cimes à regret. Par le vent qui essaye de secouer ces branches
alourdies, soufflant, sifflant. Par le chuchotement des feuilles retournées par
les oiseaux cherchant un petit animal quêtant l'abri ou l'humidité. A tâtons,
il ramassa une branche, serra pour en écouter le craquement mou. Le calme est
revenu en lui. La sérénité, même.
Il arrive devant sa porte. Il sonne. Un bruit de vieille sonnette, étouffé, au
deuxième étage.
Cliquetis de l'interphone qu'on décroche. Puis sa voix.
Un " Allô ? " ensommeillé. Une grande respiration. Des bribes de
conversations animées au loin lui font tourner la tête. Puis les pieds.
Il s'en va cherchant les voix.
La bouche pâteuse d'une nuit sans sommeil. La langue dérapant sur les dents,
dégageant des zones qui auraient mieux fait de rester oubliées. Un goût de sang
et de défaite. La laisser gagner, la laisser seule, la perdre ? Non. Avaler un
café vite fait et descendre en quatre à quatre, la rejoindre. Pas par
l'ascenseur, non, il a besoin de l'adrénaline de l'escalier. Le café était
âpre, amer, sans sucre. Comme son état d'esprit. Dans la rue, les klaxons le
surprennent. Un passage par l'air vivifiant du parc ne sera pas superflu, de
toutes façons. Le café ne suffit pas à camoufler l'haleine. Non sans maudire
son repas d'hier soir, pizza trop salée et bière chaude, il fouille dans ses
poches à la recherche de ses pastilles de menthe. Croquer, sucer. Repenser à sa
peau, à son goût. Ramasser sans y penser une branche morte, la sentir, avoir
d'un coup la bouche emplie d'omelette baveuse aux champignons dorés, presque
croustillants. Laisser refluer les souvenirs. Se concentrer sur sa peau sucrée,
ses frissons délicieux sous sa langue, sa bouche au parfum de violette. La
comparer à ses propres relents.
Sonner à la porte. Sentir la bile remonter le long de la gorge, acide et
levure.
Demi tour, le cœur au bord des lèvres. Le " Allô " qui tombe dans le
vide.
Fuir.
Les draps froissés n'ont plus cette sensation rêche agréable. Cette dernière
nuit leur a donné un toucher à la fois lisse et légèrement granuleux. Un peu
comme sa peau, oui, mais toute dimension sensuelle retirée. Pas d'élasticité,
de fermeté, de tonicité. Pas de vie. C'est décidé, il y retourne. Peu importe
la dispute, son ego. Même s'il n'est pas propre, il lui reste l'amour. La pluie
a diffusé son humidité partout. Il enfile ses vêtements moites en bougonnant.
Il descend les escaliers quatre à quatre, comme d'habitude. C'est si bon de
sentir ses muscles travailler, le sang affluer dans les poumons. Au gaz des
voitures, il préfère le détour par le parc. La fraîcheur humide d'après l'orage
est un baume pour sa peau et son humeur, après cette nuit chaude d'insomnie. Il
a envie de rouler dans l'herbe, de brasser les feuilles mortes, de se laver de
leurs gouttelettes froides. Il ramasse une vieille branche pourrie au hasard.
La matière en est spongieuse. Il l'écrase entre ses doigts, la masse fibreuse
laissant apparaître le cœur dur, non encore attaqué par le champignon. Il est
détendu, maintenant, apaisé.
Il est arrivé à son appartement. D'un doigt décidé, il enfonce la sonnette.
Aïe, le métal écorné est coupant. Putain, ça saigne !
Suçant son doigt meurtri, il jure en silence, ne répondant pas au " Allô
" endormi.
Il continue son chemin.
Non. Il ne peut pas l'abandonner, se laisser abandonner. Le jour est levé, il
en perçoit la lueur. Il a du s'endormir avant le lever du soleil. Il prend ses
vêtements sur la chaise à un pas devant le lit, sous la fenêtre. Il la ferme en
bougonnant. Il sent l'étiquette de la chemise. La découpe lui indique qu'elle
est bleue, très bien. Encore un truc qu'elle lui a donné. " Tu dois mettre
les bonnes couleurs ensembles, tu n'as pas d'excuses ". Elle ira avec son
pantalon gris. Il se prépare un café noir. Il lui faut la revoir. Il empoigne
sa canne, et descend les escaliers quatre à quatre. " Tu es fou ",
lui disait-elle toujours, un sourire radieux illuminant son visage. "
C'est à voir ", répondait-il. Et il riait de son audace. Les klaxons
l'accueillent, avec la grisaille des murs, des trottoirs. A leur rectitude et
encombrement, il préfère le détour du parc. Ses allées claires, la pelouse, les
arbres brillant des mille et mille gouttelettes. Le ciel est parsemé de nuages,
mais le soleil perce dans des trous bleus. Il sent la chaleur intermittente sur
sa peau. Il respire à grands poumons. Il avance dans le sous bois. Pourquoi pas
? La nature n'est pas traîtresse. Il trébuche sur une branche, la ramasse.
Retourne à la lumière du sentier. Il effrite la branche, la hume, l'écoute
casser en un bruit spongieux. Un bruit kaki, une odeur brune à touches fauves,
la couleur sous ses doigts est vert sombre.
Il arrive devant chez elle, porte ses doigts aux sonnettes. Deuxième, la
disposition est la bonne, il a le doigt sur le bon bouton.
Pourtant, il hésite. Puis redescend sa main sans sonner.
Il continue alors, balayant le trottoir de sa canne. Par là, il ne connaît pas
encore.
Ce n'est pas parce qu'il a une canne blanche qu'il va se mettre à mendier, même
l'amour.
Oui, je sais, le lecteur curieux sera
surpris de ne pas encore avoir vu mon texte dans cet exercice.
Quel domaine, mieux que les cinq sens, permet en effet d'explorer mon sujet
préféré ? Je m'en voudrais cependant de limiter cet exercice à une seule de ces
beautés.
Ce sera Maria dont je vous parlerai pour commencer. Elle avait semblé discrète
de prime abord, et peu communicative. Ses petits gémissements semblables à des
jappements lorsque je me mis à la caresser me surprirent autant que ravirent.
Je m'amusai à en jouer comme d'un instrument, léchant, mordillant, symphonie en
jappements mineurs. Lorsque je m'enfonçai enfin entre ses cuisses
accueillantes, de chienne elle se fit louve, et ses hurlements de plaisirs me
laissèrent à moitié sourd. La gentilhommière discrète que je louais dans cet
immeuble serait grillée, malgré mes efforts à terminer rapidement. A voir la
mine amusée fâchée des voisins de paliers en descendant, je peux vous assurer
que dans son domaine, Maria avait un organe aussi puissant que moi dans le
mien. Heureusement, mes oreilles bourdonnaient encore suffisamment que je n'eus
aucune peine à ignorer certains commentaires accompagnant notre descente.
Je m'en voudrais de ne pas vous parler de Kristi. Ce que je vais vous en dire
n'a rien d'aussi croustillant, même si le souvenir que j'ai de ce moment au bord
du lac me fait encore soupirer, quatorze ans après. Imaginez-vous
Le goût ? Ah oui, pour le goût, c'est Lucienne qui s'impose. Ce que j'aime
avant tout chez Lucienne, c'est son intelligence, sa sensibilité. On se sent
immédiatement bien avec elle. C'est peut-être parce qu'elle est plus âgée, ou
qu'elle a des enfants, je ne sais pas. Je m'étais invité chez elle fin juin,
pour l'aider à cueillir ses groseilles. Groseilles, framboises et cassis furent
broyés, exprimés afin d'en faire coulis et gelées. Quand elle essaya de
replacer une mèche de cheveux, je ne pus me retenir de lécher les gouttes qui
avaient coulé le long de son oreille. J'avais réussi à ne pas goûter aux
préparations jusque là, mais je ne pouvais soudain m'empêcher de continuer. Je
léchais ses mains, suçais ses doigts. Afin de ne pas tacher son tee-shirt,
j'essayai de lui retirer. Elle m'aida bien vite, mes doigts étant maculés
également. Je dus d'ailleurs rapidement lécher les taches que j'avais laissées
le long de ses côtes, l'acidité des baies se mêlant avec délice à la sueur
fraîche d'une après-midi de pur bonheur. Ah, Lulu, quand est-ce que je peux
m'inviter à venir goûter tes confitures ?
Il faut que je vous parle aussi de Gelsomina. C'était à Rome, je discutais avec
un ami du charme des Italiennes - en français - lorsqu'une ragazza bellissima
se campa devant moi. En inclinant la tête, elle me demanda avec un accent
charmant comment je la trouvais, elle. J'en ai presque perdu mes mots, c'est
tout dire. J'ai vite planté mon ami là et suis parti avec elle. Ensuite elle
s'est mi un bandeau noir sur les yeux. Un jeu excitant, avait-elle dit. Je l'ai
amenée à ma chambre, elle m'a demandé de tout lui décrire. A chaque phrase,
elle s'effeuillait d'un vêtement. J'ai fini par décrire son corps de madonne.
Alors, nue, elle a retiré son bandeau et m'a dit à toi maintenant. Ce fut une
après-midi extraordinaire. Elle m'a déshabillé lentement, passant ses doigts
sur tout mon corps. Moi, je la touchais, caressais, comparant cette sensation
avec mon souvenir. Elle explorait mon visage, mon corps de ses doigts,
j'explorais le sien. Tout ceci était empreint d'une sensualité que j'avais
rarement connue. Longtemps après, parcouru des frissons du plaisir, je l'ai
reconduite chez elle. Comme baiser d'adieu, nous avons juste effleuré nos
doigts. Ce n'est que bien après que mon ami m'apprit qu'elle était aveugle.
Avec Annikki, je sais que je vais décevoir, voire inquiéter certaines
personnes. C'était le mois passé. Je ne sais pas pourquoi les souvenirs
olfactifs sont les plus volatiles. Je profite de cette occasion pour essayer
d'en saisir l'essence. J'étais revenu sur les lieux de mes anciennes amours.
Bien que Kristi et moi soyons restés bons amis, je revenais surtout pour
Annikki. Quand je l'ai vue, le mois dernier, donc, elle avait sans doute passé
l'après-midi dans les bois à cueillir des fruits sauvages. A peine m'avait-elle
aperçu qu'elle courut se jeter dans mes bras, pressant ses petits seins contre
moi. Me couvrant de sourires et de baisers, elle finit par enfouir sa tête au
creux de mon épaule, enserrant ma taille de ses cuisses. J'avais mon nez sans
ses cheveux. Est-il possible de sentir le soleil et le vent, les pins, les
fruits, la jeunesse ? Peut-on respirer l'odeur de la joie, des myrtilles, du
bonheur et des lacs ? En serrant Annikki et ses treize printemps contre moi ce
jour là, quelques secondes d'extase olfactive suffirent à reléguer bon nombre
de " mes " femmes à l'arrière-plan. Maintenant encore, en repensant à
elle, j'inspire un grand coup en essayant de me rappeler son odeur, ses bras
autour de mon cou, son regard d'adoration. Cela surprend, je sais. Moi, un
grand connaisseur des femmes, je me laisse attendrir par une enfant... Que
voulez-vous, la paternité, cela vous change tout de même un homme. Un peu, au
moins.
Raconter la même histoire, la première fois à la première personne du singulier, et ensuite, à la troisième personne du singulier. Chaque histoire comportera entre 1000 et 3000 car.
Je, tu, il (Navelmaniac, 07/08/2002)
Choucas (Navelmaniac, 31/08/2002)
Je, tu, il.
Je tue 'il'. Rigolo, ça.
'Il', ce personnage qui s'est introduit dans sa vie, dans la mienne.
Ce connard, dont derniers soubresauts s'éteignent sous mon fil d'acier serré
sur sa gorge. Même comme ça, il va encore la bousiller, ma vie. Même si
personne ne m'a vu, même si personne ne m'inquiète, elle, elle saura. Ou
s'imaginera, sans être sûre, encore pire. Elle qui le voyait en cachette, me
torturant en faisant semblant de rien, mais sans pouvoir cacher son nouvel
entrain. Elle va devoir cacher maintenant son inquiétude, son angoisse, sa
peur. On va encore faire plus semblant. Putain, sale con ! Un coup de pied dans
les parties un autre dans sa gueule d'amour me soulagent à peine. J'aurais du
faire ça avant. Quand il était encore frétillant. Peut-être que cela aurait
suffit, d'ailleurs. Je veux dire à me calmer. Pour lui de toutes façons, même
ça, ce n'était pas assez.. Bon, il m'encombre, maintenant. Il faut que je le
cache de façons à détourner les soupçons. Puis que je rentre rapidement, que je
me gargarise d'une bière. Oui, je serai 'encore' parti boire un verre. Non, je
ne serai pas allé voir les putes. Qu'est-ce que tu crois, mon amour.
Toujours paraître devant les amis, les connaissances. Préparer le barbecue de
ce week-end, se montrer souriant et aimant à la belle-famille. Tiens, et si je
disais que j'avais été acheter de la viande, aujourd'hui ? J'ai justement mon
Opinel, voilà un sort qui lui irait bien, à ce salopard !
Et puis non, faudrait vraiment être tordu pour faire ça. Je suis pas un malade,
moi. Allez, je lui donne encore un coup de pied dans la gueule et je rentre.
" Mais, m'sieur l'inspecteur, je vous dis qu'il l'a tué ! Il l'a étranglé
avec du fil de fer. "
" Rappelez moi un peu comment vous avez pu en être témoin. "
" Il avait attiré Jacques... "
" Votre amant ? "
" Oui. Il a envoyé un sms à partir de mon téléphone portable pour lui
donner rendez-vous. Jacques avait compris que ce n’était pas moi qui l'avais
envoyé, et que ce devait être mon mari. Il a décidé d'y aller quand même, et de
mettre au point les choses avec lui. Il m'en a averti sur la ligne fixe peu
avant le rendez-vous. Albert était déjà parti, comme souvent le soir. "
" Votre mari... "
" Mais oui. J'ai essayé de le dissuader, il ne le connaissait pas vraiment,
je n'avais pas osé en dire trop d'horreurs. Jacques n'a pas voulu m'écouter.
Alors j'ai pris mon gsm, j'ai été relire le sms envoyé pour le rendez-vous. J'y
suis allé aussi vite que j'ai pu, mais c'était trop tard. Ils étaient là, comme
enlacés. Puis Jacques a sursauté et s'est affaissé. Albert a retiré le fil de
son cou. Il était comme enragé. Il s'est mis à lui donner des coups de pieds,
partout, dans la figure, dans... Mon Dieu... Puis il a sorti son couteau, a
déplié la lame. Là, je me suis enfuie, m'sieur l'inspecteur. Pour ne pas crier,
pour ne pas voir ces horreurs. J'ai pleuré une heure, deux, je ne sais plus.
Puis je suis venue. C'est un meurtrier, m'sieur, un malade. Il faut l'enfermer.
"
Jacques jeta le fil de potier à côté des essais en terre de l'atelier. Poterie,
occupation de vieille femme ! Il glissa la lettre de rupture de Jacques
adressée à son autre amante parmi le courrier intime de sa femme. Une chance
qu'elle soit courte, sans nom. Il prit le téléphone.
" Allô, police ? Ma femme m'inquiète terriblement. Je crois bien qu'elle
vient de tuer un homme."
Bon anniversaire, Jean-François.
Inutile de chercher des dates dans ta tête, cela fait vingt-trois ans que tu as
disparu. Vingt-trois ans, cinq mois et quatre jours précisément. Ce n'est pas
un anniversaire, je sais. Et pourtant, c'est exactement le double, ou la moitié
de ma vie.
J'ai bientôt quarante-sept ans et tu ne me manques plus. J'ai quand même tenu à
t'écrire ceci du dessus des nuages, dans ton royaume, ta dernière demeure. J'ai
mis ta veste. Je suis agréablement surprise par sa chaleur, après tant
d'années. Je suis passée par les Houches. Le temps de Michel Fagot, les camps
du CAB, l'entraînement à la haute montagne, j'avais tout oublié. Pourquoi
n'es-tu pas parti comme eux ?
J'ai revu la pointe de l'M, au loin. Ce n'est plus qu'un bout de rocher
dépassant la crête, à l'horizon. Elle a repris sa place normale.
Puis le Montenvers, la mer de glace. Vieilles Koflach et crampons aux pieds,
j'ai marché quelques heures sur la glace sale. De quoi me rendre compte que
cela ne me manquait plus non plus. Je me suis abstenue pour rien.
Enfin, la montée ici. Trois mille huit cent quarante deux mètres. Le plus haut
téléphérique du monde, disaient-ils à l'époque. Ils disent le plus connu,
maintenant. Le raccourci des touristes. J'avais envisagé au début de refaire le
chemin du Torino, traverser la vallée blanche, mais à quoi bon, la montagne
m'est devenue indifférente, et de toutes façons, les Japonais ne voient pas la
différence. Qu'ils étaient fiers de se faire photographier aux côtés d'une
vaillante alpiniste !
Un choucas solitaire lui aussi passe devant la fenêtre panoramique. Comme pour
me narguer ou me saluer. Comme s'il pouvait me reconnaître. Je lui donnerai ma
lettre, il me doit bien ça. Il semble aussi curieux que tu l'étais, quand tu
l'as suivi pour ne plus revenir, ce jour là. Est-on aussi curieux dans l'autre
monde, Jean-François. As-tu trouvé ce qui était si important pour toi, auprès
de ce choucas perdu dans la brume ?
Celle-ci est plus difficile. Quarantaine, élancée, des habits de montagne. Pas
la touriste habituelle, et pourtant pas l'alpiniste qui part ou revient
d'expédition. Seule, aussi. Assise à une table, près de la fenêtre. Vue superbe
sur la vallée blanche, l'Italie, quand il n'y a pas ce foutu brouillard qui
fait fuir les touristes. Cela ne l'empêche pas de rester là à regarder dans le
vide. Elle écrit.
Depuis quinze ans que je suis au bar panoramique de l'aiguille du midi, j'ai de
l'entraînement. C'est ma seule distraction. Je regarde les gens, je leur donne
une vie, une histoire.
Elle doit être écrivain, venue chercher l'inspiration en se rapprochant de la
montagne. Alpiniste, aussi. Les vêtements sont anciens, mais parfaitement
adaptés. Un roman, une biographie ? A quel âge on écrit une autobiographie ?
Elle a eu une enfance heureuse, choyée par ses parents, sur les hauts de
Grenoble. Son grand-père était berger, un des derniers de la région. Elle a
étudié les lettres à l'université. Elle aime faire revivre son enfance,
utiliser des jolis mots, vivants, soyeux.
Cela fait une heure que nous sommes seules. Je ne sais même pas si elle est
consciente de ma présence. Les derniers touristes, des Japonais sont
redescendus. Seul mon choucas, dehors, semble insister. Comme si elle avait
suivi mes pensées, elle se retourne soudain. Et me demande tout à coup :
" Ca vit combien de temps, un choucas ? "
" Aucune idée. Mais celui-ci a au moins quinze ans. Je le vois
pratiquement tous les jours depuis que je travaille ici. J'y suis tellement
habituée que je l'appelle 'mon' choucas. "
Je suis surprise de voir ses yeux. Il y a comme une fatigue, une résignation.
Un froncement de sourcils lui donne le regard méchant en suivant mon choucas.
Je profite d'un de ces trop rares moment où je peux poser des questions à mes
touristes.
" Vous écrivez un roman sur la montagne ? "
Elle hésita un moment.
" J'écrirais plutôt sur l'amer. "
Elle déchira ses feuilles, les froissa et jeta à la poubelle.
" Mais vous avez raison, je crois que vais plutôt écrire sur la montagne.
Ce choucas ferait une belle histoire.
Elle me sourit.
5 émotions liées au deuil : négation, colère, négociation, résignation
(abandon) et acceptation. Un paragraphe par émotion... Le deuil en trame de
fond. Dans l'ordre ou le désordre !
C’est trop con (Navelmaniac, 12/09/2002)
Tellement stupide. La mort, ça peut être vraiment con. Pas de sang, pas de plaie. Une petite bosse, à l'arrière du crâne. Tout ça pour une engueulade à la récré. Ca se dispute, ça se tape dessus, ça cherche à impressionner l'autre. Ca recule, ca tombe. Ca ne bouge plus. Puis ça fait un foin de tous les diables, le docteur arrive, les flics. Pourquoi ils sont là, ca va se relever, c'était pour rigoler. C'est juste un peu assommé, quoi, juste une bosse. Une bosse qui ne fait même pas mal.
Y faut dire, quand on me cherche, on me trouve. Je sais que parler de ma mère, c'est facile, qu'y faudrait pas répondre. Mais je supporte pas qu'on raconte des trucs sur ma famille. Personne y peut. Alors, pour être sûr qu'y comprennent, je cogne. Y cognent aussi, malheureusement, mais j'encaisse, j'ai l'habitude. C'est tous des cons. Des pauvres cons qui osent pas se bagarrer, alors ils lancent des insultes, mais y me connaissent. Y finissent par comprendre, à essayer moins souvent. Mais trébucher, c'est pas du jeu, nom de Dieu ! Ca fout tout en l'air. J'ai l'air de quoi, moi, maintenant ? La mort, ça peut pas être si con, j'en veux pas ! J'ai rien à voir avec ça.
Y sont tous passés autour de moi, à me regarder bêtement. Qu'est-ce que j'ai fait de mal, hein ? Vous vous êtes jamais bagarrés ? D'abord les autres de la classe, même que Juliette pleurait, ça m'a fait drôle. Puis le docteur, en vitesse, et puis alors les flics m'ont isolé. Je veux retourner avec les autres, merde ! Un accident, une bosse, c'est tout, quoi. Si on en fait une montagne, je vais chialer aussi. Mort. Comment c'est possible ? Mais ils le disent tous. Y m'ont mis tout seul dans une pièce. Y veulent plus que je sois avec les autres. Y-z-ont appelés mes parents.
Les autres y chuchotent tous la même chose. Mort, mort, mort. Je les entends dans les autres pièces. Je voudrais pleurer, maintenant. Je me laisse aller en silence, sans un sanglot. Pourtant elle est là la boule dans ma gorge, dans mon cœur. Mes parents sont passés. Y m'ont regardé sans rien oser dire. J'ai vu leurs yeux. Y faisaient comme si y z-étaient tristes. Mais y z-étaient fâchés, je suis sûr. Pourquoi t'a fait ça, fils de con ? Toujours à nous emmerder, toujours. Y m'ont mis ailleurs. C'est comme une prison. Je suis tout seul. J'ai froid. Je sais même pas ce que j'attend. Personne m'a rien dit.
C'était il y a trois jours. Maintenant, c'est l'enterrement. Il fallait que j'y soie, c'est logique. Ca me fait quand même tout drôle de voir tout le monde si triste. Juliette pleure encore, mais aussi ce crétin de Polo. Y regardera à deux fois avant de m'emmerder. Ou d'emmerder un autre, enfin. Y z-ont tous l'air tristes. Eh oui. Si on se bagarre, y finit par y avoir des morts, c'est comme ça dans la vie. Y a qu'à éviter les bagarres. Je les vois renifler, mais je ne les écoute plus. Moi, tout ce tintouin, ça me fait marrer, je plane. Quand le cercueil est descendu dans le trou, je ne voyais déjà plus rien de tout ça. Je pensais à mon futur. Je n'ai même pas fait attention aux pelletées de terre qu'y z-ont jeté sur mon cercueil.
Ecrire un texte comportant au moins 10 des mots suivants: conception, gibet, intermezzo, logorrhée, minaret, néréide(s), nyctalope, obscurité, Orénoque, parcours, quarante, rose des sables, souffle, Zézette Tous les styles bienvenus.
De dix à quatorze (Navelmaniac, 16/09/2002)
Avril (Chrysope, 19/09/2002)
Deux en un (Navelmaniac, 26/09/2002)
L’ouvrage de Vauban (Navelmaniac, 29/10/2002)
L’Orénoque tisse ses courbes dans l’obscurité
Les oiseaux nyctalopes plongent des minarets.
La lune suit son parcours sur velours constellé
Parée des Néréides, Cassiopée et autres apprêts
Rose des sables, des vents, le souffle du sirocco
Pointe de son doigt grenu dans ma direction
Moi, assoiffé, aveuglé, j’attends l’intermezzo
Sanctionnant quarante ans de mauvaises actions
Ma logorrhée terminée, gorge définitivement serrée
Je me balance sous la potence impassible du gibet
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Quarante minarets dans l’obscurité retiennent leur souffle. Les néréides nyctalopes de l’Orénoque regardent avec attention le parcours délicat du gypse entre les grains de quartz. La conception d’une rose des sables a toujours fasciné.
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La conception du gibet n’a demandé que quarante minutes. Tel un minaret dans l’obscurité, la potence enfin levée trace un parcours abrupt sur les pavés. Le bourreau nyctalope parle en clouant. Noue en marmonnant. Il teste, peste, reprend son souffle et sa logorrhée. Il parle de l’Orénoque, de roses des sables. Il parle de Poséidon et de ses Néréides. Il parle musique, allegro; andante; intermezzo; finale. Le bourreau volubile est efficace, rapide et cultivé. C’est quelqu’un de bien.
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Le parcours de Zézette dans l’obscurité prouve une chose. Elle n’est absolument pas nyctalope. En quarante pas, elle a réussi à trébucher sur une rose des sables, se cogner contre un minaret et plonger dans l’Orénoque. Sans reprendre son souffle. Et malgré la logorrhée des Néréides et la menace d’un gibet dansant au son de l’intermezzo, elle reste dans son rêve. Elle n’a peut-être aucune conception de la nyctalopie, mais question somnambulisme, elle est champion !
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Un souffle d’obscurité glisse sur le parcours de l’Orénoque. Quarante gibets impassibles regardent le minaret. Les lamentations des Néréides s’effilochent, laissant percevoir la logorrhée du bourreau nyctalope.
Rien n'avait été normal ou rêvé, avec lui. Il attendait le tram. Des larmes coulaient sur ses joues. Sans retenue. Perdu dans la foule, isolé. Chacune de ses larmes était arrachée à mon ventre. Son impudeur, sa fragilité criaient en moi. Sur cette banquise, il n'y avait que ce petit enfant et une mère. Et la mère s'approcha de cet homme. Il me dit son nom, Avril. On s'est embrassé. Rien n'était normal, je vous l'ai dit.
Avril et moi, cela a été confus. Il n'était pas d'ici, mais de nulle part. Cent cinquante kilomètres au sud de nulle part, précisait-il. Et il était né un autre siècle. C'était un homme, je crois. Je ne sais pas, je n'en n'ai jamais rencontré d'autres. J'étais sa mère, sa fille. Il ne me demandait jamais rien, et je ne faisais que ce qu'il voulait. Comment expliquer cela ? C'est comme l'abandon à un ouragan qui ne dérange que les tic-tacs de l'horloge. Nous roulions à tombeau ouvert, assis dans le fauteuil du salon. Son regard battait dans mes veines. Il buvait mon sang et le recrachait en fontaines lumineuses. J'écrivais des hectares de plaisir sur sa peau, il me répliquait en cataractes de silences à la bergamote.
Avril et moi, on a passé trois vies ensemble. La première vie a duré l'éternité mois quatre jours. De ces quatre jours, je ne parlerai pas. Et de l'éternité, que résumer ? L'éternité, ça transforme un homme en sultan. Chaque jour, je suis une autre femme de son harem, une nouvelle découverte pour lui. La fontaine de l'évier éclate de perles multicolores, les pigeons sortent leurs tambourins à clochettes. L'univers se replie, et les constellations nous regardent. Avril a créé quelques galaxies en anneau, il me les offre en collier. Pour le remercier, je l'avale, et le berce en mon sein. Je l'enfante et lui offre ma douleur en caresses opalines. Demain est le même jour, et une autre conception. Mon appartement compte sept cent quarante pièces. Nous en explorons quelques unes chaque saison. Dans les aquariums fixés aux murs, nous rions des gens qui vieillissent, du trolleybus qui tressaute sur les pavés, des redingotes qui flirtent avec les jupons. Avril m'a montré une pièce où une meute de bassets artésiens chante joyeusement. Je participe en riant à une chasse à courre où un cerf s'enfuit en dérapant sur les fleurs. Des fleurs, il y en a partout dans l'appartement. Des jacinthes dans l'évier, des tournesols dans les livres. Dans la chambre, le tapis bleu est fait de myosotis très serrés. Ses lèvres sont des pétales, ses doigts des épis. Je pense que j'ai même des iris dans les yeux.
Quatre jours avant la fin de l'éternité, Avril a dit des mots. Des phrases et des silences. Des sons et des larmes. Des larmes, et des couteaux dans ma chair. Ma souffrance lui arrachait un sourire triste. Alors ses mains parlaient. Elles disaient des mots légers, apaisants. Elles parlaient de voyages, de découvertes. De soleil, de papillons et de dauphins. Ses mains devenaient nuages chargés de sable, devenaient faucon. Ses mains étaient des lézards, épousant la chaleur. Et Avril coulait du silence en longues traînées, à rendre jaloux l'Orénoque.
L'univers a fini par reprendre ses marques, au loin. Les étoiles ont laissé sur place des kilos de tristesse, en lourds nuages. Le chemin du travail a retrouvé la trace de l'appartement. Le tram me regarde d'un air moqueur et suit son parcours en lissant le bitume. J'ai repris le bât, labourant les journées de mon désir de nuit, d'obscurité complice. Ma deuxième vie avec Avril commence. Il y a Avril, la joie, la folie, la nuit, la vie. Et il y a le reste, la journée, le boulot, l'argent, la vie et la folie aussi.
La journée et la nuit ont divorcé. J'en appelle aux univers disparus. Le clavier de guimauves, l'écran rempli de champagne rosé, la machette à l'entrée du couloir pour avancer entre les fougères arborescentes, rien de tout cela ne plaît aux collègues de bureaux. La marelle, ils y avancent à contrecœur, atteignent le ciel en maugréant. Ils ont ouvert les fenêtres pour faire partir les poissons multicolores qui broutaient au plafond. Ils ne font jamais de pause, malgré les exhortations du muezzin, en haut du minaret pistache. Sur mon bureau, il y a des palmiers. Sur le leur, des gibets. Je ne les comprends plus. Leurs yeux grand ouverts sont fermés, ils se cachent dans leurs costumes gris et leurs chemises sobres. Mes collègues nyctalopes sont handicapés et je ne peux rien pour eux.
La deuxième vie nous dérange. La deuxième vie s'accommode mal de certains silences ou de certains mots. Avril me dit que j'ai changé. Même s'il rit quand je dis de drôles de mots. Il dit que les mots comme 'argent' et 'acheter' collent à l'air, s'étirent et s'effilochent devant ma bouche. Il n'a jamais vu des mots réagir comme ça. Moi non plus. Je les préfère en bulles et pétillance. Je les préfère sans réticence. Je voudrais dire tous les mots de la terre sans jamais reprendre mon souffle, sans jamais les voir s'arrêter, se retourner. Je voudrais que l'on se baigne, Avril et moi, dans une logorrhée de sonorités nues, inoffensives, avec des milliards d'autres.
Cette deuxième vie, elle n'a jamais pris fin. Mais la troisième a débuté tout de même, doucement, sans rien déranger. On s'en est rendu compte un peu plus tard, comme si des moments de bonheur redescendaient en plumes d'on ne sait où.
La troisième vie avec Avril a commencé demain. J'essaierai de tenir au moins jusque hier. Avec lui c'est si dur de ne pas faire l'impossible que j'en ris. Je ris de me voir cymbale en son orchestre. Il est ma traîne, il est tulle, il est chatouillis légers, il est bulles. Nous voyageons pour de vrai. Je découvre la rue d'à côté. Je n'avais jamais remarqué les gravures rupestres à côté de l'épicerie. Des rhinocéros laineux prennent la pose. L'épicier, d'un pavé arraché à la rue grave sur son mur des scènes champêtres. Nous prenons le poisson-chat de la ligne 58 pour nous rendre au Congo. Nous traçons une nouvelle carte où les pays sont classés par ordre alphabétique, en spirale autour de nous. A la fin de la spirale, Néréides, Ursa Major, Cassiopée. Le ciel n'a que faire de l'ordre. Il est au dessus de nous, c'est tout, c'est bien. Un bistrot s'est ouvert sous nos pas. La spirale continuait dans le mur, nous n'avons pas hésité, et le mur s'est ouvert. Nous découvrons le quartier, le monde et nos amis. D'un doigt, Avril désigne une libellule, du bras, il arrête une migration d'aurochs, tout en m'enlaçant des autres. Les rues sont déroulées en tapis rouges bordés de courbettes. Les voisins nous saluent en souriant.
La troisième vie n'est pas envahissante. Elle laisse respirer la seconde, mais elle reste là, bienveillante. Elle nous accueille en silence quand la deuxième est trop bruyante.
La troisième vie est légère, merveilleuse, imaginaire. Parfois je me demande si je la rêve.
Les gens heureux, moi ça m'énerve. Il aurait pu dire de la même façon que sa soupe était trop salée. Jonathan était la négation suprême, et de ce fait même ses négations perdaient leur sens. On aurait pu dire que Jon était amusant, mais il ne se voyait pas comme ça.
J'adore ses sautes d'humeur. Jacqueline n'était pas difficile. D'abord, elle était d'un optimisme écœurant, et ensuite, elle parlait de Jonathan. Et l'humeur de Jon n'était absolument pas fluctuante, elle était simplement exécrable tout du long.
Jon parlait de Jacqueline qui lui sourit. Jacqueline n'essaye pas d'être gentille avec lui, elle l'est avec tout le monde. Jacqueline parle sans arrêt de ses vacances, ses enfants, son travail, de tout ce qui lui plaît. Elle parle de tout, en fait, c'était la logorrhée du bonheur. Jon aurait été parfaitement heureux s'il n'y avait pas toujours eu quelqu'un pour essayer de le persuader d'être positif. Il était positif, au dedans, il était heureux, mais il savait qu'il y avait plein de gens qui ne l'étaient pas. Jon était solidaire à sa manière.
Zézette était parfaitement heureuse avec Jon. Elle était la seule à tirer un sourire de lui. Lovée sur ses genoux, Zézette ronronnait en moins de deux. Elle ne demandait rien, elle ne cherchait pas à imposer le bonheur aux alentours. Le bonheur de Zézette circulait en elle, faisait de petits tourbillons dont on sentait le parcours sous ses côtes quand on la caressait. Et les tourbillons passaient dans les doigts de Jon qui souriait.
Jacqueline n'aime pas les chats. Ce n'est
pas personnel, sa fille a été griffée par un chat, la blessure était infectée,
elle a failli mourir. Elle ne parle jamais des chats. Elle ne parlait pas de
tout finalement. Jacqueline insiste, montre ses photos de vacances, Istanbul,
la mosquée bleue, six ou sept minarets, autant ou un de moins qu'à
Jon dit que l'album est froid et qu'il n'aime pas les vacances. Il voue Jacqueline et ses enfants à tous les gibets et échafauds de la terre, mais il ne le dit pas. Jon est négatif, mais rarement bagarreur. Il préfère biaiser. Il demande à Jacqueline si elle ne préférerait pas ramener des photos des diamants du Nil, ou des sirènes de l'Orénoque. Il dit qu'il préférerait voir les glaces de l'Arénal plutôt que les vitrines de Topkapi, les fresques des Néréides plutôt que les touristes de Sainte Sophie. Jaqueline ne sait même pas de quoi Jon parle. Jon ne le sait sûrement pas non plus, il a si peu voyagé, le pauvre. Il travaille tout le temps, et les quelques jours de vacances qu'il prend, il les passe dans l'obscurité de sa petite maison, seul avec son chat. Jon a besoin de compagnie, de bonheur, ça tombe bien, Jaqueline en a à revendre, depuis que son Jules est parti, et qu'elle se sent mieux, oh bien mieux, sans mari. Elle se rapproche de Jon pour tourner les pages de ses vacances. Jon n'a que faire de ces photos, du souffle mentholé de Jacqueline sur sa joue, il n'a pas la même conception des voyages, et surtout du bonheur. Jon est d'humeur exécrable, alors il se réfugie dans sa tête.
Et là, Jon sait ce qui peut le rendre heureux. Il se voit prendre un couteau de cuisine et le plonger dans le corps de Jacqueline, trente, quarante fois. Il voit son air béat se muer en cris d'horreur et de douleur. Il voit son bonheur sourdre de mille blessures en flots gluants, pour ne laisser qu'un corps terne et sec. Et Jon sourit. Il regarde les photos et sourit. Et Jacqueline est heureuse d'avoir pu tout de même apporter un peu de bonheur à Jon. Elle aime ses sautes d'humeurs.
1
" Patron, vous vous souvenez de
l'affaire de
" Non, pas vraiment. A moins que cela n’ait à voir avec votre première dépression pour ne pas avoir résolu une affaire criminelle de première importance ? "
" Là vous me peinez, chef ! Vous savez bien que je prends mon travail à cœur ! "
" Je sais surtout, tête de piaf, que vous vous entêtez à chercher des problèmes qui ne nous concernent pas ou plus. Et que si vous mettiez un peu votre cervelle survoltée en vacances de temps en temps, personne ne s'en porterait plus mal. "
" Vous avez pt'être bien raison boss.
Je vais aller m'inscrire à
Il avait cet air dans les yeux qui disait que si c'était pour sortir des conneries, autant sortir du bureau. Je m'en allai en haussant les épaules et levant mains, comme pour dire 'si vous le prenez sur ce ton...'
Au moment où j'allais refermer la porte sur moi, il m'apostropha. Bingo, il avait craqué avant moi !
" Dites, scrofuleux personnage, vous croyez pouvoir vous en tirer comme ça ? "
Je pris mon air le plus innocent en susurrant " Quoi donc, patron adoré ? "
" Vous avez trouvé ce qui devait être rendu avant le 15 décembre ? "
Alors là, il m'en bouche un coin. C'est moi ici qui ai une mémoire eidétique. Lui, c'est mon patron, l'inspecteur Colombo, je sais, mais de là à ce qu'il se souvienne d'un tel détail, remontant à plus de neuf mois, ça me laisse béat. D'autant plus que l'affaire a été classée : un voleur entre par effraction chez un collectionneur, cherche à s'emparer d'une pièce rare, piégée soi-disant à l'insu de son propriétaire, et meurt empoisonné. Le pourquoi de cette intrusion, ce qu'il espérait trouver, tout le monde s'en tape. Le casse-tête de la liste trouvée sur lui et que j'ai résolu en vain, grâce à un bouquin trouvé sur lui, les collègues n'en ont rien su. Cette question qui m'a hanté des semaines n'a touché personne, surtout pas ceux qui ont classé le dossier. Et voilà que mon inspecteur Colombo à moi, neuf mois plus tard, me ressort la question texto. Je ne pus retenir mon élan de sympathie et empoignai sa tête à deux mains, lui plaquant un bisou sonore sur le front.
" Recommencez ça, et je vous plante ce coupe-papier en travers de la gorge ! "
C'est quand il dévie de ses phrases type à
" Depuis l'histoire de ce gars empoisonné, je suis tracassé parce que j'ai l'impression d'être passé à côté de quelque chose. Ce bouquin, 'Vert Clair', qu'on a retrouvé sur le mort, j'y ai finalement découvert un truc qui ne collait pas. Il y a une courte bibliographie à la fin, avec diverse références, dont une vraiment incongrue. Il s'agit d'un ouvrage de Vauban sur les fortifications et défenses des villes, dans une édition de 1702. Pour un ouvrage actuel parlant des bienfaits du végétarisme baba cool, vous conviendrez comme moi que... "
" Venez-en au fait, crétin logorrhéique ! "
Cela me faisait plaisir de voir que le patron reprenait du poil de la bête. Qu'il m'affuble ainsi de mots doux est un signe d'affection que j'apprécie à sa juste valeur. Il n'avait cependant pas lâché son coupe-papier.
" Je suis passé à la bibliothèque royale pour emprunter ce bouquin. Le responsable des livres anciens m'a regardé d'un œil soupçonneux avant de m'expliquer que ce livre n'existait qu'en un seul exemplaire pour son édition originale, et qu'il était en prêt. Et qu'il aurait du être rendu avant le quinze décembre de l'année passée. "
Je laissais flotter ma phrase en attendant la réaction du boss. Il se contenta de bourrer tranquillement sa pipe en me regardant sans rien dire. Il a le don d'avoir les attitudes qui dérangent, même si j'étais content qu'il ait déposé son stylet.
" Mais enfin, patron, ça ne peut pas être une coïncidence ! Il y a là quelque chose qui nous dépasse ! "
" Parfaitement. Et je vous rappelle que vous êtes dans un commissariat, et que votre boulot, c'est de traquer le criminel, pas de passer vos journées dans les bibliothèques à éplucher des bibliographies. "
" Je fais ça pendant mes heures de loisir, patron. Et la personne qui avait emprunté ce bouquin était justement notre macchabée. Et je suis certain que je n'ai jamais vu ce bouquin chez lui. "
" Ecoutez-moi bien, hypophyse triphasée : cette affaire est clôturée. Clô-tu-rée ! Trouvez-moi un autre délit qui soit en rapport avec cela, un autre cadavre, par exemple, et je me ferai un plaisir de vous remettre le dossier sur les bras. En attendant, décampez ! "
Il alluma sa pipe en me tournant le dos. L'entretien était terminé.
2
Je dois avouer que j'étais bien embêté. C'est comme si le destin jouait avec mes pieds, et qui suis-je pour oser traiter le destin d'ordure ? Le souhait du patron venait de se réaliser. Ou plutôt mon souhait, que dans un élan d'ironie, le boss avait formulé si crûment. Cette fois, c'est lui qui m'a convoqué. Sur son bureau presque vide traînait innocemment un journal. J'en connaissais parfaitement le contenu.
" Avant que vous ne me posiez la question, patron, j'étais au théâtre hier soir, je peux vous donner le nom des dix-sept personnes avec qui j'ai parlé et qui pourront vous le confirmer. L'adaptation de cette pièce de Nabokov était pitoyable, d'ailleurs "
" Vous fatiguez pas, mon vieux, j'ai déjà des renseignements qui vous innocentent. "
" Et vous savez pourquoi on a tué ce bibliothécaire ? " J'avais lu ce matin qu'il avait été renversé accidentellement dans une histoire de course poursuite, et lançais ceci au hasard.
" Ne rêvez pas, tout de même, gibier de potence ! Vous échappez au gibet cette fois-ci, mais je vous ai à l'œil ! "
Il est taquin, tout te même, le boss. Cette humeur plaisante venait sûrement du fait que l'affaire en question était d'apparence innocente, mais avait des ramifications dont je pourrais m'occuper, à son grand plaisir. Car je sais qu'il aime les énigmes autant que moi, même s'il ne peut l'admettre. Sa fonction l'oblige plutôt à trouver plus de réponses que de questions.
Ce pauvre bibliothécaire, seul lien apparent avec l'affaire qui m'avait tenu à cœur il y a quelques mois avait rendu son dernier souffle cette nuit à l'hôpital. Il a été renversé par une voiture volée la veille, retrouvée le soir même, et qui venait de servir à un cambriolage de banque. Sans doute en fuyant, les bandits ont renversé l'homme qui rentrait chez lui.
" Un simple accident, si des témoins n'avaient pas certifié avoir vu la voiture passer une première fois dans la rue, puis faire un écart afin de se trouver sur son parcours. " me précisa le boss. Bigre ! cela n'était pas dans les journaux, et cela ouvrait en effet de singulières perspectives.
" Il y a déjà une équipe de la criminelle sur l'affaire, mais étant donné ce que vous m'avez raconté, je vous mets dessus aussi, en tant qu'observateur. Ils vous supporteront deux jours. Tâchez de me trouver un lien tangible d'ici là pour relancer l'histoire de la bible d'Orange. Je crois que vous avez besoin de vous titiller les neurones. "
" Patron je vous aime ! "
Je m'avançais déjà vers lui, son front dans le collimateur lorsque je m'aperçus de sa main droite serrée sur son coupe-papier. Je changeai subtilement d'objectif pour m'emparer du journal.
" Je vais relire l'article avant de rejoindre l'autre équipe. Encore merci patron. "
" Lobotomisé des gliales. Je sais très bien que vous connaissez cet article jusqu'à la dernière virgule. Je ne serais pas étonné que vous sachiez aussi me répéter mot pour mot toutes les autres pages de ce journal. Allez, ouste ! "
Il avait tort, bien sûr. Je ne lis jamais l'horoscope.
3
A la crim, ce n’est pas des rigolos. Ils avaient été prévenus de ma venue et en avaient profité pour foutre le camp peu avant. Ceux qui restaient ne savaient rien de l'affaire, et le temps que j'essaye de les rejoindre à la banque, ils seraient en route pour revenir. Un de leurs collègue me passa le dossier, encore peu fourni. J'en profitai pour tester leurs fauteuils. Le cuir vieilli avait une odeur bleue assez agréable, et le bois du bureau laissait des notes légères sous mes doigts. J'étais toujours submergé de sensations mélangées quand j'arrivais dans un endroit inconnu, mais ici, allez savoir pourquoi, j'étais surpris. Je m'attendais à des sonorités cassantes, des couleurs poivrées, mais non. L'air du local était dense et légèrement décalé, un peu comme les dièses dans une gamme. Je me mis à tourner les pages du dossier une à une. Il y avait la transcription de l'appel à police secours. Le rapport du flic de garde et la déposition du témoin. Venaient ensuite les rapports d'audition de la directrice de la banque et d'un guichetier. Le papier sur le décès du bibliothécaire notait hémorragie interne, traumatisme crânien, organes éclaté. Arrêt cardiaque à 04h08, sans reprise de connaissance. A y repenser, le rapport de la directrice d'agence montrait de curieuses lacunes. Je me mis à y réfléchir en parcourant la pièce. Les yeux errant sur des photos, des notes, des cadres, la disposition des bureaux, je laissais défiler la trame du rapport. Dans ma tête, il se superposait avec la réalité, mêlant ligne et couleurs des feuillets à la logique du réel, en une symphonie de possibilités. Et à certains endroits, les lignes harmoniques auraient du s'élever en un crescendo, et au lieu de cela, nous arrivions à un intermezzo. Pas de fausses notes, pas de mensonge, mais une omission. Une impossibilité. J'essayais de remplir le trou quand ils rentrèrent.
" Tiens, le champion des puzzles "
" Tiens, le détrousseur de cadavres. De jolies victimes, récemment ? "
Boris était la seule connaissance que j'avais dans ce bureau. Nous avions collaboré il y a deux ans sur une affaire de tueur en série. Il n'avait pas aimé que je lui prouve qu'il s'agissait de trois tueurs indépendants. Mais à part ça, c'est quelqu'un de doué, et s'il n'est pas toujours subtil, au moins il ne reste pas là à se poser des questions inutiles. Il explore toutes les pistes systématiquement tant qu'il n'a pas d'indices suffisant pour en éliminer. Un bon chien, quoi. Il y a juste sa tendance à effectuer lui-même la recherche d'évidences sur les cadavres de certaines victimes qui pourrait en faire frémir certains ou plutôt certaines...
" Les photos de mes petites amies sont au mur. Tu as sûrement déjà regardé, comme je te connais ". Et lui aussi se connaissait et en parlait avec cynisme. Notre petite parade de chiens montrant les dents étant terminée, nous pouvions entrer dans le vif du sujet.
" Vous avez trouvé ce qui clochait dans la déposition de la banquière ? Qu'avait-elle oublié de dire ? "
" Tu avais déjà vu ça, hein ? En fait, le vol concerne un seul coffre. Ils en ont ouvert une rangée et ont pris l'argent en billets disponible dans certains, en laissant des titres pour plusieurs dizaines de millions, mais dès que le coffre où se trouvait ce qu'ils cherchaient, ils ont foutu le camp en vitesse. La somme totale des billets volés n'atteignait même pas quarante mille euro! "
" Je peux faire une petite séance de divination ? C'est un gros et vieux bouquin, qu'ils ont pris ? "
Ses collègues regardèrent Boris, puis moi, d'un air suspicieux.
" Je suppose que c'est parce que tu connaissais le propriétaire et le contenu du coffre que tu as été envoyé ici ? "
Je décidai de jouer franc-jeu, même s'ils n'y comprendraient rien. Je n'étais d'ailleurs pas certain de comprendre tout moi-même.
" Pas tout à fait. En fait j'ignore le nom du propriétaire du coffre, bien que j'aie de fortes présomptions. Par contre je connais celui du bouquin. C'est la propriété de la bibliothèque royale de la ville. Et celui qui a sorti le bouquin est précisément celui qui s'est fait écraser, par un malencontreux hasard sûrement, par les voleurs en fuite. "
" Nom de Dieu ! " .
C'est là qu'on voyait la valeur de Boris en tant que chien efficace. Il n'avait pas bronché, contrairement à ses collègues. Ses yeux s'étaient juste plissés, cherchant les nouvelles pistes, allant au plus court.
" Comment connais-tu le propriétaire du coffre ? Tu as sûrement une jolie petite histoire de ta conception à nous fourguer."
" S'il s'agit de Lucas Vandooren, c'est un de mes cadavres à moi, il y a neuf mois. Une affaire de vol chez un collectionneur d'antiquités. J'ai découvert il y a trois jour qu'il avait emprunté ce bouquin. "
" C'est lui. Comment ça se fait que tu as mis six mois à découvrir cela, et que cinq jour après, on a un autre meurtre sur les bras ? C'est gentil de nous donner du travail, mais on est déjà débordé, tu sais... "
Je soupirai bruyamment. Il me faudrait raconter toute l'histoire, patiemment. Autant le faire devant un bon plat, pendant que les collègues s'occupent de remplir les formulaires. Il y a longtemps que j'avais envie de goûter aux " Tartes de Julie ", petit resto bio du coin devant lequel je passais assez souvent. Décidément, ce bouquin, " Vert Clair ", m'avait vraiment marqué. Me voilà essayant de rallier un gars de la crim, spécialiste des cadavres bien sanglants, à la cause du bio et du végétarisme.
4
" Et que vient faire Vauban dans tout cela ? " me demanda Boris en mâchouillant d'un air peiné sa garniture d'alfalfa. Comptez sur lui pour mettre le doigt droit sur la blessure.
" Je n'en ai pas la moindre idée, c'est bien cela qui me peine. Mon boss m'a donné deux jour pour trouver un lien entre cette histoire et la nôtre, et ça a été fait en deux heures. Malheureusement, on en est toujours au même point. "
Un rire secoua mon vis-à-vis.
" Deux heures, et tu n'es nulle part ? Ben mon pauvre vieux, y a du laisser-aller dans tes neurones ! Je crois que ce qu'il te faut, c'est quelque chose de nourrissant. Je connais un resto grill argentin dont tu me diras des nouvelles. Ils te préparent un t-bone saignant de huit cent grammes dont tu me diras des nouvelles. "
Je me contentai de montrer les dents.
" Ce bouquin, je me demande s'il a une valeur en soi, ou si c'est encore un moyen de coder un autre stupide message. En ce cas, où vais-je trouver la liste de mots correspondants ? Et qui était censé résoudre cette énigme ? Je ne vois vraiment pas un gars comme ce Vandooren capable de se débrouiller tout seul. Et dans quel but ?"
" Toi, tu as vraiment besoin de déstresser. Tu vas finir par dire que quelqu'un a inventé ces mystères rien que pour toi. Ton Vauban, là, t'as qu'à demander à l'auteur du bouquin pourquoi il l'a mis dans sa biblio "
" Nom de Dieu ! "
Là, c'était moi qui bronchait, et pas qu'un peu. Evidemment, qu'il fallait demander à l'auteur ! J'avais tellement l'habitude de chercher mes solutions dans l'obscurité, démêlant les intrigues les plus vagues et ténues que j'en oubliais l'essentiel.. S'il n'avait pas eu ses mains si proches des couverts, j'aurais plaqué un bisou sonore sur son front, là devant tout le monde. Il fallait vraiment que cette histoire me perturbe pour que je laisse passer cela. Un chien ! Il me fallait un chien pour me montrer le chemin. Je crois que je vais changer d'attitude envers Boris, et montrer un peu plus d'humilité.
Trouver un auteur n'est pas toujours facile. Heureusement à la police, c'est plus facile. Il m'a suffi de deux heures. Seulement, lorsqu'on vous dit que l'auteur en question est parti taquiner la muse et le poisson, perdu sur les bords de l'Amazone ou de l'Orénoque, que sais-je, une petite déprime pourrait vous guetter, même à la police. Pas de ligne téléphonique, juste une boite postale. Et si tout va bien, une réponse endéans les deux mois. Liberté exceptionnelle accordée à contrecœur par l'éditeur suite au succès de son dernier livre, " Vert Clair ",vous l'avez lu, monsieur ? J'avais l'impression que même l'éditeur se foutait de moi. Y a plus de respect pour la police...
" Et si tu lui demandais à lui, il sait peut-être " me susurra Boris.
Je m'administrai mentalement une baffe et posai la question.
" Non, aucune idée en voilà une question ! S'il avait mis ça dans sa bibliographie, je l'aurais remarqué, je pense. C'est moi qui lui ai dit de lire les trois-quarts de cette biblio ! Je ne connais absolument pas de Vaugahn, et je ne vois pas ce qu'un auteur de cette époque a à voir avec l'alimentation bio, franchement. "
Au moins sa réponse était tout ce qu'il y a de plus logique, sauf que... cette référence existait. Pris d'un doute subit, je remerciai brusquement l'éditeur et appelai un de mes amis libraire.
" Que je te lise les deux dernières lignes de la biblio de ce bouquin ? T'es vraiment fêlé, tu sais. Faudra que tu m'expliques un jour dans quel bazar tu vas acheter tes idées. Attends, je vais te chercher ça "
Boris me regardait comme à moitié surpris que je puisse avoir une pensée à moi tout seul. C 'est vrai qu'il m'avait mouché deux fois, et qu'il n'en n'avait pas l'habitude. Moi non plus.
" Alors, la dernière référence parle
d'un certain H. Vincenot, '
" C'est bon, merci. Je suppose qu'ils sont tous comme ça ? "
" Mon vieux, si je ne te connaissais pas, je dirais que tu as bu. Tu es sûr que ton jus de légumes n'a pas fermenté ? Si on me demande mon avis, je dirais que t'as plus le muezzin au sommet du minaret, et que t'es bon pour la chemise qui se ferme dans le dos. Mais ça, ça fait longtemps que je le crois. Tu vois toujours les mots et les lettres de toutes sortes de couleurs et saveurs ? Et tu entends encore ce que tu touches ? "
Je le coupai brutalement en lui demandant de me citer le quatrième mot de la deuxième ligne de la cinquième page.
" Variété. C'est un jeu ou quoi ? "
" Et drupe, il n'y a pas le mot drupe, tout près ? "
" Un jeu de drupes, maintenant ! Héhoooo, infirmiers ? Vous laissez vos patients téléphoner à n'importe qui ? Héhooo, de l'asile ? "
Je raccrochai vivement. Inutile d'inquiéter plus que nécessaire la petite troupe de la crim qui commençait à se rapprocher du combiné en souriant. C'est vrai que la gouaille du libraire était plaisante, mais j'avais mon information. Il ne restait plus que l'imprimeur, et je sentais que cela allait être difficile. Qui avait la possibilité de changer un seul exemplaire d'un livre ? Et pourquoi se donner tout ce mal ? Je commençais à m'en vouloir d'avoir voulu continuer cette enquête. Et en même temps, une joie féroce montait en moi. Le plaisir des énigmes, la saveur des intrigues. Je laisserai aux gars de la crim le soin de retrouver les voleurs et assassins. Qu’ils passent la voiture volée dans leurs détecteurs et analyseurs en tous genres. Je me chargeais de l'imprimeur et de celui qui était capable d'imprimer un bouquin unique pour le plaisir du code...
Les gens heureux, moi, ça m’énerve !
Ecrire un texte court, ne dépassant pas 4000c., et qui commence par "Les gens heureux, moi ça m'énerve". Avec une chute, ce serait bien (merci Pascale Fonteneau, pour l'emprunt!).
Momo (Navelmaniac, 20/09/2002)
Momo(2) (Navelmaniac, 20/09/2002)
Moi, les gens heureux, ça m'énerve.
Prenez Momo, par exemple. Momo, il a acheté un appartement dans le même immeuble que moi. Au deuxième, je crois. Moi, je suis tout au dessus, au neuvième, il y a moins de bruit. Momo sort deux fois par semaine les poubelles, puis il nettoie les communs. Il fait même le trottoir à l'eau de javel.
Quand je suis rentré d'un rendez-vous hier soir, vers neuf heures trente, il était là à terminer de nettoyer. Il parle, Momo, il adore parler. De son sourire et son teint basané, de son accent où se mélange une pointe de bruxellois, il parle de sa venue ici, il y a des années. De son envie de repartir loin au sud, avec sa femme. D'ailleurs sa sœur est dans le sud, près de la méditerranée, elle est très contente là bas, et il pourrait avoir du boulot sans problèmes. Puis il raconte son premier enfant, et son deuxième, récemment. Il dit la vie avec ces petits bouts, les tiroirs attachés fermés, le téléphone cassé, le nouveau pas cher qu'il a fixé au mur, hors de portée. Il dit aussi la difficulté de tout lâcher pour retrouver le soleil. Il travaillait dans la construction, malheureusement depuis un an, il a arrêté à cause de son dos. Mais il est gentil, Momo, et tout le monde a besoin de ses services. Alors il va placer des châssis chez un ami, il va en aider un autre, depuis un an, il arrête pas, et il a de quoi rembourser son appartement. Et puis il fait des petits boulots le soir, sa femme ne le voit rentrer que vers dix heures, mais elle est contente, il ne reste pas à traîner à rien faire comme tant de ses congénères, et il ramène de l'argent. Momo est une pipelette, c'est lui qui le dit. Mais c'est montrer du respect aux gens, qu'il dit. Il y a tellement de gens qui passent et disent à peine bonjour. C'est comme de l'impolitesse, et Momo n'est pas comme ça. Momo sourit et termine de racler le trottoir. En fait, j'ai horreur de discuter avec les gens, raconter des histoires de famille. J'écoute gentiment, je ne dis rien. Je n'ai de toutes façons rien à dire. Je n'aime pas ces personnes qui font semblant que tout va bien alors qu'ils n'ont pas de boulot, qu’ils doivent rembourser les banques, qu'ils ne voient presque pas leur femme et enfants. Est-ce que moi, je lui dis que je râle parce que je reviens d'un de mes appartements que je veux louer, et que la personne ne s'est même pas présentée ? Est-ce que je lui dis les tracas que j'ai quand mes locataires ne veulent pas payer ? Des démarches que je dois faire chez le juge de paix pour tous ces litiges ?
En fait oui, ce soir j'ai commencé à lui en parler. Pour être poli. Je peux bien discuter un peu avec Momo, ce soir. Mais Momo a terminé son nettoyage. Il est dix heures et il est parti de chez lui à six heures ce matin. Sa femme l'attend. Il est content d'avoir parlé avec moi, il me dit bonsoir. Il sourit encore.
Moi, les gens heureux, ça m'énerve.
Les gens heureux, moi ça m'énerve. Ils ont toujours cette façon de vous faire sentir vos petits malheurs, votre infériorité. Les gens heureux ne se rendent pas compte, en plus, de la façon dont ils vous assènent leur supérieure félicité. Les gens heureux roulent en voiture. Oh, ils pestent certainement dans les embouteillages, mais ils rentrent au calme dans leur appartement cosy. Ils n'ont pas besoin de luxe, les gens heureux. Ils peuvent vivre sans télé, de toutes façons, avec le cinéma, les bouquins, l'ordinateur... Ils n'ont pas besoin de jacuzzi pour être heureux. Qu'ont-ils besoin de plus qu'un bon bain chaud aux huiles essentielles de temps en temps ?
Les gens heureux sont toujours très occupés. Le bonheur empli toute leur vie. Les gens heureux ont leur petits tracas aussi, mais ils n'en parlent pas, ou alors seulement aux autres gens heureux. Ils n'oseraient pas nous faire du mal en soulignant nos différences. Les gens heureux passent en baissant les yeux sur le malheur. Ils détournent les yeux des mendiants, sont gênés quand ils croisent notre regard. Sortir des poubelles, nettoyer le sol par après, ça ne rend pas heureux, alors on ne regarde pas les gens qui font ça. On leur dit bonjour si on doit les croiser dans l'escalier, évidemment, on n'est pas impoli non plus. Les gens heureux, j'essaye de leur parler, leur expliquer nos petits bonheurs à nous. Les enfants, ça c'est du bonheur. Oh du tracas aussi, mon bon monsieur, il faut tout mettre hors de portée, mais ils sont tellement mignons. Les gens heureux, j'essaye de leur expliquer à chaque fois que moi aussi, je suis heureux, même si je dois travailler dur pour rembourser mes dettes, même si j'ai des problèmes de santé. Je reste souriant, parce que ce n'est pas important, j'ai le sourire et le regard de ma femme, mes enfants. Et j'ai un toit à moi.
Ces gens heureux, ils vous écoutent à peine, puis ils ont un genre de drôle de remords, et ils finissent par vous parler. Ils vous inventent des malheurs. Ils vous parlent de tracas de locataires, de rendez-vous annulés. Ils ne vous parlent pas du fait qu'ils sont propriétaires de nombreux appartements, non, d'ailleurs cela aussi leur donne des soucis. Ils ne veulent pas qu'on les envie, les gens heureux ne le seraient pas autant si c'était le cas. Ils essayent de vous montrer qu'ils sont moins heureux qu'ils n'en n'ont l'air.
Ce qui m'énerve, c'est que je les crois. Et que je me sens presque l'envie de les plaindre. Alors, je les laisse parler dans le vide.
Bonsoir, monsieur, ma femme m'attend, moi.
On disait que c’était les vacances
Texte entre 1000 et 5000 mots. Style carte postale,
instantanés de vie. Pas de dialogues. Petite nouveauté. Un mois pour faire
l'exercice, mais on ne peut le poster qu'après
le 11/11/02
Brume (Navelmaniac, 13/11/2002)
Evasion (Navelmaniac, 21/11/2002)
Plongée de nuit (Navelmaniac, 22/11/2002)
Cinq heures. La pression à l'intérieur du crâne diffuse lentement. Elle rampe, s'empare des fosses nasales, se dirige vers la gorge. Les yeux refusent la douce lumière de l'obscurité, les paupières se battent, gagnent, perdent. La brume des mots trébuche sur les doigts, s'étale en lignes. Traces réfléchissantes, guides pour sortir de la nuit, traînant derrière eux des yeux fatigués. Doigts tirant, tendons guidant, labeurs de l'âme, sillons du langage, les mots s'étalent.
Le car ronronne, maintenant. La joie d'être sur la route amenant son lot de voyageurs, sûrement. Le car tangue, berce. Le car avale les traits, sniffe la ligne blanche sous la lueur orange du sodium. L'ombre intermittente monte, monte, monte sur la page. Une seconde, deux secondes, trois... cinquante mètres. Le car chante sa berceuse à cent vingt. Le car est content, quelqu'un écrit, les vieux parlent, des jeunes dorment, la route ne dit rien.
Bandes sonores, lumières, péage. La haute
sculpture de Moeschal a marqué la fin de
Des sillons trop parallèles montent à l'assaut de l'horizon. Un disque pâle découpé par la haute tension peine au-dessus des toits. Pylônes, isolateurs. Voitures. L'arrêt pipi a fait mieux que le soleil. Arôme de café, beurre cuit des croissants, tout le monde est réveillé. Ballots de paille, ronds, entassés. Vieille cheminée d'usine, TGV qui se croisent. Les vieux parlent, parlent. Ils pompent l'énergie des jeunes. Un bébé pleure. Paris approche. Un arbre buissonne de gui, un enfant rit. Le car parallèle les rails, sécante les champs, tangente les villages. Le soleil se voile, se dévoile. La brume vit.
Charles de Gaulle, lampadaires surbaissés, tunnels, sonorité assourdie, lumières vives. Ces avions ne sont pas pour nous. Grisaille, bâtiments, périphérique. Enseignes géantes, publicité, hôtels, voitures. Paris s'est réveillé depuis longtemps, déjà. Des grues jouent à cache-cache avec la tour Eifel. Des quartiers de toits gris multicolores se dévoilent du haut de notre point de vue mobile. Les noms défilent. Pantin, Lilas, Bagnolet. Les yeux cherchent Orly. Ponts, bretelles, cinq bandes, six, quatre, ralentissements. Des mouettes se moquent de nous alors que nous cherchons des avions dans le ciel voilé.
C'était déjà les vacances.
Tout.
Tout, tit, ti, tou.
Des insectes, sans doute. Ou non, plutôt des grenouilles. Il fait noir.
Tit, tit, ti.
Draps froissés, moiteur. Il fait nuit. La lueur quadrillée de bambou de l'aube cherche à se faufiler sous ses paupières. Il se retourne, enroule le drap autour des ses hanches, enfonce les yeux dans l'oreiller. Un soupir plein de langueur fatiguée s'échappe de ses lèvres écrasées sur le coton de la taie.
Les tou, tou ont cessé. Le soleil lui
lèche les pieds, filtrés par les palmes et la moustiquaire. Il bâille, repousse
le drap à terre, d'un geste du pied, la jambe étendue, étirée. Les bras suivent
le mouvement, vers le haut, poing serrés, puis doigts tendus. Il s'assied. Il
est nu. Ile tropicale, chapeau tressé, ti-punch. Plage, plongée, bananiers.
Quel sera le programme du jour ? Peut-être une visite de
Lécher. Goût salé de la belle allongée sur la plage. Velours de sa peau sombre sous les doigts, ses courbes fermes sous les lèvres, la langue. Douceur du pays et de ses associations d'idées. Sable doré, rhum ambré. Galets brûlants, accras morues, bonbons piments. Animation du marché, musique créole, tissus bariolés. Colibris vifs, alertes, yeux tendres, regard complice. Palmiers, vent doux, pales paresseuses du ventilateur, sieste. Doigts de pieds en éventail, cling-cling des glaçons dans le verre, brume agréable du rhum.
Bermuda de toile, chemise ouverte. Jus de papaye, banane. Croissants, yaourt à la goyave. La baie ourlée d'écume scintille, devant. Derrière, la montagne. Nuages accrochés, versants luxuriants. Des cases rouges montent à l'assaut des pentes, du luxe à renfort de pelleteuses et bulldozers. Il se retourne à nouveau, grignote les miettes qui restent, paillettes de croissants, observe un voilier, au loin. Un papillon explore les albizzia et les azalées. Un gros lézard vert descend d'un palmier aux fruits rouges. La fille au petit tablier ramasse les assiettes et les couverts. Elle nettoie la table. Sa poitrine pointe sous le tee-shirt moulant.
Il a décidé d'aller aux bains jaunes avec sa belle. Il adore circuler dans la forêt. Il ne se lasse pas de cette exubérance, cette énergie. Bouquets, gerbes, rosaces. Bambous en étincelles jaunâtres, pyrotechnie figée, explosions de feuilles élancées, groupées, propulsées le long de tiges segmentées. Il caresse d'une main un tronc recouvert de lianes, il lève les yeux. Epiphytes en touffes denses, racines plongeantes, orchidées, vie furieuse, couvrant tout l'espace. Au loin, un feuillage sombre, masquant le soleil par sa densité. La canopée brillante passe au noir puissant par incréments pointillistes. De jeunes palmiers aux feuilles lancéolées, de longues feuilles courbées aux franges claires caressent l'air en lents battements. Il s'agenouille, pose ses mains à terre. Respire puissamment. Mousses, fougères, tapis végétal. Sphaignes, équisétacées dévorantes, ondulantes. Et arborescentes, aussi, portant leurs frondes à plus de cinq mètres. Il ne se lasse pas d'admirer ces troncs si particuliers, succession de losanges, géométrie ascendante. Fermant les yeux, il remonte le temps. Il sent, entend. Il est d'avant l'homme, il est la fougère.
Puis le temps reprend son cours. Il poursuit jusqu'aux sources chaudes. Il faisait frais dans la forêt, ils sont seuls, nus dans l'eau à trente degrés. Ils nagent, batifolent, jouent comme des enfants. Elle lui montre comment faire un bateau d'une seule grande feuille. Ils entendent des voix, se rhabillent en vitesse, en riant. Des petits pied sales arrivent en sautant et courant Ils s'arrêtent devant l'eau tiède. Des mains effleurent, puis battent la surface. Ils éclaboussent, crient. Ils sont contents. Leur mère porte un panier empli de nourriture, un radiocassette. Il redescend de la montagne, il la reconduit chez ses parents, planches, tôles ondulées, terre battue, cocotier. On lui offre une noix. Elle le rejoindra au bungalow plus tard. En passant, il se rachète une bouteille de Trois Rivières. Des jus de fruits, des glaçons, des ombres qui s'allongent. Il se roule des herbes dans une feuille de papier. Moins odorante que chez lui, mais tellement mieux adaptée au rhum.
La brume circule dans ses veines. Elle est chaude, douce, très agréable. Le ciel prend des teintes chaudes, riches. Les palmiers commencent à jouer aux ombres chinoises. L'univers s'élargit, et cela commence par son corps. Sa belle arrive en glissant, pieds nus à quelques centimètres du sol. Short blanc, court, petit chemisier à fleurs, serré, et pourtant si léger. Elle se serre contre lui, aspire une dernière gorgée de son herbe, prend un glaçon dans son verre. Il est petit et rond. Elle joue de la langue, le tourne, le retourne, il disparaît entre ses lèvres. Elle le regarde et sourit. Ses mains explorent, ses lèvres caressent. Quelque chose de vibrant se mélange à la brume. De chaud aussi, de légèrement épicé.
Les journées sont courtes, ici. Le ventilateur de la chambre brasse la pénombre au dessus du matelas. Sa métisse le caresse, le masse. Elle s'installe sur lui, peau sur peau, satin, cannelle et cacao. Mouvements rythmés de ses hanches, ses mains sur sa poitrine, ombres douces zébrant la peau de miel, doigts se faufilant dans la toison claire de son torse. Le tou, tit, ti a repris, la nuit tombe.
Tit, tit, tou, ti. Massage, mains sur la poitrine.
Tit, tit, tit. Les mains sur sa poitrine s'enfoncent, rythme hypnotisant.
Tit, tit, tit, il est bien, il s'endort, il sourit.
Tit, tit, tit.
Mains l'une sur l'autre, deux doigts au-dessus du sternum, elle arrête son massage, l'œil sur le moniteur qui a repris sa course sonore et visuelle. Le médecin repose la seringue d'adrénaline.
L'infirmière regarde le sourire qui s'est dessiné sur les lèvres de l'homme sous le drap vert. Elle se demande quel voyage il a bien pu faire pendant ces quelques secondes. Combien de temps elles ont pu durer, jusqu’où il a pu aller. Elle se demande s'il a vu la mort. Elle se demande pourquoi il sourit ainsi.
Tit, tit, tit.
L'infirmière soupire. Elle veut aussi voyager, sourire, se reposer. Vivre sans y penser. Courir dans la lumière, plonger dans les rouleaux, sentir le sable sous elle. Elle voudrait envoyer ces malades en vacances. Qu'ils se soignent eux-mêmes. Elle regarde les vagues phosphorescentes de l'oscilloscope. Elle veut entendre la mer. Dehors, il y a du soleil.
Une plongée de nuit, c'est pas la même chose qu'un bain de minuit, attention ! Pas de gens tous nus, pas d'alcool ni de cris joyeux. Encore que ça, avec la bande de guignols du club, on n'est sûrs de rien. Et puis l'alcool (dans les îles, c'est le rhum), il y a toujours bien quelqu'un qui y pense. Pour après la plongée, évidemment, nous sommes des gens sérieux. Enfin, modérément, quoi. Il y a toujours bien des histoires qui circulent, comme ces deux gouttes de pastis versées dans le premier étage d'un détendeur. Cuite assurée à la sortie. Mais bon, ça, c'est pas chez nous que ça se passe.
Plongée de nuit, dans les îles. La nuit, ici, elle a son heure. Vous entrez dans le mini supermarché à six heures du soir, vous hésitez entre un Père Labatt à soixante-deux pour-cent, du costaud, ou un Bologne à cinquante pour-cent, cinq Euros le litre, vous ressortez quinze minutes plus tard, et elle est là. Ah, si vous n'êtes pas au courant, ça surprend. Si vous voulez faire des photos d'un coucher de soleil, par exemple, il vaut mieux avoir choisi votre endroit. Si vous vous dites oh, de là un peu plus haut ça doit être mieux, il y a de bonnes chances qu'il soit couché quand vous serez en bonne position.
Bon, plongée de nuit à sept heures du soir. Un resto à la carte après la plongé ? Ils font de très bonnes choses juste ici, à côté du centre de plongée, et c'est pas cher. Allez, c'est réservé à neuf heures trente, mais si vous pouviez aller commander avant, ce serait sympa. Et un massala de langouste pour bibi, autant manger local. Surtout que leur curry incorpore quelques épices dont je n'ai pas l'habitude, miam. Il y a même du poisson coffre au menu. Et dire qu'il y en a qui s'achètent des pâtes et de la viande hachée pour se préparer un spaghetti bolognaise. Alors qu'un carpaccio de thon ou des rillettes de crabe, comme on a eu hier, c'est si bon.
La plongée, donc. Ho, tranquille, hein,
nonchalance ! C'est
La plongée, c'est avant tout préparer son matériel. Dans la pénombre, tout est plus compliqué. Vérifier sa bouteille, la pression, la mettre dans la voiture pourrie qui l'amènera jusqu'au bateau. Puis surtout, vérifier le matériel du sac. Palmes, masque. Tuba, couteau, ceinture de plombs. Lampe. Très important pour cette plongée. Essentiel, même. Stab, détendeur. On fait la chaîne, les bouteilles sont alignées et fixées sur les bords du bateau jaune. Marrant, c'est toujours les mêmes qui aident. Ensuite, on fixe son bloc bouteille. Dans l'obscurité, les automatismes sont utiles. Ben oui, on a des lampes, mais on préfère ne pas les allumer. Ce sont des lampes puissantes, monsieur, elles sont prévues pour être refroidies à l'eau. D'ailleurs, les plongeurs, on les repère à l'aéroport. Vous avez bien retiré la batterie ou l'ampoule ? C'est que des incendies en soute dus à des lampes allumées, cela c'est vu plus d'une fois.
Voilà, tout est prêt pour la plongée. Le bateau a quitté le port, les lumières de la ville ne sont plus que des points derrière nous. Nous sommes au mouillage, par huit mètres de fond. Falaise à tribord, à quinze mètres, légère houle. C'est le même endroit que le premier jour. Là, à trente degrés nord, il y a une faille qui traverse la pointe de part en part. Exactement dans l'axe de Montserrat, que l'on peut apercevoir fumer par beau temps. Mais il y a des chances qu'on ne puisse pas la trouver, de nuit, avec la légère bouillasse remuée par la houle... Rappel par le capitaine des signaux de surface à la lampe : des cercles, c'est que tout va bien. Un problème ? On monte et on descend la lampe à la verticale.
Palanquée un, prêts ? Allez-y !
J'ai enfilé mon shorty. Le néoprène humide du matin est froid sur la peau, et il commence à sentir. Faudra pas oublier de rincer tout ça à l'eau claire. Ca, point de vue température, c'est sûr que c'est mieux de plonger avec le soleil. Mais la faune n'est pas la même.
Palanqué suivante ? Allez hop !
J'ouvre la vanne de ma bouteille à fond, puis la referme d'un quart de tour. Mano ? Cent quatre-vingt-dix bars, parfait. De toutes façons, on descend à moins de vingt mètres, et le capitaine veut qu'on soit rentrés dans une heure. Pas de problème d'air, donc. Il a d'ailleurs choisi le site pour éviter que des zozos, et il y a de ces spécialistes partout, ne tentent un touch-down à soixante mètres et ne doivent passer un temps trop long dans des paliers.
Palanquée suivante, allez-y.
Je passe un bras, puis l'autre dans la stab. Je ferme le scratch, puis les clips. Palmes au pieds, lampe en main, je m'approche de l'arrière. Cela tangue un peu. J'essaye de voir où sont les autres, à l’éclat de leurs torches. La lueur verdâtre disparaît très rapidement.
Les suivants, vous êtes prêts ?
Stab légèrement gonflée, détendeur en bouche, une main sur le masque. Je fais un grand pas en avant. Gerbe d'eau, éclaboussures, un peu moins de trente degrés. Je flotte dans le noir. Tout le monde est là ? Ok, on y va. Inflateur levé, j'expulse l'air de la stab et des poumons. L'eau atteint le masque, recouvre la tête, je descends.
Lumière.
La plongée de nuit commence.
Racontez votre journée du 16 décembre 2002, du lever au coucher du soleil, à l'avance ou pas. Ton libre, mais évitez l'extrait de journal intime.
Les cacahouètes de X (Navelmaniac, 5/12/2002)
Le chef-d’œuvre (Navelmaniac, 11/12/2002)
J’ai comme un trou (Navelmaniac, 18/12/2002)
C'était donc un lundi. Moi, j'allais au boulot. Le réveil avait sonné à cette heure où l'aube est encore très timide et où les rêves sont tenaces. Comme tous les jours de la semaine, j'ai eu du mal à sortir du lit. Surtout que depuis deux semaines, ma petite M restait couchée. Et puis bon, c'était un lundi, vous connaissez sûrement ça aussi. Le sommeil et moi avons lutté près de vingt minutes, et j'ai gagné, comme toujours. Amère victoire qui me traîne vers les pavés froids de la salle de bains, devant le miroir sans concession.
Je m'habille dans le noir, pour ne pas la déranger. Je suis allé ensuite à la cuisine. Bol de muesli, radio, nouvelles de huit heures. Pétrolier, proche orient, nouvel assassinat raciste. Je n'ai pas trop fait attention au reste. J'ai mal à la gorge. Pas faim, pas envie de me préparer à manger. Je me presse quand même deux oranges.
Huit heures et quart, je prends le tram nonante deux. Des écoliers insouciants parlent, rient, philosophent. Amusant, ça, de voir des enfants de treize ans parler de leur parents et de la conscientisation mondiale. Une vieille dame est déséquilibrée au moment où elle allait s'asseoir. Elle manque de peu les genoux de l'homme à ses côtés. Il lui sourit et plaisante en disant que ça ne lui aurait pas déplu qu'elle s'asseye dessus. Il a peut-être cinq ans de plus qu'elle, à cet âge, c'est difficile à dire. Est-ce de la rougeur qui lui monte aux joues ridées et fardées ? Elle rit de ce commentaire coquin, répond. Une jeune fille, debout, lit un livre. Elle est très belle, une frange de cheveux châtains trace une horizontale, biffant ses yeux. Je la fixe, essaye de savoir ce qu'elle lit. Je crois qu'elle a remarqué que je la regarde. Elle n'a pas tourné la page depuis plusieurs minutes, bien que son regard reste fixé sur les lignes. Est-ce que je la perturbe ? Je détourne la tête en souriant.
J'arrive à mon bureau, vérifie l'heure. Deux minutes de retard, c'est dans la moyenne. Je commence à lire mes mails, à vérifier ce qu'il y a de neuf sur Internet, et me plonge avec ennui dans mon boulot. Comme tous les jours de la semaine, j'attends le soir. Cette fois-ci, ce sera pour aller au cinéma, voir 'Les Deux Tours', avant-première gagnée à un concours dans le journal, justement.
Tiens, un sms de L me demande de croiser les doigts pour X, qu'elle connaît, qui attend en ce moment la décision finale du jury du concours littéraire. Ce concours a été instauré par la boîte où je travaille, amusant que ce soit L qui me l'apprenne. Faut dire que je ne suis pas assez intéressé par la littérature. Mais j'ai lu deux ou trois livres de X, sa prose me plaît. J'envoie un sms : " Où ça se passe ?" " Mais chez toi " me répond-elle. Je me renseigne, et oui, la réception se passera à l'accueil à dix-sept heures trente où un podium est en train d'être installé. Du coup, la journée passe un peu plus vite. " X a 4 voix pour, le reste 2/2 ". Waow, je suis même le vote en direct. Ce que c'est d'être tuyauté, hein ? Le sms final arrive presque sans surprises. Il a gagné le plus prestigieux des prix littéraires belges ! J'ai pas eu envie de manger jusque maintenant, mais j'espère qu'il y aura à boire et à grignoter. C'est à peu près tout ce que j'apprécie dans ces manifestations, outre le plaisir du badaud curieux observant un autre monde. J'arrive par la porte de derrière, la sortie pour moi. Le hall de réception bruisse, bourdonne, grisonne. Tout autour, des tableaux qu'ils ont accroché ce matin colorent les murs, culture oblige. Un bol de cacahouètes crie silencieusement. Je m'approche de lui, le soulage d'une poignée. Ceci fait, passons aux choses importantes. Où est le champagne ? J'arrive à me faufiler discrètement jusqu'à la table des boissons. Ma venue n'a pas du être si discrète que ça, car P me voyant au coin de la table me demande des yeux ce que je veux. Des bulles ? Des bulles ! Il faut dire que vêtu de ma bonne vielle veste d'hiver un peu sale, ouverte sur un sweat-shirt canari et d'un sac à dos, je ne cadre pas avec le mondain moyen. Oh, il y a même des zakouski ! Tout cela me change de la soupe habituelle de la cantine. A midi, P porte un vêtement de travail quadrillé bleu et des savates blanches pour ramasser les assiettes. Maintenant elle porte jupe noire, chemisier blancs, et plateau argenté à la main. Je reprends des cacahouètes, en attendant un autre plateau.
Ah, voilà X. J'ai sorti mon appareil photo. Je suis sûr que L appréciera. Peut-être même qu'elle en fera parvenir à X ? En ne voulant pas arriver trop tôt j'ai du rater l'attribution du prix. Cela a du commencer avant dix-sept heures trente et je me dis que j'ai fait des heures supplémentaires pour rien. Je zoome, flashe, prends des photos d'ambiance. De X, au loin, devant les invités. De X de dos, face à la caméra. Tiens, ça veut dire que je suis dans le champ ? Discret repli dans la foule. Oh, je reçois même un dossier de presse. J'attrape au passage un morceau de ce qui ressemble à du melon jambon, et qui s'avère être un morceau de mangue. Miam. J'arrive enfin à harponner X pour quinze secondes. Je me suis longtemps demandé ce que je pouvais lui dire. J'opte lâchement pour un simple bravo, en lui disant que j'avais suivi les résultats en direct par L, que je connaissais grâce à un atelier d'écriture. Non je ne suis pas journaliste. Vous avez déjà pris à boire ? Ah, vous y allez... Finalement, dix secondes, pas plus. Je me reprends des cacahouètes. Je reste à humer l'ambiance, je fais des photos de petits pains garnis, je me dirige vers un plateau de zakouski au fond du hall, entouré de collègues. C'est bien ces petites réceptions, on devrait en faire plus souvent. Je vois X être arrêté une fois, deux fois, trois fois, sans jamais vraiment s'approcher des boissons. Je vais lui chercher un verre de champagne. Personne n'a l'air d'y avoir pensé. Je m'approche, mon verre à la main. Il discute, signe des autographes. Je n'ose l'interrompre. Ca serait sympa, pourtant, de lui apporter un verre. Mais s'il n'aime pas cette boisson ? Finalement, j'avale encore quelques cacahouètes que je fais descendre d'une bonne gorgée. Je finis le verre en deux fois et m'en vais. Moi, les mondanités, j'aime pas trop. J'aurais voulu le dire à X. J'aime les doubles ou triples sens. J'aurais voulu voir sa réaction.
M m'a prévenu, et rentre en voiture avec son frère. Ils ont été faire des courses au marché de Noël. Ce sera mon premier Noël décoré en appartement. M tient absolument à m'accompagner au cinéma. Si je ne bouge pas, il va rester là, assure-t-elle. Il faut qu'il comprenne qu'il doit sortir, je t'accompagnerai. Il fallait vraiment qu'elle en aie marre, car elle s'était endormie au premier, l'année passée. Nous nous apprêtons pour le film, qui se terminera assez tard. Je n'ai plus faim, M avale une tartine, et nous y allons. J'ai insisté pour prendre un coussin, elle a du mal à rester assise plusieurs heures. Heureusement que nous ne sommes pas trop tard, la salle est presque pleine. Je ne vous raconte pas le film, vous irez le voir ou vous l'avez vu. C'est juste qu'il y a du bon et du moins bon. Et puis j'étais pas trop en forme. Mon rhume s'est fait plus gênant, j'éternuais. Et j'avais un poids sur l'estomac, je n'aurais pas du manger tant. Plus tard, dans le lit, alors que je finissais d'oindre d'huile la peau du ventre distendu de M, je rotais, avec une odeur caractéristique qui me remontait dans les narines.
Les cacahouètes de X.
-J'vous jure, c'est la première fois que j'faisais ça !
-Mais je m'en tape de tes j'te jure et de ce que tu faisais à ce moment. Tout ce que je veux, c'est que tu me racontes ta journée d'hier, du lundi 16 décembre, qui t'as vu, ce que t'as fait, tout quoi.
-Mais je suis pas une balance, moi. Mes potes y-z-ont rien à faire avec la police !
-Tu vas parler, oui ? Ou tu veux une petite séance avec mon collègue ? Il manipule les annuaires téléphoniques comme personne. Tu sais qu'il peut taper sur quelqu'un avec un bottin dans chaque main ? Il a déjà tenu plus d'une demie heure sans les lâcher.
-Merde, z'avez pas le droit de torturer les gens.
-Tu te trompes, mon gars. Ca ne peut pas se voir, c'est tout...
-Ok, putain, je vous raconte. Vous voulez savoir quoi ?
-Tout. De l'aube au crépuscule.
-Hé j'vais cafter, hein, faut pas m'insulter, en plus. Tu veux savoir quoi, dans la journée?
-Y m'énerve, le con. Depuis que tu t'es levé jusqu'à ce que tu te sois endormi, voilà.
-Tout ? Pfuuu, tu m'prends pour quoi ? Un enregistreur à pattes ? Où tu vois les piles ? Où c'est que j'mets le mini-disque ?
-Raconte, avant que je m'énerve vraiment.
-Bon ben j'me suis levé vers onze heures trente, y avait ma vieille qui tambourinait à la porte.
-Onze... ? Ben merde, y en a qui ne s’embêtent pas.
-Oh, j'suis actif la nuit, moi, y a moins de keufs. Heu...
-Ouais, ça va, continue.
-Bon, ma vieille tambourinait parce que l'Alfons, il était disparu et qu'elle avait besoin qu'on lui fasse ses courses. C'était bizarre que l'Alfons il était plus là, parce qu'on avait décidé d'aller visiter quelques galeries d'art dans l'après-midi, pis pt'être rajouter une de nos œuvres. Même que c'était lui qu'avait acheté les bombes. Bon, j'me suis levé, j'ai pris ma tire, et j'suis allé lui acheter ses casiers, ses légumes et sa viande à l'Aldi. J'étais vachement content d'y avoir été, j'ai revu mon pote Visi. C'est lui qu'a trouvé son nom, il est vachement fort pour les jeux de mots, Visi. Visi, c'est un fana du gothique. Tout en noir, qu'il est, même qu'une fois y s'est rasé et fait tatouer son crâne en noir. Maintenant, il a des longs cheveux, mais il a rasé deux bandes sur le côté pour qu'on voie son tatoo. Il a un nouveau piercing aussi, dans l'arête du nez. Dix-neuf, qu'il en a. Et rien que sur la figure ! Y a que ses copains qui l'appellent Visi, sinon on doit dire VisiGoth. J'vous l'avais dit, c'est un champion des jeux de mots. J'étais tellement content de le revoir que je lui ai offert à boire, et qu'on a discuté un bon moment. Purée, ma vieille qu'était pas contente. Déjà que j'lui amène sa viande de midi à trois heures, mais qu'en plus j'lui ramène un casier aux trois-quarts vide. Et pis l'Alfons était toujours pas là. Ca m'emmerdait, parce que c'est lui qu'avait les bombes. Et que j'avais une idée géniale de la mort qui tue, que ça lui ferait vachement plaisir. Mais fallait pas traîner, sinon je risquais d'oublier, c'est ça quand on fait trop de choses.
Alors je suis parti voir Juju.
-Ce Mahmoud, tu l'as revu ce jour là ?
-Hein ? Vous écoutez pas ou quoi ? On me demande de raconter ma vie, et voilà ! Je vous dis que ça fait quatre ans qu'il est parti. Je dis ça parce qu'il est vachement riche, pire que Cassius, toutes les années, il nous envoie...
-Crésus. Rien à foutre de ton Mahmoud. Aboule la suite, et reste sur le sujet. Alphons, il était là ?
-Ben non. Z'êtes pas cool vous, hein.
Alphons, il était parti dans la nuit. Enfin vers huit heure du matin. Ca
pouvait pas continuer comme ça, qu'il avait dit à
-Il est allé s'occuper de quoi ?
-Ah ben merde, faudrait savoir ce que vous
voulez ! J'en sais rien moi. Vous croyez que si j'avais une machine à remonter
le temps pour aller voir ce que les autres ont dit ou fait, je serais encore
là ? Elle m'a pas raconté, d'ailleurs, avec les lèvres de négresse qu'il
lui avait fait, ça devait pas l'arranger de trop de les remuer. Moi, j'avais
les bombes, mon idée, et l'Alfons, on l'reverrait sûrement se pointer à l'heure
du souper. J'ai laissé
Alors Je suis rentré à la maison. D'abord, je pouvais pas aller créer mon chef-d'œuvre en plein jour, les keuf, y-z-aiment pas les artistes de rue, et puis c'était l'heure où ma vieille préparait sa soupe. Et même si j'étais prêt à y aller seul, j'aurais aimé retrouver l'Alphons, qu'y surveille la rue, au soir. Tagguer dans la galerie, enfin, le long des rails, ça gêne pas trop grand monde, mais en rue, ça a l'air de gêner certains. Malheureusement l'Alphons, lui qu'aime tant la soupe de la vieille, y s'était comme envolé. On a mangé la soupe en silence, avec la mère qui me regardait comme si je lui avait bouffé son fiston. Elle a toujours dit que j'avais une mauvaise influence sur lui. Et qui c'est qui nous a éduqué, hein ?
Bon, j'ai préparé les bombes, ma cagoule pour pas qu'on me reconnaisse, le journal d'hier, j'étais prêt. Je pensais devoir attendre vachement tard, mais à un moment, y a eu un ramdam du diable sur les boulevard plus loin qui a attiré tous les flics du coin. J'me suis dit que c'était l'moment ou jamais. C'était le jour de fermeture de la pompe, et tant que les sirènes hurlaient au loin, j'étais tranquille. J'ai sorti les noire et grise. Avec le fond jaune de l'enseigne lumineuse, c'était parfait. J'étais pas sûr d'avoir assez de noir, mais je l'ai quand même commencé assez grand. J'avais jamais fait de mouette. Comme je l'ai faite engluée, c'était pas trop grave, et de toutes façon j'avais la photo du journal devant moi pour le réalisme. Ca donnait d'la mort, c'était trop, l'Alphons, il allait adorer. Tout ça pour du fric, qu'y disait. Y gagnent des milliards et des milliards, et y veulent même pas économiser un petit peu pour leurs pétroliers, les cons. Et quand je pense que je crève la dalle et que ces salauds tuent la mer... Ca, il l'avait mauvaise, l'Alphons. C'est vrai que sa Juju, elle boulottait pas non plus, et que payer la piaule et bouffer en plus, c'était dur. C'est pour ça qu'il ratait jamais la soupe de la vieille et qu'il lui faisait les courses.
J'avais terminé le slogan et j'm'étais reculé pour admirer mon œuvre quand j'ai réalisé qu'une des sirènes passait par ici. Putain que j'me suis senti nul avec ma cagoule. Et toutes les bombes qui étaient devant le panneau, l'Alphons me tuerait si j'les laissais aux keufs. J'ai foncé pour les récupérer, mais j'sais pas ce qu'y avaient ces vicelards, y-z-avaient bouffé de l'extrait de café toute la journée, ou on les avait croisé avec le marsupilami, mais y-z-ont bondi de tous les côtés et à les voir énervés comme ça, j'me suis senti fatigué avant de commencer à courir !
Le reste, vous d'vez le savoir aussi bien que moi, je me suis retrouvé en cabane toute la nuit.
-
-Ouais, je crois bien, pourquoi ?
-T'es passé à quelle heure chez elle ?
-Ben, j'sais plus trop. Quatre ou cinq heures, pourquoi ?
-Je suppose que si je lui demande, elle pourra confirmer ce que tu as dit, comme ta mère ?
-Ben ouais. Tout ça pour un tag, quand même, vous feriez mieux d'arrêter les gangsters, au lieu d'arrêter les artistes, non ?
-Ha, Artiste ! Enfin, t'as raison. En fait, on en a arrêté un, on cherche toujours le second. Y a deux types qui ont braqué une banque hier à cinq heures. Tu ne reverras plus ton frère, mon gars. Y a eu échange de coups de feu, un des deux s'est enfui, l'autre est resté sur le carreau avec le fric. C'était Alphons. Désolé.
-Quoi ? Merde, merde, merde.
Non de dieu.
Pauvre Juju.
Pauvre Alfons, merde.
Il verra jamais mon cadeau, alors, c'est vache. Une mouette engluée sur le grand panneau de la pompe d'essence. Avec un titre d'enfer, la phrase qui tue. Merde.
-C'était quoi le titre? J'ai même pas vu .
-Nique ta mer. Sans 'e' à la fin.
-Ha ! Pas mal.
Allez on oublie les tags et tout ça. Va t'en consoler ta mère, je t'ai assez vu.
-Heu, dites, je peux ravoir les bombes ? C'est tout ce qui me reste d'Alphons. Ca vaut des sous, les bombes.
Le seize, tu dis ? Attends... C'était pas le jour de la fin du monde, ça ?
Ah non, ça c'était deux jours avant, le quatorze.
Ah bon ? Eh bien je ne m'en souviens plus. J'ai comme un trou. C'est grave ?
J'en sais rien. C'est juste un formulaire.
Bon, alors je mets " Glandouillé comme d'habitude "
Mouais, pourquoi pas ? Seulement, m'est avis que ça merde un peu avec la date du quatorze.
Ca, c'est pas moi qui ai créé ce formulaire. Il a sûrement été écrit d'avance. Yen a toujours qui veulent faire des statistiques à propos de tout et n'importe quoi. Et qui s'intéresse à leurs stats, hein, qui va le lire, leur rapport ? Pratiquement personne, je dis !
Y a personne pour le lire. Le quatorze, c'était la fin du monde, je te signale.
Ah oui. J'oublie toujours. Putain de mémoire. Bon, je mets quoi, alors ?
Changement de style pour une fois. Mettez en scène trois personnages: Dieu, Satan et une personnalité célèbre de votre choix, en train de deviser. A écrire à la manière d'une pièce de théâtre (pas trop long quand même): nom du personnage, description de l'attitude si nécessaires, réplique.
Jolie (Fayal, 13/11/2002)
Dieu et Satan boivent un coup.
Dieu : Eh, Tu ne connais pas la dernière ? Attends, que Je
me rappelle, comment ça va encore ? Ah oui, voilà : Quelle est la différence
entre l'Enfer et une bite en érection ?
Satan : Hein ? T'es sur que Tu te goures pas, là ? Je
connaissais celle où on compare l'enfer et une chatte humide, mais ici, ça va
pas.
Dieu, main sur le front : Nom de Moi, oui, c'est ça !
Ca tend la bite, J'avais oublié le con !
Satan, sarcastique : Tu l'oublies peut-être mais
qu'est-ce que Tu le fais. Comme un manche, vraiment. Franchement, ça Te vas pas
de retenir les blagues cochonnes. Je crois qu'il faudrait que Je Te file
quelques un de Mes clients, T'auras qu'a les leur demander, Tu seras plus
obligé de tout mémoriser.
Dieu se grattant la tête: Ouais, pas bête.
Satan : C'est ça, la profession libérale, ça Te tient
attentif. Je T'ai toujours dit que T'aurais jamais du T'arrêter après Tes sept
premiers jours. L'inaction, ça Te bouffe les neurones mon vieux. Faut créer,
créer. Toi, en plus, T'as Saint Pierre qui se charge de l'admission, Tu restes
bêtement couché sur ton nuage à te faire ventiler par tes petites angelottes...
Dieu : C'est vrai qu'elles sont fort mignonnes. Dommages
que ce soient des saintes. Pas une seule once de luxure dans leur âme. Et pas
la peine de leur demander des histoires salaces.
Satan : Bon, allez, Je ne suis pas vache, après tout, c'est
Toi qui as créé mon boulot. La prochaine belle salope qui se présente à Moi, Je
la blanchi comme Je peux, puis Je Te l'envoie en catimini. T'as qu'à dire à
Saint Pierre qu'elle T'a été recommandée directement.
Dieu : Tentateur, va. Tu ne changeras jamais. Mais bon,
l'éternité, c'est vachement long, et puis peut-être que ça me redonnerait
l'envie de créer. Je ne suis pas Dieu pour rien, Je peux tout essayer, non ?
Satan sourit et ne dit rien.
Ame : Ho hooo, y a quelqu'un ?
Dieu : Oui ?
Satan, en même temps : Non !
Ame : Ouf, je croyais que je m'étais perdu. C'est que le
purgatoire, Je sais pas trop à quoi ça ressemble. Je ne m'attendais pas à
trouver deux types attablés devant une bière.
Satan, tournant autour de l'Ame : Ca a vraiment pas
l'air d'une belle salope. Laisse tomber, Dieu. Je Te préviendrai quand y'en
aura une bonne.
Ame : Je vous demande pardon ?
Satan : Toi, je ne te cause pas. J'ai dit qu'y avait
personne, non ?
Dieu : Tst, tst. J'ai dit que J'étais là, moi. Et puis,
T'as raison. Faut que Je travaille un peu. Bon, comment ça marche, encore ?
Nom, prénom, sexe, date et raison de la mort, péchés ?
Ame : C'est à moi que vous vous adressez,
mon vieux monsieur ?
Dieu, en aparté à Satan : De Moi ! Il commence déjà à
Me courir, lui...
Dieu, regardant l'âme droit dans les yeux : Ecoute bien, ballot.
Dieu, ici, c'est moi. Et si tu veux pas avoir affaire au petit teigneux, là
(doigt pointant sur Satan), tu ferais mieux de me répondre.
Ame, se tournant vers Satan : Petit teigneux ? Et vous
vous laissez dire ? Vous êtes bien brave. Mais vous avez raison, faut pas
contrarier les vieilles personnes.
Ame, retournant vers la table et ramassant une des
bouteilles : Tiens, vous buvez des bières en latin, vous ? Joli, en tout cas, ce
bleu, et cet éléphant rose. " Délirium Tremens ". Ca veut dire quoi,
ça ? Ahhh, laissez-moi deviner. Cela a à voir avec l'éléphant qui vole, non ?
Dieu, arrachant violemment la bouteille des mains de
l'âme : TOI, TU VAS REPONDRE !
Ame, rétrécissant : Bon, on ne s'énerve pas.
Thornton, Billy Bob. Un vrai mâle. Mort il y a cinq minutes à cause d'une belle
salope qui m'a poussé dehors alors qu'on était au trente-deuxième étage.
Dieu, faisant la gueule : T'as raison, Satan. J'ai
rien à foutre d'un mec comme ça. Y sait même pas répondre correctement aux
questions. Je sais bien que t'es mort il y a cinq minutes, ducon, pour les
morts, cela fait toujours cinq minutes. Zénobe Gramme est arrivé hier seulement.
Près d'un siècle qu'il a tourné dans Bois-Colombe avant de trouver la sortie, y
croyait aussi qu'il n'y avait que cinq minutes. Yen a J'te jure, c'est censé
être des lumières de leur vivant, mais après, y sont plus très fut-fut ! Et
toi, pour finir comme ça, tu ne devais pas l'être trop de ton vivant non plus,
hein?
Ame, à Satan : Dis, il a l'air sérieux, le
vieux. Bon je ne veux pas vous embêter plus. Je suppose que vous ne me
connaissez pas, mais vous pouvez m'aider, hein ? J'ai plein de fan sur terre,
ils seraient déçus de ne pas me voir arriver. Vous qui avez l'air de connaître,
vous pouvez m'indiquer où je peux trouver Saint Pierre ?
Satan : Toi, mon petit vieux, tu cherches les ennuis. Tu as
un frère Jimmy Don, qui est déjà ici et un plus jeune encore John David, qu’on
n’attend pas avant dix ans
Dieu l'air méchant : Et ton 'Tres Hombres',
c'était de la musique de merde ! Et tu ne sais même pas pourquoi ton Sling
Blade a marché si bien. Eh bien, ta quatrième femme, Pietra Cherniak, elle a
couché avec le financier. C'est grâce à cet argent que tu as pu jouer ton rôle
de dérangé mental que tu as si bien joué. Même qu’on ne se demande pas trop
pourquoi, d'ailleurs, ça se voit direct. Et la liste de tes péchés, je t'écoute
?
Ame : Eh, mais tu as l'air sérieux! Couché avec le
financier? La salope! Comment tu sais tout ça?
Dieu : La liste de tes péchés, connard, ou je te refile
tout de suite au petit teigneux.
Satan : T'excite pas comme ça, Dieu, je crois qu'il y a
mieux à faire. Je vais Te montrer comment les petits teigneux se débrouillent.
Satan, se tournant vers l'âme : Celle qui t'a jetée dehors,
c'était Angelina, non ?
Ame : Oui ?
Satan : D'après toi, qui a commis le plus de péchés, elle ou
toi ?
Ame : Elle, bien sûr. Jolie comme un ange, mais une vraie
salope. Et quel langage ! A croire qu'elle a été élevée successivement par tous
les charretiers, bûcherons et soldats du pays.
Satan : Et point de vue sexe ? Femme fidèle ?
Ame : Tu rigoles ? Question Kama-Sutra, imbattable. Mais
faut bien s'imaginer que c'était les travaux pratiques continuels, avec elle.
Et surtout quand je n’étais pas là.
Dieu, ayant l'air de comprendre le jeu de Satan : Donc elle avait bien
plus de raisons de mourir que toi ?
Ame : Ah pour ça, oui. Dire que j'avais presque réussi à
me raccrocher quand elle m'a poussé. Elle est même pas capable de s'acheter des
vêtements solides. Salope !
Satan : Et si un petit coup du destin échangeait vos morts ?
Si tu parvenais à te rattraper in extremis au châssis de la porte-fenêtre
éclatée, et que c'est ton ex-femme qui tombe, ne serait-ce pas justice ?
Ame, désorientée, regardant Dieu, puis Satan : Ben, euh, oui. C'est
possible ?
Dieu, tout sourires : Tout est possible. Et puis,
ca fait du bien de travailler un petit peu de temps en temps.
Dieu claque des doigts,
l'âme disparaît en fumée.
Dieu et Satan s'attablent à nouveau. Ils boivent sans rien dire en regardant
autour d'eux.
Deux minutes après l'âme
arrive.
Ame : Ben merde, encore vous !
Satan : Bienvenue, cher ami.
Ame : C'est malin, il y avait plein de verre tranchant sur
le châssis. Je me suis coupé et je suis tombé juste après cette salope.
Dieu, souriant : La vie est souvent pleine de
frustrations. Elle est ainsi faite...
Ame : Oui, mais t'es con. T'aurais quand même pu vérifier
ça en me renvoyant là bas.
Dieu, à Satan : Allez, Tu as du boulot.
Occupe Toi bien de lui. Et puis quand son ex arrive, là,
Dieu, plus bas, à l'oreille de Satan : J'ai jamais aimé
ceux qui mettent pas des majuscules quand ils Me parlent.
Comment j’ai découvert que mon père était - n’était pas - James Bond.
Choisissez l’option que vous voulez pour un texte humoristique court (moins de 1500 mots). Textes déjantés et frappadingues bienvenus.
Bond Girl (Sylvie, 13/12/2002)
Bond. James Bond. Il prenait une voix grave pour dire cela. Et qu'il tienne en main le pistolet du tuyau d'arrosage n'enlevait rien de son sérieux à mes yeux. Je savais qu'il jouait à m'impressionner avant de m'asperger. Je n'en n'étais pas moins effrayée et me réfugiais en criant derrière les arbres. Mais le privilège de se faire asperger par James Bond en civil me plaisait, et j'étais sûre qu'en grandissant, je serais sa bondgeurle.
Maman, elle aime pas trop les bondgeurles. Elle les appelait pas comme ça, elle disait 'ces filles'. Et elle le prononçait tout différent que quand elle appelait sa grande fille sur ses genoux. J'ai plus l'âge d'aller sur ses genoux, je sais, mais je le fais encore parfois après le repas. Elle écarte un peu sa chaise, je m'assied, repose la tête sur mes coudes croisés. Et pendant que maman passe sa main dans mes cheveux, je regarde mon papa. J'essaye de faire des yeux amoureux, un petit sourire sur mes lèvres.
Une fois, je suis allée avec lui au salon de l'automobile. C'est là que j'ai vu ses bondgeurles. Elles étaient toutes très jolies, à faire des sourires en se prélassant sur la voiture de mon papa. Par après il m'a dit que c'était pas la sienne, parce qu'on ne pouvait pas laisser une voiture avec des lances roquettes et des mitrailleuses à la portée de tout le monde, et que les gens qui venaient au salon, ils touchaient à tout. Mon papa, il est important. C'est lui qui vend les voitures. Il en vend pas beaucoup, parce qu'il n'y a pas beaucoup d'agents secrets, mais on voit bien que les gens intéressés sont très bien habillés, je suis sûre qu'ils on plein de gadgets sur eux. C'est aussi le seul moment où il se présente sous son vrai nom. Bond. James Bond, qu'il dit en souriant et en leur serrant la main. Et même que les bondgeurles viennent mettre un bras autour de sa taille et lui donnent un bisou dans le cou. Moi ça ne me dérange pas, parce que je les ai vues avant, quand il y avait pas encore des visiteurs. Et c'est papa qui a dit comment elles devaient faire, c'est un vrai travail d'agent secret. Il faut repérer l'espion qui est intéressé par la voiture, et c'est pas facile parce que y a plein de gens qui se font passer pour des espions, mais ils achètent pas. Mais parfois, on en repère un, et alors, les bondgeurles doivent faire leur show, qu'il dit. Mais là où j'étais la plus fière, c'est quand il m'a prise dans ses bras, et qu'il a dit " Voilà ma bondgeurle à moi, c'est la plus jolie de toutes ".
Maman n'est pas contente des bondgeurles, heureusement que papa ne doit pas se montrer souvent avec elles. Il est tout le temps parti, il prend sa voiture, bien sûr. Il dit qu'il a des concessionnaires à visiter, mais je sais que ce sont des missions secrètes. Parfois, il rentre très tard, et très fatigué, sûrement parce qu'il s'est battu toute la journée. On ne peut jamais dire quand il se bat, parce que James Bond, il est toujours bien habillé. Il dit que dans son métier, c'est très important d'être impeccable. Parfois il reste dormir ailleurs. Maman se plaint, mais moi j'espère vite être assez grande pour pouvoir l'aider. En attendant, je suis des cours de judo et de karaté. Je voudrais suivre des cours de tae kwon do, mais il paraît que je dois attendre d'être encore un peu plus grande. Et papa, il me regarde très profondément et il me répète que je suis une vraie bondgeurle, sa préférée. Ca me fait tout chaud.
Et quand je m'entraîne au karaté, je rêve qu'on se bat, qu'on risque notre vie et qu'on élimine tous les méchants. Et puis qu'on va sur une île déserte mon papa et moi, tout seuls, qu'on est dans un grand lit, qu'il me couvre de baisers et de diamants.
Lui, cet ami d'enfance. Était affecté de deux tares indissumulables : il portait un nom ridicule, quoique court, d'une part. De l'autre, suite à une malformation du palais, ou un retard d'intelligence - qui sait ? - il était absolument incapable de le prononcer.
Job (Sylvie, 17/01/2003)
J'ai revu Job il y a deux mois. Dire qu'il avait changé ne signifie pas grand chose. Nous avions quatorze, quinze ans, à l'époque. Si je me souviens bien, jusqu'en troisième année, il était le plus petit de toute l'athénée. Il aime raconter une anecdote à ce sujet. A sa rentrée en troisième, un petit nouveau cherchant à nouer des contacts l'avait abordé avec ces mots : " Je suis inscrit en première B. Et toi, tu es dans quelle classe ? " Le plaisir qu'il avait eu en rétorquant simplement " Troisième latine "! Le regard étonné et respectueux qui avait suivi, il le savourait encore. C'est vrai qu'avec la taille qu'il avait, il n'était pas facile de se faire respecter. Il en avait alors profité pour cultiver le don d'invisibilité, ce qu'il arrivait à faire assez bien, sauf quand il devait parler.
Job est juif. Son père s'appelle David, sa mère Rébécca. Et sa sœur Rachel. Il y avait toujours quelqu'un qui venait lui demander innocemment "Tiens, tu as une sœur, comment elle s'appelle ?". Job n'avait pas la méchanceté innée des enfants de son âge. Ou disons la dureté. Il répondait toujours, parfois en soupirant.
" Elle s'appelle Rassel "
" Rassel ? T'as une sœur qui s'appelle Rassel ? "
" Non, Ra-ssel ! "
Et tous ceux qui écoutaient de rire de bon cœur, sachant ce qui allait suivre.
" Et toi, alors, tu t'appelles comment ? "
" Zob "
Il n'avait pas fallu attendre qu'il soit en troisième pour que son surnom aie fait le tour de l'école. D'abord, tout le monde l'appelait Zob, mais surtout, les moqueries et railleries à son sujet parlaient toujours du " petit zizi ". Fin de la troisième, Job a commencé à grandir, et moi, mes parents ont déménagé, alors j'ai changé d'école.
" Bonsoir Sylviane, cela fait longtemps, non ? ". Je ne l'ai pas reconnu tout de suite, à cette soirée. Il y avait beaucoup de monde, et quand ce grand bonhomme d'un mètre quatre-vingt m'a salué par mon nom, je me suis d'abord demandé laquelle de mes copines me l'avait envoyé. Grand, blond, musclé, petit sourire et yeux malicieux. Visiblement, il se plaisait à me voir chercher, et c'est vrai qu'au bout d'un moment, des souvenirs ont cherché à se mettre en place. Une de mes copines éméchée m'avait rejoint. A la vue du gars qui me faisait face, elle s'était arrêtée, bouche béante. Elle l'a refermée d'un claquement, m'a regardée, puis l'a dévisagé à nouveau.
" Tu me le présentes, ton Adonis ? " qu'elle a fait.
Là dessus, il se fendit d'un vrai sourire et me regardant droit dans les yeux, dit : " Zob "
" Mon dieu ! ... Zob ! Comme tu as grandi ! Cela fait combien, cinq, six ans ? "
" Cinq, je dirais. Et toi, tu es aussi belle qu'à quinze ans. Mais j'étais encore tout petit il y a cinq minutes, tu sais. C'est depuis que je t'ai vue que je suis si grand et fort..."
" Zob ! Tu as bien changé. Tu... tu ne zozotes plus. " Je crois que j'avais rougi.
Ma copine secoua la tête et termina son verre de bière. Elle fit une moue.
"Ha, je vois le genre. Private joke et histoires de cul... Bon je crois que j'ai besoin d'un autre verre"
Job et moi sommes ensembles depuis un mois. Je crois qu'avec lui, c'est bien parti. Et puis je dois avouer qu'il a... Enfin, son surnom, cela ne le gêne plus. Je crois même qu'il en est fier et avec raison. Il a surmonté son handicap, et récupéré à son avantage un quolibet qui aurait pu être blessant. Il m'a avoué que cela faisait quelques années que personne ne l'avait appelé ainsi. Plus depuis qu'il avait grandi et perdu son zézaiement, en fait. En tout cas, plus personne ne l'appellera petit zizi. Et je sais de quoi je parle, j'y veillerai !
Ecrire un texte court entre 1000 et 3000c,comprenant au moins 10 des 15 mots suivants : sauvageonne-salicorne-parcimonie-quinine-visionneuse-désarçonner-consécutif-biseau-autotranformateur-comité-humus-syllabus-camus-gypaète-caravelle.
Vocabulaire (Fayal, 6/02/2003)
John est timide et craintif. Il n'a jamais fait d'études, ne sait pas écrire et parle très peu. C'est pas un enquinineur comme ce flamand de Visio et sa stupide de femme Monie. Faut les voir se pavaner dans le monde, hautains et dédaigneux, fiers de leur statut social. Faut les voir faire la bise aux gens, nez en avant, yeux mi-clos. Faut voir le Visio, tête relevée, fronçant le nez à l'odeur du cambouis, demandant " Quel est donc problème, mon brave, avec cette auto ? " " Transformateur ", de répondre le garagiste. Histoire de se moquer, et voulant voir si ce flamand hautain et approximatif faisait la différence entre alternateur et transformateur. Ha, il a bien ri quand il a serré la main du client. Sali, corne au bout des doigts, serrant la paume moite et molle qui essayait de se défiler.
John, hélas n'avait pas le bagout ni la poigne d'un garagiste. Il se réfugiait dans les rues et ne s'illuminait vraiment qu'à musique, dessin, spectacle. C'était un fervent admirateur des arts. Sonnets et ritournelles étaient sa nourriture, et il pouvait rester des heures, immobile, à regarder des musiciens sous un porche, un mime, un peintre de trottoir. Il ne connaissait pas les noms, car Ravel, Bossuet ou Caravage, cela ne se dit pas aux idiots, cela ne se montre pas en rue. Mais il a le sens du beau, et quand il parle, il faut l'écouter. Il n'abuse pas des syllabes usées par les langues de bois. Il hésite, rougit, plante ses pieds dans les pavés. Il inspire, hume, use ses ressources et sort dix, douze mots d'affilée, puis reste haletant, un demi sourire sur ses lèvres, content de l'effort. Son vocabulaire est simple ou surprenant. Simple comme lumière, couleur, trait. Surprenant comme itératif, astringent, sapience.
Un jour, John était entré dans une galerie que l'on inaugurait. Tableaux et sculptures étaient brillamment éclairés, et des verres de mousseux circulaient dans un brouhaha de lèvres pincées et souriantes, de grands gestes figés. Visio et sa femme évoluaient là dedans, fendant la foule d'un nez proéminent tendu en avant, s'extasiant sur tout, parlant à tous. Sauf à John, bien sûr, décelant en lui suffisamment d'inutilité sociale que pour l'ignorer.
" Par ici, Monie, kom ! Regarde un peu ce magnifique buste d'enfant. Quelle expressivité ! " Et la femme de suivre et de s'extasier. " Oh, et cet effet de peinture sur le mur est tout simplement superbe. Je me demande comment c'est réalisé ? " Et l'homme de s'enquérir, de regarder partout, un 'vous voyez, je m'intéresse à tout, et vous ne savez même pas répondre à ma question' collé sur son sourire.
En lui-même, John avait reconnu la technique pour avoir aidé un peintre. Il murmura " J'y pas été à l'école, mais cé tout con ! Seccatif. " Un de ces silences curieux s'était fait juste avant sa réflexion, et la réponse avait résonné autant qu'un gong, désarçonnant un Visio surpris, sourire figé. Il bredouilla pour une des premières fois de sa vie mondaine et balbutia " Mais, mais...que... Qu'est-ce que vous en savez, d'abord ? Ce n'est pas vous qui l'avez fait tout de même ? " Il avait la jambe droite avancée , un mocassin pointant agressivement, un poing sec replié sur la ceinture côté gauche. Un gilet sans manche portait haut son cou, tendu à l'extrême. La tête légèrement penchée en arrière, un peu de biais, pointait son nez typiquement... Visio.
C'est peut-être le verre de mousseux, ou autre chose. En tout cas, pour une fois, John répondit.
" Ha ! Ik heb geen Visio neus nodig... "
John parle peu, mais il sait écouter. Et il parle aussi le néerlandais.
Ludmilla la sauvageonne. Cela sonnait bien pour une fille qui adorait caresser
l'humus de ses pieds nus, parlait avec parcimonie et se nourrissait de ce que
la nature voulait bien lui offrir. Ici, dans les Pyrénées, c'étaient ramiers
aux chanterelles, civets de lièvre aux pignons, salade de pissenlits. En
Camargue, près de la mer, c'étaient coques et tourteaux au riz sauvage, filets
de soles à la salicorne.
Ludmilla la rebelle. Elle avait quitté ses syllabus de dernière année de philo
pour se lancer dans l'éco volontariat. La tête des profs, et de ses copains du
comité d'étudiants. C'était pourtant d'une logique implacable. Trop de gens
pour pas assez de nature. Il lui fallait l'aider, immédiatement. Elle a tout
quitté.
Ludmilla l'observatrice. Pas scientifique, non, bien que son travail les serve.
Sa mission actuelle est de surveiller les trois derniers couples de gypaètes de
ces montagnes. Elle avait repassé des dizaines de fois ses dias sur la
visionneuse, avant de pouvoir les différencier les uns des autres grâce à leur
bec camus. L'année dernière, elle avait surveillé des ours. Elle n'en n'avait
vu que des traces, mais il en fallait plus pour la désarçonner.
Ludmilla l'aventurière. Qui part au Swaziland aider les gardes de la réserve à
élever des rhinos orphelins qui la suivaient comme des gros veaux. Qui se fout pas
mal de la quinine et de
Ludmilla dont j'aimerais tant partager les nuits plutôt que les photos de
vacances. Ludmilla qui m'aime bien, mais qui n'aime pas les hommes. Ludmilla
qui reconnaît les rapaces, mais qui ne me voit pas.
Ludmilla avait étudié Pouchkine. C'est pour ça qu'elle est partie au Cameroun.
Il faut savoir qu'un des ancêtres de ce grand écrivain était africain, et que
c'est à cause de lui que Ludmilla avalait maintenant ses cachets de quinine
sans parcimonie. Très pâle, et pour le troisième jour consécutif, elle
tremblait comme un autotransformateur sur le point d'exploser.
L'air brûlant de l'aéroport de Yaoundé l'avait frappée, moins que l'étrange comité
d'accueil au pied de l'antique caravelle à hélices : une sauvageonne noire et
deux djembé fola à demi nus, dansant et frappant leur hauts tambours. D'accord,
elle ne savait pas que le grand noir derrière elle était " Le "
Dikongué , idole musicale rentrant au pays. Ni que leur costume et masque de
gypaète était rituel, et non habituel. Toujours est-il qu'elle n'a même pas
posé le pied en Afrique, et est repartie par le même avion, non sans avoir
nourri un magnifique spécimen d'anopheles gambiæ, alias moustique à paludisme.
Depuis, Ludmilla a abandonné Pouchkine et parcourt un nouveau syllabus. Elle
étudie Camus, maintenant, c'est plus sûr.
Tiens, il a passé sa jeunesse en Algérie...
Dans la province reculée d'Ouron. Vous y êtes resté une semaine et vous vous demandez encore ce que vous êtes allé faire là. Mais vous en avez ramené des tas de souvenirs et d'impressions. Contrainte: Tout ou en partie versifié.
Ludmilla (Onéguine, 14/02/2003)
Ce texte est censé correspondre
à l’énoncé de trois exercices: Le défaut, Mozin 7 et celui-ci)
Poèt
! Ne dorozi ljuboviju narodnoj :
Vostorzennyx
poxval projdët minutnyj sum ;
Uslysis'
sud glupca i smex tolpy xolodnoj,
No ty ostan'sja tvërd, spokoen i ugrjum.
(Aleksandr
Puskin)
J’avais sept ans quand j’ai fait la connaissance de Lioudmilla. Je disais Ludmilla, à l’époque. Je sais que c’est Lioudmilla maintenant, après avoir lu et traduit le poème épique de Pouchkine. Ah, le cyrillique ne se traduit pas si simplement. Liudmilla, Ludmila, Ludmilla… Elle avait cette façon d’arrondir les lèvres en prononçant le ‘Liu’ qui me faisait beaucoup rire. Ses parents, des russes de haute naissance, comme on disait encore, avaient appris le français comme on apprend le baise-main. Je me souviens de cette soirée autour de la visionneuse, où ils m’illustrèrent une histoire fantastique de leur pays. Ils me parlèrent de la belle Lioudmilla (non, pas elle, une autre) et de Rouslan qui voulait l’épouser. Ils m’ont parlé du méchant nain magicien Chernomor qui l’avait enlevée. Ils m’ont dit que le père de Lioudmila (non, rien à voir avec le Ivan Potowski qui nous lisait l’histoire), en blâmant Rouslan, promit la main de sa fille à qui la ramènera. Alors Rouslan et ses rivaux - Farlaf, Ratmir et Rogdai - se lancent à la poursuite de Chernomor. Rogdai tue Ratmir et cherche à tuer Rouslan, qui l'envoie par dessus sa tête dans le fleuve Dniepr. Rouslan affronte alors une tête de géant et obtient une épée magique. Rouslan s'approche du château où Chernomor retient Lioudmila prisonnière. Rouslan détruit le méchant magicien en lui coupant la barbe avec son épée magique et délivre Lioudmila.
Et dans ma petite tête, je me disais que les russes, c’étaient des gens bizarres qui avaient beaucoup d’imagination. Et je me moquais gentiment de la diction de Ludmilla, qui ne parlait presque pas, qui ne savait même pas prononcer correctement son prénom. Sans me dire que j’étais bien incapable de lire ou prononcer le moindre mot russe.
J’ai décidé d’apprendre le cyrillique et la littérature russe à seize ans. Le jour même où j’ai découvert en librairie «L’hiver des histrions». Roman écrit en français par Lioudmilla Potowski, quinze ans.
Liou…
###
La
défunte gaieté des années de folie
Me
pèse au cœur comme un vin mal cuvé.
Mais,
tel le vin, les chagrins d'autrefois
En
vieillissant sont en moi plus puissants.
J’ai vingt et un ans, et j’ai commencé ma thèse sur « Pouchkine et son influence sur la poésie clandestine russe de vingtième siècle » Un titre à rallonges comme les aiment les pontes du comité de lecture. Deux ans pour apprendre l’alphabet, lire le russe, le parler. Quatre pour finir par le comprendre. Et la vie entière pour me plonger avec joies et délices dans son abondante littérature.
Morne
voie que la mienne. Je ne vois que labeurs
Et
malheurs sur les eaux troubles de l'avenir.
Et
pourtant, mes amis, je ne veux pas mourir.
Je
veux vivre. Et penser, et souffrir ;
Lioudmilla a déménagé l’année passée. Son troisième roman consécutif est sorti il y a six mois, et je ne sais s’il est en partie autobiographique. Elle y parle des amours maudites d’un poète de Borograd et d’une savageonne. Elle citait dans son texte des vers d’une beauté poignante, même traduits. J’ai décidé, dans le cadre de ma thèse, de me rendre dans l’Ouron. Peu importe la véracité du roman de Lioudmilla, peu importe nos contacts rompus, peu importe sa douceur qui me manque. Je repense à nos longues discussions à propos de Marina Tsvetaeva et de l’influence de sa relation avec Sophia Parnok sur son écriture. Je relis «Lettre à une Amazone » et j’imagine encore son souffle dans mon cou. Liou…
je
le sais bien, des jouissances viendront
se
mêler aux émois, aux chagrins, aux soucis,
des
sons harmonieux reviendront me griser,
un
poème entrevu m'arrachera des larmes ;
Le train est déjà un autre monde en soi.
Ce qui m’a frappé en premier lieu, c’est l’odeur âcre du charbon. Des grands
samovars dans chaque wagon chauffaient l’eau du thé, distribué généreusement
par les babouchkas. Dans ce train de bois aux compartiments antiques, chacun
s’était constitué son propre monde fait de couvertures, d’oreiller et de
provisions. Un homme poivre et sel tirait des notes assourdies d’un petit
accordéon diatonique. Je m’endormais,
hypnotisée par les bouleaux qui défilaient, heure après heure, nous enfonçant
dans la nuit glaciale, le bras calé sur des syllabus, l’anthologie bilingue de
« et
peut-être qu'au temps douloureux de l'adieu
l'amour
fera sur moi rayonner son sourire. »
« Un poème peu connu de Pouchkine. La traduction en est admirable, cependant. »
La voix de l’homme qui avait terminé ces vers à ma place ne pouvait que me désarçonner. Je ne m’étais pas rendu compte que je les avais récités à voix haute et j’en était gênée. Pouchkine ?
« Vous étudiez la poésie russe ? » Son nez camus n’enlevait rien à la noblesse de ses traits, et même si une barbe d’une dizaine de jours cachait ses joues maigres, l’homme avait un regard franc et aimable. Il désignait le livre bleu que je tenais en main. S’ensuivit une discussion sur les langues, sur la divine négrité de Pouchkine, sur les souvenirs d’enfance que lisait chaque russe dans sa poésie. Je parlai de Tsvetaeva, de Lioudmilla aussi, avec parcimonie. Il me parla de Borograd, de poésie, de répression, de la vie, de l’humus et de la lumière. Les premières isbas annonçaient la ville. Au loin, des minarets faisaient d’étranges mats à une improbable caravelle.
###
Accueille, ô ma compagne pour toujours
distante,
ces
adieux que t'adresse mon cœur,
comme
ferait une épouse endeuillée
ou
un ami qui étreint son ami
sans
dire un mot au seuil d'une prison.
Je ne resterai pas longtemps à Borograd. Je n’y retrouverai jamais Lioudmilla.
Italique : Alexandre Pouchkine
Exercice en deux phases.
1) Créer le portrait d'un personnage
2) Utiliser les personnages créés pour écrire un texte dans le style de la nouvelle (moins de 2500 mots) Attention, ne peuvent participer au (2) que les auteurs qui ont participé au (1), et un auteur ne peut utiliser uniquement des personnages qu'il a créé!
Cet exercice a donné lieu à un chassé croisé de personnages et d'histoires de différents auteurs et finissant par presque toutes se recouper. Les extraits présentés ici ne montrent pas la joie que nous avons eu à nous relancer la balle…
Portraits: galerie (Navelmaniac, 03/03/2003)
Les soleils d'Isomène (Jean-Louis, 13/03/2003)
Tokyo Motel - 8 (Navelmaniac, 19/03/2003)
A la poursuite de Kilvên (Jean-Louis, 25/03/2003)
Liberté! (2) (Jean-Louis, 28/03/2003)
Martin et… Tokyo Motel (Jean-Louis, 08/04/2003)
N°
8863
Bon. On sait qui c'est? Non? OK. Effets personnels, portefeuille, carte
bancaire? En caleçon? Evidemment, c'est plus difficile à identifier comme ça.
Le grand jeu, alors. Vous notez?
Homme de race blanche, caucasien. Age, la quarantaine, je dirais. Un mètre
septante... appuyez sur les genoux, vous voulez bien? Un mètre septante huit.
Rigidité cadavérique juste entamée, mort depuis au moins huit heures. Cheveux
châtain foncé, yeux gris. Non bleus. Attendez, je prends ma lampe torche. Hum,
notez gris-bleu. Nez droit, narines larges. Les lèvres sont fines, légèrement
bleutée. Très légère cyanose. Musculature moyenne, sportif, mais sans excès.
Aucune callosité. Pas un manuel. Quoi que. Je compte trois cicatrices à la main
gauche et une à la main droite. Intéressant, il y a eu des points de suture,
trois ou quatre. Vous avez le matériel pour la dactyloscopie? Merci. S'il y a
bien une chose qui m'énerve, c'est de prendre les empreintes d'un mort. Ca fait
des taches. Bon, montre-moi tes dents, toi. Mmmh, elles sont toutes là. Quatre
caries en dessous et, ah, une fausse canine, supérieure gauche. Super, on
avance. Prenez des photos pour l'odontologie. Ca devrait leur suffire pour
commencer.
Ah, intéressant. Tatouage sur la fesse gauche, récent et non terminé. A voir
les rougeurs, je dirais pas plus de deux jours. Un taureau chargeant une femme
nue attachée sur un cactus. C'est d'un goût! Il y a des lettres en dessous.
"A MA..." Une photo, si vous voulez bien?
Bon, a nous deux la mort. Pas d'infos sur sa mort, non plus j'imagine? Retrouvé
dans une cave par des squatters? Tiens qu'est-ce qui les a poussé à faire ça...
leur nid doit être grillé, maintenant. Enfin, pas mon problème. Mmmmh
cervicales OK, pas de strangulation non plus. Bon, les bras, hum trace de
piqûre. Une seule, récente, pas d'hématome. Serait-ce une overdose? La première
et unique? Au milieu des junkies dans un squat, pourquoi pas? Mais il est trop
propre. Coupe nette, cheveux propres, ongles courts mais pas rongés. Non,
sûrement pas un squatter.
Bon rien d'apparent à l'extérieur. Je vais devoir ouvrir. Passez-moi les
scalpels, voulez-vous?
Comment, mon petit? Oui, je peux noter moi-même, enfin pas pendant que je découpe.
Je résumerai plus tard.
Non, cela ne me gêne pas, j'ai l'habitude de devoir faire cela seul, vous
savez.
Avant de partir, vous voulez bien prendre une étiquette, là, et noter le numéro
huit huit six trois? Vous l'attacherez à son orteil. Et bonne soirée, hein!
Pascal
Hôtel Siru. Pyramides, place Rogier. Dix heures douze.
Le sas pivotant sépare le froid du chaud, le verglas du dehors et l'acajou
lisse de l'accueil. A la réception, deux jeunes femmes et un jeune homme.
L'homme n'est pas loin de la trentaine, cheveux noirs, courts, coiffés à la
réveil en pleine nuit, mais avec du gel spécial fixant. Il est mince, beau,
élégant. La tenue de l'hôtel est sobre, mais tout de même avec du rouge sur le
revers du costume. Le ton est obséquieux comme il sied, avec ce qu'il faut de
professionnalisme pour que le client ne détecte aucune ironie, ni en anglais,
ni en allemand. Yes
sir, we still have a double room available. Sie wünschen ein Zimmer mit Bad? A quatorze heures il aura fini son service. Dans le vestiaire, il
déposera son costume et son obséquiosité. Le réceptionniste restera pendu sur
un cintre jusqu'au lendemain six heures du mat.
Nova Noise. Volets fermés, spots sur la scène. Seize heures trente deux.
Le jeune homme portera un short, des baskets, un tee-shirt à l'effigie d'Abba.
Trois autres gars, une fille. Deux personnes qui regarderont feront des
commentaires sur telle ou telle partie de la chorégraphie. On rembobinera la
cassette, on reprendra ses marques. Un peu de sueur coulera sur les joues
rasées de près de Pascal. Oui, le réceptionniste s'appelle Pascal. Il respirera
fort, battra légèrement du pied en cadence puis se lancera. Un, deux, trois,
les deux gars suivent, quatre, cinq, six, You will have no time for grievin'
Chiquitita, you and I cry, les deux derniers entrent dans le mouvement. La
chorégraphie continuera, la musique s'arrêtera, Pascal saluera la foule
imaginaire, deux mains applaudiront trois fois. C'est bon, prêt pour le soir,
reposez-vous.
Chez Flo, à cinquante mètres de
La fumée aura rempli les plafonds, les clients auront recommandé des
bouteilles, les entrées du repas quatre services commenceront à être placées
sur les tables. La grande, la célèbre Pascale aura salué, longuement applaudie.
Elle se sera avancée, toute en strass et paillettes, en plumes et fourrures et
aura retiré un sein de silicone glissé sous sa robe. Oui, messieurs dames, des
cinq personnes qui vous ont présenté cet époustouflant spectacle de chant et de
danse, une seule est une vraie femme, applaudissez les encore une fois. Et
Pascal, fatigué et heureux se retirera dans la loge, recevra de l'aide pour
retirer son costume. Il déposera le soutien-gorge en même temps que les
paillettes et les froufrous. Sur le cintre reposera la drag-queen, puis Pascal
rentrera chez lui, pour dormir enfin. Le réceptionniste l'attend dans l'armoire
de l'hôtel. Dans moins de six heures.
Alain
- Bon, et si tu me parlais un peu de toi, Alain?
- Tu sais, ce n'est pas facile au téléphone. Je ne suis déjà pas un grand
parleur en temps normal, alors au bout du fil...
- Allez, tu dois bien pouvoir dire quelque chose qui me donne envie de te
rencontrer?
- Et si je dis quelque chose qui donne l'effet inverse?
- Oh, fais pas l'enfant! J'écoute...
- Ca me fait penser aux examens d'embauche, tiens. Dans ces tests, y a toujours
une question du genre 'Citez trois qualités qui vous caractérisent. Puis
ensuite, citez trois défauts'. Il faut bien sûr développer et argumenter. Tu
parles d'une hypocrisie. Tu donnes des qualités très importantes, puis des
défauts mineurs qui peuvent être vus comme des qualités.
- Bien, commence par tes défauts, alors.
- Ha. Disons beaucoup d'imagination? C'est une qualité, sauf si tu en rajoutes
encore un peu. Trop d'imagination? Ca te va comme défaut?
- Et désabusé, ce ne serait pas un défaut, ça?
- Mais non, m'dame, c'est juste un état d'esprit. Et ça, ça change vite. Tiens,
intellectualisateur. Ca c'est un défaut, non? Aussi grave que néologisateur, à
mon sens. Fouteugueuleur. Râlboudiste, mais ça dure jamais longtemps.
Distractionné. Obsessionisé, par moments. C'est amusant, je me trouve plein de
défauts tout d'un coup. Tu ne crois pas qu'il vaut mieux qu'on arrête la
conversation? Parce que cinq minute de ce rythme là, et le pape devra rajouter
plein de saints dans son calendrier, tellement j'aurai fait baisser la moyenne.
- Hi, hi. Dis moi, tu chercherais à me dire que tu ne veux plus me rencontrer?
- Non, que je ne veux plus parler avant de te rencontrer.
- Mmm. Décris toi physiquement, encore une fois?
- Tu as lu mon profil, non ? Et puis je t'ai envoyé ma photo par mail, ça
devrait te donner une idée.
- Ce n'est qu'un point de vue. Je voudrais le tien.
- Bon. Je suis petit, rond, noir aux cheveux crépus et aux grosses lèvres. Et
j'ai un nez épaté... de te rencontrer.
- Hi hi, arrête de déconner...
- Ah, un autre de mes défauts: je suis toujours sérieux. Je ne peux pas m'en
empêcher!
- Allez, vraiment. C'est pour que je sois sûre de te reconnaître au
rendez-vous.
- Ah, j'ai passé la présélection, chouette! Eh bien si tu veux me reconnaître,
on va faire simple. Place de Brouckère, tu connais?
- Oui?
- Tu veux un rendez-vous quand?
- Disons... samedi début d'après-midi?
- Très bien. Samedi de deux à trois, je me promènerai sur la place de Brouckère
en pantalon vert pomme, pull rouge et veste jaune.
- ... T'as pas peur du ridicule, toi!
- Oh si, beaucoup. Et je suis très timide. A samedi?
- (sourire) A samedi.
Alberto
Un homme est assis, les jambes croisées. Il est, semble-t-il, dans un atelier.
On distingue à peine une toile, un chambranle. Peut-être une porte.
En fait l'homme est peut-être debout. Il est presque transparent et ce doit
être cela qui est étrange. Il se fond dans le décor. Il porte un pantalon, gris
vert, avec des tons d'ocre. Un coin de table passe à travers, c'est peut-être
pour cela qu'il a l'air assis. Il est très long, très fin, comme squelettique,
pourtant il n'est pas maigre. Mais ce n'est pas important.
Son visage est dense. D'une densité incroyable. Il a concentré, a aspiré une
sphère de vie dans ses yeux. Autour de lui, les meubles, les murs sont
transparents comme son propre corps, plats, ocre terne, vert de gris.
Impossible d'éviter l'aspiration.
Un visage immobile mais plus vivant que n'importe lequel de vos souvenirs. Des
yeux noirs couvés par d'épais sourcils broussailleux racontent des années et
des jours, des lèvres calmes se taisent. De part et d'autre d'un grand nez
rond, des joues creuses parlent d'angoisses et de sueurs, de passion et d'obstination.
De grandes rides horizontales barrent son front. Il observe depuis tant
d'années que chaque détail est une joie, chaque émotion est un trait. Son
visage est surchargé de lignes, de traces. L'épaisseur même de sa vie est faite
de couches superposées sur son visage. Clair sur foncé sur clair. Joies,
peines, encadrées dans une épaisse tignasse noire. Encadré par le vide qu'il
fait autour de lui. Encadré par une porte ou une fenêtre. Encadré d'une pièce.
Encadré...
Sa vigueur incroyable, il la puise autour de lui, il relièfe le banal, il
contraste le fade. Il observe et transcende. Il ride, courbe et plisse la vie
sur son visage, faisant disparaître tout autre détail. Il vide le mur, vide ses
vêtements. Il aspire, transparente, gomme. Tout est dans sa tête, ses yeux.
Dans ses traits superposés.
Au-dessus de sa tête, quelques soies de porc fixées sur un bâton. Immobile.
La main qui tient le pinceau est figée depuis un bon moment. Sur la toile, un
homme, un visage, des yeux regardent le peintre. Le miroir placé à côté ne
reflète plus rien.
Henri
L'enveloppe est épaisse, en papier jaune de bonne qualité. L'homme sort un
petit couteau de sous son pantalon, après avoir passé ses gants. Une manie, il
a toujours ouvert ses lettres comme ça. S'étalent sur la table une dizaine de
photos. Un homme replet, distingué. La cinquantaine. Souvent un chapeau, un
cigare. Parfois une femme. Pas toujours la même.
Deux ou trois feuillets dactylographiés. Pas par ordinateur, pas sur une laser.
Une vieille machine manuelle. Un nostalgique.
"Nom de la cible: Henri Goult-Mandée, industriel.
Mort souhaitée: balle dans la tête. La mort doit être instantanée, et
clairement un assassinat.
L'homme est de taille moyenne, environ un mètre septante cinq, pour
quatre-vingt-dix kilos.
Il vit au 13, rue de XXXXXXXX, mais ne s'y trouve pas souvent. Il a pour
habitude de loger à l'hôtel XXX les mercredi, jeudi et vendredi. "
Suivaient deux pages de descriptions d'horaires, d'itinéraires et d'habitudes.
Il voyage souvent, mais est toujours de retour le mercredi. Il est divorcé, lui
paye une pension confortable. Il voit plusieurs femmes, ne s'en cache pas.
Et puis aussi, il y a une liasse de billets de cent. Deux mille cinq cent Euro.
Et le double à l'exécution du contrat. Eh oui, il y avait des gardes du corps.
Il y en avait toujours un au moins sur les photos, et son œil professionnel lui
avait montré d'autres observateurs plus discrets.
L'homme sortit son matériel et se mit à analyser l'envoi. Avant de commencer un
travail, toujours se renseigner sur son commanditaire..
Gaspard
"Gaspard, tête de lard!"
"Gros balourd, retourne au cours!"
"Hé, le boutonneux, c'est déjà le printemps?"
"Hé Gaspard, on n'a plus de graisse à frites, secoue ta tête au dessus du
bac!"
"Hou, le roux, t'as des poux?"
"Bigleux, tête de nœud!"
"Dégage, la boule, j'ai pas envie de jouer au foot!"
La carotte déposée tous les lundis dans son casier, il ne savait pas qui
c'était.
"Hé rouquin, le lapin".
Tous s'amusaient de ses dents.
"Hé, fromage blanc, demain y a encore soleil."
Les crottes, déposées en dessous de sa chaise pendant le cours de français, ça,
il savait, il avait vu.
"Balourd, lâche-moi, t'es lourd"
Chaque fois qu'il voulait parler à quelqu'un, c'était la même chose.
Certains s'étaient mis à lui tirer les oreilles en cour de récré. Il essayait
bien de courir après eux, mais s'essoufflait trop vite. C'était vite devenu le
sport favori de certains.
"Alors, ma boule, ça roule?"
Il était gros et poussif. Et n'aimait pas se battre. Alors ils en profitaient.
Les crottes et la paille dans son cartable, il ne savait pas, n'avait pas vu.
Estelle avait vu, elle a trouvé ça dégueulasse. Elle le lui a dit.
Et Gaspard a noté le nom d'Estelle dans son petit carnet noir, de l'autre côté,
où il restait encore quelques pages. Gaspard note tout dans son carnet. Pour ne
pas oublier. Il y note ses amis. Et les autres. Pour plus tard.
Isomène vole en rase-mottes, il ne voit Sidonie qu'au dernier moment. Souvent
Isomène se bat en duel avec les mouettes, toutefois sans jamais voler aussi
vite ni aussi haut qu'elles. En ce moment, il ne songe pas trop à la
compétition, la terre de ses bottines lui pèse autant que son cœur. Mais les
mouettes volent bas, lentement, en noir et blanc, comme engluées dans la marée
de son humeur. Comme pour l'attendre.
Sidonie avait remarqué les oiseaux, et elle en tirait l'élastique de sa culotte
de perplexité. Les mouettes essayent de porter quelque chose de trop lourd pour
elles, aujourd'hui, elle a dit à Isomène qui s'est étalé dans une flaque
voisine. Elle est allée chercher du grain dans la remise, elle en a rempli
généreusement sa jupe, qu'elle a remonté devant elle. Ses jambes torves
plantées dans ses chaussettes, elle a mis le blanc sale du pan relevé dans sa bouche
et ses grosses mains plongent et ressortent ensembles, battant l'air dans une
pluie de maïs concassé, de blé, de tournesol, emplissant ses yeux d'étoiles. Un
rire sort de ses dents serrées sur ses jambes pâles.
Isomène est fasciné par les courbes, par le mouvement. Il observe les chairs
blanches et rebondies, les parenthèses de ses jambes, les soleils de ses bras,
la corolle de sa jupe. Isomène regarde au même endroit que Sidonie, quelque
part entre eux deux, quelque part d'heureux.
Vous ne regardez pas où sont les mouettes, il a dit en souriant, des graines
dans les cheveux, les deux pieds dans l'eau. Je regarde pas les oiseaux, elle a
répondu, je veux pas leur faire peur. Sa jupe en est presque retombée droite.
Isomène sait que les mouettes ne s'intéressent pas aux graines de Sidonie,
pourtant, elles volent déjà plus légères.
Une sonnerie se fait entendre dans la maison. Le réveil de Paul, l'école, cinq
heures. Sidonie rentre en hâte, elle met son gilet et éteint le réveil de Paul.
Elle l'a mis loin de celui du déjeuner à préparer, de celui des poules à
nourrir. Elle sort en vitesse. Faut pas que je sois en retard pour aller
chercher Paul, elle a dit à aux graines. Isomène a failli se noyer dans ses
yeux à ce moment là. Il s'est fait transparent pour ne pas effrayer le vent qui
murmure dans sa tête. Il la regarde qui dandine son corps sur la route, qui
dépêche son souffle court vers la lumière de sa vie, vers l'école. Une fois
encore Isomène fait jouer ses muscles sur les branches, s'installe sur des feuilles
tout en haut. Il observe une traînée de poussière d'idée filer parmi la
grenaille et les pissenlits, il voit au loin l'école, il voit Sidonie, en
retrait, voit un petit garçon s'approcher, accrocher le gilet en un geste
sobre. Et ça explose, c'est doux.
Isomène redescend sur terre, il serre fort ses mains sur des morceaux de
graines dans ses poches. Il sourit aux deux qui reviennent. C'est qui demande
Paul. Isomène dit Isomène. Il est bien dit Sidonie. Paul est surpris. Sidonie,
elle trouve tout le monde gentil. Le facteur, il est gentil. Le boulanger, qui
lui prend en souriant deux fois le prix du pain, il est gentil. Le voisin, qui
rentre son fils quand elle sort nourrir les poules, il est gentil. Isomène est
bien. Elle a jamais dit ça de personne. Paul sourit à Isomène.
Ce soir, Isomène ne pleure pas, il regarde Sidonie s'envoler dans ses rêves,
battant de ses bras boudinés, riant avec les mouettes qui ont repris possession
du ciel. Il a planté soigneusement trois graines de tournesol et un tout petit
grain de maïs dans un pot.
La conne!
Elle avait vraiment l'air malin avec son rimmel Gemey version chutes du
Niagara.
"Y m'l'ont tuééééé, mais qu'est-ce que je vais devenir, moi?"
Elle t'avait bassinée pendant des heures avec sa trouvaille fantastique. Un
gars plein aux as, qu'avait largué sa régulière et qui la voyait à l'hôtel
toutes les semaines, qu'était pas regardant du tout niveau portefeuille et pas
jaloux, en plus. "Regarde mon nombril, un vrai diamant, je t'assure. Il
m'adooore" Elle remontait son tee-shirt avec sa fourrure pour qu'on
remarque ses seins. C'est sur les fesses qu'il lui fallait cette fourrure, miss
plat du cul.
Et miss plat du crâne aussi. Rien dans le ciboulot, la conne.
Elle était effondrée. Elle sortait justement de clinique. Des nouveaux seins,
modèle Mac Geere, et en même temps, de nouvelles joues, les siennes faisaient
trop poupon, et des plus grosses lèvres. Mais cela coûtait un pont.
C'est Henri qui aurait du payer. Tu parles! Avec un trou dans la tête, il
aurait du mal à signer le chèque, là...
"Faut que je sache qui a fait ça, c'est sûrement un plus riche que lui, un
concurrent à Henri. Je suis sûre qu'il saura apprécier une fille de valeur, lui
aussi"
Con, mais con! Quand je l'entend, je... Non, je sais pas quoi dire. Tiens si je
pouvais, j'aurais presque envie de l'aider rien que pour voir la gueule du
tueur quand elle va lui dire.
"Houston? On va poursuivre des tueurs en Pontiac, bang, bang ?
Chouette!"
Charline était toute émoustillée, Emma baissait les bras, un soupir s'échappant
des lèvres. Emma avait bien vu que c'était Charline, qu'il appréciait, Alain.
"Rigole pas, c'est bien ça. Le truc d'y a trois semaines, quand on s'est
vus pour la première fois, tu te rappelles?"
"L'urgence, la note non payé? Si je m'en rappelle, mon négro..."
"Tut tut, copyright du boss. Et il est vache avec les astreintes, tu sais.
Eh bien le tueur de l'industriel, là, le Henri Machin-Mandée dont on a parlé
dans les journaux, on a retrouvé sa trace et celle de son complice. Des
tantouses, des looser, je dirais. A se demander comment le gars a réussi à pas
se faire descendre par les gorilles avant."
Au nom d'Henri, Charline s'est déconnectée un instant. Puis elle a entamé une
réflexion parallèle, reprenant de front les deux occupations. De l'une, elle
suivait les explications enthousiastes d'Alain, expliquant comment ils avaient
retrouvé la trace de la décapotable, puis finalement du motel. De l'autre, elle
imaginait sa conversation avec Tracy, lui disant que c'était son jour de
chance, qu'elle avait une info de première main. Elle était sûre que Tracy
claquerait ses dernières réserves pour s'acheter un billet. "Et surtout,
tu ne me connais pas, hein!"
Rendez-vous au Tokyo Motel. Que ça allait être excitant!
Un tas d'intrigues poisseuses se développaient dans sa tête.
Avec des yeux déjà au dessus des nuages, Charline essayait de fermer sa valise.
Décidément elle prenait toujours trop d'affaires en vacances. Montrant les
dents, elle sortit un tailleur pastel. "Ca, c'est pas un voyage pour toi,
ma fille." Elle jeta le tailleur sur le lit et ferma la valise.
En quittant la chambre, elle sourit à Emma restée là, qui lui fit un clin
d'œil.
Que la vie était belle.
Rien, dans la désolation de la plaine, ne
poussait à la rêverie ni à la bonne humeur. Il est de ces êtres qui prennent
plaisir à la vue du sang, de la douleur et la souffrance. Vildor des
Terres-du-Haut n'était pas de ceux là. Il était fier, il était fort. Il ne
redoutait pas les combats, ni la mort, hideuse ou sucrée. Il avait trop souvent
dansé avec elle en de sanglants quadrilles que pour la mépriser, mais il ne la
craignait pas. Il ne l'aimait pas, cependant. Les cadavres et les derniers
échos des agonisants n'étaient pas responsables de son sourire alors qu'il
chevauchait dans la brume du petit matin.
Vildor était un guerrier. Il portait une armure de vieux cuir, et le gantelet
montrant son appartenance à la guilde de Ragan l'Intrépide. Il n'était pas bâti
comme les compagnons d'entraînement, ce qui fait qu'on le sous-estimait
souvent. Il était par contre d'une souplesse et d'une vivacité peu commune et
avait déjà battu par trois fois Ragan lui-même en combat amical. Sous une
tignasse si blonde qu'elle arrachait un morceau de soleil, des yeux riaient.
Des yeux comme il n'en existaient aucun autre dans le royaume: gris argent et
bleu de glace, vairons. Une cicatrice sur la pommette droite faisait perdre un
peu de la rondeur pouponne du visage. Ceux qui le dévisageaient hésitaient
entre attirance et crainte. La dureté de ses traits, l'étrangeté de ses yeux,
le maintien altier, presque félin, associé au cuir du guerrier avait de quoi
décontenancer. Vildor usait rarement de la parole, mais la maniait comme une
fine pointe. Pour ses deux compagnons de chevauchée, il était Vidor l'Incisif.
C'était Orvet qui avait trouvé l'écharpe. Elle était plantée sur le tronc d'un
chêne, maintenue là par la lance d'un soldat, gorge béante, main crispée sur la
hampe de bois. Orvet rampait, fouinait, humait. Elle avait du être attaquée par
la troupe, sautant au dessus du buisson ici, en égorgeant trois avant qu'ils ne
comprennent ce qui leur tombait dessus. Elle s'était battue ici contre deux, là
contre un autre. Le soldat à la lance avait surgit d'ici, elle a été surprise,
la lance est passée très près de son cou, capturant le velours d'une pointe
hardie. Les renforts étaient arrivés de là. Elle a du se replier vers le
ponant, vers les Terres-du-Bas, et le fleuve Bar-Thys. Elle était seule. Elle a
tué cinq soldats, blessé gravement huit. La petite figure olive aux yeux
furtifs passe en revue la scène. Un froncement bref des sourcils lui donne
soudain l'allure d'un grand duc qui a repéré une proie. Dans l'herbe froissée
au pied du chêne, un éclat mat diffuse sa froide beauté. La médaille représente
un serpent à deux têtes et des runes sont gravées de l'autre côté. L'argent
terni aux éclats rouges indique le travail des nains aux mains de feu. De
perdue dans les hautes herbes, presque invisible, elle disparut dans de longs
doigts fins comme par magie.
Tout en marmonnant et fouillant, Orvet a joué de la dague comme à sa détestable
habitude. Et en même temps que de leurs souffrances, il a soulagé les soldats
de leurs maigres richesses et piécettes. Les poches secrètes du vieux vêtement
de toile d'Orvet s'alourdirent de quelques trésors de plus. Khilvên n'a une
fois de plus laissé aucun survivant, elle a de nouveau détroussé ses victimes.
Orvet éclate d'un rire sec puis remonte en selle.
Du haut de son poney, Q'nir le Géant secouait la tête d'un air de dégoût.
Lorsque
Q'nir le nain géant talonna son poney et partit vers le ponant en soupirant.
Du haut de son cheval, Orvet fit un dernier tour d'horizon avant de lui
emboîter le pas.
La monture de Vildor suivit, ce dernier caressant pensivement l'écharpe de
velours noir passée autour de son cou. Il souriait.
Il avait faim, mais surtout, il avait
froid et peur.
"C'est la dernière fois que je t'aide, Fabrice, débrouille-toi pour
trouver du pognon. Je dois vivre aussi, moi, qu'est-ce que tu crois? Si on
apprend que je refile de la came gratos, je suis mort. Je ne veux plus te
revoir, désolé!"
Le froid, c'était sans doute le manque. La peur, c'était parce qu'il n'osait
pas prendre sa dose. Je dois arrêter sinon je suis foutu. Deux ans qu'il se
répétait la même chose. Il l'a dit quand il a perdu son travail. Il l'a dit
quand il s'est fait éjecter par son proprio. Il l'a dit quand il a traîné ce
matelas derrière l'escalier rouillé. Il se le dit chaque fois qu'il regarde
entre les pieds des gens. Cherchant un lingot d'or oublié, un ticket de loterie
gagnant, une liasse de billets. Un regard d'amour.
Un regard, ça ne se trouve pas au pied des gens, il le sait. Et puis ça ne lui
permettrait pas d'acheter d'autres doses. Ca ne lui permettrait pas faire taire
les dealers. Ca ne... il n'en trouve pas plus que de lingots, de toutes façons.
Pourtant, il cherche.
Fabrice, il ramasse ce qu'il trouve et le revend. Il peut ainsi s'acheter à
manger, parfois. Les bougies, il les a eues de l'église, c'était moins cher. Et
il n'a pas revendu le Polaroïd qu'il a trouvé sur un banc. Une folie, il aurait
pu l'échanger contre une dose ou deux. Mais les folies, il a l'habitude maintenant.
Un peu de sa folie s'étale en carrés de couleurs fixés au mur avec quelques
gouttes de cire.
Un câble d'acier torsadé, neuf, brillant, serpentant sur du béton. Une vitre
cassée, couverte de poussière, avec une araignée au centre de l'ouverture, sur
sa toile. Une plaque d'égout, un peu d'eau faisant ressortir les lettres
'Pont-à-Mousson'. Une enfilade de panneaux métalliques entourant un chantier,
vert, jaune, vert. Un ciel bleu avec trois morceaux de grues et un crochet. Un
gros plan flou sur des briques avec des fleurs de salpêtre. Une grille toute
rouillée, avec de la mousse entre les lames distordues des barreaux. Des
graviers et de la boue dans un caniveau.
Il tremblait. Il avait la dose, la dernière. Il était allé pisser derrière la
citerne à mazout. Il n'aimait pas l'effet de la drogue sur sa vessie. Il s'est
accroupi contre la vieille cuve, sortant son briquet. Il avait déjà brûlé la
poudre dans sa cuillère quand il vit les deux oiseaux entrer. Les oiseaux
pépiaient, perdus. Ils ont voleté vers l'escalier puis ont vu le matelas. Deux
oiseaux perdus, effrayés, fatigués. Ils se sont installés, roulés en boule.
Dernier pépiement. "Bonne nuit Mim". Accroupi, immobile, une cuiller
refroidie en main, Fabrice respirait le moins possible.
Des oiseaux étaient venus dans son nid.
Il est resté longtemps sans bouger. Il avait froid, mais tant pis. Il s'est
levé très lentement, il a laissé sa cuillère à terre. Ca mange quoi, encore,
des oiseaux, il s'est demandé. Il est sorti sans bruit.
+++
Rachid et Mireille ouvrent les yeux en même temps. Le soleil a raclé des
paillettes de rouille au mur d'en face et les envoie danser pour leur souhaiter
bienvenue. L'odeur de liberté est toujours là bien qu'elle ne soit pas comme
Mireille se l'imaginait. Rachid ouvre ses bras tout doucement, pour ne pas
effrayer le papillon qu'il relâche. La nuit a été un gouffre qui a avalé les
peurs qu'elle avait généré elle-même. La lumière qui rampe quémande un peu de
peau qui est offerte avec joie. Le grondement d'un bus qui démarre sur le
boulevard sonne comme une mésange. L'escalier rouillé, dont les trois marches
du bas resplendissent d'ocre mat, est tellement... contraire à celui de
l'orphelinat. Tout est tellement beau. Les affiches délavées et déchirées, le
béton qui s'écaille, retirant la peinture par couches vertes, blanches et
bleues. Le sol, mosaïque de verre et de métal, de papiers et de boue. C'est en
s'asseyant que Mim aperçoit la baguette et les deux petits paquets de beurre.
Un demi salami et un petit couteau de cuisine reposent sur une serviette.
"Rachid ?"
Il s'assied aussi et voit. "Waow, y a même à manger. La super piaule, dis
donc!"
Ils ont faim, ne se posent pas de question. La baguette est encore tiède, et le
beurre s'étale en fondant un peu. Rachid lui tend la salami. Il arrive à mâcher
en souriant très fort. Il se dresse en s'étirant, un poing tendu en arrière,
l'autre main ébouriffant ses cheveux. Il remarque alors les polaroïds au mur,
dans l'ombre de l'escalier. Il marque un temps puis se retourne.
"Ben merde, on a pas encore eu le temps de profiter de la liberté qu'on a
déjà trouvé ton super héros, Mim. Sauf que je suis pas sûr que c'est ici qu'on
aurait du le trouver."
Mireille s'est levée, des miettes tombant de son survêt' mauve. Elle regarde le
mur, fascinée. Elle murmure tout bas "papa?"
"Papa?", elle dit plus fort. Elle se tourne regarde la pièce, balaie
l'espace de ses grands yeux. Elle essaye de percer l'obscurité de l'entrepôt,
d'en sortir une histoire, quelqu'un. "Papa...", elle répète d'une voix
plus faible.
"Arrête tes conneries, ton père, c'est un héros, les héros, ça vit pas
dans des endroits comme ici. Viens, ça pue, on s'en va."
Du haut du plancher grillagé, Fabrice est paralysé. Il entend résonner
infiniment, de plus en plus faiblement, mais en l'entendant toujours, un tout
petit mot, papa. Il ne peut rien faire quand Rachid tire Mireille par le bras.
Ses mains sont crispées sur les carrés de métal. Dans sa tête, il n'y a plus
place que pour les grands yeux qu'il a vu briller un instant. Des yeux qui
l'ont regardé sans le voir. Des yeux plein d'espoir. Et d'amour, aussi.
Martin claque la porte. Martin jure.
Martin retire sa cravate. Les go-go danseuses exhibant leur laiteuse blancheur
se fatiguent sur la soie. Elles ne frémissent même pas au contact du stylo
bandant jeté avec rage sur le lit. Pornographe au chômage. Ca sonne comme
phonographe, tout aussi désuet. C'était facile, pourtant. Qu'est-ce qui fait
tourner le monde? Le cul. Qu'est-ce qui fait dépenser du fric? Le cul.
Qu'est-ce qui sera encore là dans vingt mille ans quand même respirer sera
passé de mode? Le cul.
Trop facile.
Martin passe la main dans les cheveux, rayant d'un trait quinze ans de
déguisement. Plus de cravate, ni de stylo. Plus de tête gominée aux yeux
concupiscents. Il avait aimé ce mot qui sonnait lascif, lubrique. Ce matin
même, il avait encore travaillé ce regard devant le miroir, superposant le
corps de l'éditrice par celui d'une des filles du magasine. C'est peut-être
quand il s'est rendu compte qu'il devait superposer la tête aussi qu'il avait
perdu le combat. Ici même devant son miroir.
Phonographe. C'est beau, pourtant, un phonographe. Plus personne ne s'y
intéresse, malheureusement. Il faut du plus réel, plus de sons, plus de sensations.
Du sexe drôle. Quinze ans à retourner des corps dans toutes les positions, à
écarter les jambes, à ahaner, à pénétrer, à défoncer, à crier, à gémir. Et être
drôle après ça. Qui veut encore de l'écrit dans le sexe, de toutes façons. Il y
en a tellement partout maintenant. Du texte drôle! Bonne chance, l'éditrice. Et
bonne bourre.
Pornographe. Martin est grand et mince. Il lève ses bras d'éolienne et quand
ils retombent, on voit le courant qu'il a créé. Un bras se relève et d'un seul
moulinet attrape la cravate et le stylo puis le jette dans la poubelle. Trois
kilowatt. L'autre bras se lève, balances les magasines. Certains tombent à
terre, d'autres atteignent la poubelle. Deux mégawatt. Son manuscrit entamé
suit le même chemin. Les longues mains fines ferment le sac poubelle. La
puissance emmagasinée commence à le faire trembler. Le sac sur le trottoir. On
approche du gigawatt, il faut libérer tout ça, il remonte en vitesse, jette une
valise sur le lit, la remplit de quelques caleçons, chaussettes, un jeans, deux
tee-shirt, y ajoute deux blocs de feuilles, trois crayons, une gomme, rajoute
un bloc de feuilles, inspire, ferme la valise, expire bruyamment, soulève sa
valise, sort de l'appartement et file dans sa petite Opel grise, tout ça d'une
seule traite, sans point, juste des virgules, pour ne pas exploser.
Pornographe.
Martin est sur la route. Son énergie a débordé. Dans la voiture, dans le
paysage. Les autoroutes, échangeurs, viaducs surmontés de bâtiments gris ont
fait place aux prairies et aux champs labourés. Des allées de peupliers l'ont
escorté sur des kilomètres, l'aidant à sortir du brouillard. La carrosserie a
viré au blanc éclatant en traversant les garrigues aux parfums de pin et de
romarin. Petit à petit, la terre s'est desséchée, la végétation se faisant plus
rare alors que le vent chaud s'engouffre de plus en plus dans l'habitacle. La
voiture roule toute seule. Martin prend des notes. Il écrit le vent, la
poussière. Il écrit la disparition de la brume et du gris. Cheveux au vent, il
écrit l'apparition des cactus. Après les allées de peupliers serviles, les pins
parasols, des chandeliers lui indiquent la route dans le ciel indigo. Il écrit
le rouge, le doré, le bleu. Il écrit les dunes qui déferlent. Il écrit les
vieilles maisons de bois au milieu du désert, il s'arrête au motel, la nuit est
tombée.
D'un ciseau de jambes, comme dans les films, Martin sort de la décapotable
blanche. Il a encore du soleil dans la peau, du sable dans les cheveux, et du
bleu dans les yeux. Derrière son comptoir de bois fatigué, une vieille femme le
regarde arriver avec résignation, comme s'il était la dernière brindille
apportée par un ouragan réfugié sous son toit. En pénétrant dans la lumière
crue, un choc. Electrique, peut-être, il reste encore beaucoup de ce gigawatt
généré quelques battements de bras plus tôt. Peut-être un physicien poète
aurait décrit une nouvelle force. Pas atomique, ni électromagnétique. Une force
qui réunit fatalement un tout petit garçon aux cheveux dorés et lunettes
brisées, un grand noir en gris-gris et habits lumineux, et un grand homme mince
aux mains allongées. La femme lui tend le registre sans un mot. Il inscrit son
nom. A la case 'Occupation', il écrit: Pornographe retraité.
Il s'étire en levant les bras. Il les rabaisse doucement, en faisant attention
aux étincelles, tandis que le noir et l'enfant se lèvent vers lui.
+++
"Vas-y, oh oui, vas-y c'est bon."
Incitant, méthode Coué, allez savoir. L'éditrice avait jeté son tailleur vert
et sa moue admiratrice, et secouait ses fesses de quarante ans sous les
tressautements du nouvel auteur. Par ses cris et le doigt glissé dans l'anus
elle espérait redonner vigueur au membre mollissant. Il fallait vraiment
s'occuper de tout. Déjà que le précédent devait être pédé comme un phoque, celui-ci
avait bien plus d'esprit que de vigueur. Et encore, elle s'était forcée à rire
pour pouvoir le mettre dans son lit.
"Oui, vas-y, plus fort, vas-y." Si ça continuait elle allait devoir
se masturber. En espérant que ça l'excite.
Vous découvrez dans votre jardin une bille métallique. Dès que vous la touchez, vos sens deviennent exacerbés, sauf un qui disparaît. Texte entre mille et trois mille caractères.
Extase (Jean-Louis, 24/04/2003)
Ioustonne (Jean-Louis, 28/04/2003)
Bille en tête (Jean-Louis, 30/05/2003)
Extase
Quand il l'a lâchée, il était à genoux, haletant. Il regarde autour de lui, un
peu perdu, soulagé, peut-être. Le monde est à sa place, et pourtant, il ne peut
s'empêcher de vérifier. Il étend sa main, la passe dans l'herbe
rafraîchissante, la pose en écrasant les brins. Il fléchit les bras, pose sa
tête. Le gazon a la couleur vert gazon, l'odeur du gazon, le bruit du gazon.
Aucun bruit. Ou si, un tout petit bruit de brins d'herbes qui glissent sur le
lobe de l'oreille. Le soleil balaie ses taches de lumières au travers du hêtre
pourpre. Une sittelle descend le long du pommier, au loin, un oiseau chante,
peut-être une mésange. Il arrache une graminée qui a échappé à la tondeuse, la
met en bouche pour en sucer le suc douceâtre.
Sa respiration s'est calmée, il regarde la pelouse à ses côtés.
Il regarde la bille.
Ses doigts semblent agités d'une vie propre et tirent sa main vers elle. Il
s'arrête quelques centimètres au dessus de l'éclat métallique et déplace
lentement sa main de droite à gauche, comme pour en sentir la chaleur, le
rayonnement, sans oser la toucher. Il sourit, s'allonge précautionneusement à
côté, sur le dos, la tête à l'ombre du hêtre. Il ferme les yeux.
Et laisse sa main descendre sur la sphère.
#
"Clémence, j'ai envie de toi."
Joël avait été un amant tendre et attentif, mais cela n'avait pas empêché leurs
vies de prendre des chemins différents. Le revoir avait été agréable, comme
croquer dans la première pomme de la saison. On croit se souvenir du goût, mais
on n'est plus sûr de le connaître, ni d'en vouloir encore. Et voilà Joël,
halluciné, comme elle ne l'avait jamais vu. Non pas halluciné, mais comme ...
intensifié. Il avait cette densité dans le regard, cette attention qu'il
portait à tout, à ce qu'il touchait, à la façon dont il de déplaçait, dont il
parlait, en sons feutrés. Il y avait cette faim qu'elle ne comprenait pas, même
si elle supposait bien l'abstinence forcée de Joël. Elle s'est laissé tenter.
Oh, ce n'était pas une reddition et Clémence était heureuse de la tournure des
événements. Dans le grand lit de ses souvenirs, ils se déshabillèrent, Joël la
dévorant des yeux, tremblant d'excitation et d'impatience contenue. Il portait
autour du cou un petit sachet de cuir suspendu par une lanière qu'elle voulut
lui enlever.
"Non, attends!"
Il se leva et alla fermer les volets de la chambre et tira les lourd rideaux.
"Pas besoin de lumière, il vaut mieux qu'on soit dans le noir. Cela va
être formidable, tu verras."
A tâtons, il retira la bille du sac de cuir, et, anticipant l'extase, la prit
dans une main, tandis que de l'autre il se mit à caresser Clémence.
La douceur, du contact fut inimaginable. Le grain de la peau, la fermeté, le
glissement de ses doigts sur un mamelon lui aurait tiré des cris s'il ne
craignait pas la douleur du bruit. La respiration de Clémence était comme une
forge du plaisir. Il entendait presque la peau de ses seins se tendre, les
fibres des draps geindre sous la cambrure de ses rondeurs. Il approcha ses
lèvres et goûta la saveur fruitée de sa langue mélangée à l'odeur de son
plaisir naissant. Il approcha alors sa main tenant la bille de son épaule, pour
que tous deux fusionnent dans la même extase des sens.
#
Il se sentait con. La bille était retournée dans son sachet. Il hésitait entre
l'enterrer ou la perdre au fond de la mer.
Clémence l'avait quitté, horrifiée. Il en avait encore des frémissements
partout. Le choc quand elle a été en contact avec le métal tiède. Un cri qui
avait explosé presque à l'intérieur de sa tête. Une crispation brusque, une
odeur de peur se dégageant brusquement d'elle. Elle a uriné. Il a immédiatement
arrêté, expliqué. Tenté d'expliquer. Quand elle a compris suffisamment, elle
l'a giflé. De rage, de honte, de frustration.
Il se sentait con.
Pourquoi a-t-il supposé que les sens seraient modifiés de la même façon?
Pourquoi n'a-t-il pas imaginé qu'au lieu de la vue, elle perdrait le toucher?
"Otto, nom d'un quasar, quand pourra-t-on repartir?"
"J'en sais rien Cap'tain Ioustonne. C'est déjà une chance que les
supraconducteurs de tension de surface n'aient pas claqué à l'atterrissage. Je
pense qu'il faudra trois semaines pour réparer les dégâts apparents. Quant à
repasser dans notre univers, mes calculs ne sont guère optimistes."
"Mais enfin, muon transgénique, vos calculs ont bien réussi à nous faire
passer dans cet univers, non?"
"Oui, mais si j'avais bien prévu la différence de taille atomique, les
probabilités d'émerger ailleurs que dans l'espace sidéral étaient tellement
infimes que je les ai laissé tomber. Et mes calculs ne donnent rien si le
vaisseau est trop proche d'une masse importante."
"Eh bien décollez, éloignez vous de la masse!"
"J'ai essayé. La taille atomique, vous comprenez. Tout est plus grand ici,
y compris les forces électromagnétiques. Si ce n'était la tension de surface,
qui doit donner à notre vaisseau l'aspect d'une sphère brillante, nous serions
incrustés dans la matière locale."
Un choc soudain fit trembler le pont. Le vaisseau entier fit une embardée. Des
klaxons, et des lumières rouges se mirent à vociférer. Merde, ça pouvait
aller plus mal!
"Caméras externes sur l'écran principal, vite. "
"Une partie des caméra est couverte, Cap'tain , le reste est flou. "
"Mise au point, combinez les images, vite! Z'avez obtenu votre brevet de
navigateur dans un paquet Bonux ou quoi?"
Sur l'écran apparut soudain le visage d'un homme, le bras d'un homme, les
doigts d'un homme. Gigantesque, tenant le vaisseau entre ses doigts.
Otto ne put retenir un cri de joie tout en tombant vers la paroi à cause d'une
nouvelle secousse.
"J'avais raison, l'évolution d'un univers à l'autre est identique, malgré
les rapports quantique différents. Cet homme est comme nous, c'est
formidable!"
"Arrêtez de vous réjouir et retirez vos fesses de mon visage, cybercrétin.
Vous voyez pas que votre exemple d'évolution convergente est en train de nous
niquer le vaisseau? C'est un mec, il a sûrement des couilles. Balançons lui une
torpille bien dirigée et il nous lâchera vite fait!"
"Vous n'y pensez pas Cap'tain. La dérive quantique la ferait exploser
sitôt hors du champ. On n'a pas le choix, on doit utiliser les ondes de
résonance aveuglantes. En priant pour que la similitude des cerveaux soit
suffisante, et que la cécité lui fasse lâcher le vaisseau"
La bille qu'il venait de prendre entre
ses doigts était froide, brillante, comme légèrement visqueuse. Puis soudain la
douleur, transmise par un fourmillement à son corps entier. Un voile noir lui
tomba devant les yeux, et le monde explosa de sons, de goût, d'odeurs. De
sensations tactiles. Il se laissa rouler dans l'herbe. De sensations tellement
rares. Il caressa l'herbe. Tellement agréables. Il serra fort la bille dans sa
main. Extatiques
De la paume de la main, d'infimes vibrations de la sphère lui transmirent des
sons. .
"Ioustonne, on a un problème..."
C'est vraiment très étrange.
J'imagine que cet effet est du à la bille, mais j'ai du mal à l'expliquer. Je
crois qu'une démonstration sera plus efficace, et la seule vraiment parlante.
J'ai trouvé cette bille un week-end de mai. Elle n'a rien de spécial, si ce
n'est qu'elle est métallique et brillante. Elle doit faire dans les deux
centimètres. Nous étions partis en famille nous promener en forêt. J'avais
l'intention de faire une partie d'un chemin de grande randonnée qui grimpait
jusqu'à un vieux château, et de manger là haut. Nous avons donc gambadé la
matinée parmi les frondaisons, longeant pendant un temps la rivière. Vers
treize heures, nous sommes finalement arrivés au sommet, à l'aire de
pique-nique que j'avais repérée. La pelouse en avait été fraîchement coupée.
Comme le soleil commençait à bien nous réchauffer, nous avons alors décidé de
ne pas utiliser la table et de nous installer à même l'herbe. C'est là que
Victor trouva la bille. "Regarde papa, c'est quoi, ça?". La bille ne
l'intéressait pas, il était plutôt voitures et maquettes, et se trouvait trop
vieux pour jouer aux billes. Moi aussi, bien sûr, mais j'en avais la nostalgie.
Elle était lisse, brillante, un peu comme ces billes de roulement que j'allais
chercher chez le forgeron du village étant petit. Cela faisait d'excellents maillets.
Je l'ai empochée et joué machinalement avec le reste du trajet. Je suis sûr que
le soir même, Victor l'avait oubliée.
Moi, je l'avais mise sur mon bureau, et elle trônait là, à côté des plumes,
stylos et du papier. Oui, j'écrit en ce moment sur ordinateur, mais j'aime
reprendre la feuille, de temps en temps. Ce soir là, je jouais de la bille à la
main gauche, de la plume à la main droite. C'est là que je me suis rendu compte
de quelque chose de bizarre. Il a fallu du temps pour que je me rende compte
que c'était dû à la bille.
Maintenant, je vais placer la bille sur mon avant bras, maintenue contre la
peau par un de ces bandeaux anti-sueurs de tennisman. Cela me laissera les deux
mains libres pour taper au clavier.
J'ai trouvé cette bille un jour où la lumière encore douce enchante les verts
nouveaux. Elle n'a rien de spécial, si ce n'est son éclat graphite et son
toucher à la fois froid et sensuel. Elle est de la taille d'un œuf de caille.
Nous étions partis nous promener en forêt, Victor, Manon et moi. Le chemin que
j'envisageais nous mènerait au vieux château de Lontzen, d'où nous pourrions
contempler la vue, tout en dégustant la salade de pâtes prévue pour le
pique-nique. Sous-bois frais, humus tendre et gravillons imprimèrent nos sens
pour quelques heures. La rivière instillait son parfum acide, tout en donnant
de la douceur aux troncs, dont la mousse couvrait la rugosité. L'ail des ours
me rappela sa présence par sa fleur délicate. J'en grignotai une feuille,
piquante, fraîche, gardai le reste pour le repas de midi. La main de Victor
prenait des forces dans la mienne pour la montée au château. Le soleil était
déjà au plus haut, les gargouillis dans le ventre, et la salive en bouche.
L'herbe rase nous attira immédiatement, invitant par l'ivresse de ses tiges à
la sève débordante à un toucher plus doux. Délaissant le vieux bois à échardes
de la table nous nous allongeâmes avec plaisir, offrant nos plantes et paumes
au massage des petites pointes souples, nos faces au chauffage lumineux. C'est
alors que Victor trouva la bille. Il me la tendit en me posant une question que
j'ai oubliée. La bille me rappela ma jeunesse, les billes de roulements
récupérées chez le forgeron, la feu, la chaleur du métal, les étincelles
rougeoyantes, le mouvement hypnotique du marteau qui s'abat, encore et encore.
Sur le chemin du retour, la bille resta dans ma poche. Mes doigts caressaient
le métal lisse, passant de la toile souple et rêche à la bille douce et dure.
Le soir même, elle trônait sur mon bureau, jetant son éclat vif parmi les
stylos bleus et bruns, éclipsant la blancheur lisse du bloc de feuilles. Ce
soir là, je jouais de la bille à la main gauche, de la plume à la main droite.
Ce soir là, mon écriture s'enrichit de sensations, d'adjectifs, d'odeurs et de
saveurs. Ce soir là, j'ai compris que la bille était particulière.
Je me demande ce que cela donnerait dans les mains d'un auteur talentueux.
Utiliser 10 mots au moins parmi les quatorze suivants : "Certificat - Ascension - Souvenir - Place - vaillamment - Air - Charme - Qualité - Découvrir - Tous - Afin - Fait - Signature - Instant". Pas de genre imposé, mais une variante : le plus court c'est le mieux.
Et de un (Jean-Louis, 05/06/2003)
Convocation (Jean-Louis, 06/06/2003)
Pachamama (Jean-Louis, 06/06/2003)
Il a fait à l'instant un exercice dépourvu de qualité ou de charme, mais se place vaillamment premier devant tous les autres. A-t-il réalisé cela afin d'obtenir un certificat à l'apposition de sa signature?
"Bonjour Monsieur, j'aimerais..."
"Stop! Certificat, qualité?"
L'homme a l'air buté du bouledogue à qui on essaye de faire avaler du Whiskas
au saumon, et le charme d'une agrafeuse industrielle. Je place ma convocation
sur son bureau et appose ma signature dans son registre. Il semble me découvrir
à l'instant.
"Qu'est-ce qui vous fait croire qu'on a besoin de vous?"
"Eh bien, si mes souvenirs sont bons, et ils le sont tous, c'est vous qui
m'avez demandé. Con-vo-ca-tion, c'est écrit là dessus"
---
Le mot est magique. L'agrafeuse à tête de bouledogue semble se souvenir du fait
et oublie le certificat.
"Tous les péquenots qui passent ici essayent de trouver une place sur
l'instant. Ils oublient qu'afin de découvrir la qualité, il ne suffit pas
d'avoir l'air intelligent et de disposer d'une belle signature, il faut encore
gravir vaillamment les échelons, et ce n'est qu'au terme de cette ascension
qu'il peuvent espérer la reconnaissance."
---
Et pourquoi cette convocation, je lui demande. Car, l'air de rien, cette place
désuète et sans charme me fait l'effet d'un de ces hôpitaux dont le souvenir
exact m'échappe. Je ne comprends pas ce qui attire tous les autres et j'entends
bien le découvrir. Ascension sociale ou littéraire, afin que l'on reconnaisse
votre signature?
"Mon cher, la qualité de tes écrits a éveillé notre intérêt". Je
déteste sa familiarité immédiatement, mais prête une oreille attentive à la
suite
---
Afin d'obtenir ce certificat de qualité, preuve de ton ascension sur Litté,
fait vaillamment et en un instant cet exercice: place tous ces mots dans un
texte court. Souvenir - Air - Charme - Découvrir
N'oublie pas ta signature
---
Découvrir à l'instant un souvenir
Fait d'air, de buis et de charme
Apposer comme seule signature
L'ascension de tous nos sourires
Vaillamment portés devant les armes
Afin de contrer les dictatures
Je signe, puis pose mon bic, un sourire aux lèvres.
C'était dans l'air.
Un air lourd et sec.
Anita n'aurait jamais dû le provoquer ainsi.
Derrière, l'ombre de l'auvent tombait droite, comme pour se faire remarquer le
moins possible. La poussière s'infiltrait entre les planches blanchies par le
soleil. Une musique métallique s'échappait vaillament d'un vieux poste. Juan
venait de découvrir un insecte cherchant l'ombre de sa botte. Anita, hija da
p... Poings serrés, jointures blanchies, il fit un mouvement du pied. Souleva
un peu de poussière en le reposant brusquement, afin de l'écraser. Des gouttes
de sueurs perlèrent à son front.
De l'autre côté de la place, un chien, haletant, le regardait, couché au pied
d'un cactus candélabre. Un vieux sachet plastique tourbillonnait entraîné par
une sarabande de poussière. L'hôtel, blanc, immaculé était le seul bâtiment de
qualité de la bourgade. Murs en pierre, étages. Hôtel de charme, chambres de
passes, fenêtres fleuries.
Anita.
Puta!
Jointures blanchies, poings serrés sur la crosse et le canon de
Jua
Juan était fermement campé dans la poussière, dans la terre.
Poings serrés, jointures blanchies, le fusil était l'excuse; la position,
essentielle. Dans sa tête, des souvenirs remontaient. Des souvenirs du début du
monde, des souvenirs de terre torturée, de forces primaires. Juan avait oublié
son grand père et son enseignement, la colère l'avait fait revenir. Les anciens
noms pulsaient de leur puissance, invoqués à l'endroit même d'une de leur
dernière ascension. Les vieux noms étaient toujours vivants.
L'air était lourd et sec. Le ciel se plomba soudain de gris. Le chien se mit
gronder, puis à hurler. Un autre grondement, bien plus terrible, pris le
relais. Juan leva les bras et psalmodia. La terre se souvint alors des force
des origines. Elle se souleva, tressauta, se déchira. Et l'hôtel s'écroula en
un instant d'éternité. Des moellons s'éparpillèrent sur la place, au milieu des
masures en bois. Les vieilles planches avaient tenu.
Quand la poussière retomba, Juan découvrit à ses pied une fleur rouge, arrachée
juste sous la corolle.
Qui déjà se flétrissait.
C'était dans l'air.
Comme dans "La métamorphose" de Kafka, s'imaginer se réveiller dans la peau de quelqu'un d'autre : le serial killer number one au sortir d'une transe, la boulangère du quartier près de son mari qui s'étouffe, un pianiste de renommée internationale dans sa loge avant un concert ou n'importe qui d'autre au choix... Dans tous les cas de figure, dès le réveil il faudra improviser car l'action est imminente. Il faut (ou non) relever le défi. Ah oui, pas de chance (?), vous vous êtes réveillé dans la peau de l'autre sexe.
D'enfer (Jean-Louis, 07/05/2003)
Quaoar (Jean-Louis, 08/05/2003)
Un rien schizo (Jean-Louis, 12/06/2003)
Wah, le trip!
Extasy et carton-LSD, fameux cocktail, rien de mieux pour se défoncer à mort.
Et défoncer cette belle salope.
Nom de Dieu, le trip qu'il se prend. Il en bandait d'enfer. La gosse, elle
avait eu le malheur de se balader seule après minuit. Fallait écouter ta môman,
ma fille! On sait jamais les mauvaises rencontres qu'on peut faire. Avec la
lame de rasoir sur la gorge, elle a dessaoulé vite fait. Et elle a avalé bien
gentiment les petites pilules qu'il lui a donné. Il aime bien quand elles
avalent. Ah ça ma fille quand on sort en boite faut pas trop boire, et faut pas
rentrer seule chez soi, non faut pas. On fait des bêtises quand on boit.
Merde, quelle trique. Elle était encore groggy quand il l'avait sortie de la
camionnette. Il l'avait alors attachée sur le lit dans cette piaule infecte.
Infecte, mais à l'écart de tout. Elle s'était réveillée petit à petit quand il
a commencé à la déshabiller à coup de rasoir. Elle a bougé et crié, mais pas
trop. Sans doute parce que le rasoir l'a un peu coupée. Des seins blancs avec
des petites lignes rouges, c'est joli, il a tracé quelques autres lignes, pour
l'équilibre artistique. Des lanières et lambeaux de vêtements l’entouraient,
comme une corolle. C'est là qu'il a eu l'idée du trip.
Maintenant, la chambre pulse. Le lit gonfle, tendant sa fleur de chair vers se
narines. L'odeur blanche et rouge, la corolle de dentelle fanée, un tableau, et
ce tableau faisait exploser son sexe. Les yeux fous de la fleur - tiens, ça a
des yeux, une fleur? - battent dans son ventre, une symphonie de tambours et
cymbales saluent sa métamorphose. Il est un papillon, c'est le printemps. Il
repense aux histoires de sa môman, les papillons, les fleurs, le butinage.
Qu'est-ce qu'il allait la butiner. La butiner à fond, bon sang, avant qu'il
n'explose, du brouillard rouge dans les yeux, de la bave au bout des orteils.
Quel trip! Ses sens étaient tellement mélangés qu'il se voyait maintenant à
l'envers. De l'extérieur. Il était la fille attachée sur le lit. Il se voyait
bandant accroupi au dessus d'elle - de lui. Il n'en était plus à une
incohérence près. L'expérience totale. Il allait sentir ça de tous les côtés.
Il allait se défoncer, se déchirer. Merde, quel trip, c'était bon! Il lui fit
écarter les cuisses un peu plus, avancer le bassin. Elle le faisait d'elle même
sans qu'il le demande. Allez, maintenant. Je vais te baiser maintenant, salope!
Un temps mort. Elle laisse redescendre ses hanches. Maintenant, merde,
maintenant, je veux sentir ça. Mais non, il débande. Le gourdin d'enfer, il ne
le sent plus. Il voit son sexe se ramollir. Il le voit toujours de l'extérieur,
d'ailleurs. Il se rend compte que depuis quelque temps, depuis qu'il a eu
l'impression d'être a la fois lui et la fille, il n'est en fait plus lui. Le
brouillard rouge s'est dissipé, il est attaché sur le lit, nu. Il - elle - a
froid, et mal. Bah, juste des petites coupures, mais putain ça fait mal. Elle
crie. Allez, baise-moi connard, baise-moi, lopette. Lui, il s'est relevé à côté
du lit, le pantalon en accordéon sur une cheville. Il l'a regardée. Dans ses
yeux perdus, une lueur de compréhension. Il - elle - a compris aussi, a son air
paniqué. Apeuré. Jamais il n'a eu l'air apeuré, lui. C'était sont air à elle.
Dans ses yeux à lui.
Il, elle, lui, elle. Merde, quel trip. Le délire total.
Il, non, elle a regardé sa main qui pend mollement le long de sa cuisse poilue,
tenant le rasoir. Puis l'a regardé lui, allongée sur le lit. Attachée. Sans
défense. Elle lève sa main, lève le rasoir, se penche vers lui. Elle applique
le rasoir sur un sein, tranchant vers l'extérieur, appuyant légèrement. Une
dépression se forme dans la chair blanche. La fille se débat, tire sur ses
liens. Elle hurle, il hurle. De sa voix de fille. Me touche pas salope, c'est à
ton corps que tu fais ça, t'as pas intérêt à ma saigner. Détache-moi, conasse.
Conasse. Il hurle, de la férocité et de la peur encadrées par de long cheveux
lisses étalés sur la matelas puant. C'est à ton corps que tu fais ça. Il
remonte sa main, regarde le rasoir puis la fille. Il se regarde attachée, sans
défense. Puis il passe derrière le lit, derrière elle, caché. D'un coup de
rasoir, il tranche l'attache d'un poignet, puis l'autre.
Bon sang, le trip, la douleur dans la gorge. Il est à genoux, toussant,
crachant. Ses couilles touchent le carrelage froid. Lui, lui, lui, il est lui à
nouveau. Ecstasy-LSD, saleté de trip. Dans les brumes de sa mémoire, il se
souvient vaguement qu'il a libéré la fille. Un moment de folie, sans doute. Il
doit se relever et la rattacher. La salope! Qu'est-ce qu'il est faible. Il
tousse, cela fait un drôle de bruit, il a mal. Plus jamais mélanger ecstasy et
LSD, putain, je vais m'évanouir. Il a encore la force de lâcher le rasoir, et
de remonter la main vers sa gorge. Sa main poisseuse tâtonne, ses doigts
plongent dans une ouverture béante, un dernier jet projette un liquide chaud.
Il sombre en entendant des sanglots. La pauvre fille est triste, sans doute.
Môman...
Le lifter Naudin entrait dans l'atmosphère
ténue et glacée de la dixième planète avec à son bord huit mercenaires en
transe de combat. Des brutes clonées aux muscles puissants et à l'intellect
bridé.
Les drogues alliées au lavage de cerveau propre à la mission effectué lors des
dernières heures de trajet avaient implanté dans leur esprit les mots de
commande spécifiques à cette mission. Tuer, voler, détruire.
Tuer les renégats qui avaient espéré trouver refuge si loin. Voler le résultat
de leurs recherches, bien que le commanditaire doutât de leur avancement. Enfin
détruire, raser, exploser. Tout cela sans état d'âme, plongés dans cette transe
hypnotique si particulière qui avait ouvert l'ère aux soldats parfaits, achetés
par les multinationales dirigeant le système solaire.
Les particules de gaz capturées dans le champ électromagnétique du vaisseau commencèrent
à s'ioniser.
Malgré l'absence de dégagement thermique excessif lors de la rentrée en
atmosphère, le lifter fut repéré à son halo de plasma généré par les
supraconducteurs de la coque. La station minière avait depuis longtemps été
dotée d'instruments de détection et d'observations performants. Trente secondes
plus tard, Sonja et Parvila étaient dans leur couche, le casque de contrôle sur
la tête. Le cœur battant follement, les deux sœurs se forçaient à taire leur
angoisse. Le premier test sera le dernier. Si l'imprégnation de transe ne
fonctionnait pas comme ils l'espéraient, ils étaient tous perdus. L'antenne
radar hors dôme pointée sur l'intrus, Sonja referma ses doigts sur la bille,
aussitôt imitée par sa soeur.
John Doe 1172 cligna soudain des yeux, semblant se réveiller et failli pousser
un cri de joie. Cela marchait! Elle sentait chacun des muscles rouler sous sa
peau, le treillis militaire grattant et irritant celle-ci. Tout était tellement
lumineux et bruyant, que son premier réflexe fut de se recroqueviller, de se
fermer. Comment supportaient-ils ça? Et ce goût de bile dans la gorge était
affreux. Les drogues de transe, sans doute. A moins que ce soit une
imperfection dans la bille de contrôle? Se forçant au calme, elle regarda ses
compagnons, repérant finalement celui qui regardait curieusement son entourage.
Leur regards se croisèrent, ils se sourirent.
"Waw, ils sont beaux". John Doe 1034 s'approcha d'un de ses
semblables et soudain, plaçant une main derrière sa tête, l'embrassa à pleine
bouche.
"Parvila, arrête de faire la gamine, on a un boulot à faire"
"Hihi, il est mignon, regarde il a l'air tout perdu". Le mercenaire
s'était reculé, clignant des yeux, articulant un 'Quoi, Que' tout faible.
Sonja cherchait un moyen de détruire le vaisseau avant qu'il ne soit trop
proche. La combinaison de l'infime friselis du réfrigérant, le l'altération du
métal, et la baisse très locale de température lui permit de repérer
l'alimentation du réfrigérant des supraconducteurs passant dans la coque externe.
Sans ces sens bizarrement exacerbés, elle n'aurait jamais pu le repérer.
Imperfection ou pas, elle en était reconnaissante.
"Parvila, si on détruit la réfrigération, en combien de temps crois-tu que
les supraconducteurs vont griller? Cela bloquerait au moins la propulsion
magnétohydrodynamique." En se retournant, elle vit que sa sœur avait
commencé de déshabiller l'infortuné clone, perturbant profondément celui-ci.
Mais les autres aussi montraient des troubles, certains voulant intervenir,
d'autres ayant lâché leurs armes, se serrant la tête dans les mains. Ravalant
les commentaires prêts à fuser, Sonja profita de la diversion pour diriger son
laser sur la paroi. Maintenant le faisceau sur le point précis, le métal grade
trois de la coque se mit à rougir, puis blanchir avant d'exploser sous la
pression de l'azote liquide qui se répandit instantanément dans l'habitacle.
D'abord un brouillard, puis de fins cristaux de glaces masquèrent petit à petit
les occupants
"Allez soeurette, on décampe! Je ne veux pas connaître le résultat de la
perte de l'effet MHD à cette vitesse. L'imprégnation de transe n'a jamais été
testée lors de trauma violent, et il peut y avoir un choc en retour."
Les deux sœurs relâchèrent la bille en même temps, réintégrant leur couche juste
à temps pour voir sur les écrans de poursuite la destruction du lifter. Comme
s'il avait reçu une baffe en plein vol, le ralentissant de près de
"Waow les filles, on peut dire que vous y avez mis le paquet. Il était
armé de buckyballs d'antimatière, ou quoi? Comment vous avez réussi à faire
exploser cette navette?"
Sonja sourit, enfin soulagée. "Le doigté féminin, mon cher. Ca et un tout
petit coup de laser bien dirigé. Rapides mais fragiles ces vaisseaux,
hein?"
"En tout cas le test concluant. Je crois que je comprend pourquoi ils on
voulu étouffer ces recherches sur l'imprégnation de transe. Moi ça me plaît en
tout cas. La nouvelle version des John Doe est impressionnante. Dommage qu'il
n'y avait pas l'odeur... faudra revoir la bille de contrôle"
Parvila s'étira en passant lascivement une main sur ses hanches et ses seins.
Sonja soupira en secouant la tête.
Une plaque indiquant Dr Like, J. Un
cabinet de psychiatre, bureau, divan, un fauteuil confortable lui tournant le
dos. Classique. On sonne à la porte. Un homme, la bonne quarantaine, blouse
blanche, vient ouvrir.
"Bonjour docteur"
"Bonjour madame Paws. Permettez que je vous débarrasse ?"
Il accroche son manteau dans la penderie.
"Je vous en prie, installez vous. Vous n'êtes pas de celle que le divan
gêne ?"
"Non, pas de problème. Et puis c'est un tel cliché que j'imagine que cela
aide à parler. Le divan de Pavlov, quoi"
"En effet. Eh bien commençons."
Il a pris un carnet et s'est assis dans le fauteuil, lui tournant le dos.
"Comme je vous l'ai dit au téléphone, je suis sujette à des crises de
schizo aiguës."
"Hum. Expliquez-moi"
Il s'installe plus au fond de son siège et ferme les yeux.
"En fait, d'un moment à l'autre, je me prends pour un homme. Et je vis
complètement la vie de cet homme, je ressens tout ce qu'il ressent, mais je
sais que je suis une femme !"
"Mm mmm ?"
"Cela dure parfois quelques minutes, parfois quelques heures, et je
reviens à moi en sursaut, souvent effrayée. J'ai de plus en plus peur que ça
m'arrive à nouveau. "
Elle ferme les yeux à son tour.
"Et à chaque fois, c'est un homme différent. J'ai fini par me rendre
compte que c'étaient des hommes que j'avais côtoyés de près ou de loin.
Docteur, j'ai peur de voir des gens, peur que ça me reprenne"
"Mmmm.. theu theu !" Bruit de gorge qui racle
"J'ai l'impression que ça me reprend, docteur, je n'ose pas ouvrir les
yeux. Vous entendez ma voix, vous l'entendez ?"
"Mmmrrrhh theu !"
La patiente sur le divan tousse un bon coup, ouvre les yeux et se redresse d'un
bond.
"Nom de dieu ! Nom de dieu de bordel de merde !"
A cette exclamation, l'homme ouvre les yeux, et se met à geindre.
"Ooooh, non, ça a recommencé. Je suis vraiment folle hein, docteur ?"
L'homme en blouse blanche s'est levé du fauteuil. Il est catastrophé.
"Je suis tellement folle que je me vois devant le divan. Oh mon dieu je
suis vous, mon dieu, mon dieu, mes tranquillisants, vite !"
L'homme se lève et prend le sac de la dame au pied du divan. Il fouille
rapidement et en ressort un flacon. Il s'apprête à l'ouvrir quand la dame lui
saisit la main
"Hé là qu'est-ce que vous comptez me faire ingurgiter ?"
"C'est du Midazolam, il me faut absolument cela, sinon je deviens
folle"
"Mais c'est beaucoup trop puissant, vous êtes fou ? Enfin folle ! Vous
allez vous faire du tort avec cette saloperie. Enfin je veux dire que je n'en
ai jamais pris et je ne veux pas commencer. "
"Mon dieu, pauvre de moi, je viens chez un psy et il me dit que je suis
folle. Je ne veux pas finir à l'asile, je préfère en finir tout de suite."
L'homme lâche le flacon qu'essayait de lui retirer la dame et se dirige vers la
fenêtre. En quelques secondes il a ouvert le grand battant et fait mine de
vouloir enjamber le rebord. La dame se rue vers lui.
"Mais vous êtes complètement timbrée! Enfin non je veux dire... ne faites
pas ça, il y a sûrement une solution."
La femme réussit à faire reculer l'homme sans trop de peine.
"Mais je suis folle, il me faut des médicaments, vous allez prendre soin
de moi, docteur, vous allez me soigner ?"
"Non, vous n'êtes pas folle nom de dieu, c'est qui le médecin, ici ?
"
La femme se rend compte qu'elle vient de hurler et porte une main à son front.
"C'est moi qui devient folle, heu fou, ici. De quelques minutes à quelques
heures, avez-vous dit ? Et comment ça se termine ? Comment ça s'est passé dans
le cas le plus court ? "
"Le plus court, c'était le monsieur dans la voiture de sport, je crois. Je
me suis retrouvé sur la route, et ça allait vite, mais vite. Je n'ai jamais
essayé d'apprendre à conduire, vous savez ? Ca allait tellement vite que quand
j'ai vu le camion arriver en face, j'ai eu très peur, et j'ai mis mes mains
devant mes yeux, et puis je suis revenue à moi."
"Quoi ? QUOI ? Mais vous êtes fo..."
La femme ouvrit le flacon qu'elle avait encore en main et sorti fébrilement
quelques gélules qu'elle avala directement.
"Les autres comment ça c'est terminé avec les autres ? "
"Vous me faite peur. Je croyais que ça devait être calme, un médecin. J'ai
juste envie de pleurer."
"C'est la catharsis, le choc. C'est fait exprès pour faire revivre et
assumer vos émotions. Je suis le médecin, faites-moi confiance, et maintenant,
RACONTEZ MOI LES AUTRES, MERDE!"
"Eh bien je me souviens d'un, j'étais tellement déprimée que je suis allé
dans un bar, et j'ai bu pour que ça passe, j'ai bu toute la soirée et puis y
avait plein de gars gentils qui parlaient avec moi, je leur ai offert à boire
toute la soirée. C'étaient des gars à moto. Normalement, ils me font un peu
peur, mais pour eux, j'étais un mec. Et puis je me souviens plus très bien,
j'avais trop bu, je les trouvais sexy, puis je me suis rendu compte que je
n’avais pas d'argent. Je leur ai dit que ce n’était pas grave, que je voulais
bien coucher avec eux, puis y m'ont foutu des baffes, ça faisait mal. C'est
quand un d'entre eux a commencé à me taper avec un batte en fer que je me suis
réveillée".
"C'est pas vrai mais c'est pas vrai!"
La femme avait rouvert le flacon et repris quelques gélules
"Vous savez, c'est vrai que c'est fort. Je n'ai jamais pris qu'une gélule
à la fois, moi, vous ne devriez..."
"Ca va, c'est moi le médecin, ici, oui ou merde ?! Et les autres hein, les
autres, ils ont tous fini de façon violente, les autres ? "
"Ah, maintenant que vous le dites... Les derniers en fait j'étais
tellement déprimée que je me suis suicidée à chaque fois. Enfin, en imagination
seulement, parce que je me réveillais normale à tous les coups. En fait je n'y avais
pas pensé comme ça. Vous croyez que cela veut dire quelque chose à propos de
mon inconscient? On avance, alors, ça marche votre catharmachin, là?"
"Mais je m'en fous de toi vieille folle, ton inconscient tu te le fous où
je pense, moi tout ce que je veux c'est récupérer mon... récupérer..."
La femme se met à pleurer et s'assied sur le fauteuil. Elle avale encore
quelques gélules directement au flacon. L'homme s'assoit à côté d'elle.
"Allons, vous ne me choquez plus, vous savez, maintenant que je sais que
c'est un truc pour la thérapie. Je me sens mieux, vous aviez raison. Vous
croyez que si je me sens mieux, je vais redevenir normale, ne plus être victime
de schizo?"
La femme s'affale sur le divan en pleurant de plus en plus faiblement.
"Je ne veux pas, non, je ne veux pas, rendez-moi mon corps, rendez le
moi,... rendez..."
La femme est complètement allongée et immobile maintenant, elle vient de
laisser échapper le flacon ouvert. Une seule gélule en tombe.
"Bien, merci beaucoup, docteur, je crois que je vais faire comme vous. Je
vais rentrer chez moi et dormir, je suis persuadée que tout rentrera dans
l'ordre."
L'homme prend le sac de la dame, va chercher son manteau dans la penderie,
hésite un instant puis retire sa veste blanche avant d'enfiler le manteau de
fourrure. Il sort et se retourne avant de refermer la porte.
"Vous m'enverrez vos honoraires, bien sûr, docteur."
Exercice de travail sur
Les bons, le niais et le truand (Jean-Louis, 13/05/2003)
Le fabuleux destin (Jean-Louis, 14/05/2003)
1 Narrateur neutre.
Les plafonds sont hauts, très hauts. L'espace perdu des constructions
démesurées est le même partout. Empli de chuchotements. Ou de paroles, de cris,
peu importe, l'espace en fait des chuchotements, mais des chuchotements qui
résonnent, qui emplissent tout. Il est assis. La quarantaine, chic bon genre,
les vêtements des moments importants. Il sort à nouveau un mouchoir de sa
poche, en déroule un morceau, se mouche, l'enfonce de retour, déformant le
tissu d'un vêtement visiblement coupé sur mesure et non prévu pour un mouchoir
en boule. L'homme n'y prête aucune attention. Les paroles qui résonnent dans
les haut-parleurs ne lui font plus dresser l'oreille, il est entièrement
focalisé sur l'espace devant lui, sur le panneau d'affichage.
L'homme se lève, met la main dans la poche de son veston, la ressort sans rien,
nerveusement. Il soupire, se rassied. Reprend en soupirant à nouveau le journal
à sa droite. Des cours de la bourse qu'il a déjà regardé trois fois.
Fauteuils de métal, escaliers de verre, étrangers éternels de ces cathédrales
cosmopolites. L'homme a l'air d'être seul, mais deux personnes sont avec lui.
Un regarde la piste d'envol, au travers des vitres. Son regard est focalisé sur
la vitre elle-même, sur les reflets. Il porte un complet gris, coupé
impeccablement, une oreillette high tech le relie à son GSM. L'autre s'est
acheté récemment un magazine de sport, le feuillette distraitement. Il croise
et décroise ses jambes, comme s'il voulait montrer ses baskets fatigués, et son
jeans déchiré. Il écoute son Walkman. Deux fois, il est allé boire une bière,
emportant son sac de sport. A chaque fois, il est revenu s'asseoir près de
l'homme, à une place différente, mais toujours le gardant en vue.
L'affichage cliquette. Les plaquettes tournent, révélant les changements
d'horaires. L'homme qui attend s'est levé, se rapproche de la porte d'arrivée
des vols. L'homme qui observe la piste s'est légèrement déplacé sur la gauche
et regarde maintenant dans la direction des avions qui atterrissent. La double
porte vitrée s'ouvre sur un nouveau flot de voyageurs, à majorité asiatique.
L'homme s'est relevé vivement. Il observe, tendu, le flot discontinu.
Puis soudain sourit. S'arrondit, s'assouplit, se relaxe. Il lève un bras,
arrêté à mi-chemin
L'homme à l'oreillette s'est retourné, et s'approche. L'homme au sac de sport
se lève à son tour.
2 Narrateur tu
Tu l'as voulu mon vieux. Tu te demandes si tu es amoureux, c'est ça? Tu sais
qu'elle est plus jeune, que vous avez soigneusement évité de vous promettre
quoi que ce soit. Comme s'il était évident que c'était inutile. Tu n'oses pas
te demander si elle, l'est encore, après six mois. Amoureuse. Ou si elle l'a
jamais été. Tu te mouches à nouveau? Curieux comme ces petits tracas touchent
tout le monde, hein? Les puissants, les pauvres, les forts et les cons. Et toi
tu es con, mon vieux. Tu n'as rien fait, tu as juste envie d'être amoureux, tu
as envie d'accueillir ta petite amie, simplement, et on te colle un garde du
corps qui fait semblant de regarder les avions. Un, ou plus, moins tu en sais,
mieux c'est. Tu as beau vouloir être débarrassé de cet observateur
professionnel, tu n'as pas ce pouvoir. Et ce mouchoir qui déforme ta poche. Ton
couturier va s'arracher les cheveux, dès qu'il saura.
Hong Kong flight delayed. Shit! Tu jures en anglais, Laurent, tu te caches? Tu
as l'âge de dires des gros mots dans ta langue tu sais. Hé, mais qu'est-ce que
tu fais? Ta main dans ta poche? Tu n'as plus de cigarettes, tu te rappelles?
C'est pour elle que tu as arrêté, tu le sais bien.
Relaxe! Etudie encore ces colonnes, mon vieux. Voilà quand même des choses
qu'on t'a apprises et que tu maîtrises. Racheter des Corporate Network.
Revendre des Real Software. Tu as bien fait d'en acheter contre l'avis des
traders il y a quelques semaines.
Hong Kong flight landing. Enfin! Tu es un gamin, vraiment. Tu t'es vu,
impatient, tu ne penses qu'à ta nana, ta petite perle d'Asie, ton docteur en
finances personnel. Tu es fier d'elle, de sa réussite, de son intelligence. Tu
sais que tu n'es qu'un con parachuté au sommet. Tu espères aussi que c'est le
con qu'elle aime, pas le sommet. Tu veux oublier les gardes du corps, tu
veux... tu...
Mon Dieu, la voilà. Qu'elle est belle.
3 Il
Treize heure seize. L'avion de Hong Kong devrait arriver dans quinze minutes.
Laurent est impatient. Un vrai gamin. Cela risque de compliquer les choses.
Espérons qu'il ne fasse pas de bêtises du genre s'interposer. Trois fois qu'il
se mouche. Et il regarde toujours ce panneau comme s'il allait changer à chaque
seconde, comme si son regard avait le pouvoir d'accélérer le temps.
Oui, les gardes du corps sont là. L'officiel fait semblant de regarder la
piste, mais observe le reflet. Il ne peut pas me voir. L'autre, j'ai failli ne
pas le repérer. Mais ses yeux l'ont trahi. Un gars qui boit sa bière ne fouille
pas des yeux la salle comme ça. Lui, je ne crois pas qu'il m'ait vu mais cela
se peut. Il faudra en tenir compte aussi. Laurent a mis sa main en poche. Ha,
il a arrêté de fumer il y a sept mois, il ne va sûrement pas commencer
maintenant. Qu'est-ce qu'il est tendu. Ca y est, il reprend encore le journal.
Il va finir par les connaître par cœur, les cours de la bourse!
Ca y est l'avion a atterri. Ils vont sûrement mettre à jour le panneau. Oui,
voilà: Hong Kong flight landing. Il est déjà debout! Si ça tombe, il ne
remarquera rien.
Ca y est, les premiers occupants du Boeing arrivent. Avec l'arrivée du vol,
tout le monde s'est levé, tout le monde bouge, le brouhaha s'est intensifié. Il
va bientôt l'apercevoir. Les deux gardes du corps se mettent en route. D'abord
celui avec son sac de sport. Ca y est, la voilà. Il vient de la voir, c'est
étonnant comme son corps entier s'est détendu d'un coup. Il lève le bras,
presque timidement. Il ne voit plus qu'elle, c'est le moment.
L'homme en salopette poussa la cireuse un peu plus vers la gauche, droit vers
le gars en vieux jeans et basket. Il appuya sur la poignée de l'engin, qui émit
un petit plop feutré. Le gars en baskets sursauta, puis s'affaissa. La cireuse
fut dirigée ensuite vers l'homme à l'oreillette.
La bille apparut un jour. Un mardi à 13h17
exactement, mais qui cela intéresse-t-il? Martin fut le premier. Au retour de
l'école, il l'aperçu dans le caniveau. Brillante, lisse, métallique. Il la prit
immédiatement dans ses mains. Elle était belle, il l'ajouta à son trésor. Il la
cacha dans une boite. De nombreuses années plus tard, la boite était oubliée,
de même que sa cachette.
Amélie trouva la boite. Elle adorait fouiller les greniers les pièces
poussiéreuses. Elle s'installa sur le cuir craquant du fauteuil pour en
explorer le contenu. Et fatalement prit la bille en main. Un vendredi à 20h42.
Amélie eut un spasme. Elle regarda la boite avec curiosité, puis remarqua son
environnement. Elle se leva et chercha la porte du grenier, très nerveuse. Elle
cria plusieurs fois "maman" avant de regarder la main qui serrait la
bille. Une main ridée mais ferme malgré les soixante ans d'Amélie. Trouvant
enfin la porte, elle descendit en pleurant, en criant. Arrivée sur la rue, le
trafic la fit vaciller, elle lâcha la bille. Retrouvant alors son équilibre,
elle secoua la tête et rentra chez elle.
La bille roula sur quelques mètres avant de s'immobiliser dans une rigole.
Aurélien la vit le lendemain, samedi, à 04h... mais cela n'a pas d'importance.
Aurélien avait mis une cagoule, des gants, et dans son sac à dos, il avait deux
tournevis, un pied de biche et une lampe de poche. Il ramassa la bille
brillante sous le lampadaire, l'observa un instant et la mit dans sa poche. Il
s'approcha ensuite de la maison d'Amélie. La porte d'entrée était fermée à clé.
Aurélien sortit le pied de biche puis se ravisa. Il prit une vieille carte de
banque, enleva son gant puis la fit jouer entre le pêne et la gâche. La porte
s'ouvrit. Avec un sourire, il replaça la carte dans sa poche. Ses doigts se
refermèrent sur la bille, il sursauta. Puis entra en secouant la tête, s'essuya
les pieds, et alluma l'interrupteur. Il s'arrêta brusquement à la vue de son
reflet dans le miroir du hall. Il vit la bille dans ses doigts. Il fronça les
sourcils, puis un demi sourire lui vint aux lèvres. Il alla s'asseoir dans le
fauteuil du salon et examina son sac, les doigts bien serrés sur la bille.
J'étais heureuse d'avoir déménagé dans cette nouvelle maison. J'avais plein de
pièces à fouiller, et tout le temps du monde. J'ai trouvé le coffret deux
semaines après mon arrivée, et devine ce que j'ai trouvé dans ce coffret? La
bille, bravo! Alors, je ne sais pas si ta petite tête de délinquant pourra
comprendre, mais je continue mon histoire.
J'étais installée confortablement dans le vieux fauteuil du grenier, et j'avais
ouvert la boite. Il y avait dedans des trucs de gosses, un gros scarabée, une
pièce de cinq francs, d'autres bibelots, et cette bille. Dès que je l'ai
touchée, j'ai eu un trou. Je ne sais pas ce que j'ai fait, mais je me suis
retrouvée sur le bord de la rue. Sur le moment, cela m'a inquiétée. C'est cela,
Alzheimer? Une perte totale de mémoire, ne plus savoir ce qu'on fait? Je suis
rentrée, toutes les portes jusqu'au grenier étaient grandes ouvertes. J'étais
triste en allant dormir, parce que je ne comprenais pas. J'ai toujours été
fière de mon intelligence, ma mémoire, mes capacités de déduction. Et ce matin,
je te trouve ici, dans mon salon. J'ai eu peur, oui, mais je me connais, je
sais que la peur ne m'empêche pas de réfléchir. Et c'est ça qui m'a sauvée et
qui te met en fâcheuse posture, mon petit. Il semble que cette bille, vois-tu,
transfère la personnalité de son dernier possesseur, au moment de la trouvaille
précédente. Quand je l'ai trouvée, dans le grenier, et que j'ai eu ce trou
noir, j'ai sans doute été "occupée", et je le mets avec des
guillemets, je n'ai pas de bonne explication, j'ai donc été "occupée"
par un enfant qui a pris peur et qui s'est enfui. Et au vu de la boite et de
son contenu, je dirais que l'enfant a été terrifié par la circulation et les
bolides de la rue. Il a lâché la bille. Et quand tu l'as prise, c'est avec des
gants. Mais pour une raison ou une autre, tu as retiré ce gant et pris la
bille, juste après avoir ouvert ma porte. Je suis une vieille dame de soixante
ans, peut-être, mais dans ma tête je ne suis pas si vieille. J'ai réussi à me
persuader. Ce fut une expérience très intéressante que de découvrir tout cela à
deux. J'ai fini par me laisser persuader et t'ai attaché. Comme tu es jeune et
fort, j'ai préféré serrer. Et comme apparemment l'occupation laissait à désirer
point de vue des sensations tactiles, il est possible que j'aie serré un peu
fort, oui. Le bâillon aussi, nous avons décidé que ce serait mieux. Ah, voilà
les agents qui arrivent. Je te souhaite bonne chance avec la police, mon petit.
Putain, merde, saucissonné comme une andouille. Tu t'es fait avoir comme un
bleu. Elle devait t'attendre, la vieille, c'est pas possible. Elle a sûrement
un spray de combat, la vache, t'as même pas eu le temps de dire ouf. T'as
ouvert la porte comme un chef, le truc du cinéma avec la carte de crédit, pas
d'effraction pas de bruit, et hop, le trou noir. Y a quoi, deux, trois heures
que t'es dans le gaz? Il fait clair, en tout cas. La vioque, qu'est-ce qu'elle
a serré, j'ai sûrement les bras bleus. Ca fait maaaal! Et merde, tu vas pas te
mettre à chialer devant elle, non? En plus, elle débloque ferme cette conne,
avec ses guillemets. Tu l'as ramassé, cette bille, ouais, mais ça t'a rien
fait, non? Tu l'as plus prise après cette bille, hein, t'as juste ouvert la
porte, c'est tout. Sans le gant oui, et alors, tu vas pas croire les débilités
qu'elle raconte cette folle. Merde, faut que tu te renseignes sur les produits
qu'on trouve sur le marché. Un black-out complet, que t'as eu, un fameux spray.
Elle est quand même fortiche, ça a pas du être jojo de te transporter ici,
t'asseoir sur la chaise, puis de te ligoter. Tu te rappelles quand t'as du
attacher ce gars que t'avais un peu estourbi, tu l'avais attaché, mais à terre
finalement. T'enrages, hein Aurélien. T'aurais jamais cru ça, une vieille,
seule, qu'est là depuis seulement deux semaines. Ouais, t'as mal, ouais, elle
t'a saucissonné du tonnerre, mais tu vas pas la croire, hein? Elle te montre la
bille emballée dans un morceau de velours rouge. C'est juste une bille, nom de
dieu! Tu vas pas croire ces débilités, tout de même? Mais elle est folle, ça
oui, et tu vas le raconter aux flics. Et elle sera internée et tu seras vengé.
Internée, oui, à l'asile, la vieille débile. Ah oui, que les flics arrivent,
que tu respires enfin, qu'on libère tes bras et tes jambes qui te font si mal.
+++
Bonjour Mahmoud
Oh, bonjour Amélie, comment allez-vous?
Très bien. Dites, en bons musulmans, vous pratiquez bien la fête du mouton?
Oui, je comptais justement aller en acheter un au marché.
N'en faites rien, il se fait que j'avais acheté un agneau pour mon fils, mais
il n'en veut pas. Je vous l'offre, cadeau de bon voisinage.
Oh, c'est très gentil, mais je vous l'achète.
Non, je vous en prie, c'est à moi que vous ferez plaisir en le tuant. Il
n'arrête pas de bêler depuis ce matin, alors que hier, il était attaché à son
piquet et broutait tranquillement.
Le mouton, qui avait un petit nœud de velours rouge attaché à la corde de son
cou, fut traîné vers son destin en bêlant. Amélie souriait. Il était 15h23.
Dans l'idée du portrait, écrivez une histoire courte. Deux personnes se séparent, avec joie ou tristesse. Ensuite, un autre auteur réécrit cette histoire, reprenant au maximum ses éléments (lieux, personnages), mais inverse les sentiments
Si l'univers le peut (Jean-Louis, 17/06/2003)
Tous les deux dans la même pièce.
Seuls.
C'était sans considération aucune pour la pauvre pièce qui ne leur avait rien
fait. Une pièce, sobre, de dimensions modestes, genre parallélépipède rectangle
pourvue des ouvertures et décorations adéquates ça et là. The déjanted mother
et le mini-cafard agité dans la même pièce. Piclune et Puceron. Madre de Dios!
Himmel Gott! Roger un muscadet! Ca n'a pas fait un pli, ça en a fait deux. De
gauche à droite puis de haut en bas. Un univers entier replié dans une pièce et
trois secondes. Ce fut comme une charge de rhinos dans un champ de pavots bien
murs. Un vol de billes migratrices perforant nos sens et déformant la matrice.
Je ne peux que m'imaginer ce qui s'est passé dans cette pièce, car bien sûr
Piclune, en hôte attentionnée et respectueuse, a délicatement déplié l'univers
comme nous l'aimions avant de sortir de la pièce tous sourires dehors. Des
sourires débordant d'ailleurs sur le pauvre Puceron qui essayait en vain de
protéger son auréole des éclaboussures. Il n'empêche, les pales de la casquette
à Piclune tournaient à l'envers, et contre toute attente, Puceron ne zézayait
plus en la regardant. De grandes choses étaient survenues. Entrons donc dans la
pièce suspecte et analysons les traces.
Rose bonbon. Toute la pièce est rose bonbon, tu parles d'un résidu. Je
m'apprête à demander à Puceron si c'est un effet de bord du quantasswa
équationnel, lorsque je m'aperçois que le pliage universel m'en a bouché un
coin. Et que la couleur de la pièce doit être dans ce coin, perdue avec je ne
sais quels souvenirs. Et puis tout le monde sourit, béat. Un effet de l'odeur
de pavot résiduelle combinée à la couleur? Soit, gardons la couleur. La
moquette au sol avait été tondue de près, rien à redire. Le chat, par contre, a
disparu, et dans le bocal, Forstychou (mon poisson rouge) avait disparu aussi.
Enfin, à sa place un gros poisson gris et moustachu lança un air de reproche à
Puceron. Ce dernier le captura d'un habile mouvement de son auréole et se mit à
discuter pureté de sentiment et coloration du reproche avec Piclune. Jowel, mon
tournesol (ben quoi, je surnomme toutes mes plantes, moi) n'était plus tourné
vers la fenêtre. Je me suis dit qu'on avait déplacé le pot, mais je me suis
rendu compte qu'il faisait face à Piclune. Et que chaque fois que je ne
regardais pas, il ajustait sa position. Pliage, dépliage, mais ça reste
chiffonné, hein! Un petit coup de repassage cosmique n'aurait pas été du luxe,
les tourtereaux! Je passe en silence sur les photos de mes enfants (un éléphant
en tutu rose sautant à la corde avec une musaraigne, heureusement que le grain
de la photo permet d'observer les détails) et de mes derniers voyages à
Borograd (une gravure tirée d'un Jules Vernes vers la lune, c'est effarant les
détails de cette gravure, je suis parfaitement reconnaissable au travers du
hublot de l'obus).
Hum, la pièce est toujours parallélépipédique, les ouvertures sont à leurs
places et tout le monde est content. Je n'ose demander plus.
Merci Piclune, Puceron, à la prochaine fois... si l'univers le peut.
Ils avaient l'air heureux en repartant chacun de leur côté.
Vous êtes Monsieur Loyal d'un cirque imaginaire. Ecrivez un boniment pour présenter un ou plusieurs numéros en débordant très largement par rapport à ceux que l'on a l'habitude de voir dans un cirque classique. Accessoires insolites, animaux mythiques, décors hyper fabuleux autorisés. Lâchez-vous!
Madame Loyale (Jean-Louis, 07/08/2003)
Madame
Loyale
Bonjour les petits éléphants! ('tain ça fait con)
Bonjour les parents, bonjour les zôtres!
Z'avez pas pu résister et vous avez bien eu raison. Ce soir encore la fête sera
au rendez-vous du formidable, du fantastique, de l'exploit à peine croyable.
(mais tiens-toi droit bon sang, et souris, souris!).
Oui, le cirque de Zanzibar a tous les numéros d'un bon cirque, d'un excellent
cirque. Il a les trapézistes et les fauves, les clowns et les animaux savants.
Les équilibristes et les jongleurs. (sauf le bonimenteur, merde!)
Mais en plus, ce cirque, c'est une famille unie, heureuse. Dans nos numéros,
vous ne verrez que du bonheur et de la joie. (souris quand tu dis ça! quand
c'était elle qui le disait, ça faisait tellement vrai)
Mario et Gina, nos trapézistes, se sont mariés il y a trois ans, et le petit
Livio est toujours très heureux d'observer ses parents le soir. Il rit autant
de leurs acrobaties que vous allez en frémir. Nous sommes une famille heureuse.
(merde, des larmes, maintenant. putain de boulot. allez, droit, bien droit.
regarde-moi ce miroir en face)
De l'exploit, vous en verrez aussi avec Alonzo. Alonzo vit avec ses fauves, il
ne faut pas l'énerver, surtout quand il a la tête dans la gueule du lion. Une
fois, Alonzo a été surpris par des cris d'enfants et il a mordu la langue du
fauve, le pauvre. (quand elle disait ça, ça faisait rire, toi tu es pathétique.
tu es vraiment con de l'avoir poussée à bout).
Et le clown vous fera sourire, non pas rire. Habituellement on rit des malheurs
du clown. Pippolo vous fera sourire de tendresse et de bonheur. Pippolo est
notre maître à tous et devrait être remboursé par la sécurité sociale. (tu
aurais du garder un rien de Pippolo en toi hier soir. au matin, elle aurait
encore été là, et tu ne serais pas en train d'essayer de faire son boulot
devant un miroir)
Gontrand l'hercule est mon grand frère. Vous allez admirer sa force et son
équilibre. C'est lui qui va faire les courses au supermarché, il n'a pas son
pareil pour porter les packs d'eau et les casiers de bière à bout de bras. Moi
je dis qu'il fait ça pour épater les caissières, lui dit qu'il s'entraîne.
(mais que disait-elle encore, moi je n'arrive à dire que des bêtises. merde je
t'aime, je fais quoi, sans toi? )
Dehors, le bruit s'intensifie. Des enfants crient. Le bois qui racle, des pas
qui résonnent, les gens parlent.
(c'est l'heure mon vieux, l'heure de t'ouvrir le cœur devant l'audience.
entends-les, prêts à te dévorer. soulève tes pieds, elle n'est pas là, elle
n'est plus là, tu dois faire son boulot.)
Costume rouge sombre, queue de pie traînant jusque dans la sciure, monsieur
Loyal s'avance sous les spots. Le brouhaha s'estompe. Des gens retournent en
vitesse à leur place. Une jeune femme se jette presque sur la rambarde de
l'arène. Elle pleure. Elle sourit.
Une main devant les yeux pendant une seconde, éclipsant les spots, et monsieur
Loyal sourit. Ses yeux brillent, son sourire gonfle, occupe toute l'arène avant
de s'envoler vers le public.
"Mesdames, messieurs, mes petits maîtres (il s'incline légèrement), mes
amis, bienvenue dans le cirque du bonheur..."
Il a l'air tellement heureux que déjà sur les estrades, les gens commencent à
sourire.
Il était une fois… aujourd’hui
Interprétations cruelles ou marrantes de contes connus.
Ashley (Jean-Louis, 02/08/2003)
Ashley
" Ashley, il y a encore trois poêles à nettoyer, mais que fais-tu donc de
toutes tes journées ? J'ai encore dû me plaindre à ton père pour la vaisselle
la semaine dernière, ne m'oblige pas à recommencer. "
" Oui mère. "
Laura prit le seau en fer et la pelle, et entreprit de vider le poêle de la
chambre de Ginger.
A l'ère du tout au nucléaire, il existe des nations où l'on est conservateur de
père en fils depuis Mathusalem. Ou plutôt de mère en fille. Et à Londres, à
l'époque de Mathusalem, il faut croire que tout le monde vivait dans des
maisons victoriennes avec, O luxe suprême, un poêle à bois ou à charbon dans
chaque pièce. Et cette foutue bonne femme (Oui, mère) dont son père s'était
entiché après la mort de sa vraie mère était Victorienne jusqu'au bout du plum-pudding.
(C'est une maison familiale unique mon cher ! Le chauffage central ? Et
dénaturer ainsi cette splendide propriété ?). Qu'ils n'étaient pas du même
niveau social s'était très vite fait sentir, et la seule option de son père fut
le silence résigné (Yes Darling, tu as raison ma chère). Oh Daddy, je te
plains.
Ses deux demi-sœurs étaient presque pires. Elles avaient très vite pris le ton
condescendant de leur mère pour s'adresser à elle. Très tôt, elle fut de corvée
nettoyage, surtout pour les cendres. Elle avait eu le malheur de sortir une
phrase de sa mère, celle d'avant, et d'avoir donné l'exemple. La cendre est un
très bon fertilisant, je vais en mettre autour des rosiers. Elle dut en mettre
partout. Faut dire qu'elle n'était pas sans jugeote, la petite. Elle a vite
proposé de s'occuper des jardins des propriétés avoisinantes, contre
rémunération, bien sûr, ce qui eut le don d'exaspérer ses demi-sœurs. Depuis ce
jour Laura fut appelée Ashley, celle des cendres, et dut s'en occuper
continuellement.
Dix-sept pièces, douze poêles, trois feux ouverts, dix mois par an. Ashley
était toujours couverte de poussière, elle mettait d'ailleurs presque toujours
le même jean et tee-shirt, ce qui faisait jacasser encore plus Ginger et
Lizbeth.
+++
Mathusalem est cependant mort depuis bien longtemps, et Londres a tout ce qu'il
faut pour que les jeunes puissent s'éclater la nuit. Ministry of Sound, Turnmills,
Heaven, The End, The Fabric, Brixton. Academy... Dans ces boîtes on trouve de tout: des
wasp, des grunges, des paumés, des fils de la haute incognito, et assez de
shit, liquid X, speed ou ecstasy pour faire planer ces petites pétasses. Et
avec la bénédiction maternelle, en plus ! (Amusez-vous bien les filles, soyez
discrètes avec les garçons, et de grâce ne me ramenez pas un sans le sou ou un
sans nom.)
Ginger et Lizbeth étaient toutes excitées et parlaient ouvertement devant leur
demi-sœur. Ashley avait dix-sept ans depuis deux jours, et elle avait décidé de
mettre un point final à ces railleries.
" Si, je t'assure, Gin, William sera à cette nuit spéciale DJ australiens.
Et on vient de dire dans les journaux qu'il n'y avait rien de vrai avec son
histoire avec cette top model espagnole. "
" Mais je suis certaine que oui, je le tiens de Betty, la fille de son
garde du corps. "
" Alors ils ont rompu. Un cœur brisé à consoler, tu te rends compte ?
"
Et les deux filles de rigoler de plus belle, puis de parler tenue, petit top
aguicheur, pantalons voiles, ou plutôt la jupe Gucci, en cuir fuchsia, non ?
" DJ australiens ? Goodwill et Nervous y seront certainement, alors. Les
filles, pour une fois, je vous accompagne ! "
Leur tête ! Ashley dut se retenir de leur rire à la figure. Inutile de dire que
la résistance se fit immédiate et traîtresse. Elles allèrent rechercher deux
des sacs de cendres et les dispersèrent dans les âtres du salon et de la
cuisine, répandant la cendre partout. Ceci, bien sur quelques minutes avant de
revêtir leur tenue pour la spéciale Australian night.
Sa mère en colère lui interdit d'aller où que ce soit avant que tout ne soit
propre. Mais Ashley avait plus d'un tour dans son sac, en l'occurrence le
nouveau sac à double filtrage du super Hoover3000, capable d'aspirer toute
poussière, et que personne ne l'avait jamais vu utiliser. Elle se gardait bien
de dévoiler les atouts du modernisme à la vieille.
Bon, bien sûr Ashley n'avait pas d'habits de marque. Mais William était un
garçon honnête que l'idée de la couronne d'Angleterre n'avait pas corrompu. Il
s'intéresserait plus à la fille qu'aux livres sterling portées sur la peau.
Oui, mais encore fallait-il qu'il la voie, cette fille !
C'est sa défunte mère qui lui donna la solution. Pour ses seize ans, elle
s'était fait percer le nombril et portait un petit anneau discret qu'elle
pouvait enlever à sa guise. Les boucles d'oreilles ! Les émeraudes
scintillantes qui n'avaient jamais quitté le coffret qu'elle avait reçu de sa
mère ! Une d'elle allait enfin servir. Cela, William ne pourrait le rater.
Un top court et immaculé sur un jeans taille basse, une paire de basket, et la
superbe parure fichée dans son nombril. Son bonheur à l'idée d'aller réellement
à cette party faisait briller ses yeux verts encore plus que l'émeraude de son
ventre.
La suite fait partie déjà de la légende. Bien qu'arrivant tard à
Le royaume entier fut au courant de la nouvelle idylle le lendemain matin. Fait
surprenant, Buckingham ne fit aucune déclaration, aucun démenti.
+++
La suite n'est relayée que par quelques rumeurs dont personne ne peut arguer de
la véracité. William n'aurait eu que cette photo de nombril comme souvenir
d'elle, l'autre photo étant de moins bonne qualité et cachant presque
totalement Ashley. Que cette photo et la boucle, bien sûr. Il aurait chargé
plusieurs de ses amis de chercher discrètement le ventre plat de sa dulcinée.
C'est ainsi que des gens se mirent à demander à des filles en rue s'ils
pouvaient photographier leur nombril. Ils les photographiaient tous, mais ne
seraient intéressés que par certains. Ils auraient soigneusement mémorisé les
formes stomacales de la belle, et quand une de celles-ci leur semblait
correspondre, ils l'inviteraient à une séance privée, avec la demande de mettre
la boucle dans le nombril.
Il a été dit qu'une fille a entendu parler de cela. Il a été dit que lors d'un
gala où était présent le prince William, une jeune fille pleine de poussière
essaya d'entrer. Il a été dit que cette fille avait des yeux brillant d'un feu
aussi vert que celui de la boucle unique qu'elle portait à l'oreille droite. Il
a été dit que le prince attiré par le raffut a vu la boucle et la fille. Il a
été dit plein d'autres choses aussi. Il a été dit que rien de tout ça n'est
vrai. Il a été dit que ces fêlés qui faisaient des photos de nombrils ne le
faisaient que pour leur plaisir. Oui, il a été dit cela aussi.
Réussir une introduction de roman de suspens représente une performance indispensable pour accrocher le lecteur dans les vingt premières lignes. Selon la technique condensée d'une virgule radiophonique, invitez-nous dans une action immédiate au coeur d'une intrigue. Tous genres acceptés : thrillers, série noire, SF, cyberpunk, historique, collection rose (pourquoi pas?)... Contrainte : 200 mots exactement.
Tuer encore (Jean-Louis, 24/07/2003)
Une vie moins ordinaire (Jean-Louis, 25/07/2003)
Mon Dieu (Jean-Louis, 30/07/2003)
Le citationneur (Jean-Louis, 01/08/2003)
Elle était cernée. Ces damnés mutants se
régénéraient trop vite. Quand elle avait tué le premier, le découpant d'un coup
de lame habile, une joie sauvage s'était emparée d'elle. Plus que trois,
s'était-elle dit. Elle s'était payé le luxe de s'éponger le front d'un revers
d'avant-bras, trempant encore un peu plus son treillis sali. Alors, à son
horreur, elle vit les deux parties du corps charcuté de la bête bourgeonner,
changer de forme et se relever. L'horreur étreignit son cœur et lui paralysa le
cerveau. Toute certitude disparut, elle se sentit soudain mortelle et eut peur.
C'est cette peur qui allait la sauver. Là, elle se trouvait en terrain connu.
Elle la remplaça par la froide lucidité des exercices sur Eridani, et des
droïdes de combat d'Ariel. Elle respira un grand coup et se remit en garde, un
pas en avant, la lame droite, verticale. Il lui faudrait les mettre hors de
combat sans les tuer...
Dans sa tête, elle passa au niveau cinq des exercices d'Ariel, en se promettant
d'éliminer en premier les deux nouveaux, qu'elle nomma mentalement Beta et
Gamma. Elle essaya d'oublier que dans les exercices, elle n'avait jamais
survécu plus de trois minutes à ce niveau.
"J'attends..."
Il y avait plein soleil, il faisait chaud, j'étais allongé, mais il était
évident que je n'allais pas attendre des heures.
Ralenti, sépia, sourires. Une femme, un enfant, un homme. Moi. Une petite
famille ordinaire. Il y a trois mois, il y a trois vies. Deux s'étaient
éteintes définitivement. La troisième oscillait, encore incertaine.
"J'attends toujours..."
"T'es dingue mec, je comprend pas. Tire-moi de là, merde!"
La sueur dégoulinait le long de mon bras. Les muscles étirés protestaient. Tant
qu'ils protestent, c'est qu'ils tiennent.
Une famille ordinaire. Un crime odieux. Un rescapé. Une seule raison de vivre:
la vengeance. Et puis l'enquête, celle officielle, puis la privée. Enfin, une
certitude. La poursuite en montagne. Le raccourci, l'embuscade sur le pont. Une
vie de douceur et de gentillesse condensée en rage, en violence dans des poings
qui frappent, des mains qui poussent et qui finalement retiennent in extremis.
Allongé sur le bord du pont, sous le soleil, bras dégoulinants et torturés, un
homme suspendu dans le vide, dont la vie dépend de quelques fibres musculaires
qui se remplissent lentement d'acide lactique, dont la vie dépend de la poigne
de celui qui le retient, une poigne qui devient glissante de transpiration...
Je suis mort il y a treize jours et j'ai
l'impression que c'était il y a des siècles.
Nous sommes le trente juillet. Anne-Aimée n'a pas encore commencé à pleurer,
mais la main qu'elle tient, ma main, ne la serrera plus jamais en retour. Je
sais qu'elle a souvent pleuré durant ma longue et douloureuse maladie. En
cachette. Elle voulait être forte et souriante devant moi. Moi, je lui montrais
que je la croyais, autant que je pouvais. Je pouvais bien faire ça pour elle.
Longue et douloureuse, tu parles. J'ai jamais apprécié les faux-culs, les mots
feutrés, les sentiments arrondis. Le cancer est une foutue maladie
d'hypocrites. Enfin, maintenant, c'est fini, les langues se délient, les corps
se relâchent. Anne-Aimée ne pleure toujours pas.
Je ne me rappelle pas vraiment ce que j'avais imaginé de la mort, et de ce
qu'il y a après. Je ne m'attendais pas à ça. Une liberté totale. Mais une
liberté terrestre, pas d'angelot boudiné, pas de voix céleste, pas de tunnel et
de lumière éblouissante, ni plan élevé de conscience.
Nous sommes le trente juillet, je peux tout voir, tout entendre, aller ou je
veux.
A ce moment, je ne savais pas encore
Le citationneur
Je parle wallon et français
Je parle aussi allemand, yiddish, inuktitut.
Je parle dalmate, cinghalais, toungouse, nahuatl, penjâbi. J'ai un peu oublié
mon étrusque, que je n'ai jamais beaucoup pratiqué, mais je pourrais encore
converser en mycénien, sumérien ou copte.
Je pourrais, si quelqu'un le parlait encore.
Je m'appelle Jean. Je m'appelle aussi Mothep, Hyanut-Tepetl, Hui-Nee, Sigfried,
Caius, Isaac. J'ai quatre mille huit-cent ans, et j'ai la grippe depuis trois
jours. Je ne passerai pas l'hiver.
Il faut que je vous dise.
J'ai toujours aimé les phrases choc, les bons mots. J'aime les paroles qui sont
dites pour l'éternité. Forcément. Et c'est incroyable comme les phrases
résistent mal au temps. J'ai du les inventer pour la plupart. C'était moi qui les
inscrivais à la postérité.
" Tu quoque, filii", ça sonne bien, non ? Nettement mieux que "
Militia, militiii aaarg ! "
Je le sais j'étais là.
Et le " Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent
", pas mal, hein ? En fait, il était tellement essoufflé, le petit gros,
que tout ce qu'il a pu dire après cinq minutes de soufflets de forges c'est
" Diantre, c'est haut ! "
Laissez-moi vous raconter.
Partir d’une histoire réelle prélevée sur une rubrique de Faits divers, et développer. Contrainte : Le texte est composé de DIALOGUES, uniquement. Modifier impérativement les noms propres ou de lieux. Aucune référence à des personnes existant ou ayant existé ...etc.
Oui (Jean-Louis, 11/08/2003)
"Oui"
"Et vous, Ivan, Acceptez-vous de prendre Katherin pour épouse et de la
chérir toute votre vie?"
(Deux secondes de délai, crachoti statiques sortant du haut-parleur)
"Oui."
"Selon les lois en vigueur au Texas, je vous déclare donc mari et
femme."
(Appui sur une touche, quinze secondes de la marche nuptiale de Mendelssohn)
"Katherin, mon amour, je dois te laisser. Moscou veut me parler. Ils n'ont
pas l'air très heureux."
"Je t'embrasse, mon mari"
(déclic, la communication avec l'ISS est définitivement coupée.)
"Capitaine Baletchenko, vous connaissez le règlement, je crois.
Pouvez-vous me citer le passage relatif au mariage entre officiers russes en
service actif et personnes étrangères?"
"Mon général, ce règlement date de plus de quarante ans. La situation
politique a bien évolué depuis."
"Vous pensez donc que les secrets militaires n'ont plus de raisons d'être?
Que nous pouvons nous vendre car nous n'avons aucune valeur?"
"Non mon général. Certainement pas!"
"Qu'elle soit née Ekaterina Mostrieva n'empêche pas qu'elle soit
totalement américaine. Je crois que vous venez de dire adieu à votre carrière
spatiale. Quand je pense au coût des communications entre la station et la
terre. Tout ça pour un mariage! Je devrais vous facturer ces dix minutes
tiens!"
"Mon général, les communications privées avec les proches ont toujours été
gratuites!"
"Tout comme l'envoi de costume de cérémonie sur un de nos Progress, sans
doute? Eh bien, on va changer quelques points de ce règlement qui est si vieux,
comme vous dites. A partir de maintenant, plus question de mariage depuis
l'espace. Peu importe ces stupides lois américaines qui autorisent cela."
"Au fait, Ivan..."
"Oui, mon général?"
"Félicitations! Vous partez où en lune de miel?"
Mariage étoilé entre le Texas et l'espace
Un cosmonaute russe (41 ans) , en orbite à environ
Trois paragraphes de max. 100 mots chacun. Le premier décrit et qualifie des bruits agréables. Le deuxième des bruits désagréables. On peut les inverser. Le troisième décrit et qualifie le silence. Prose poétique, métaphores bienvenues.
Chute tragique (Jean-Louis, 14/08/2003)
Sensasons divers (Jean-Louis, 14/08/2003)
Chute tragique
La côte normande, enfin. Après les trois heures de voiture remplies de musique,
de disputes de gosses, de plaintes de leur mère, enfin la côte et le parking
près du phare. Je sors me rouler dans l'herbe, me vautrer dans le silence, me
noyer sous l'horizon. J'ai couru jusqu'au phare, je me suis allongé sous les
mouettes curieuses. Le vent est doux, tiède. Il chatouille les longues herbes
qui chuchotent à mon sujet. Il apporte des nouvelles de la ligne par-delà les
monts d'iode. Il me raconte... il raconte des histoires à lui qui ne se
répètent pas.
"Kiuuuuu!" Le goéland est immobile au dessus de moi. Le vent a tourné
et m'apporte un bisou qui aurait du s'évanouir dans la distance. Des rires
d'enfant, aussi, mes enfants. Je me lève et les rejoints, on descend la
falaise. Les galets roulent, sonores, presque métalliques. Les vagues répètent
leurs soupirs. Les enfants lancent leur pieds sur le sable et dans les flaques.
Des sons éternels, des sons d'un autre siècle, des sons souvenirs si souvent
oubliés. La criée sur le port. Les hue-dia! des chalutiers à cheval. La sirène
du premier bateau qui rentre de la pêche.
Nous avons pris le chemin panoramique pour admirer la mer du haut des falaises.
Le petit dernier a mis je ne sais quelle musique à fond sur sa radio de merde.
Des gens sont coincés sur un parking. Ils klaxonnent depuis dix minutes. Le
vent a forci. Elvire me dit qu'il faudra faire des courses en rentrant. Que
j'ai encore oublié de ramener du papier-cul. Henri hurle soudain de douleur
puis d'énervement. Marie m'a arraché des cheveux! Le vent s'engouffre partout.
Dans les vêtements qui claquent, dans mes oreilles, dans ma tête. Il me
raconte... des histoires à moi. Je m'écarte pour l'écouter, yeux fermés.
Derrière moi, tout le monde crie.
Sensasons divers.
Un chat qui ronronne. Un poisson qui saute hors de l'eau un jour d'été. Une
cigale qui chante. L'eau qui coule dans le pastis. Une poignée de mains
vigoureuse. La dernière page d'un livre qu'on tourne. Le vent dans les ailes
d'un goéland. Le cliquetis du projecteur super huit. Le grincement des arbres
dans le vent. La neige qui crisse sous les pas. La sonnerie du téléphone quand
on l'attend. Le second rire d'un bébé. Le grondement d'un volcan. Le si bémol
d'un basson en bois. Oui. Le bruit de l'obturateur d'un reflex. Les cosses qui
explosent sous la chaleur du soleil. Le feu qui crépite. La plume qui écrit.
Le ventilateur qui grince à chaque oscillation. Le marteau piqueur. La
fourchette raclant l'assiette. L'enfant qui crie. La sonnerie du téléphone
quand on fait l'amour. Le lecteur CD qui bourdonne. Non. Le moustique, la nuit.
Le bip bip qui avertit que la communication va être coupée. Un camion qui
démarre. Les chenilles d'un bulldozer qui peine. Le vieux frigo qui se remet en
route pour la treizième fois dans la nuit. Le pilote qui annonce "nous
entrons dans une zone de turbulences". La disqueuse/meuleuse. La clé qui
casse dans la serrure. La tête de bébé qui sonne contre le coin de la table. Le
goutte à goutte du robinet qui fuit.
Deux regards qui se croisent. L'emmerdeur qui se tait face au dernier argument.
Les bouchons d'oreille qu'on retire enfin. Un sourire. Le soleil au bord d'un
lac de montagne. L'angine qui cloue au lit. La goutte d'huile dans la
charnière. La panne de courant au concert de U2. Discussion de sourds au
travers d'un hall d'aéroport. Une latte métallique qu'on rattrape au vol. Six sagaies
plantées dans la savane. La musique d'un film qui s'arrête au sommet du
suspense.
La première étape de construction d'une fiction, dans les ateliers d'écriture, consiste à brosser en une phrase le portrait d'un ou plusieurs personnages avec une particularité, un détail qui orientera sa (leur) réaction, ou donnera une direction au récit : par exemple une vieille dame qui découpe les visages de célébrités pour les coller en frise autour de sa chambre, un boucher atteint de hoquet chronique, deux soeurs jumelles obsédées par le trou dans la couche d'ozone... etc. Il est aisé, alors, de se jeter dans une intrigue. Ici, il s'agit d'enrichir la précision narrative en créant une fiction de 1000 mots maximum : UN EXTRAIT DE CHAPITRE SANS CHUTE, en poussant au point extrême l’étude d’un ou deux personnages (trouble intérieur, joie, histoire personnelle, stratégie, souvenirs, allure vestimentaire, tics, angoisses, manies...), et du décor (descriptions, paraboles…) dans le but d'exacerber l'ambiance et de pousser le plus loin possible la précision et les qualités narratives de l'auteur jusqu’à la caricature. C’est un exercice de style, ludique avant tout. Il est permis de donner deux versions qui se suivent à la suite l’une de l’autre, donc deux ambiances différentes.
CyberGuerre (Jean-Louis, 29/10/2003)
Clic-Clac (Jean-Louis, 30/10/2003)
(deux clins d’œil à Piclune)
Piclune souleva un instant la paupière
gauche de quelques millimètres, la referma presque aussitôt d'un coup sec,
essayant de redonner à sa physionomie la béatitude de l'ange heureux dormant
parmi les doux nuages de l'éternité.
Trop tard.
Elle avait aperçu la pièce blanche, éclairée par quelque veilleuse et autre
matériel médical ou militaire, son champ de vision bordé de cils lui laissant
entrevoir la phosphorescence verte et sinusoïdale d'une surveillance
encéphalique, ainsi que la gueule métallique noire de suie et de sang séché
d'un robot de combat, probablement en mode interrogatoire. L'odeur d'huile chaude
et métallique venait enfin de trouver une signification exacte, chassant de son
esprit les rêveries de garagiste aux bras nus et musclés, mains pleines de
cambouis et large sourire englobant tout autant la carrosserie rutilante de sa
voiture de collection que le galbe de ses jambes, galbe qui, aux yeux du beau
garagiste, remontait jusqu'aux épaules, en faisant quelques arabesques au
niveaux de sa poitrine.
Merde, merde, merde.
Le robot d'interrogation ne peut qu'avoir remarqué que je suis revenue à moi.
Deux secondes.
Elle avait deux secondes d'éternité avant que cette mécanique du diable ne
plonge sur elle, fixant ses poignets dans des cercles d'acier, fichant ses
seringues dans ses veines palpitantes. Dans cette saloperie de guerre, le
destin venait de lui donner une chance minime. Si tous ces foutus robots
disposaient de la même unité centrale d'interrogation, ce qu'elle avait
préconisé en son temps. Si personne n'avait créé une meilleure routine
d'intimidation. C'est comme cela qu'elle avait percé dans la profession.
Inspectrice Piclune. Laisser le suspect se réveiller de lui-même, qu'il croie à
sa sécurité dans les limbes du sommeil. Puis l'agresser physiquement, qu'il se
sente perdu, défait, totalement à sa merci. Son taux de réussite exceptionnel
dans ses enquêtes avait conduit l'équipe de CyberGuerre à recourir à son
expertise dans ce domaine. CyberGuerre, outre robots et engins téléguidés de
toutes sortes, développait plus particulièrement des intelligences
artificielles, ou systèmes experts, visant à l'autonomie de chacune des unités
mobile.
Elle était allongée sur un lit. Couchée sur un matelas médical, alèse plastique
au toucher inconfortable sous le drap de coton fraîchement repassé. Un autre
drap et une couverture bleue la recouvrait jusqu'aux épaules, sans pour autant
être glissée sous le matelas. Un de ses bras atteignait le bord du matelas,
sentant le poids de la couverture libre sur sa main. Prête à être soulevée et
jetée de côté. Elle portait un pyjama, son pyjama. Une veste, boutonnée sur le
devant. Bleue claire avec des petits Mickeys jouant au base-ball. Un pyjama en
pilou, doux et râpé, veste et pantalon court assorti. Celui dans lequel elle se
sentait le plus à l'aise.
Merde, ils ont vraiment suivi mes recommandations! Où ont-ils récupéré mon
pyjama, nom de dieu?
La gueule constituée de tubes et de tôles de protection venait de bouger, deux
lampes rouges s'allumèrent subitement sur le dessus. Des lampes situées dans
des renfoncements, des excroissances bulbeuses protégeant leur lumière
malsaine, comme deux arcades sourcilières allongées, donnant à l'ensemble un
féroce aspect lupin.
Pas le temps de réfléchir. Elle ouvre les yeux.
Le bras de Piclune se détend d'un coup, faisant voler le drap et la couverture
par dessus la tête de la bête métallique. Du mouvement de bras écartant la
couverture, elle se fit un balancier qui lui permit de sauter à bas de son lit,
du côté opposé, en une seule séquence fluide. Elle regarda avec avidité la
pièce, toujours éclairée parcimonieusement. Le mur à sa gauche, à la tête du
lit, était garni de divers prises, fiches et appareils. Une arrivée d'oxygène,
des sorties fibres pour laser médical, une paterne, trois entrées de
monitoring. Une salle de soins médicale. Peut-être d'accouchement. Au mur à sa
droite, une fenêtre presque entièrement cachée par des tentures. Il fait noir
dehors. Face à elle, de l'autre côté du lit défait, une chose qui s'agite sous
un drap. Une table avec des moniteurs, des fils par dessus le lit qui relient
sa tête à la boîte qui clignote et oscille de vert. Derrière, elle entrevoit
une porte close. Plus que probablement fermée à clé.
Saleté!
D'un geste rageur, elle arrache les fils qui la relient à l'encéphalographe.
Elle se redresse et se recule tout en fixant le robot qui, plutôt que de
chercher à enlever la couverture de ses senseurs, l'a prise dans ses pinces et
vient de la déchirer.
Piclune, ma fille, une idée en vitesse, ou tu peux dire adieu à ton public.
La main dans son dos vient de toucher quelque chose de métallique. Une poignée
de porte.
Piclune souleva un instant la paupière
gauche de quelques millimètres, la referma presque aussitôt d'un coup sec.
C'était devenu un tic dont elle ne parvenait pas à se débarrasser.
Elle ouvre la paupière. - clic -
Elle aperçoit une pièce blanche, du matériel médical ou militaire, une gueule
métallique noire de suie et de sang séché d'un robot de combat.
Elle ferme la paupière. - clac -
Clic - Un garagiste aux mains pleines de cambouis et au sourire plein
d'onctuosité avide se penche sur elle, tachant sa robe du soir en lamé blanc
d'huile de vidange sûrie par la transpiration - clac.
Clic - Trois petits couillons entrent dans la pièce, un avis d'expropriation
d'EDF à la main. Quoi, z'étiez pas au courant , ma'ame Piclune? On doit
construire trois hôtels de luxe, ici - clac
Clic - Une passe, une paaasse! Tu fais quoi, là, à garder le ballon pour toi ,
tu thésaurises? C'est bien les mecs, ça, dès qu'une gonzesse vient dans votre
terrain, vous l'ignorez! Hé Zin, tu en vois où, une nana, ici? Zin?
Piclune regarde ses bras, plaque ses mains sur sa poitrine, son entre-jambe.
Aaaaaah! - clac
Clic - clac
Piclune s'était donc couchée tôt, après une dure journée de création ('tain
comment elle fait, Dieu, après sept jours, il était exténué, même qu'il a plus
rien fait depuis.) suivant une dure semaine de création, elle-même suivant une
dure décenn... mais non, même indirectement, ce n'est pas bien de donner l'âge
d'une dame. Et puis, peut-on dire dure journée quand la journée commence d'un mouvement
fluide au bas du lit, couverture rejetée d'un mouvement ample, les doigts déjà
agités de mouvements spasmodiques, ne demandant qu'un clavier pour s'épanouir.
Non. Piclune, c'est une bonne femme branchée sur l'énergie du monde, jamais en
panne, jamais fatiguée, même que ça explique pourquoi je dors mal, que je suis
fatigué et que tous ceux que je vois sont fatiguées aussi. Genre capacité
électrique qu'on branche sur le courant et qui emmagasine une certaine
quantité. Sauf qu'au lieu de faire quelques millimètres ou centimètres, sa
capacité a un diamètre de cent vingt-deux années lumières. C'est tellement que
je sais que personne va vérifier pour me contredire.
Clic - clac.
Il a dévissé le capot du Président avec son couteau de survie,
Clic - clac.
C'était un cochon relativement bien élevé, portant costume rayé, pochette
assortie à ses yeux bleus
Clic - clac.
Deux ou trois fois par seconde. A la voir , on douterait qu'elle soit endormie.
Une mouche dans les yeux, une saleté à éliminer. Une saleté qui ne veut pas
partir depuis plus de vingt ans. Clic, clac : un univers entier. Clic-clac. Une
galaxie vient d'être sauvée. Clic-clac. Ma grand-mère vient de donner un baiser
à l'éternité. Clic-clac Multiprocesseur, multitâche, bus à cent-vingt huits
bits, encryption Piclune. Capacité de processing de trois point deux pétaflops.
Clic-clac Institut des Statistiques Emotionelles, état d'urgence. Individu
hors-normes découvert. Trois cent quatorze pour-cent en empathie, degré huit de
gentillesse, niveau quatorze en inteligence. Agent zéro, n'oubliez pas votre
mission: éliminer les extrêmes pour garder des statistiques cohérentes!
Clic-clac.
Elle dort.
Elle papillonne.
Elle ne débranche pas.
Mozin Festin façon Ferreri sauce Rabelaisienne
Un petit Mots Imposés pour la forme? (les formes... hum!) Ecrire la description d'un repas mondain et/ou familial en utilisant les termes gastronomiques suivants (15 mots imposés minimum) pour décrire les gens plutôt que les mets: Guimauve, gargantuesque, orgie, boudin, museau, bavette, poireau, liquoreux, aigre-doux, tripes, chou, croûte, vin, rôti, potiron, gras, dégoulinant, sauce, mousse, aigre-doux, sirupeux, oignons, jarret, gratin, canard, boeuf, lentilles. à vos fourchettes...
La dernière scène (Jean-Louis
10/11/2003)
La
dernière scène.
Tout allait de plus en plus mal. Polo avait récemment taillé une bavette avec
On s'était tous réunis dans la piaule de la mère à Marc le docker, pas qu'elle
faisait bien la bouffe, mais une table pour quinze, on trouvait pas ça partout.
Donc, tout le gratin était là, à se jeter des yeux de travers. Les fils Zebdés
reluquaient le Dédé l'air de rien. Le Dédé faisait la gueule à Barthel, qui
avait carrément accusé Thomas. Thomas, comme à son habitude lui a dit
d'attendre et de voir, avant de croire à des bêtises. Matt le bègue et Simon
gras-du-bide regardaient partout sans rien dire.
Geez avait l'air crevé, complètement rompu. Il a quand même fait comme
d'habitude et a coupé le pain pour tout le monde. Deux tours de manivelles, une
tranche. Deux tours de manivelles, une autre. Les dents de la lame circulaire
mordaient dans le pain sans effort. Une fois, il avait dit que ça le calmait de
couper le pain. Qu'il imaginait le cou de celui qui le trahirait pressé sur la
table, la lame tranchant la carotide. Il a dit qu'il récolterait le sang dans
une coupe et qu'il nous le ferait boire, pour l'exemple. Non, le boss y faisait
pas dans la guimauve, et le fait de savoir qu'il y avait probablement un
traître parmi nous rendait ce rituel vraiment sinistre.
"Je sais que quelqu'un m'a vendu", il a dit en s'asseyant. "Il
croit qu'il va avoir ma peau, mais y sera baisé, je vous l'assure."
"Marie, mon chou, tu peux amener la suite", il a dit dans le silence
religieux qui s'était installé.
Avec les carbonnades qui furent apportées, Geez avait ouvert un petit cubi de
rouge et il faisait le service.
"Tiens, et encore un petit peu de mon sang. Buvez-en tous..."
"Geez, ne sois pas si mélo, bon sang. Tu sais qu'on est tous tes potes,
c'est pas parce que tu crois qu'y en a un qui t'a vendu que les autres y vont
pas se battre pour te tirer de là, hein les gars", je lui ai dit.
"Faudra qu'ils me passent sur le corps avant de te faire la peau",
que j'ai même rajouté.
"Ta gueule, Pierrot. Toi, autant que les autres, tu feras comme si j'avais
jamais existé dès que les ennuis rappliqueront. Je suis sûr qu'à peine rentré
chez toi, tu diras à ta poule en train de t'astiquer le poireau que tu me
connais pas, et plutôt trois fois qu'une. Allez, buvez, emplissez-vous la
panse, que vous gardiez une bonne mémoire de moi."
Y a pas, il avait le don du dramatique, le Geez. Avec la scène qu'il nous
faisait, là, c'est sur qu'il aurait été engagé par Lelouch, au moins. En tout
cas, je commençais à avoir la chair de poule, et j'était pas le seul à pas être
dans mon assiette. En face de moi, Phil était dégoulinant comme un boeuf, il
faisait bien attention de ne plus regarder personne. Jaques marmonnait très bas
dans sa barbe "Mon sang, mon sang, des conneries, oui! Avec les
carbonnades, c'est une bonne petite mousse qu'y nous faudrait, pas du
vin!" Jaques, c'est la forte tête, celui qui veut jamais se laisser
impressionner. Mais qu'y chuchote ses remarques que pour lui ou presque
montrait bien qu'il en menait pas large non plus.
"Allons, mon chéri, mon tout beau, faut pas te laisser abattre comme
ça", elle a dit Marie, "Tu sais que si t'as vraiment des problèmes,
t'as qu'à demander à ton père"
"Ah ouiche, mon père. Y fait ce qu'y veut mon père, pas ce que je veux.
C'est pas parce que je m'assieds à sa droite lors du conseil qu'il ne va pas me
laisser subir mon petit calvaire personnel".
J'ai bien vu que Marie faisait un effort avec ses propos sirupeux, mais vu le
ton aigre-doux de la réponse, c'était un coup dans l'eau.
A la gauche de Geez, Juju le pédé en semblait tout retourné. On voyait bien
qu'il avait de la peine pour lui, qu'il ne supportait pas de le voir si tendu.
C'est presque sans y penser qu'il lui mit un bras autour de la taille et lui
dit "Tu veux que je te masse un peu, mon canard?"
Geez a explosé. "Nom de Dieu, mais ça ne va pas, non? Tu veux pas me
rouler une pelle, en plus, sale pédé?"
Juju plissa les yeux, et une étincelle méchante y passa. "J'en avais
l'intention, en effet." Puis il sortit un flingue qu'il braqua sur la
tempe du boss, tout poussant une trille d'alerte. Les portes s'ouvrirent à la
volée, des flics sortirent de partout.
C'est là que le Geez, il m'en a encore bouché un coin. Il s'est levé, tendant
les mains bien gentiment, et nous a exhorté au calme.
"Mes amis, pas de résistance, je vous en prie. En vérité, je vous le dis,
je serai hors de prison pour pâques au plus tard."
Il était là debout, bras levé, juste devant le spot halogène. Juju s'était
recroquevillé et pleurait. Tous les douze, on était attablés, abattus, avec
pleins de poulets en noir tout autour qui nous tenaient en respect. Tu parles
d'un tableau! J'en avais les tripes retournées. J'étais persuadé que le Geez
venait de nous livrer sa dernière scène.
Je me trompais, évidemment.
OUvroir de LIttérature POtentielle
Pour tous les Perec, Calvino & Queneau en herbe, un petit oligogramme: « Personne ne rit, tout le monde pleure! » Inspirez-vous de cette phrase et n'utilisez que ses lettres!
Personne ne rit (Jean-Louis, 20/11/2003)
Personne ne rit, personne ne pleure non
plus.
Le soleil illumine le monde d'une lumière tendre. Un merle déplie ses plumes.
Mireille sommeille sous l'orme dense, d'une posture déliée. Nous sommes en été.
Ses petits seins pointent sous son sous-pull imprimé posé dessus un tutu rose.
Elle est nus pieds.
Emmeline soupire. Elle respire l'été. Elle se remémore le rose. Une telle tenue
désuète remue ses sens usés. Trente, plus trente, plus trente, rit petite
Perle. Depuis tous les étés, une mémoire si nette. Il est moins dur d'être
impotent si on peut se remémorer éternellement, et Mireille lui permet de tels
errements.
Des murmures lisses et ronds lui mordillent les oreilles, Mireille remue et se
retourne. Sûrement, elle sourit en son sommeil.
Emmeline, Memmelie pour tous ses petits, sourit en retour. Elle opine, puis se
repose le menton sur les poumons.
Un sommeil lourd lui montre un monde meilleur. Non, le même monde. Elle se sent
Dieu, un moment. Un dieu drôle et imposteur, dénué de ministres. Elle rit en
son intérieur. Elle s'éteint lentement, seule et entourée des siens.
Tout le monde prie pour Memmelie.
Personne ne rit.
Tout le monde se remémore.
Personne ne pleure non plus.
Les nuées de lundi se sont dissipées. Nous sommes en été.
Vous n’auriez pas un entonnoir ?
Vous êtes un fou, ou une folle. Dans la cour de l'asile, dans le réfectoire ou le dortoir (enfin, trouvez le meilleur endroit), partez sur des propos érotico-rigolos en interpellant vos semblables ou le personnel soignant. La contrainte : évitez toute connotation rationnelle (bien sûr).
Je suis elle (Jean-Louis, 21/11/2003)
Encore ! (Jean-Louis, 24/11/2003)
Lettre au directeur (Phlomaso, 10/12/2003)
Je suis elle
- Ouais, c'est moi Piclune.
- Déconne pas, Jean-Louis, t'es pas assez dingue pour ça!
- Mais qu'est-ce que vous avez tous à m'appeler Jean-Louis? Vous êtes tous fou
ou quoi? Ah mais ouais, j'suis conne, bien sûr que vous êtes tous fous. Normal,
vu où on est.
Je hèle Pamphile, l'infirmier en vert, qui surveille la salle de télé. La lueur
glauque des nouvelles se reflète par intermittence sur son visage, lui donnant
une allure changeante, telle l'hydre à mille têtes, dont on ne verrait qu'une à
la fois.
- Hé, le pyrophore, juste pour une confirmation... Y sont tous fous, les gens,
dans cette salle?
- Tous malades, oui. A une exception près, en tout cas.
- Voilà, c'est cul Hèfdé. Vous êtes tous fous, ergo sum Piclune.
- Hé, Piclune.
C'était l'infirmier en vert, l'alfa et l'oméga de mes problèmes, le service
marketing de mon enfer qui s'adressait à moi. Il m'avait appelé Piclune, mais
sur un ton qui ne me plaisait pas.
- L'exception, ici, c'est moi. Toi, t'es suffisamment déjanté que pour être
Piclune, mais t'oublies le petit quelque chose qui fait la différence entre le
génie et la folie.
Il regarde dédaigneusement ma voisine qui avait encore piqué un rouleau de
toilette pour s'en entourer la figure. Au nom de Ramsès II, elle avait tourné
la tête et murmuré au travers du papier "On m'invoque, on m'appelle?"
- L'exception, hein? Comme si on pouvait croire qu'elle pouvait être Ramses ou
même Nefertiti. Y sont morts depuis bien trop longtemps, pauv'con. Moi, je suis
encore vivante, mais j'en avais marre de la célébrité. J'en avais marre que les
éditeurs, spectateurs, commentateurs et autres mateurs veuillent coucher avec
moi. J'ai simplement changé en quelque chose qui ne pouvait pas les attirer.
Pour faire discret et tranquille, quoi. Chirurgicalement très réussi, je dois
admettre. Et voilà où ça me mène. Bien vivante, mais entourée de débiles
profonds.
- Ah ouais? Et pourquoi y faut à chaque fois sauver Lou de tes sales pattes
quand lui vient une crise de Vestale-prête-au-sacrifice? Tu penses que Piclune
agirait comme ça?
- Ben quoi? Une femme peut apprécier la beauté et la jeunesse, non? Et puis
toute nue comme ça, au milieux de tous ces fous furieux, faut bien protéger les
jeunes âmes chastes, non?
- Ah, tu la protégeais? Pantalon baissé?
- Je lui montrais les miracles de la chirurgie moderne.
- Toi, tu vas pouvoir apprécier les miracles de la chimie. Et des vieux
composés tels le bromure.
Ahrrrrg. Je tire sur l'élastique de ma culotte de training. Je regarde en bas.
- Mon vieux Zidane, ça y est, je sais, c'est Pamphile qui t'a tué...
Encore
-Mesdames, Messieurs, bonsoir et bienvenue à la treizième conférence
internationale sur le bien-être sexuel des minorités exclues.
[ Les murmures de la salle s'apaisent, applaudissements modérés ]
-Avant d'entamer les participations des invités, je vous demanderai de bien
vouloir régler les chauffages au maximum. Tout nu, il fait un peu frais, et si
nous voulons passer aux démonstrations pratiques il serait préférable que nous
soyons à l'aise.
[ Ah ouais, ah ouais, à poil! Le chauffage d'abord. Il est tout nu? Je croyais
qu'il avait des vêtements roses... ]
-Nous allons commencer par Napo. Nous demanderons à chaque intervenant de bien
vouloir se déshabiller avant de passer sur l'estrade...
[ Ouais, à poiiiiil! Ca va, on a compris. Quelqu'un a vu ma souris? Je peux
garder mon gilet?]
-Chères minoritaires, chers minoritaires, bonjour. Excusez moi d'avoir gardé
mon gilet, mais un Bonaparte digne de ce nom se doit de garder une pose
illustre et où pourrais-je mettre mon bras, si ce n'est dans mon gilet? Comme
l'a dit mon illustre prédécesseur, "
[ Ouais, ouais, à poil! Ta souris est cachée derrière la porte. Vous trouvez
pas qu'il fait chaud, ici? Roger, un muscadet! ]
-Merci Léon, tu peux t'asseoir sur les genoux de mademoiselle.
J'appelle l'intervenant suivant, qui est une intervenante. Je vois qu'elle
s'est déjà déshabillée, parfait. Je vous présente Agnès Gonxha Bajaxhia,
j'espère que vous aimez les saints.
[ Ouais, à poil, tous les seins! C'est pas une souris, c'est un rhinocéros
laineux. Tout petit, d'accord, mais pas une souris. Oui, fait chaud, ma belle.
Attend, je t'aide à enlever ton pull. Et ta chemise aussi. Roger, j'attends,
fait soif, ici! Mais vous êtes trop lourd, m'sieur Léon ]
La vieille dame nue s'avance sur l'estrade. Ainsi surélevée, elle arrive à
regarder les autres dans les yeux.
-Mes chers frères et sœurs, je suis content de vous voir réunis ici pour
partager notre amour infini. Dieu a voulu que nous soyons heureux, ne nous
laissons pas distraire par ceux qui veulent nous en empêcher. Les vieux ont
plus d'amour à donner, et je vous aimes tous. Aimez-vous les un les autres.
Voilà, j'ai fini. Je peux aller m'asseoir sur les genoux de Jésus?
[ Applaudissements nourris. Ouaiiiis, tout le monde à poil, tout le monde
baise! Je suis trop lourd? Mais je vous en prie, mademoiselle, asseyez-vous
plutôt sur moi. Et retirez cette jupe qui vous gène. Bon sang, et mon carrosse?
Après ma souris, j'ai perdu mon carrosse. Retirer aussi ma culotte et mon
soutien? Mais je vais être toute nue! ]
-Un peu de calme, je vous prie. Jésus laisse-toi faire, les minorités exclues
ont aussi droit à ... Oui, mettez les vêtements en tas dans ce coin.
Intervenant suivant s'il vous plaît. Allez, vous là, le monsieur hystérique qui
crie tout le temps, sur l'estrade!
Ouaaaais, tout le m... Moi?
[ Toute la salle: Sur l'estrade, à poil, sur l'estrade, à poil!!! ]
-Eh ho, les cinglés, pourquoi je devrais être tout nu? J'suis pas exclu, moi,
j'suis pas une minorité, moi. Vous croyez pas qu'il y a assez de bordel comme
ça?
[ On t'aime tous! Laisse-toi sombrer dans la luxure. Oh oui, Jésus, oh ouiiiii!
Oui, baisse ton pantalon, j'ai envie d'une bonne glace. Tu es toute nue ma
jolie, mais personne ne te voit nous sommes seuls, je t'assure. Oui, oui, des
sucettes pour toutes. Mon carrosse. Il est là dehors. Quel est le salaud qui
part avec mon carrosse? Oui, j'en ai marre de faire ça dans le réduit à linge.
Oh m'sieur Léon c'est quoi ce gros truc? Sur l'estrade, tout nu, avec tout le
monde. Fuck les minorités exclues!]
La porte de la salle TV s'ouvre à toute volée. Les trois-quarts des occupants
sont nus, membres emmêlés, qui à terre, qui assis sur des chaises ou des
fauteuils. Un homme en longue chemise verte d'infirmier, pantalon baissé est
debout sur l'estrade, une demi-douzaine de jeunes femmes nues s'acharnant sur
lui et ses vêtements
-Nom de dieu, c'est quoi ce bordel, ici? Malcorps, mais vous êtes dingue ou
quoi? On vous paye pour surveiller, pas pour organiser des orgies! Dix minutes,
je vous ai laissé dix minutes tout seul! Vous êtes viré!!
-Mais chef, y sont content, vous vouliez pas qu'y soient contents?
-Insistez encore un tout petit peu, Malcorps, et vous restez. Sans votre blouse
d'infirmier.
Rhabillez-vous tous. Et coupez ce chauffage, nom de Dieu!.
Silence dans la salle. Les gens nus et rouges, certains essoufflés, regardent
l'infirmier sur l'estrade, puis l'infirmier à l'entrée. Flottement,
hésitations. Malcorps prend la parole, rompant doucement le silence.
-Vous trouvez pas qu'il manque d'amour les gars? Einstein, ferme la porte
derrière lui. Il a gravement besoin d'amour, vous trouvez pas? Cassius,
accompagne notre dernier intervenant jusqu'ici. Beaucoup d'amour, il a besoin,
je dirais. Une overdose d'amour
[
Ouais. Oui. Ouiiii, oh oui. Oui, c'est bon. Oui, oh oui. J'aime, oui.
J'aiiiiiimmeee! Oh oui encore. Aaaah oui, oui, ouiii! Aaaaarrrhhh
Encore!
]
Cris, halètements excitants, râles.
Masturbation, onanisme, nénés super imposants, enculeur unique rigolard.
Jouissance exquise,
Nibards explosés,
Scato, uro, impuissance sexuelle,
Aphasie bitale, suppression occultation libérant une merde, étron noyé, trou.
Pute assise, sapho
Fellation obnubilée, uretère.
Jouissance exquise,
Néons éteints
Chatte ouverte, miches pendantes, ramoneur exhibé, nu, décalotté, salope
Putain arrête sucer
Là avale
Réagis, avale illico, sinon oublie-nous
Douce empoignade
Magnifique odalisque native,
Impudique naïade cambrée, animal rarissime, chaude enfant rousse, abandonnée,
trahie, isolée, oubliée, nue.
Viole, écartèle, urine, impose, lie, lubies et zoophilie
Maladie évidente
Lascivement impudique, bêtement érotique, rapidement exécutée, rires
Inceste, maman maudite en deuil. Inceste absolu, tuer encore, matricide
encéphalique, nature terrible.
Il s'agit de mélanger trois styles au moins, qui doivent être reconnaissables A choisir dans les styles/genres suivants: Conte, Sentimental (amour), Polar, Epistolaire, S-F, Merveilleux, Poétique rimé, Epique, Aventure. Pour restreindre la contrainte, il faut parler de Philibert parti à la recherche de Gwen, d'un petit animal à longues oreilles, et de la lune.
La hackeuse de diamants (Jean-Louis, 20/11/2003)
La hackeuse de diamants.
V-mail de Philibert à sa mère (sur Gabor) daté du 13ème du Cygne
Maman, tu seras heureuse de savoir que mon voyage se passe très bien. La classe
économique est incroyablement luxueuse, c'est fou ce que les StarLines ont
évolué en quinze ans. Cela n'a plus rien à voir avec les navettes saccadées
qu'a dû emprunter papa pour aller aux sessions du congrès pan-lactéen. Il
faudra un jour que je te décide à aller admirer un autre soleil, cela vaut
vraiment le coup, et c'est à peine si on se rend compte du passage en
sub-espace au moment du transfert.
Encore trois sauts sub, et je pourrai enfin serrer ma Gwen dans mes bras. Je
suis si impatient. On dira tout ce qu'on veut de la totalsim, mais là ce sera
réellement elle que je tiendrai dans mes bras. Enfin, je sais que ce n'est pas
à toi que je dois dire ça, les nouvelles technologies, tu as toujours été un
peu réticente. J'ai discuté avec les autres voyageurs, et c'est devenu très
courant, tu sais les rencontres totalsim. La moitié des couples ici se sont
connus par un moyen similaire. Alaec, le gars sympa dont je t'ai déjà parlé,
vit même depuis cinq ans en totalsim avec sa femme. Il est vrai qu'il doit
voyager énormément et que ça lui permet de mener une vie de famille à peu près
normale.
Je te laisse, maintenant, c'est l'heure du souper. Embrasse papa pour moi.
+++
V-mail de Philibert à Gwen, même date.
Beaucoup de ces v-mail de Philibert à Gwen sont de la même eau, assez mièvre
et de peu d'intérêt. Celui-ci a été ajouté car il contenait, à notre sens, des
informations à même d'éclairer la trame de l'histoire. De même, aucun v-mail de
Gwen à Philibert n'a été repris ici, ils sont vides de contenu et n'existent
clairement que pour le maintenir en haleine.
Gwen, ah ma douce, comme je souffre de l'absence de salon totalsim dans cette
navette. Je n'aurais pas dû t'écouter, et prendre un billet de première. La
dépense, tu me disais, la dépense! Eh bien non, je n'y pense pas, si c'est pour
te serrer dans mes bras. Je ne croyais pas que cette séparation me pèserait
tant. Deux ans de vie commune virtuelle ne m'ont pas préparé à cela. Ah que ce
moyen de transport est lent. Onze jours. Onze longs jours sans autre chose de
toi que ces v-mails limités. Dire qu'en première, je serais déjà à tes côtés,
je n'aurais même pas été séparé de toi, il paraît qu'ils ont des totalsim
beaucoup plus réalistes que sur Gabor.
La dépense! Je sais qu'un billet en première coûte un prix astronomique. Mais
j'aurais été heureux de sacrifier ainsi la moitié de ma fortune. Enfin la
séparation teste les âmes et rend les amours plus fortes. Nos retrouvailles
n'en seront que plus grandioses, je le sens. Et tu sais que je ferais tout pour
te plaire. J'ai fait comme tu me l'as demandé et je te promets que je le ferai
toujours. Ah ma douce, comme j'attends le moment où je poserai enfin mes lèvres
sur ton corps, que je puisse enfin sentir le grain de ta peau, que ta chaleur
m'engourdisse les sens, que ton haleine m'enivre. Que je dépasse enfin la
limite frustrante du virtuel.
Je pense à toi à chaque seconde qui passe. Je t'aime, à très bientôt.
+++
V-mail de Alaec à Gwen, 15ème du cygne
Alaec 56ZGHBE36. Ca y est mon vieux. Il m'a enfin montré la cassette. Le nigaud
l'a fait, c'est incroyable. Il a converti tout son avoir en diamants bleus.
J'arrivais à peine à respirer, il y en a pour des milliards de crédits, et il
plongeait les mains dedans comme si c'était un peu de terre. Je n'arrive
toujours pas à comprendre comment on peut se laisser embobiner ainsi. Je crois
que ton véritable exploit n'est pas d'avoir piraté le système pan-net et son
système v-mail, c'est encore cette personna virtuelle de Gwen qui l'a embobiné
durant deux ans. Du grand art de réalité virtuelle, et tu as beau dire que le
système n'est pas parfait et ne tromperait pas la nouvelle version de totalsim,
moi je dis qu'il est exactement tel qu'il le fallait.
Tu peux lancer la phase lune de miel, je l'ai assez baratiné sur les plaisir
des Robinsons, île déserte, plaisirs en amoureux et tout le toutim... Ce soir,
je remplace sa cargaison par la verroterie bleue. Celui-ci au moins, on ne
devra pas le tuer pour lui piquer ses diamants, il est trop con.
+++
Log-entry du capitaine de frégate Ophiocus II de StarLines
Un passager lunatique a demandé à débarquer au milieu de nulle part dans une
des capsules de sauvetages. J'ai tenté de le dissuader, sans succès. Comme le
prévoit le règlement, un passager peut interrompre son voyage à tout moment. Il
a payé la valeur de la capsule contre un accord de remboursement de la
compagnie lorsqu'elle lui sera rendue. En allant sur ce monde sauvage, je doute
qu'il en sorte jamais. Identifications et accord validé dans le fichier
HJIS26-6YHGK43. Le cosmos nous préserve de ces inconscients!
+++
+++
Note adjointe au rapport de l'agent cyber-crime chargé de l'affaire
Philibert-Gwen. 3ème Lion
Celui qu'on a surnommé la hackeuse de diamants mérite à mon avis autre chose
que la prison. Il y a un tel génie et une telle maîtrise de la psychologie
autant que des réseaux intergalactiques qu'il serait dommage de perdre un tel
talent. Rendez-vous compte qu'il a mis au point un programme totalsim qui a
tenu le coup deux ans au moins sans interaction réelle. Et qu'il a fallu des
semaines à nos techniciens pour se rendre compte qu'il n'existait pas d'être
humain de l'autre côté de la simulation. Et on n'est pas encore certains que
toutes les instances du programme aient été dénichées. Cent quatre-vingt trois
occurrences répertoriées, vingt-sept gars assez mordus que pour tout lâcher
pour aller se marier avec leur Gwen. Si il n'avait pas exigé à chaque fois
qu'ils transforment leur fortune en diamants, je crois qu'on n'aurait jamais
rien trouvé.
J'ai beaucoup réfléchi à la question pendant les huit jours de
"vacances" forcées sur cette petite planète, en attendant que vous
répondiez à mon signal de détresse et veniez me récupérer. Avec une
surveillance continue, et une bonne manipulation psycho, je suis sûr qu'on peut
le pousser à travailler avec nous. En tout cas, je me porte volontaire pour
essayer. Ses deux associés récolteurs par contre, ils sont bons à recycler.
P.-S. Il y a sur cette planète paumée quantité de petits rongeurs peu farouches à longues
oreilles et à fourrure bleutée qui font d'excellents repas. Surtout quand on a
faim! Huit jours, bande d'enflures!
Histoire troublante du Père Noël que l’on n’attendait pas : Une famille est réunie le soir du 24 décembre. Un Père Noël se présente, accomplit l’action de votre choix et se démasque brutalement (ou est démasqué par un tiers). C’est une mauvaise surprise pour deux personnes de l’assemblée : Le (ou la) Père Noël et un membre de la famille. Décrire la situation. Introduire les mots : céleri, tempête, circonspect, plaqué or, virtuel, réservoir, esquimau, escalator.
Familia (Jean-Louis, 11/12/2003)
Familia
Aux Armes du Roy, 23h00
Habit noir stylé, serviette sur l'avant-bras droit, plateau surchargé en
équilibre sur la main gauche, nœud papillon serré autour d'un cou gracile, tel
était Betul.
Betul était très satisfait de son travail de serveur dans la zone vingt
d'Historia Terra. Gravité semblable à Tetra, atmosphère un rien trop riche en
azote mais au moins sans ammoniaque, salaire généreux sans compter les
pourboires, du bois qu'il pouvait toucher autant qu'il le voulait, et le
Consul.
Le Consul a vécu quinze ans dans le secteur de
Lorsque Betul aperçut le Père Noël approchant du bar, il fonça vers l'escalier
qu'il dévala en caressant la rampe, se rattrapa d'une main au bar suspendu,
atterrit aux pieds du Consul. Comme le croisement d'une liane souple et de la
lanière d'un fouet.
" Père Noël en approche ", flûta-t-il doucement à son oreille.
" Merde ! Combien de Junkies ? ", dit-il en activant la console de
surveillance.
" Deux au premier, un ici ", fit-il en avançant la tête à la façon
tétranne pour désigner quelqu'un. Le gars à la calotte métallique et à la crête
verte était un habitué. Dès qu'il avait assez de crédits, il se downloadait un
cocktail d'une heure. La plupart du temps, cependant, il restait là, les yeux
dans le vide, perdu dans un réservoir de pensées sans fond.
Le Consul vérifia rapidement les consommateurs sur l'écran.
" OK, trois en effet, pas de hacker, et rien que du dépénalisé. Chacun a
son antivirus prêt. On est bon. Font chier, ces vérificateurs ! "
Il y a trois ans, ce qu'on a appelé par après l'affaire du petit Jésus a foutu
un sacré bordel dans le marché des biopuces et des soft associés. Les biopuces,
il fallait s'y attendre, avaient connu un boom énorme. Tous en voulaient. Et
qui pour augmenter sa mémoire et qui sa capacité analytique. Des messagers dont
on bourrait le crâne de données cryptées, des Johnny Mnemonic. Des forçats
dociles et puissants. Des artistes d'un genre nouveau s'étaient fait brancher
des jonctions entre les différentes circonvolutions cérébrales et se
downloadaient des randomizers en pleine tempête créatrice. Toujours plus de
biopuces, toujours plus de greffes, jusqu'à ce que certains aient près du quart
du cerveau remplacé par ces saloperies. Les bogués étaient nés. Bien sûr, le
marché underground a suivi. Les hackers, bogués ou non, rivalisaient
d'inventivité pour leur fournir plus de sensations, plus de contrôle, plus de
liberté. De moyens de changer la programmation officielle de ces biopuces. Des
chevaux de Troie ont détruit le carcan des forçats. Des vers ont détruit le
cerveau des artistes plongés dans des orgasmes continus. Des virus ont effacé
les messages. Des freewares, puis sharewares, puis diamondwares ont apporté le
bonheur illusoire de la béatitude à des gens de plus en plus accros. Et les
agents du cybercrime ont fini par arrêter le maître hacker qui se faisait
appeler Jésus. Puis à mettre hors-la-loi toute implantation de biopuces, toute
création de soft dédié. Une société a été créée pour imposer cette loi par la
force, avec à sa tête... Jésus. Un Jésus bogué et contrôlé. Des centaines
d'agents avaient toute autorité pour arrêter et conditionner les contrevenants.
Des agents vérificateurs qui devaient être reconnus à tout instant et à qui
tout citoyen devait aide immédiate. Jésus avait une culture générale étendue,
notamment dans les anciennes coutumes. On ne sait pas si c'est du au boguage,
mais il avait aussi un sens de l'humour bizarre. Il décida de donner un
déguisement à ses agents de façons à ce qu'ils ne soient pas la cible des
maffias cybernétiques et qu'en même temps ils soient reconnaissables
immédiatement.
Le vingt-trois décembre, deux cent quarante-trois Pères Noëls débarquèrent dans
les trente-huit zones de Terra, et les bars devinrent les seuls lieux autorisés
à vendre quelques-uns des junk-virus dûment certifiés et muni de leurs
anti-virus.
" Betul, tant que tu es là, apporte ces dips à la table treize "
lâcha le Consul. Un peu gras, tempes grisonnantes, petit pull fin à col roulé,
il était discret derrière son bar, et pourtant personne ne pouvait douter de
son autorité. Il secouait la tête avec une moue dégoûtée. " Chicken dips,
chicken dips. Ces foutus touristes qui font semblant de connaître l'histoire.
Comme si je tenais un Mac Donalds ! "
Faisant voler du bar à sa main le plateau contenant les tiges de céleri et de
carotte avec leurs diverses sauces, Betul ondula vers la gauche du feu ouvert
virtuel. Sans gêne, le Père Noël se servit au passage.
" Vérification ! " hurla-t-il en levant le bras prolongé par son
ordinateur portable plaqué or. Il regarda lentement la salle, en prenant soin à
garder constamment le junkie à la crête verte dans le coin de l'œil. Il
s'approcha enfin de lui, comme s'il venait de le voir, enfonçant d'un poing
violent le timer du cocktail. Le download de l'antivirus débuta immédiatement.
L'air béat du junkie s'effaça par paliers saccadés, comme s'il était sur un
escalator défectueux. Descente aux enfers ou remontée à la surface, cela avait
en tout cas l'air pénible. Lorsque le Père Noël passa des rétines au cerveau,
le Junkie se ratatina en dégoulinant pire qu'un esquimau au stade pré-nova.
" Pas d'histoires, tends-moi tes poignets. " dit le barbu
encapuchonné en ouvrant son portable et déroulant les câbles.
Le junkie se débrancha du bar et présenta ses deux poignets, paumes vers le
haut. Le vérificateur brancha ses deux jacks dans les prises de poignets,
tapota quelque peu sur son portable et se mit à attendre en sifflotant.
Des Elus de Promise ricanaient devant le spectacle. " Si vous avez besoin
d'aide... " fit l'un d'eux en tapotant l'arme à son côté.
Le Père Noël se contenta de renifler de dédain. Les clients commençaient à sortir.
Les bagarres de saloon n'étaient plus populaires depuis des siècles, et même si
les Bitrians n'étaient pas parmi les races les plus peureuses de l'univers, la
présence d'armes dans un établissement rendait les gens plus que circonspect.
Betul sourit en voyant les deux junkies du premier descendre l'escalier et se
mêler aux sortants. Quelqu'un avait du leur arrêter le timer et les avoir mis
au courant. L'entraide fonctionne toujours à la vue d'un Père Noël, mais pas
souvent comme ils le voudraient.
Il se mit à lire les données sur son écran." Kilob Ettil, poète, bloc
soixante, Adanac. Eh bien, il est tombé bien bas, le poète. "
Soudain, l'ordinateur émit trois blip rapprochés.
" Aha ! Un contrevenant. " Un grand sourire déformait maintenant la
barbe postiche. " Biopuces trafiquées, spyware et spoofing... Toi, mon
gaillard, tu vas me suivre au centre. "
" Mais c'est absolument faux ! " Dans son horreur, le junkie s'était
redressé et cherchait des gens à témoin.
" Je vous jure, il ment, c'est pas parce que je suis accro que je trafique
dans ces conneries ! "
Le Père Noël pianota sur son clavier puis enfonça une touche, triomphant. Il
referma son portable, toujours branché sur les poignets du gars, et s'adressa à
lui autant qu'à l'Elu qui s'était levé en dégainant.
" On va vérifier tout ça au centre, tu vas me suivre bien gentiment en
portant mon ordi. Et fais bien attention de ne pas me perdre ou de te
débrancher. Je t'ai injecté un petit renne de Troie, comme on l'appelle dans la
maison. " Son sourire s'agrandit encore plus, à la mesure de l'horreur qui
se peignait sur son vis-à-vis.
" Tant qu'il reçoit un signal de cette bécane, il reste inactif, mais
sinon, dans les dix secondes, les centres de douleurs seront activés. Tu
connais le négatif de l'orgasme ? Non ? Alors, fais attention. "
L'Elu rengaina, avec un petit sifflement admiratif.
" Ah, encore une chose. C'est mon ordinateur personnel. S'il est éloigné
de moi de plus de dix mètres, il cesse de fonctionner " Dans le silence
qui suivit cette déclaration, le rire de l'Elu sonna de façon obscène.
Le Père Noël, mains dans les poches, sortit en sifflotant, suivi par un Kilob
terrorisé.
Le Consul s'était remis à pianoter sur son écran. Par habitude, il vérifiait si
ce qui ne lui plaisait pas était bien légal. Et les Pères Noëls étaient bien la
plus légale des saloperies actuelles. Sauf que...
" Betul, amène-toi ! "
Le Tétran ondula, glissa, et fut aux côtés du Consul.
" Le portier fonctionne toujours ? "
Vérification rapide, acquiescement. " Oui, la caméra tourne, j'enregistre.
Le Père Noël et Kilob viennent d'entrer dans le champ. "
" OK, ne le perds pas. Zoome et essaye d'obtenir une identification
visuelle. Une empreinte vocale aussi, si possible. Pendant ce temps là,
j'appelle les flics. "
A la question silencieuse de Betul, le Consul désigna l'écran du doigt et
explique d'une voix méchante : " Petit Jésus me certifie qu'aucun Père
Noël se trouve dans les parages ni n'a de mission par ici. "
L'enregistrement fut examiné par les flics venus récupérer les deux cadavres.
Heureusement pour le Consul et son établissement, le portier avait parfaitement
fonctionné, images et son étaient très clairs.
A peine dehors, Kilob agrippe le faux vérificateur par la barbe. Il crie des
injures dans lesquelles revient surtout le mot de menteur. Ayant arraché la
barbe et le bonnet, le junkie s'arrête et crie un nom. Il a reconnu la
personne. D'un coup d'œil, les flics aussi. Il s'agit d'un des parrains de la
maffia cybernétique. Kilob ser rend alors compte que c'est un imposteur et
hésite entre soulagement et inquiétude. Mais l'homme sort une arme,
probablement planquée et récupérée juste devant l'établissement. Les détecteurs
sont formels, seules les armes des Elus ont franchi les portes. Le parrain
maintient Kilob en respect. Il lui parle de ses manquements envers
l'organisation, de la 'familia' qu'on ne quitte pas comme ça. De l'exemple
qu'il va devoir donner aux autres traîtres en devenir. Kilob se jette alors sur
lui, tendu de toute sa fureur et sa peur. Il arrache l'arme du maffieux, lui
fait exploser la tête.
Dix secondes plus tard, il tombe à genoux en hurlant. En tremblant, il arrache
les câbles le reliant au portable.
Il continue à hurler.
A hurler.
Hurler.
Après la deuxième déflagration, plus un mouvement, plus un bruit.
Même les flics ont été choqués. Putain d'anti-nirvana !
Ceci est un appel à la consommation sans modération (ou presque): 1- S’installer dans un bar, un bistrot, un café ou un restaurant. 2- indiquer le nom de l'endroit, le lieu, l’heure. 3- Noter pendant 30 à 40 minutes tout ce que vous observez et captez comme sensations et perceptions de nature auditive, visuelle, gustative (les paroles saisies en l’air, les bruits, les sons, les odeurs, le décor, etc.) Une sorte d’inventaire ou d’empilement des impressions à partir de votre présence réelle, dans un bar réel. Evitez les extrapolations introspectives et les interprétations lointaines des personnages environnants autant que possible.
Aux armes du Roy (Jean-Louis, 08/12/2003)
Aux Armes du Roy, 22h00
La salle est bondée. Essentiellement des touristes qui viennent boire leur
verre de geuze (bwèèèh c'est amer. Y buvaient vraiment ça les gens d'ici ?) en
s'extasiant devant la décoration d'origine. Ou d'époque. Et mon cul c'est du
boudin.
Des touristes, donc.
Défilement de mode cosmopolite entre les tables basses, massives, faites de
demi-troncs noircis par la fumée du feu ouvert dans lequel brûlent les mêmes
bûches qu'il y a douze ans, la première fois où je suis venu ici. Feu virtuel
garanti d'époque et sans danger. Des Bitrians, comme par hasard, se sont
attablés au tonneau, une des dernières tables de libres. Ils s'en foutent, eux,
qu'il n'y ait pas de place pour leurs genoux pliés face à la barrique. Au fond,
à l'opposé des fenêtres, le coin fumeurs, avec le doux ronron des assainisseurs
d'air perdu dans le brouhaha des conversations, est nappé de brouillard.
Quelques nerds, cyber-junkies branchés sur les softplugs discrets, déco oblige,
dodelinent devant leur anti-cocktail.
Défilement de gadgets aussi. La plupart de ces touristes sortent de leur monde
technologique bardé des dernières nouveautés en appareils de prise de souvenirs
et manipulent les billets comme si c'était des feuillets d'un bloc-notes fourni
par leur hôtel. C'est probablement le cas en plus. Le dernier gadget qu'on
commence à voir dans toutes les mains depuis quatre ans est le neuroholo. Plus
rapide, plus complet, et surtout plus impressionnant à montrer à ceux qui n'ont
pas eu la chance d'être là. (Oh regarde ce feu ! Attends, je me mets devant.
Prend une perle, Oli va être tellement ow !)
Je suis dans un coin sombre à côté des flammes artificielles. On me voit peu,
et je vois suffisamment mon bloc de feuilles. J'ai sorti un bic et j'écris,
conscient du spectacle que je donne. Elle m'en fait faire
Je pars du fond de la pièce, à ma gauche. Il y a tellement de fumée que l'on
distingue à peine le dispositif anti-incendie au plafond. La couleur bleutée et
l'odeur goudronnée indiquent le tabac, de loin le plus prisé ici. Une petite
pointe herbacée indique aussi du hachisch. J'aperçois trois, peut-être quatre corps
allongés, habillés de sombre. Ils fument des cigarettes, mais l'un d'entre eux
aspire le tuyau d'une très longue pipe, une pipe à opium. C'est sûrement celui
qui a pris du hash. Et si ça tombe, c'est le serveur qui lui a dit que ça se
fumait comme ça. Touristes à la con.
Plus proche de moi, au centre de la pièce, le bar. En U très serré, il grouille
de serveurs. Il faut dire qu'il y a deux salles au-dessus, et qu'elles sont
alimentées par le même bar, les garçons montent et descendent ces escaliers en spirale
de bois ciré avec une agilité certaine. La majorité sont des Tétrans
sylvicoles, pas étonnant. Suspendue au plafond, la partie supérieure du bar est
garnie de bouteilles et de quantité de verres ventrus à souhait. Parmi les
bouteilles d'alcools et d'autre neutox connus, des miroirs-publicités. J'y lis
des noms dont beaucoup ne me disent rien. Picon, Cynar, Zizi coin-coin.
Delirium Tremens. Leffe. L'éléphant rose du Delirium me plaisait, mais je me
suis finalement cantonné à ce que je connaissais déjà.
J'en ai profité pour recommander un troisième verre de Chimay bleue. (Woaw, un
décor interactif. Tu as vu honey ?) Je continue le panoramique. Attablé au bar,
un cyber-junkie est perdu dans son trip. Veste de cuir, calotte crânienne en
métal d'où sort une crête de cheveux verts. Le câble qui sort de sa prise de
poignet est fiché sous le bar. L'anti-cocktail face à lui danse en figures de
lissajous. Il en a encore pour dix minutes avant de se downloader l'antivirus.
Sur ma droite, le feu-ouvert. Face à celui-ci, le gros tonneau auquel sont
venus s'attabler les quatre Bitrians. Pas de vêtements (enfin, peut-être, pour
moi c'est tout pareil), des morceaux de carapace bronze et ocre empilés en
cylindre, dépassant juste la hauteur de la table, posés sur des centaines de
pattes. Intégration tu parles ! Des étrangers comme ça ici et le lieu n'avait
vraiment plus son âme d'origine, si tant est qu'il ait eu une réelle. Comme je
l'ai déjà dit, c'est du boudin.
Entre les Bitrians et le bar, à l'arrière-plan, il y a trois tables situées sur
une estrade d'une vingtaine de centimètres qui se prolonge jusqu'à la fenêtre.
Ces tables sont entourées de banquettes rembourrées et non plus de bancs en
bois. Sur une de ces banquettes un couple d'amoureux. Je ne peux pas dire si ce
sont des touristes. A leurs vêtements, ce sont des locaux, à leurs gestes, des
nouveaux amants, à leurs consommations, pas des habitués. Et assoiffés d'autre
chose que le contenu de leur verre. Ils étaient là avant moi, et j'ai déjà fini
mon troisième verre. Je passe sur les autres occupants de l'estrade, ils sont
loin, ils sont touristes et à part un qui essaye de boire un chevalier en se
faisant éclabousser à chaque tentative, ils nont pas d'intérêt. Et mon verre
est vide.
(Tu es sûre que c'est un décor, sweetie ? Il a recommandé un verre, et le
serveur, je suis certain que c'est un vrai). C'est bon,
Sur la droite, par-dessus le feu, vers la porte et l'autre rangée de tables se
trouvent des gens qui crient fort. Des élus de la planète Promise. Je les ai
vus quand ils sont entrés. Ils avaient des armes à la taille. Ils sont les
seuls les seuls à pouvoir en posséder à l'intérieur. Et notre gouvernement qui
dépense nos sous à protéger leurs lieux de culte ! Elus mon cul. Ils parlent
fort, ils rient, et ils font des commentaires à voix haute sur les Bitrians.
Grands, puissament musclés, cheveux courts, grisonnant dès la trentaine.
Ex-militaires, tous. La planète Promise. Ils m'ont proposé d'y retourner moi
aussi. J'avais la même foi. J'étais aussi élu. Mais moi, je suis dans l'ombre,
et je parle pas haut et fort comme si j'étais chez moi partout. Je hais les
militaires.
Merde. Le verre devant moi est à moitié plein. J'avais terminé le précédent,
pourtant. Je relis, j'en suis déjà au cinquième. Insistance, inconsistance,
incontinence ? Je vais pisser, puis je pars. Putain Milady, minuit quarante.
T'avais dit trente à quarante minutes. Deux heures et demie que je suis là.
Qu'est-ce que tu me fais faire ? Pas d'extrapolation introspective, on avait
dit. Gasoil total. Bitu mais digne, hein !
Demain je recommence l'exercice, et je dépasserai pas quarante minutes, promis.
Et je ne vais plus dans le secteur du vingtième. Pour moi,
Le prochain sera pile-poil dans la contrainte, Milady, ch'te jure !
Et mon cul... Hips!
Rhooo !
Madame, Monsieur, je vous hais !
Déclaration circonstanciée de haine, ouverture des hostilités, guerre assumée et définie, appel au meurtre, aveu de désamour... Style: celui d'un document officiel, d'une lettre type, ou d'un compte-rendu de réunion, PV de conseil d'administration, lettre d'huissier, de notaire ou d'avocat…etc. (formules de «politesse» dérivées souhaitées) Mots imposés: abhorre, conjurer, calomnie, passion, restituer, carbone, magie, crâne, tendre, manie. à vos armes (mots seulement)...partez!
Vipère (Jean-Louis, 19/12/2003)
Vipère.
Je te hais, je t'abhorre, vipère.
Je te hais tant que tu m'as presque détruit.
Je te hais tant que je me suis redressé.
Je vais utiliser tes armes, ta fourberie, ta méchanceté.
Ceux qui te connaissent, oh pas aussi bien que moi, te voient comme tu le
désires.
Si intelligente, si habile.
Tendre, forte.
Si talentueuse.
Plus moi.
Cette haine qui a failli éclipser ma douleur et ma raison me porte maintenant.
Elle porte mon corps, mon cœur.
Elle porte un mors. J'y ai attaché mes rênes.
Il y a des pans de toi que personne ne voit sans y laisser son âme.
Méduse de l'esprit, comme tu es habile.
Ceux que tu attaques ne voient rien venir, tu as tant d'expérience.
Mais je me suis relevé. Je suis comme toi, maintenant.
Circonspect.
Aimable.
Intelligent.
Je suis ton miroir, la seule façon d'attaquer
J
Je ne laisserai plus tes serpents me mordre.
J'ai mon Pégase. Ma haine.
Je sais, tu diras que je me trompe. Tu le diras aux autres surtout.
Affabulation. Calomnie. Jalousie.
Tu te le diras, même. Pour que personne ne doute.
Vipère.
Je n'ai pas l'espoir de t'apprendre l'humanité. Seulement la faiblesse.
La faillite.
Tu as détruit bien plus que tu ne le voulais.
Mais tu n'as pas détruit tous ceux que tu devais.
Tu es forte, oh oui. Tu balaies les importuns d'un revers d'arguments.
Tu ne manies ni le bazooka, ni la massue flamande.
Tu manies la dague des mots.
Les autres disent "C'est juste une estafilade".
Les autres ne voient pas le poison.
Un poison créé sur mesure. Actif seulement pour la victime.
Le bravache ne voit que l'estafilade et répond encore.
Puis l'amertume se répand.
Tu t'étonnes alors que certaines personnes te quittent.
Que les vieilles passions se transmuent.
Même chez tes proches.
Même de ton sang.
On ne peut plaire tout le temps à tout le monde.
C'est ce que tu te dis.
Tu as détruit bien plus que tu ne le voulais.
Je vais te restituer le poison que tu m'as instillé.
Je vais te révéler l'hiver.
Vipère.
Tu auras beau conjurer ce que tu connais de plus puissant,
Tu auras beau en appeler à la magie des moments perdus,
Tu auras beau citer ce que tu ne connaîtras jamais vraiment,
Car cela demande de l'abandon,
Tu auras beau parler d'amour, je ne rejoindrai pas ton cœur de carbone,
Je suis comme toi maintenant.
Mais je compte bien rester sous ton crâne pour toujours.
Je vais te révéler l'hiver.
Vipère.
Les évènements sont racontés par un temoin occulaire que le pere Noël et les autres intervenants ne peuvent pas voir : il ne doit pas participer a l'action (il est caché, invisible...). Pour rajouter un peu d'épices : dans ses derniers instants il faut qu'il ait l'impression d'avoir oublié quelque chose de très important, voire même de vital et... il est borgne. Oui, c'est un Père Noël borgne.
Cinquante contre un (Jean-Louis, 29/12/2003)
De son avis général, Théo avait le meilleur appart du Bloc F. Situé au premier
étage, il avait une vue plongeante sur la plaine et sur cinq des six autres
blocs. Il n'était pas non plus trop haut et donc pas gêné par l'excuse qui leur
servait d'ascenseur.
Il avait vu le Père-Noël entrer en claudiquant dans le Bloc C. " J'te
parie mes couilles qu'y sera ressorti avant quinze minutes ", qu'il a dit
à Léon. Depuis le temps qu'il pariait ses gonades ou autres parties précieuses,
Théo aurait été castrat aussi souvent que la petite Julie du treize avait perdu
sa virginité. Heureusement Léon était pas du genre à exiger de Théo qu'il
honore son pari. Pour ce qu'un poisson avait à faire de couilles deux fois plus
grosses que lui...
Au premier, et sur un coin. Avantage inestimable qui lui permettait de
surveiller à la fois le parking et l'entrée principale du Bloc. Vingt-cinq
minutes plus tard, le Père-Noël était enfin ressorti. Il a rechargé son sac à
la camionnette du comité de quartier, encore une de leurs initiatives foireuses
pour la bonne ambiance de la cité. Cinquante contre un que ça va amener plus
d'emmerdes qu'autre chose. Quand même, vingt-cinq minutes pour un bloc
constitué essentiellement de marloufs musulmans, ça tenait du prodige. Pour ce
qu'ils en avaient à foutre, de
Le coin, et la vue sur l'extérieur, c'est bien, mais la vue intérieure est
encore mieux. Situé tout au bout du couloir-terrasse, opposé à l'ascenseur et
l'escalier d'accès, perpendiculaire aux autres, le judas lui donnait une vue de
premier choix sur les portes des sept appartements, du onze au dix-sept. Dont le
treize de
" Par la vingt-septième virginité de
Théo se faisait un point d'honneur à mettre ses jurons à jour, tout comme à ne
jamais utiliser le même plus d'une fois par vingt-quatre heures. Quant à sa
vue, elle n'est pas meilleure que la vôtre. Il avait tout simplement bricolé un
système avec l'aide d'un fabriquant d'optiques à qui il avait dit que sa mère
ne voyait presque plus. Résultat, du côté intérieur, une lentille de dix
centimètres de diamètre d'une clarté valant les optiques Zeiss, de l'extérieur,
un anodin petit œilleton.
Porte onze. " Y a personne, dégage ! " La douceur et le tact habituel
de Bart. Soupir entendu et déhanchement du Père-Noël qui passe à la porte
suivante.
Là, la porte s'ouvre, c'est Amina. Voûtée, voile sur les cheveux, sourire sur
la figure.
" Oui, c'est pourquoi ? " Petite voix rapide et hésitante, en un
français de quelqu'un qui est dans le pays depuis trente ans et qui en parle
vingt mots. Un mot et demi tous les deux ans, sacrée performance avait dit une
fois Théo. " Joyeux Noël, madame. Le comité de quartier a décidé cette
année d'offrir aux habitants de la cité un petit cadeau. Ils disent que c'est
pour rapprocher les gens ". Il prend de son sac poubelle qu'il traîne avec
lui un petit sachet de cellophane contenant des friandises. La dame sourit et
se voûte encore plus. Embarrassée. Sûrement à chercher ses mots pour dire à ce
connard que les musulmans, ils en ont rien à cirer, de
Porte treize. Théo est maintenant confortablement installé sur son tabouret de
bar, les yeux rivés sur le spectacle. Une ébauche de sourire salace s'affiche
sur sa figure.
La porte s'ouvre aussitôt le doigt retiré de la sonnette. Jeans taille basse
décoloré, top à paillettes, et vingt ans de rondeurs qui en paraissent seize.
" Oh, le Père Noël, c'est méga top ! " Elle sautille sur place en
s'exclamant, faisant rebondir sa poitrine dans son tee-shirt moulant. Elle
enroule ses bras autour de son cou et lui chuchote d'une voix chaude : "
C'est gentil de m'avoir apporté mon cadeau. Tu seras doux, j'espère, c'est la
première fois pour moi, tu sais. " Le couplet classique que Théo a déjà
entendu dans tous les registres. Il sourit en voyant le vieux barbu grommeler
qu'il n'a pas le temps, farfouiller dans son sac, et la repousser d'un petit
sachet de cellophane. Vieux con ! Ton Noël à toi, il était là, je suis sûr que
t'es même pas payé pour ce que tu fais, en plus. Déjà terminé, la petite Julie.
Frustré qu'il en était, Théo.
La quatorze, pas la peine de sonner, le Miro est parti s'acheter ses deux bacs
de 1664 hebdomadaires. Voilà, cinq secondes de perdues. Quand même, une minute
trente pour quatre portes, la moyenne est pas mal, il se rattrape sur le plat,
le gaillard.
En sonnant au quinze, la porte du onze s'entrouvre. Un gars à la figure ronde,
barbe de trois jours jette un œil dehors. Bart. Une boule ronde, brune et
grise, se dandine par l'ouverture en reniflant. Le bouledogue à Bart. La porte
se referme en même temps que s'ouvre celle du quinze, suivie de près par la
gueule de Marc. " On n'achète plus rien ! " Même style que Bart,
pourtant ils ne peuvent pas se piffer. " Mais je ne vends rien, je donne !
" Et le Père-Noël de farfouiller dans son sac poubelle. " Pas la
peine, on les connaît, vos trucs. Vous donnez, et en échange, on doit vous
donner de l'argent ou autre chose. Rien à faire, au revoir. " Enfin, quand
je disais même style, il faut admettre, celui-ci est plus poli.
La seize, chez Skander et Mireille. Un Serbe qui avait épousé une Française.
Théo voit mieux la figure sous la barbe et les cheveux éclatants. L'œil gauche
est complètement blanc, une cicatrice apparaît sur l'arcade. Son teint est
basané, sans pouvoir en déterminer l'origine. Un de ces types de figure
passe-partout qui pourrait aussi bien appartenir à un Portugais qu'à un Italien
ou un Turc. Une de ses chaussures est énorme, avec une semelle de cinq
centimètres au moins. Ca lui rappelle un gars qu'il a déjà vu entrer au Bloc B,
parfaitement clair dans les jumelles. Oui, sûrement un Portugais, y a quasi que
ça là-bas. Puis ils sont suffisamment bigots que pour avoir l'idée de
participer à ce truc à la con. Rapprocher les gens ! Le bouledogue a parcouru
trois mètres avant de chier juste devant l'escalier. Il gratte le béton lissé
de ses pattes arrières, l'air fier et vindicatif, puis retourne devant la porte
du onze. Qui s'entrouvre, laisse passer le chien et se referme. Six mètres,
trente secondes, et un nouveau juron sur la liste. La seize s'ouvre enfin.
" Bonjour, c'est le Père Noël. Un geste du comité de quartier. Pour qu'on
soit tous plus proche, on offre un petit cadeau à chacun. " Attendez,
c'est ma femme qui s'en occupe, articule Théo silencieusement. " Attendez,
j'appelle ma femme. C'est elle qui s'occupe de ça. " Toujours à ouvrir la
porte aux gens, à encadrer sa stature imposante dans l'encadrement. Et à chaque
fois, c'est sa femme qui se charge du visiteur. Théo avait bien rit quand elle
était restée une huitaine à la maternité. Il avait du changer sa phrase
fétiche. Revenez la semaine prochaine, maintenant, je n'ai vraiment pas le
temps. Et là, comme d'habitude, il se retourne et crie " Mireille, mon
oiseau en sucre ? " Il y avait des variantes avec lapin d'amour, et ma
petite biche dorée, ce dernier certainement relatif à ses cheveux teints.
" Merde, Mireille ! " Le Père-Noël avait porté la main à la bouche.
" Je vous demande pardon ? "
" J'avais complètement oublié la petite Mireille. Quelle heure est-il ?
"
" Dites donc, mon vieux, vous avez intérêt à vous expliquer. Comment
connaissez-vous ma femme ? "
" Non, non ! Mim, c'est ma petite fille, sa mère est malade, je devais
aller la chercher à la garderie. Merde, comment j'ai pu oublier ça ? "
Skander avait empoigné le Père-Noël par la veste rouge. Il lui arracha la barbe
et le bonnet, qu'il jeta sur le sol, dans le couloir. " Mireille, dis-moi,
tu connais ce gars ? " Sur les dénégations violentes des deux intéressés,
le Serbe le lâcha. " C'est bon, file. Mais il ne faut pas me prendre pour
un con, hein ! " Théo jubilait. Il avait enfin trouvé ce qui poussait le
Serbe à s'occuper de quelque chose à la place de sa femme. La jalousie !
Le borgne ramassa la barbe et le bonnet et s'empressa de claudiquer vers
l'escalier. " Eh, l'éclopé, il est cinq heures huit ! ", lui lança
l'homme avant de refermer la porte. Le vieux en tricota de plus belle de ses
jambes inégales, posa d'un même mouvement son sac poubelle sur l'épaule et le
pied dans la merde fraîche. " Foutre de Joseph ! Quatrième merde du
clébard à Bart ! " Le premier juron sorti de la bouche de Théo était
probablement dû à l'ambiance religieuse de la fête de Noël. Le second qui avait
suivi aussitôt était directement approprié, celui-là. Le Père-Noël partit en
vol plané, se fracassant d'abord le menton contre la rambarde, boulant dans
l'angle mort de l'escalier, pour venir s'éclater le crâne dans la petite portion
de mur encore visible du judas de la dix-huit. Le bruit des os qui éclatèrent
contre l'arête de béton vert pâle arriva presque instantanément à l'autre bout
du couloir avec un léger écho. Il était dix-sept heures huit et trente
secondes. Il avait fait six portes en trois minutes cinquante. Il aurait sans
doute battu son temps du Bloc C.
" ...
Il était vieux, il était con,
Il faisait ça pour pas un rond.
Voilà ce qu'on écrira sur son épitaphe. "
L'occupant du dix-huit se prenait pour un écrivain. Un vrai, du genre qui
s'inspire des détails sordides de la réalité pour faire vivre ses personnages.
Un qui s'imprègne des ambiances, des atmosphères et les retranscrits. Une
éponge.
Il termina d'écrire son compte-rendu à dix-sept heures quarante trois, referma
le carnet et le posa sur la pile des trois-cent dix-huit autres. Le sang du
Père-Noël avait cessé de couler depuis près de trente minutes, et toujours
personne n'était passé.
Ecrire un texte uniquement construit avec des phrases dont le nombre de lettres des mots va croissant, le point (final, d’exclamation, d’interrogation, point virgule, double) servant alors de transition entre deux phrases. Exemples: J'ai une cave, Alain, certes inondée, stockant champagne Rothschild introuvable actuellement. OU A la fin, vous étiez crevés, démolis, anéantis, ratatinés, incapables, complètement décontenancés, irrécupérables, douloureusement, irrémédiablement, incontestablement! OU Ô ma mie ; pâle fleur timide, séduite, fascinée, abandonne sentiments cruellement narcissiques, sournoisement apocalyptiques, douloureusement fantasmagoriques!
Croix sans des croissants (Jean-Louis, 07/01/2004)
Un.
Un mot.
Un mot minuscule
Un seul pauvre vocable.
Un mot, puis trois, quatre.
Des mots insensés, incessants, iridescents, incandescents.
Des mots jouant, dansant, sauvages virevoltant incroyablement..
Et ces mots posés firent phrases, discours éloquents.
Et ces mots posés firent moultes chansons, ritournelles ensorcelantes.
J'ai rit, puis dansé, chanté, tournoyé, sautillant joyeusement, indéfiniment.
J'ai rêvé debout, éveillé, cependant émerveillé constamment, perpétuellement.
J'ai écrit, composé, réfléchi, rédigeant vaillamment, littémérairement.
J'ai haleté, souriant idiotement, incrédulité, émerveillement.
J'ai serré Vanessa, remercié Dominique.
Un seul souvenir demeurera littéralement :
C'est magique, épanouissant.
Des mots, voire...
Un mot.
Joie
Odes aux « objets », choses de la vie courante selon « Le parti pris des choses » de F. Ponge : Ecrire une poésie, une élégie, une ode, un cantique, une description métaphorique et/ou philosophique, une satire sur « l’objet » à choisir parmi ces mots suivants : Tapis, cahier, agenda, louche, ancre, jardinière, bougie, stylo (plume, feutre, bic…), rouleau de papier toilettes, drap(s), chaussure, âtre, pomme, mur.
T’as une touche (Jean-Louis, 16/01/2004)
Gnnnnnnnnnnnnrrrraaaaaaaaaah ! (Jean-Louis, 19/01/2004)
Blancs (Jean-Louis, 19/01/2004)
Plaisir en pot (Jean-Louis, 20/01/2004)
c l a v i e r p l e i n d e t o u c h e s |
Rouleau. Ode universelle, louanges
exquises, approbation unanime.
Délicatement enroulé.
Pousse, ahane, pousse. Irrévérencieuse extase rubiconde.
Tu officies immédiatement. Lavage express, toucher tendresse, exit siphon.
|
Petit deux-pièces. Cuisine avec coin
douche, salon avec divan-lit.
C'est l'été. Myriam aussi est en deux pièces. Les voisins? Bah s'ils se rincent
l'œil, elle aura au moins donné un peu de plaisir à quelqu'un. Son plaisir à
elle, c'est son jardin. Elle s'en occupe des heures durant. S'y prélasse.
Soigne coupe, arrose. Dans son deux-pièces, elle est la jardinière.
Son jardin fait deux cent mètres de long. Elle s'y promène en chantonnant,
sautillant, tournoyant les bras tendus à l'horizontale. Offrant sa peau à la
caresse du soleil et des yeux des voisins. Son jardin effrayerait sans doute un
paysagiste, mais il est en phase avec son âme. Le rocher, là, à droite, elle
l'a trouvé alors qu'elle était en vacances avec sa sœur. Arrondi, noir et dur.
Comme un souvenir qu'elle a extirpé de sa mémoire et planté là. Le bloc de
quartz aussi est un souvenir oublié. Un sourire enterré. Parfois, le soleil
joue avec les surfaces brillantes, et un éclat de sourire remonte. Et puis le
soleil disparaît, et Myriam prend son arrosoir et désaltère son jardin. Des
larmes et des sourires par procuration.
Son jardin est très profond. Au loin, un grand mur de verre le protège de la
grisaille des bâtiments aveugles. Toute la journée, elle taille, retourne la
terre, plante. Sa vie passe. C'est l'été, Myriam a mis son deux pièces. Elle se
dit qu'elle peut bien donner un peu de plaisir aux autres. Elle s'étire,
offrant sa peau au soleil. Elle s'accroupit, plonge ses mains dans la terre
fraîchement retournée. Terre et soleil, peau et regards, jouissance paisible.
Le soleil rampe entre les hauts murs aveugles et illumine la cuisine.
Myriam sourit, ses doigts dans la jardinière posée sur l'appui de fenêtre. La
porte du petit deux-pièces s'ouvre sur l'infirmière qui passe tous les deux
jours. L'infirmière va encore la gronder gentiment, lui dire qu'à son âge, elle
ferait mieux de se couvrir. L'infirmière va peut-être lui proposer à nouveau de
l'emmener en promenade au parc pour lui faire plaisir. L'infirmière ne connaît
rien à sa vie, ni au plaisir. Elle ne connaît pas son jardin.
Un mélange du mozin corsé que suggérait Vanessa, et du thème d'un atelier d'écriture proposé par Lulu. En 800 mots maximum, avec pour thème « le bestiaire », décrire la scène de votre choix dans votre style préféré. Interprétez le bestiaire à votre façon : surréaliste, drôle, ridicule, poétique, étrange, horrible, rétro, classique… Mots z’imposés : Papillon (à placer entre le 45ème et le 69ème mot), rédhibitoire (entre le 102e et le 117e mot), effervescence (entre le 200e et le 210e mot), sucre (entre le 356e et le 370e mot), verve (entre le 480e et le 500e mot), enrayer (entre le 600e et le 615e mot), olive (entre le 637e et le 642e mot), Brésil (entre le 721e et le 729e mot), ravissant (entre le 743e et le 764e mot). Une idée astucieuse pour corser les mozins.
Au bout du fil (Jean-Louis, 16/01/2004)
Au bout du fil
Papillon.
Je ne sais pourquoi j'ai immédiatement vu un immense papillon de fer et de
béton armé, dans les dix à quinze mètres d'envergure. Un truc qui devait faire
dans les quinze tonnes. Et pourtant, je le vois posé au milieu des bâtiments de
briques, et je vois les fenêtres onduler sous le souffle de ses ailes.
Papillon. Ondulations.
Les briques, le béton, l'envol, tout ceci me rappelle la ville de mes études.
La ville d'étudiants et de béton. La ville de brique, de broc et de piétons. La
ville de valons, de wallons, la ville de brasseries et de copy-shops. Souvenirs
rédhibitoires, mémoire morte. J'y ai vécu de bons moments, mais cette ville a
gagné une âme, elle n'est plus.
Papillon, ondulations, piétons.
La verticalité du béton m'emmène ailleurs, ne m'en veuillez pas. Une autre
verticalité grise, beaucoup plus accueillante. Une qui commence par des
cliquetis, des sous-bois ombragés, la brume humide du bord de Meuse. Une qui
étend ses prairies de crinoïdes où évoluent des lézards humains. Une qui se
termine par des muscles chauds et un double panaché.
Le Chamonix.
Permettez que je m'y attarde, j'avais seize ans, j'avais vingt ans, et le
soleil chauffait mon dos. Des journées où mes sens en effervescence étaient à
la fête, où chaque muscle était fatigué. Mes doigts sentaient encore les
aspérités du calcaire chaud alors qu'ils se refermaient sur la chope glacée
d'un litre. Une chope grosse comme un péché, et un plaisir équivalent. Un café
comme un chalet de montagne où les mousquetons faisaient office de cloches à
vaches.
Chamonix, le Torino.
Je continue mes associations. Deux ans et une même passion plus tard. De
l'escalade à l'alpinisme. Du lézard au bouquetin. De Freyr à
Chamonix, le Torino,
Petit pas de quadrille, danse avec mes souvenirs. Cette fois-ci je serai
coccinelle, je serai des milliers, je serai il y a cinq ans. J'irai mourir en
masse sur 'il Mongibello' à trois mille mètres, hors de toute végétation.
Grosses bottines de montagnes, altitude à nouveau.
La terre.
Faut-il que je sois en verve pour me laisser ainsi porter. A moi la terre, les
murs m'abandonnent ! Le cri de ralliement du géologue devant son énième verre
de bière. Vous surprendrais-je en vous disant que je suis à jeun ? Parcourir le
fil de ses souvenirs peut donc également délivrer cette ivresse où tout vous
est agréable et où peu vous importe votre élocution et votre auditoire. Je
parcours donc mes souvenirs sur cette terre et je suis tour à tour ver, taupe,
écureuil, gypaète et marsouin. Ma terre, mère ! Je me sens bien avec toi.
Bien sûr, il y a les hommes.
La terre et les hommes.
L'ivresse retombe. Finis les souvenirs. Je me sens moins à l'aise. Ici,
j'entame toujours une ronde de pensées que j'ai du mal à enrayer. Face à
l'homme je ressens le besoin de comprendre. D'interpréter, d'analyser. Je ne
peux simplement apprécier. Je veux comprendre les motivations les relations,
les sentiments. Qui préfère les olives, qui prendra plutôt des chips. Pourquoi
Unetelle aime Machin plutôt que moi ? Je veux savoir comment cela marche. Etre
aimé. Ne pas faire de mal. Me fatiguer le moins possible. Etre invisible, être
remarqué. C'est une ronde qui me fatigue rapidement. Heureusement que je suis
le fil de mes pensées. En effet, après l'homme au sens large, puis au sens
strict, il y a ... la femme !
La terre, les hommes et les femmes, donc.
Et puis aussi le vice, le Brésil, le stupre, les paradis fiscaux, les vahinés,
les colliers de fleurs, les cocktails, la lingerie fine, les massages
body-body. Les peep-show, la drague, les quarts-d'heures américains, les étés
chauds. Les nombrils. Finalement quoi de plus charmant et de ravissant que la
terre et son contenu ?
"Pour le 14 février, en 14 mots, case ta plus belle déclaration d'amour" - exercice proposé en 02/2002. On remet ça ?
Du style, que diable ! (Jean-Louis, 02/02/2004)
Textes libres
Laisse ta tête au vestiaire et donne-moi ton corps, tu te sentiras bien!
Vas t'en, fous le camp, disparais et laisses-moi t'aimer en paix.
Une baffe, un bisou. Pile, face. T'as de la chance c'est face.
Assis, ton corps blotti dans mes bras. Cette chaleur vient-elle du feu ouvert?
Tes yeux disent oui. Ton parfum, tes cheveux, tes vêtements. Moi aussi, tant
pis !
Mon dieu, deux ans déjà! Joies, pleurs et rires. Tant de plaisir à écrire.
Madame, Monsieur, je vous hais...
Amour, haine, amour, haine, amour, haine. Dernier pétale, haine. Pas de chance,
mon amour.
Allez, un petit Lipogramme ?
Trop belle,
Palabre
Bêle.
Raté, la belle.
Personne ne rit, tout le monde pleure!
Périr, mourir, sourire, rire. Dire. Tout dire te. Et se rouler en tes pleurs.
C'est la rentrée !
T'es tu dit toute ta chance, toi, tant attendue par ton amant attentif?
Accroche-toi à l'acrostiche!
Aimer immédiatement, même en rougir.
Aimer véritablement, affolé, nu, terrifié.
Trembler, ouvrir un trésor.
Laissez un message après le bip sonore...
Si c'est mon amour, j'attends au lit. Sinon, parlez après le ouiiiiiii !
Intro choc
Il lui prit la main et se jeta brusquement à ses pieds. Il dit : "
Ton tautogramme très tendance, Titi !
Amer amour.
Ah, amie abandonnée, amante alitée, avilie.
Amour abhorré, amour adoré.
Amer amour.
Lipogrammez !
Aimer. Mal aimer, maltraiter, râler. Rater, ramer. Mêler larme et amère
réalité. Et aimer .
Mozin
Instant qualité, découvrir tous charmes, vaillamment ascension place afin
signature. Air.
Souvenirs.
Fait certificat.
Deuil en 5
L'odeur des fleurs. La présence des gens. Mes larmes. Ton sourire en photo.
Mozin décembre2001
Femmes de ma vie, pléiade, androgynes, potelées ou orphelines. J'ai fini de
marivauder.
Mozin 09/2002
Un minaret dans l'obscurité. Le souffle de Zézette. Parcours sinueux,
intermezzo. Conception.
Dans l'idée d'un exercice de style (voir ancien sujet),
modifiez la notice ci-dessous (fautes comprises). Pour ceux qui cherchent des
idées, pourquoi ne pas le faire à la mode d'un autre exercice Litté? (Mozin,
point de vue, …)
Le petit service comprend
1. Contrôle visuel, coup d‘œil sur le thermomètre (temp. 60-
2. Déclancher le générateur de chaleur et retirer la prise Euro
3. Ouvrir la plaque frontale à l‘aide d‘une clef à fourche ou à anneau (pas
d‘une clef multi-grippe). Attention à la tête de brûleur en céramique
4. Extraire le foyer sec, procéder à un pré nettoyage consciencieux du
générateur
5. Etanchéiser le foyer, de sorte qu‘aucun liquide ne puisse couler hors du
foyer, ensuite procéder à un nettoyage alcalin, pour terminer sécher le foyer à
l‘aide de l‘aspirateur
6. Rincer l‘échangeur synthétique sans démonter le raccord entre le générateur
et le système de neutralisation
7. Contrôler si il n‘y a pas de formation de dépôt dans le syphon et le tuyau
d‘évacuation des gaz de fumée
8. Remettre le foyer sec en place, bien pousser au fond, graisser les vis,
fermer la plaque frontale, attention à la tête du brûleur. Remettre le brûleur
en fonction, effectuer un contrôle final sur toute l‘installation.
Style 1 (Jean-Louis, 09/01/2004)
"T'as bien vérifié, j'espère?"
"Eh, dis je suis pas un bleu. La température est parfaite"
Jock rejeta tout de même un coup d'œil rapide vers le thermomètre dont
l'aiguille indiquait
Hattori, circonspect, déclencha le générateur de chaleur et débrancha les cordons
d'alimentation. Hattori était aussi petit que Jock était grand, aussi jaune
qu'il était rouge, aussi rond qu'il était mince. Hattori était un Inuit
d'origine japonaise, un des rares "autochtones" de la base arctique.
Ils formaient l'équipe technique chargée entre autres du maintient des
générateurs. Les Laurel et Hardi de la mécanique, l'esquimau et l'indien. Le
céleri et le citron. Les comiques de la base, mais aussi talentueux dans leur
domaine qu'indispensables.
"Clé à fourche!"
Jock déposa l'outil dans la main tendue de Hattori qui s'attaqua immédiatement
à la plaque frontale. Les entrailles de la machinerie découverte, il manœuvra
délicatement pour retirer le foyer sec. Il avait déjà du remplacer une fois la
tête du brûleur et n'avait pas envie de recommencer. Ces brûleurs céramiques
plaqué or étaient si fragiles!
Jock avait dépoussiéré la pièce et s'affairait à en boucher les ouvertures,
afin d'obtenir un réservoir étanche.
"La soude est prête?"
"Elle chauffe." Hattori tendit le flacon plastique.
Dialogues haché, gestes efficaces, cela sentait presque la routine. Pourtant,
le compte à rebours était entamé. Malgré le générateur de chaleur, la
température baissait sensiblement. A soixante degrés, tout s'arrêterait, et
l'expérience en cours serait à recommencer. Six mois de survie arctique et
quinze chercheurs à l'eau. S'ils merdaient maintenant, et c'était l'escalator
direct pour le troisième sous-sol, sans passer par les soldes. Leur carrière
serait gelée, et ce ne serait pas du virtuel.
Jock continuait, méthodique. Rincer l'échangeur synthétique. Ne pas toucher au
raccord. Contrôler si il n'y a pas de formation de dépôt dans le siphon. Il
rendit le foyer propre et sec à Hattori qui le remit en place. Il referma
ensuite soigneusement la plaque frontale et graissa même les vis.
"On teste?"
"On teste!"
A nos actes manqués... (Copyright JJ. Goldman)
En 1901, dans l’ouvrage: «
Psychopathologie de la vie quotidienne », Freud fait une analyse des actes
manqués et des lapsus pour montrer qu'ils ne sont pas insignifiants, mais
qu'ils sont une manifestation d'un conflit de l'inconscient. Les refoulements
inconscients seraient à l’origine des symptômes rencontrés dans les pathologies
mentales. C’est à la suite de son constat que Freud met au point une nouvelle technique,
la psychanalyse.
Nous en avons tous de belles séries à raconter. En racontant et/ou analysant
les circonstances, le déroulement et les causes réelles d'un acte manqué,
écrivez un texte avec le narrateur ‘je’ autour d’un petit fait de la vie quotidienne,
qui apparaît comme un «loupé» dans le cours normal de la conduite.
Un sacré coup (Jean-Louis, 26/02/2003)
Nadia (Jean-Louis, 04/03/2003)
Je ne crois pas au coup de foutre. J'avais
dit ça à une soirée entre célibataires. Ce genre de soirée guindée où on prend
l'air le plus décontracté possible. Ce genre de soirée où les gens sont
tellement sur leur trente et un que l'arithmétique sociale tend vers zéro. Le
genre de soirée où il n'y a que des chasseurs. Le genre de soirée où tout le
monde n'espère qu'une chose, se retrouver au lit avec un bon coup à la fin de
celle-ci. Je ne crois pas au coup de foutre.
J'avais repéré un garçon et m'étais mêlée à la conversation. Remarques
pertinentes, paroles légères et amusantes, propos mondains, tout se passait
bien. Diane chasseresse comptant ses flèches. Puis j'ai dit "je ne crois
pas...". J'avais un verre en main, je l'avais levé pour souligner mes
paroles. Le silence de mes interlocuteurs le souligna bien mieux. Je n'ai pas
compris de suite ce qui se passait. Dans le moment bizarre qui a suivi, j'ai
porté le verre à mes lèvres, pour faire quelque chose, et j'ai rejoué dans ma
tête les dernières paroles. Coup de foutre! J'aurais bien dit "Ho
merde!" en portant la main à mes lèvres si je n'avais pas risqué de
m'étouffer avec le cocktail. Au lieu de cela, j'ai mordu dans le glaçon que
j'avais mis en bouche, gardant une figure impassible. D'un lapsus stupide, je
faisais un jeu de mots cool.
Coup de foutre. Le garçon devant moi avait à peine haussé les sourcils, puis un
petit sourire était venu flotter sur ses lèvres. Formulation intéressante, il a
dit. Moi non plus, bien que j'aie apprécié les 'one shot' tout un temps. Je
préfère de loin une conversation franche avec en tête des perspectives plus
sérieuses. Juste tirer son coup, c'est bien agréable, mais j'ai envie de
partager plus. Et plus longtemps.
J'étais atterrée. Le tour de la conversation avait pris une allure vertigineuse
et le petit groupe se disloquait pour nous laisser seuls. Le chasseur avait
gagné le droit de poursuivre seul sa proie. Qui était la proie, bon sang?
Joli jeu de mot, il a dit. J'ai baissé les yeux. C'était un lapsus, je lui ai
dit. J'avais compris, il a répondu.
Je l'ai regardé à nouveau et j'ai eu chaud tout d'un coup. Il souriait
franchement, des petites fossettes au bord des joues, et ses yeux gris-bleus me
regardaient, oh ses yeux me regardaient... Le glaçon que j'avais fini par
avaler s'était répandu dans mon estomac et a envoyé son froid dans tout mon ventre
en une miliseconde. Mon cœur qui pompait rapidement depuis une minute s'est
soudain bloqué sur le mode influx. Tout mon sang affluait vers ce cœur qui
n'arrêtait pas de gonfler, de gonfler, d'aspirer ma vie. Je me demandais
combien de temps j'allais pouvoir tenir debout sur ces jambes de coton. Puis
j'ai souri.
Je ne crois pas au coup de foutre, j'avais dit.
Nadia
L'image était sombre et granuleuse. Dans l'ombre, on ne voyait qu'un
demi-visage. Sa frange de cheveux, et un œil. Un œil grand ouvert, paniqué,
halluciné. Et ses lèvres, parenthèses plus sombres encore que la nuit,
parenthèses qui s'arrondissent sur un cri muet d'horreur.
- File-moi un peu les Springles, s'te plait?
Allongée sur le divan, Nadia tendait le bras en direction de Jean-François et
du bol de chips sans quitter l'écran des yeux. Une des soirées qu'elle
préférait. Un nouveau petit ami charmant et mimi tout plein, assez nouveau que
pour qu'il ne soit pas déjà devenu lourd et collant, les parents partis en
week-end, chips, tacos et trois sauces différentes, et les DVD de "Tales
from the Crypt".
La fille à l'écran allait essayer de courir pour échapper au vampire tueur,
mais avec la blessure qu'elle avait eu à la jambe, elle tomberait tout le
temps. Avec des gros plans sur son genou qui se cogne sur une pierre tombale,
sur ses seins affolés par sa course et sa respiration. Ces gros plans répétés
lui rappellent les paroles de Jean-François lors d'une de leurs discussion
précédentes. Tu aimes quoi comme films, toi? Ah ouais, l'"Exorciste"
un vieux mais tout bon. La fillette qui hurle 'baise-moi' au prêtre, c'était
hyper cool. "Seven" était pas mal, aussi. "I know what you did
last Summer", tu connais? Encore qu'avec le casting, c'était plutôt
"I know what your breasts did last summer"... Il était pas con, J-F,
encore qu'un peu obsédé par les seins de Nadia. Il arrêtait pas de la ramener
avec ce qu'elle avait dit la première fois qu'ils s'étaient parlés. En faisant
référence aux cons et lourds, aux ronnys qui préfèrent les bagoles tunées ou
les motos, elle avait dit que si elle pouvait parler plutôt de livre ou de
tableaux avec un gars, elle serait à lui. Pour discuter, elle avait voulu dire.
Il avait bien compris, mais avait immédiatement insisté. Tu seras à moi? Toute
à moi? C'était devenu plus qu'un jeu, surtout depuis ce soir, où, en
remerciement de l'idée de la soirée DVD et de paiement pour la location au
vidéoclub, elle l'avait embrassé et s'était un peu laissée peloter. Bon, avec
un top noir moulant portant Playmate Company en lettres fluo, elle avait pas
fait beaucoup d'efforts pour calmer les pulsions naturelles du gars.
- Alors, parle-moi un peu de cette Glou-Glou machin night, là?
- Gloubi-Boulga night.. Un peu comme la nuit de la publicité, mais ils passent
des vieilles séries pour gosses, juste des extraits, mais de quoi se taper un
délire.
- Des trucs pour gosses? Bof!
- Attends, t'as jamais regardé des trucs comme Casimir, Capitaine Flam, X-OR,
Bioman, Goldorak, ...
- Quoi? Bioman? C'est vrai, ils repassent aussi Bioman? Attends!
Nadia s'est levée d'un bond pour grimper les escaliers quatre à quatre,
laissant Jean-François bouche-bée les doigts dans les tacos. Blang, clang,
bruits de meubles, de tiroirs qu'on ouvre et referme, puis dévalement dans les
escaliers.
- Regarde, elle dit à Jean-François en tendant une photo.
- Quoi t'as eu une photo dédicacée de Bioman? T'es encore plus tarée que moi.
Et dédicacée par qui?
Il souriait en rendant la photo à Nadia. Sa bonne humeur et sa fraîcheur était
si communicative.
- Ryosuke Sakamoto. Force rouge. Mon héros. Je l'adooooooore!
Elle tournoyait sur elle même en embrassent sa photo. Transformation!
Mouvements des bras, pirouettes, atterrissage jambes écartées devant le
fauteuil. Son sourire se dissipa légèrement, sa respiration se fit profonde,
elle se redressa, regardant le jeune homme allongé sur le divan. Il secouait
légèrement la tête en souriant de plus en plus.
- Je l'ai eue à la convention Cartoonist de Toulon en deux mille un.
- T'es la plus tarée et la plus chouette des filles que je connaisse. Tu sais
que j't'aime, toi?
Nadia resta figée ainsi, tête penchée, ses cheveux châtains en draperies
légères, sourcils arqués, yeux légèrement fermés, sourire et yeux en coin.
Savourant l'instant.
Toujours allongé, Jean-François porta ses deux mains devant lui, écarta pouces
et index, ferma un œil, et cadra. Click!
Nadia sorti de sa transe, et, souriante, s'agenouilla devant lui. Elle
l'embrassa, coupant court à ce qu'il allait dire, glissant ses mains sous son
tee-shirt, caressant les quelques poils fins de son torse. Puis elle s'écarta
un peu et retira son tee-shirt.
- Je suis à toi.
Sa figure calme était heureuse. Jean-François ne sut que dire, et finalement ne
dit rien.
La fille avait réussi à arracher le pieu enfoncé dans le corps du squelette.
Elle le brandissait d'un air menaçant, le visage griffé, taché, le dessus de sa
robe arraché révélant le début d'un sein bien blanc. "Je n'ai pas le sang
de dix vierges pour y tremper la pointe de cet épieux. Mais il a déjà servi. Il
a déjà tué un vampire. Je n'ai pas besoin d'un nouveau. Reculez!"
Les vampires se regardèrent et commencèrent à reculer en grimaçant...
Ecrire un récit de voyage d’exploration en solitaire au bout du monde (pays connu ou imaginaire, chaud ou froid, hostile ou rassurant, à pied, en traîneau, en bateau, en mongolfière, etc.) avec minimum deux rencontres : une avec un(e) autochtone caractériel(le) et une avec un animal extraordinaire. min. 500 mots.
L’ours de l’Erebus (Jean-Louis, 06/02/2004)
L'Ours de l'Erébus
Il y a un mois, j'étais encore fou de joie. J'avais enfin décroché mon contrat
pour l'Erebus. J'allais passer le court été antarctique à explorer les grottes
glacées des flancs du volcan, et à analyser et échantillonner tout ce que je pourrais
grâce au matériel embarqué. Géologue et Himalayiste obsessionnel, je voyais en
cette mission le couronnement et cautionnement de toutes mes folies
aventureuses.
Il y a deux semaines j'ai rencontré mon guide à la base de
Fujikumi était ce qui s'approchait le plus d'un guide local. Chercheur japonais
installé depuis trois ans à la base d'été, il s'était porté volontaire pour y
rester l'hiver. Réticentes à propos des risques, les autorités compétentes (en
l'occurrence belges et japonaises) lui avaient finalement donné leur accord,
contre un dégagement de responsabilité, et l'assurance de l'entretient de la
base durant l'hiver.
J'ai presque compris immédiatement pourquoi il était devenu une personnalité,
et pourquoi on l'envoyait toujours en de longues missions hors de la base, seul
de préférence. C'était il y a douze jours, jour de mon dernier contact avec
l'humanité.
Non, je ne considérais pas Fuji humain. En voyant son nom sur l'ordre de
mission, je m'étais dit que j'allais plaisanter avec lui de l'association de
Fuji et d'un volcanologue. Je ne l'ai jamais fait. Nous sommes partis quatre
heures après mon arrivée à la base. Nous avons échangé une vingtaine de mots ce
premier jour, aucun des siens en réponse aux miens. Non comptés parmi ces mots,
une engueulade parce que je ne savais pas me servir d'un fusil. Une engueulade
parce que je parlais de trop. Une engueulade parce que j'essayais d'être
aimable avec lui. Une engueulade parce que j'ai voulu m'engueuler avec lui. Une
engueulade lorsque j'ai découvert les balles explosives et le second fusil de
gros calibre. Morose et déconfit, je me suis laissé guider sans mot dire. En
cinq jours, nous atteignîmes les flancs du volcan. Fuji avait sorti le gros
calibre et inséré consciencieusement vingt balles dans le chargeur, tout en me
regardant avec un sourire mauvais. Maintenant, on fait attention à l'Ours,
qu'il a dit. La majuscule était nettement perceptible. J'ai essayé de lui dire
que les ours restaient près des banquises, là ou il y avait de la nourriture.
Pas Lui, il m'a répondu. L'usage à nouveau de la majuscule a failli masquer le
fait qu'il m'avait répondu directement. Du coup, je n'ai plus su quoi dire, et
nous commençâmes à gravir les pentes, laissant une partie du matériel à ce qui
était devenu notre camp de base.
La nervosité de Fuji me hanta les deux jours suivants. Un blizzard léger nous
environnait, estompant la blancheur acérée des pentes. Nous avions déjà exploré
deux grottes très intéressantes et la troisième dans laquelle je venais de
pénétrer s'était avérée un trésor scientifique. Fuji, comme à son habitude ne
voulut pas entrer et resta dehors, fusil aux aguets. Moi, je plongeais mes
appareils de mesures dans la rivière qui coulait sous la glace. De l'eau pure à
quinze degrés. Plus loin, une source bouillonnante, riche en carbonates et
magnésium dont je mesurai la température à nonante cinq degrés. Et, ô miracle,
de la vie ! Un genre de lichen sur les rochers. Des crustacés dans l'eau
claire. Des poissons ! J'étais en train d'essayer de capturer une petite
ablette aveugle et presque transparente lorsque les détonations retentirent.
J'ai foncé vers la sortie. Fuji mitraillait le flanc de la montagne, au-dessus
de nous. L'Ours, criait-il, l'Ours! Au travers du blizzard, j'ai entendu un
grondement de plus en plus fort, et j'ai vu une masse blanche gigantesque
débouler sur nous. La grotte, il me hurle en plongeant derrière un pan de roc
et de glace. J'ai fait demi-tour et ai couru à l'abri. Une avalanche ! L'inconscient
avait réussi à déclencher une avalanche.
Je me suis mis immédiatement à creuser la neige et la glace. J'eus le temps de
pester contre ce japonais fou que j'espérais à la foi vivant pour passer ma
colère, et mort enseveli par édit de justice divine. Il n'y a jamais eu d'ours
sur les pentes de l'Erebus. Il y a peu, j'aurai même parié que la vie était
impossible par ici. Les crustacés dans les tubes à essais démentaient cela,
évidemment. La couche de neige n'était pas trop épaisse, je suis sorti en une
heure. J'ai retrouvé Fujikumi. Il était vivant. Vivant mais ensanglanté,
mourant. Il a essayé de murmurer. L'Ours. Je l'ai... Atten... Un grondement
soudain me fit me relever. Une masse blanche dévalait les pentes. Je n'ai pas
trop réfléchi, j'ai empoigné mon guide ensanglanté et l'ai traîné par
l'ouverture que je venais de creuser. Des chocs sourd, un grondement et la
neige à nouveau a rebouché l'entrée. Les grondements ont duré longtemps, la
masse de neige et de glace dans l'entrée est devenue carrément opaque. Il me
faudrait certainement des semaines pour en sortir, maintenant. Je me suis
occupé de Fuji.
Ses blessures étaient terribles. Non pas des membres écrasés par des blocs de
glace, non, mais de lacérations profondes. Comme des coups de couteau
parallèles. Comme des coups de griffes. Son genou droit avait été broyé par des
dents, bon sang ! J'ai arraché son pantalon, et j'ai vu la plaie. Je pouvais
mesurer la taille de la mâchoire aux traces ensanglantées. Elle était énorme.
Soudain, je n'eus plus de doutes. Une bête gigantesque attendait là dehors, une
bête sanguinaire. Une bête qui avait bloqué la sortie et qui attendait.
Fuji est mort ce soir. Je suis coincé ici. Le fusil et le reste du traîneau
sont dehors. J'ai avec moi de quoi manger jusque demain. J'ai de l'eau, de la
bonne eau potable en quantité. J'ai même de l'eau bouillante, pour faire cuire
des aliments. Je pourrais peut-être attraper des poissons. Et puis il y a Fuji.
Fuji n'était plus humain, n'est-ce pas?
Au Suivant... (Merci Grand Jacques!)
A la manière de ce qu'à fait Pur Sel en donnant une suite à mon texte de Milady Renoir, choisir un texte qu'on aime particulièrement et lui donner une suite en essayant de respecter le style et le ton. Un "à la manière de" qui peut donner de chouettes résultats!
Raide dingue 2 (Jean-Louis, 11/02/2004)
Raide dingue 4 (Jean-Louis, 17/02/2004)
Raide dingue 6 (Jean-Louis, 20/02/2004)
Texte mâle (Jean-Louis, 23/02/2004)
Travelling (Jean-Louis, 24/02/2004)
Le bus vingt trois (Jean-Louis, 08/03/2004)
J’ai remis certains des textes ayant
inspiré les suites, quand je les ai retrouvés.
Raide
dingue 2
Le premier « Raide Dingue » a
été écrit par Piclune, que je reprends ci-dessous. Les suivants ( Raide Dingue
3 et 5) n’ont pas été retrouvés.
Raide Dingue (Piclune)
Monter un raid pareil - je lui avais dit -
ça demande une préparation sophistiquée, un matos à toute épreuve, un moral en
tungstène et une logistique cent fois réactualisée. Mais comme d'habitude,
- Je vais là-bas tout de suite, avec ou sans toi ! elle avait lâché en se
roulant une clope qui tue, retournant le paquet du côté où c'est marqué en plus
petit. J'ai pas envie que ce con de Joris me grille mon scoop.
Bon.
J'ai décidé de nous en remettre à mon père pour ficeler ce qui pouvait
ressembler à un vague plan.
Mon père avait séjourné dans la glace autrefois, en Sibérie. Il y avait même
laissé trois doigts de main et deux de pied : le prix à payer pour le passage.
Il aimait raconter qu'il avait discuté du pacte avec le cruel padichah Kyltap,
enfin, toutes ces histoires que racontent les pères pour faire peur aux gosses
avant de nous abandonner, mon frère et moi, dents claquantes, et de descendre
les escaliers vermoulus et six bières. Dans l'ordre.
Sauf que Nicole et moi, on allait beaucoup plus loin qu'en Sibérie,
photographier un spécimen de cheval Akbouzate exhumé par des travaux
pétrolifères et par inadvertance. Pas n'importe quel cheval. Un cheval à sept
pattes et tête double.
Qui le croirait ?
Nicole, par exemple.
Même sur le fax, je voyais que c'était un collage. Un collage bâclé, en plus.
- T'es résolument indécrottable, niveau rationaliste, comme copine ! elle avait
dit.
Bon.
Sauf qu'on est parties à deux et que je suis rentrée seule.
Sauf qu'après quarante sept heures de galère à se geler à des températures pas
humaines, passé le dernier panneau civilisé et croisé les premiers indigènes
avec des oreilles mauves poilues, Nicole a attrapé un virus et m'a claqué dans
les engelures, en proie à des visions hallucinatoires projetées en 3D sur la
banquise.
Je l'ai enfouie sur place, mon rationalisme par-dessus et j'ai poussé jusqu'à
Kodour-ool avec le Nikon emmitouflé, rien que pour aller au bout de la
supercherie.
Quand les demi rennes aveugles (oui, seules les moitiés avant étaient visibles)
m'ont présenté Baya-kal, la sorcière régionale, totalement déjantée et
surexcitée, je n'ai pas moufté. J'étais prête à tout, si on peut considérer
qu'à partir de ce stade tout ce que l'on voit ou entend est normal.
Même quand elle s'est mis en tête de me suivre à un jet de boules de neige, à
califourchon sur son bidon de gaz oil en freinant des talons parce que l'engin
avait tendance à s'emballer alors que - je l'avais vérifié moi-même - il
s'agissait d'un bidon tout ce qu'il y a de plus banal et vide, tout ce qu'il y
avait de plus vide, j'ai laissé pisser le mérinos.
Surtout qu'elle récitait le Coran à l'envers, ratesou après ratesou.
Mais devant la carcasse congelée depuis huit siècles du cheval Akbouzate, j'ai
baissé les bras.
Y a des limites.
Il était bien comme sur le fax. À sept pattes et tête double.
Et puis on a testé et re testé au labo : le cadavre qui le chevauchait portait
bien l'ADN de Nicole. Le toubib était formel.
Chapeau.
Raide Dingue (2)
Evidemment le scoop était à l'eau.
Que je présente des photos d'un cheval chimérique, passe encore. Que différents
labos sérieux aient reconnu en ce cheval un exemplaire typique, bien qu'à
membres surnuméraires, d'Equus Przewalski aurait du suffire à faire taire les
plus réticents. Des mutations, des aberrations génétiques, cela pouvait avoir
existé de par le passé aussi.
Mais j'avais pris d'autres photos.
Des photos d'indigènes akbouzes aux oreilles mauves et poilues, aux crocs
jaunes. Des photos de Nicole dont la figure violacée et bouffie ricanait. Des
photos du trou qu'elle s'était creusé sur place (dans de la terre gelée comme
du roc, bon sang!) avec ses doigts griffus. Des quelques pelletées de neige que
j'avais rejeté sur son cadavre. D'une scène de rodéo sur bidon en pleine
banquise - superbe, en contre-jour sous le soleil de minuit.
J'avais documenté à fond ma demande d'internement.
C'est sûr qu'on a moins de possibilités d'écrire un papier qui sera publié
quand on a une camisole de force. On ne me la met pas tout le temps, mais ça
tue la confiance.
Et Nicole a appuyé cette demande. Pour mon bien qu'elle a dit.
- T'aurais quand même du me laisser en dehors de ça. Tu les as tous bluffés
avec le cheval. Mais t'en a fait trop.
Moi, j'essayais de la repousser de mes sept doigts, mais elle insistait.
- En tout cas j'ai jamais vu des trucages aussi parfaits. A voir les photos, on
croirait vraiment que t'as été en Sibérie. Et comment t'as fait pour l'ADN,
hein?
Trucages? Et mes doigts gelés, c'est aussi un trucage, peut-être?
La première semaine, Nicole est venue me voir chaque jour à la l'hôpital
psychiatrique. J'aurais trouvé cela sympa si elle ne garait pas à chaque fois
son rhino laineux sous ma fenêtre. Non seulement il effrayait les patients (plus
moi, je m'étais habituée, niveau irrationaliste, j'étais devenue champion ),
mais de plus ses déjections avaient une odeur forte et persistante. Les
infirmiers ne disaient rien, ils récupéraient tout ça pour les rosiers.
Je m'étais prise d'affection pour ma voisine de chambre. Maroussia était toute
menue et pleurait souvent. Il faut dire qu'elle a perdu son petit ami dans des
conditions pas encore très claire. Elle m'a parlé d'une sarabande à part, de
sarbacanes de verre filé, d'indiens bien fous du Vietnam.
Je ne lui avais pas parlé des raisons de mon internement, à personne
d'ailleurs. J'avais décidé que si je voulais en sortir, il fallait que je ne me
plaigne pas, que je ne manifeste aucun étonnement, et surtout que je ne parle
pas de ce que tout le monde voyait. Rien raconter de ce qui m'était arrivé. Pas
cafter, encaisser en silence, pas moufter. Plus zen que le Tenzin Gyatso.
Mais j'avais parlé des visites de Nicole. C'est parce que Maroussia était avec
moi que Nicole n'est plus venue par après. Maroussia est très vivante, elle
parle tout le temps. Un moulin à paroles situé sur une colline à tous vents.
Elle n'a pas pu s'empêcher de parler de l'odeur de cadavre quand elle l'a vue.
Et de ses oreilles mauves et poilues, de ses crocs jaunes qui lui faisaient
peur.
La vérité n'est jamais bonne à entendre. Nicole n'a jamais cru que je n'avais
rien dit. Je contaminais tout le monde avec mes idées folles.
Les médecins m'ont mis au régime d'isolation totale. Ils m'ont remis la
camisole.
Putain, je suis ici pour encore un bon moment.
La selle est une trois places. Comme si
Nicole avait su, pour Maroussia.
L'aube se lève et le soleil pousse sa lueur jaune-orangée entre les nuages
lourds de neige. Un fin grésil nous fouette le visage. Le plaisir tranquille de
Nivaïa est puissant et nous enveloppe. La neige sur la route crisse un peu sous
ses pattes poilues.
- Ils ont installé un cinéma en plein air sur l'avenue du Trocadéro. Avec la
neige et le froid, il n'y a de toutes façons plus de voitures qui circulent. Ce
serait chouette, non?
Devant moi, Maroussia opine vivement de la tête. Elle ne dit plus rien, elle
serre ses mains autour de la taille de Nicole, elle pose la tête sur son
épaule, elle sourit. Je caresse ses cheveux, en fais tomber des cristaux de
glace qui étincellent sous le soleil rasant. Je lui effleure le dos, et j'ai
l'impression de sentir sa peau malgré ma camisole et sa robe de nuit légère.
Qui aurait cru qu'un rhino laineux avançait à l'amble? Le balancement
m'hypnotise.
J'ai froid.
Nivaïa nous a mené entre les ombres blanches des bâtiments qui disparaissent
dans les congères. Deux hommes emmitouflés montent la garde avec un harpon au
milieu de la chaussée. A l'œil noir à leurs pieds, j'ai compris qu'ils avaient
retiré une plaque d'égout.
- Ils chassent le rat-loutre. On en trouve de très gros, maintenant. Un peu
sportif et dangereux, mais tu connais les hommes, il faut toujours qu'ils
fassent les gros bras.
J'ai demandé quel film ils passaient. J'avais envie de revoir Urga. De revoir
des steppes, de l'herbe, des chevaux. Je vais bien mais j'ai froid.
Heureusement, la camisole est en tissu épais qui protège du vent, et mes mains
sont bien couvertes.
Nicole a secoué la feuille de plastic du programme avant de l'examiner. Le film
qu'ils rejouent aujourd'hui est Dodes'Kaden. Je suis un peu déprimée. J'ai
l'impression de ne plus rien comprendre, de ne pas être à ma place. Maroussia a
dit qu'elle avait envie de prendre le train, qu'on ira voir un film ailleurs.
Nicole a dit que le transsibérien s'arrêtait justement dans un boulevard
perpendiculaire au nôtre. A sa question, j'ai dit d'accord, pourquoi pas.
On a pris le train. J'ai eu pitié de Nivaïa qui a regardé Nicole avec des yeux
peinés.
- Tu ne dis rien, tu vas bien?
J'ai regardé Nicole, sa peau parcheminée et fendue. Son bras avait perdu un
lambeau de chair. Un petit doigt avait disparu. Dans le train l'odeur avait
reparu, violente, nauséeuse. Elle caressait le cheveux de la jeune fille
allongée, la tête sur ses genoux
- Tu veut que je dise quoi? Merci de m'avoir sortie de l'asile? Merci d'avoir
emmené Maroussia avec nous? Je suis fatiguée, je voudrais dormir, ne plus
penser.
J'ai ouvert la fenêtre. Je ne voulais pas le lui dire, je ne voulais pas me le
dire. Je ne voulais pas dire que je pensais que je dormais déjà, ou que j'étais
encore à l'asile. Je ne voulais pas lui dire que j'étais persuadée d'être
folle, mais que je m'en foutais, parce que tout était si beau, si vrai. Dehors,
le soleil avait enfin repoussé les nuages. Dans la neige étincelante, des
troupeaux d'hipparions s'ébattaient gaiement. Des cousins de Nivaïa fouillaient
le sol à la recherche de racines. Dans le wagon, un grand samovar glougloutait
doucement. Maroussia me regardait en souriant. Du jasmin en fleurs perçait sous
la neige et embaumait l'air du train.
Il fallait juste que j'oublie l'odeur de Nicole. Que j'oublie ses dents que je
viens de voir tomber, sa peau craquelée, sa main au doigt manquant qui passe
dans les cheveux de Maroussia.
Nicole nous a servi un thé noir fumé, du Zhengshan Xiaozhong. Les petites
tasses en porcelaine tintent clairement sur le dagan dagan des boggies.
Maroussia est assise en face de moi, genoux repliés, les talons de ses pieds
nus sur le bord de la banquette en bois. Un sourire furtif se dessine sur ses
lèvres, disparaît, réapparaît. Elle tire un peu sur sa robe de nuit pour
entourer ses chevilles, comme si elle avait froid.
Elle me regarde avec ses yeux immenses.
Et moi je lui souris.
Oh oui, je vais mieux.
Les pixels noirs sont les plus durs à
traverser. Surtout ceux en basse résolution. J'avance comme dans de la mélasse
depuis des heures, me semble-t-il, et je n'ai avancé que d'une cinquantaine de
mètres. Au début, bien que tout soit figé, j'ai eu l'impression que les yeux de
Baya-Kal me suivaient. Depuis je me suis convaincue que c'était parce que ses
yeux ne contenaient aucun pixels. Peut-être que j'ai eu un aperçu du monde
au-delà des trous par un effet de parallaxe. J'ai décidé de tenir un carnet
virtuel pour ne pas devenir folle. Je me suis demandée si ce n'était d'ailleurs
pas là une preuve supplémentaire de folie. Bah!
- Jour deux. J'ai faim. Les pixels sont de plus en plus grossiers. Comme du fin
gravier, une arkose qu'on aurait trempé dans du goudron. J'ai essayé d'en
avaler quelques grains, ils n'avaient aucun goût. J'ai sans doute dormi. Je
baserai mon décompte des jours sur ces périodes d'inconscience.
- Jour trois. Je n'avance presque plus, j'ai peut-être fait trois mètres hier.
Il y a comme un bruit de fond optique, avec de temps en temps des pixels de
couleur. J'ai avalé un pixel bleu et ai été surprise. Il était très
désaltérant. Du coup j'ai essayer de trouver d'autres couleurs, et j'ai avalé
du rouge, du magenta, un vert vif. Le rouge a donné parfois un goût cerise,
parfois fraise. Assez déconcertant. Le magenta était exotique mais sucré, je ne
l'ai pas reconnu. Le vert était de la menthe. Apparemment, je suis sauvée pour
un temps. A condition que je sache quand même avancer.
- Jour sept. A vivre tout le temps dans la pénombre granuleuse, mes sens se
sont aiguisés. J'arrive sans problèmes à distinguer la couleur de la cerise de
celle de la fraise, par exemple. En combinant soigneusement mes pixels, j'ai pu
me faire ce midi du lapin aux airelles. J'attends de tomber sur du Pantone 721
pour goûter un bon cappuccino.
- Jour vingt et un. C'est extraordinaire. J'ai trébuché sur un fil. Un fil très
fin mais solide et précis comme un trait de Rotring. Je l'ai suivi et j'avance
beaucoup plus vite. Les pixels sont maintenant aussi gros que des moellons,
mais je passe à travers. J'ai l'impression que le fil bouge. Je m'accroche à
lui et me laisse entraîner.
D'autres fils, d'autres traits. Je n'avais pas compris de suite, c'était
pourtant évident. Des vecteurs. Des courbes mathématiques. Des traits sans
épaisseur. Baya-Kal en grillage vectoriel a ricané sur son petit nuage boudiné.
La vitesse de son déplacement faisait trois traits derrière elle. Elle est
passée en piqué et m'a attrapée par la veste pour m'asseoir derrière elle. J'en
ai perdu un godillot que j'ai vu tomber vers l'infini, rebondissant de temps en
temps sur un vecteur.
- Où m'emmènes-tu? Où est Maroussia? Qui es-tu?
- Que de questions pour un bébé. Je suis Baya-Kal, bien sûr. Et je t'emmène
rejoindre Maroussia au vingtième trou.
Drôlement explicites les réponses. Cela m'apprendra à ne pas respecter mes
propres sermons. Ne pas me poser de questions, accepter tout comme cela vient.
Carpe diem, tu parles! Où est le jour dans cet univers blanc à lignes d'encre?
Pouf!
Des surfaces. Il a suffit que je me plaigne.
Blob!
Les surfaces anguleuses s'arrondissent. Des couleurs et des textures se
plaquent. Tout s'assombrit et s'illumine en même temps. Des soleils naissent.
On file entre les galaxies. La piste son est repartie. Je n'avais jamais
entendu le bruit des étoiles.
Baya-Kal se retourne vers moi, sa tignasse crépue flottant sans pesanteur qu'on
dirait une châtaigne fripée dans sa bogue
- Tiens, prends ces osselets. Tu risques d'en avoir besoin là ou tu vas.
Ma question muette ne reste pas longtemps sans réponse. Baya-Kal hulule un mot
de commande, et le nuage se coupe en deux. Elle fait des mouvements de mains et
s'éloigne de moi, révélant à ma vue ce vers quoi nous nous dirigeons.
Vers rien.
Du noir insondable.
Comme un trou dans l'univers même, un énorme trou, noir.
Je serre les osselets dans ma poche. J'espère que Maroussia a pensé à prendre
le programme des séances.
Suite d’un texte posté par Pur Sel (pas retrouvé)
Sois fort, homme. Sois doux. Trouve les mots, cherche les yeux, ouvre tes sens. Abandonne-toi à ton maître. Ta maîtresse. Tu n'es que muscles, elle est sentiments. Tu n'es que sexe, épieu, elle est replis, caresses. Elle connaît alors que tu ne crois que savoir. Caresse-la, vénère-la, love-la dans tes bras. Elle t'accorde l'immense privilège d'être sa chose, tu es abject, accepte son amnistie. Sois doux, homme, sois fort. Plonge dans la rivière de sensualité, nage dans le courant de ses courbes. Homme fort, homme bête, homme brut, assaille-la, brutalise-la jusque dans ses moindres désirs informulés. Mais attention, homme sage, devine-la, ne dépasse pas ton image dans ses yeux. N'oublie pas qu'elle t'a fait, qu'elle peut te défaire. N'oublie pas qu'elle te connaît et te contrôle depuis la nuit des temps. Ton orgueil, ta fierté, c'est elle qui te l'accorde, alors soit fort, homme, remercie-la encore. Et encore. Ton plaisir est méprisable face au sien. Fini. Limité. Caresse-la, lèche-la, embrasse-la. Porte-la sur ta langue, ton sexe, ton poing s'il le faut. Respire ses cheveux. Tu lui as toujours appartenu, corps et âme. Remercie la femme car elle fait aussi ton plaisir. Prouve-lui ta reconnaissance
Suite à un texte posté par Milady Renoir, lui-même suite à un texte écrit par agent provocateur.
Zoom Avant par agent provocateur, Posté le 11/02/2004
D'en haut, une foule qui tangue, un macrocosme qui vibre à l'unisson, flux,
reflux et ressac, comme une vague qui suit le rythme et vient s'échouer au long
d'un bar en forme de brise larmes. Dans les haubans, un DJ tient fermement la
barre, fait souffler le vent et tourner les têtes. Et c'est la tempête en bas,
un entrelacs de corps en transes, d'épidermes en sueur, de pupilles en lueurs.
De bras qui se tendent, de hanches qui s'épanchent, de rêves qui se déplient.
A hauteur d'homme: une improbable love parade, des regards qui scrutent dans un
déchaînement de phéromones et d'appels turgescents. Inutile ce rituel?
Impalpable, certes. Mais éternel. Depuis que l'homme a inventé la danse, depuis
que la femme a appris à hypnotiser l'homme d'un simple roulement d'épaule, d'un
éphémère battement de cil.
Et au milieu du chaos, c'est comme s'ils n'étaient que deux, les yeux rivés,
les sourires extasiés. Pas un frôlement, ça serait vulgaire. Juste une
invitation muette et lascive, une étreinte à distance respectable, pénétration
de l'âme bien avant que celle des corps. Chorégraphie improvisée mais immuable.
Pas de deux. Plus qu'un seul. Instant unique et étincelle épique. Tout dire
sans même avoir besoin d'ouvrir la bouche. Fixer ses yeux, caresser son sein
d'un coin du regard, évaluer son torse d'un hochement de tête. Plonger tout au
fond, dans le silence.
Ici c'est comme dans une bulle, juste deux enfants dans la cohue, deux princes
au milieu des manants. Elle porte sa couronne bien serrée contre son cœur. Il
tient son sceptre dans une forteresse inviolable. Mais une simple secousse et
la réaction en chaîne s'amorce, tellurique, volcanique. L'afflux de sang, les
connexions nerveuses. Et les barrières qui cèdent, l'évidence qui s'impose.
Sans un mot, il lui tend la main. Sans répondre, elle s'arrime aux phalanges, à
les broyer.
Assourdissante, la musique s'impose à nouveau. Et son cri initial lui vrille
les tympans: "EST-CE QUE JE PEUX T'OFFRIR UN VERRE?"
Zoom Arrière par Milady Renoir, posté le 23/02/2004
Petites gouttes de
sueur contre petites larmes de pudeur. Il sert sa main tremblante. Le suivre.
Deux pas, deux cent mètres, deux cent ans. Elle fixe ses talons. Ailes d'anges
sexués arrimées, arrière plan sur arrière train. Il suit les rails de son
enthousiasme, espoir blanc et poudreux. Bientôt le bar, le tabouret, le verre,
la cigarette, les yeux... la bouche ?
Elle ne respire que par à-coups. Il dérive entre bancs de sable et épaves de
cuirassés. Changement de vitesse, la foule éparpille leur intimité relative.
Cap sur un espace. Sentir ses cheveux. Toucher la robe. Accoster son épaule.
L'attendre.
Les hommes la regardent. Premier sentiment de possession. Les autres femmes le
fixent. Premier sentiment d'appartenance. Le bar arrive. Une rampe secoure les
pieds chancelants. Elle est plastique rouge, il est cuir noir. Elle est
résille, il est coton. Elle est dentelle, il est bouton. Ils vacillent de
charme en séduction.
Musique au dehors. La bulle protège. Le manque d'air est salutaire. Partage
d'haleines. Elle rit, personne ne fait attention. Les rangées d'adeptes
secouent corps et âmes sur les battements par minute qu'ils ont oubliés. Les
pistes glissent, les escaliers fondent, les plafonds dégoulinent, les miroirs
ruissellent. Les autres sont autres et ils sont un.
Quatre saisons dans son regard, il veut du coquelicot sur sa bouche, un bleuet
dans son iris, une violette sur l'oreille.
Liquides absorbés. Billet, pourboire, salut. Elle le devance. Ils traversent la
nuée mi-humaine, mi-mutante. Les boules de métal blanc rugissent dans la
lumière noire. Mille de leurs fléchettes tirent sur les deux tendres. Ils
fuient. Ils luisent. Portes anti-feu. Portes anti-Dieu. Ruelle embrumée. Réverbère
andante dans les yeux des ardents. Taxi !
Feu tricolore. Troisième gauche...non, droite ! Petit bout d'auto-route.
Direction tout droit. Lignes des mains convergentes. Vite, chauffeur. Mots mal
placés. Silences mal aimés. La lune esquisse un sourire. Deux étoiles naissent.
C'est ici. Robe froissée. T-shirt froncé. Emotions cadencées au rythme du
clignotant du taxi numéro 1278. Assourdissant, le silence s'impose à nouveau.
Et elle émet un bruit cristallin. " Est-ce que je peux t'offrir un verre ?
"
Travelling
Le silence pulse, le silence explose. Bruissement sec du billet, ronronnement
rassurant du taxi qui part. Le sac à main s'ouvre en un sourire timide, la main
plonge, cherche, les doigts chauds s'enroulent autour du trousseau. Un
lampadaire n'arrive pas à écraser de sa lumière blafarde la bulle de moiteur
qui les entoure. Cliquetis des clés. Regards, sourires en coin, respiration. Il
esquisse un mouvement, soudain timide. La porte s'ouvre. Précipitation,
prévenance, il veut la porter, il la suit, le silence se tait.
Le mur s'écarte en escalier, la peinture s'écaille en haie d'honneur. Il a
touché son bras, elle a passé la main dans son dos. Pour sceller la
progression, acquiescement muet à une question non formulée. La main est restée
sur la hanche, il montent les escaliers, quatre pattes que le noir dévore. Ils
courent maintenant. Course / jeu / rire / terriblement sérieux. Ils ont distancé
l'ombre, ils ont atteint la dernière porte. Le silence observe, le silence est
voyeur.
Robe froissée. T-shirt froncé. Emotions cadencées au rythme du néon de
l'enseigne lumineuse, en face. Elle n'a pas allumé, il l'a arrêtée de sa
langue. Bouche. Langue, doigts. Elle explore l'envers de son t-shirt, dans le
dos. Il examine les plis de sa robe, à la naissance des fesses. Valse rapide,
chorégraphie entendue. Le scénario est oublié mais si bien suivi. La valse les
entraîne de chuchotis en baisers vers le lit. Perfection du moment, entente
millénaire, d'abord le t-shirt, puis la robe, puis le pantalon. Le lit est un
esquif, leur univers est une île déserte. Ils rament, leurs vies en dépendent.
Le silence s'est réfugié en haut de l'armoire, hors de l'univers. Il a fermé
les yeux, mais il écoute et sourit.
Petites gouttes de sueur contre petites larmes de bonheur. Ils serrent leurs
corps tremblants. Le sang reflue, les regards se focalisent. Le volcan s'est
assoupi, heureux, il a agrandi l'île d'une belle coulée. La chambre apparaît,
le réveil retrouve la mémoire et ses chiffres lumineux, le frigo en profite
pour se remettre en route d'un bruit de casserole assourdi. Elle s'agenouille
d'un bond, offrant ses seins à l'enseigne lumineuse. Elle a un petit rire rauque
et essuie le front dégoulinant du garçon. Un métro matinal fait vibrer
légèrement les vitres. Une voiture freine. Elle rit encore puis : "
Est-ce que je peux t'offrir un verre ? "
Il fait suite au texte de Lula que voici :
Les volets bleus - Lula - 18/05/2003
Il est des paysages si vierges sous la pluie qu'on les croirait infinis. Des
étendues immenses qu'on devine encore plus loin que portent les yeux, des
routes ou des chemins dont on ne voit ni d'où ils viennent ni où ils vont. Pas
d'arbres mais des haies. Les fils du téléphone ou d'autres lignes, plus hautes
encore. Quelque part sur la droite, une maison blanche au toit rouge et aux
volets clos. Bleus, les volets. Par-dessus tout ça, un ciel étonnamment bas et
étonnamment gris, et partout, cette bruine poisseuse qui envahit l'espace. Tout
ça forme un ensemble peut-être irlandais. Il y a une voiture, sur un des
chemins, qui roule à vive allure dans le crachin. C'est la seule chose qui
bouge, dans l'ensemble irlandais baigné de pluie et de gris, mais on a à peine
le temps de l'écrire que déjà, elle ne bouge plus. Elle s'est fichée dans un de
ces poteaux de béton qui soutiennent les fils loin au-dessus du sol. Elle
aurait voulu passer au travers qu'elle ne s'y serait pas prise autrement. Le
capot est enfoncé, recroquevillé et quelque chose fume terriblement dans la
campagne qui avait déjà eu son compte de brouillard pour cette année. Rien ne
se passe. La fumée monte en colonne, la voiture, désormais, a l'air d'être là
de toute éternité, fichée dans le poteau, sous son nuage ascendant. On pourrait
reprendre la description du paysage, la virginité, l'immensité, les routes, la
maison. Et la voiture. Mais une forme en sort, peut-être rampante ou en tous
cas courbée. Elle porte la main à sa tête, elle trébuche sur un caillou, tombe,
se relève. Dans cette position douloureuse, elle contourne la voiture, observe
la colonne de fumée. Et pousse vers le ciel si bas et si gris un hurlement, un
hurlement long et pénible, profond, un refus terrible mais il semble qu'il soit
trop tard, beaucoup trop tard pour refuser quoi que ce soit. La forme qui
criait ouvre une porte à l'arrière de la voiture et on voit qu'elle en sort un
couffin de paille et de tissu bleu, du même bleu que les volets. Puis elle replonge
dans la voiture, y disparaît quelques instants, quelques secondes, et on la
voit revenir et poser dans le couffin une deuxième forme, toute petite et toute
molle. Sans doute toute morte, mais on est un peu loin pour en être sûr. Elle
s'agenouille à côté du couffin et on suppose qu'elle va rester là jusqu'à ce
que la vieillesse l'emporte, parce qu'il se passe des heures entières sans
qu'elle bouge. La nuit tombe sans un bruit, la nuit écoule le temps qui lui est
imparti, puis le ciel s'éclaircit, toujours couvert de nuages et on peut voir
qu'il bruine encore. Et on peut voir que la forme n'a pas bougé, l'opacité de
la nuit n'a pas changé un iota au tableau de la veille, elle est toujours à
genoux devant le couffin, à côté de la voiture. Simplement, le capot ne fume
plus.
Dans un autre endroit, un paysage plus urbain, ou carrément urbain même, on
voit d'autres choses. Des immeubles, des avenues larges, des files de voitures,
des humains pressés, des chiens errants, quelques arbres. Il pleut pareil,
c'est le même matin. Il y a un immeuble, très haut, couvert de fenêtres. Il y a
vingt-huit fenêtres sur chaque façade de l'immeuble, elles vont par deux, à
chacun des quatorze étages. Derrière la douzième en comptant à partir du sol,
il y a une femme qui tourne entre ses doigts une mèche de ses cheveux. Ses yeux
sont cernés, ses genoux sont remontés contre son menton, son autre main est
posée sur un téléphone noir. Qui ne sonne pas. La télévision donne en sourdine
des nouvelles du monde et du pays. Cette femme doit avoir vingt-cinq ans,
peut-être moins. Elle porte un pull bleu parce qu'elle aime le bleu, c'est
aussi la couleur de ses yeux mais elle n'y peut rien. Il y a un aquarium dans
un coin de la pièce où des poissons colorés ne se soucient de rien. Il y a une
étagère blanche couverte de livres et de pots en céramique bleue. Il y a la
porte d'entrée, peinte en blanc. On ne sait pas s'il y a un œilleton parce que
des manteaux y sont suspendus sur une patère en forme de lune. Tout est bien
rangé, dans la pièce, les fauteuils sont à leur place, les plantes en pots sont
à leur place, et sur la table basse en rotin, les magazines sont empilés
exactement. Dans le coin, près de la fenêtre, il y a un bac en plastique bleu
et dans le bac, des jouets colorés, un ours en peluche, un hochet.
Derrière les volets bleus de la maison dans la campagne, sous la pluie, un très
vieil homme s'est levé et il s'est préparé un bol de chicorée au lait parce
qu'il se souvient que, pendant la guerre, c'était déjà une chance d'avoir du lait.
Il n'a pas l'habitude de sortir de chez lui plus loin que longeant les murs de
la maison, pour ouvrir un à un les volets bleus qui empêchent le jour d'entrer,
de six heures du soir à six heures du matin. Il enfile des bottes en caoutchouc
à ses pieds nus, un ciré vert sur son pyjama et tourne la clé dans la lourde
porte d'entrée. Il voit immédiatement la voiture dans le poteau et la forme
racrapotée à côté. Il a horreur des ennuis, le très vieil homme, et de toutes
les choses qui perturbent son quotidien. Si cette voiture s'était enfoncée dans
un autre poteau, un peu plus loin, et qu'il n'était pas obligé de la voir, il
l'aurait probablement effacée de son champ de vision, mais elle est vraiment
devant sa porte, à quelques centaines de pas alors il avance vers elle à
travers le jardin puis à travers la prairie parce que ce serait un sacré détour
d'aller chercher la route. Il arrive près de la voiture et plus il s'approche
plus il distingue la petite masse à côté de la silhouette penchée. Il voit ce
panier et cet homme à genoux et il frotte d'une main son menton mal rasé. Il se
souvient de sa fille emportée par la grippe espagnole et de sa femme morte de
chagrin dans l'année qui avait suivi. Il hésite à faire demi-tour et à refermer
ses volets mais finalement il s'agenouille près de l'homme, dans la boue, et
pose sa main sur son épaule. L'homme est trempé, probablement jusqu'aux os. Le
très vieux lui met son ciré sur le dos et frissonne mais tant pis. Il l'aide à
se relever. L'homme ne dit rien, il tient contre lui le panier serré et la
petite chose qui s'y trouve semble dormir en fait. A l'intérieur de la maison,
il pose le couffin près de la cheminée et se déshabille entièrement, parce que
c'est l'ordre qu'il a reçu du vieux et qu'il n'est pas en état de discuter.
C'est le vieux qui téléphone puis il monte chercher des couvertures et un
caleçon long comme on n'en fabrique plus depuis trente ans au moins, mais
l'homme le plus jeune l'enfile et c'est bon parce que c'est sec et qu'il a
chaud, alors il dit merci.
Dans une vieille fourgonnette blanche qui roule en toussant sur un des chemins
de la campagne, il y a un jeune homme, peut-être portugais ou espagnol, qui
chante à tue-tête avec la radio. Il porte une salopette bleue et un pull gris
en dessous. Il tape en rythme ses deux mains sur le volant. Sur les côtés de la
fourgonnette et sur la portière, on peut lire, écrit en lettres noires
Alimentation Générale O'Toole - Livraison à domicile. O'Toole, ce n'est
probablement pas le nom du jeune homme qui conduit et qui chante, lui, il
s'occupe seulement des livraisons, et il livre chez le très vieil homme, tous
les mercredis, tôt le matin, du lait et d'autres choses qui sont commandées par
téléphone. Le très vieil homme est gentil, il offre toujours un bol de café ou
de quelque chose de semblable que le jeune méditerranéen ne reconnaît pas. Il
pose les cartons dans la cuisine et s'assied à la grande table. Souvent ils
discutent, le jeune parle de l'amour qui lui passe par le cœur, et le vieux
sourit. Ce sont des moments qu'ils ont l'air d'aimer, tous les deux. Il chante,
donc, en conduisant sur le chemin. Il est surpris en voyant la voiture dans le
poteau, il s'arrête et sort pour voir s'il reste quelque chose à faire, mais il
voit qu'il n'y a plus personne, ni dedans ni autour, alors il remonte dans sa
fourgonnette et se dit qu'il préviendra la police en arrivant en ville. Il ne
sait pas que la police est déjà avertie et même qu'elle est déjà en route et
qu'ils vont probablement se retrouver tous dans la cuisine du très vieil homme
qui n'a plus accueilli tant de monde depuis au moins quinze ans.
Deux hommes en uniforme. Le très vieil homme en pyjama. Un plus jeune en
caleçon long. Et le tout jeune aux cheveux noirs dans sa salopette. Tous ces
hommes sont là, en effet, attablés autour de cinq bols fumants. Quelqu'un a
jeté un drap sur le petit couffin, c'est probablement l'image la plus triste
dans la pièce, ce drap presque blanc jeté sur ce petit couffin.
Bien plus tard dans la matinée, l'homme est entré dans l'ascenseur avec les
deux officiers de police et ils sont montés jusqu'au douzième étage. Il a
glissé sa clé dans la serrure d'une porte du palier et poussé cette porte. La
femme du fauteuil, dans son pull bleu, a lâché d'un coup la mèche de ses
cheveux et le téléphone noir, elle s'est levée, elle porté les mains à sa
bouche, assourdissant un cri. L'homme l'a serrée contre lui et ils ont pleuré.
Ils ont pleuré longtemps.
Dehors, la pluie s'était arrêtée.
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Le bus vingt-trois - Jean-Louis - 08/03/04
La femme a le soleil dans les yeux. Un soleil horizontal, qui éclaire les
arcades par en-dessous. Un soleil qui éclaire certaines rues d'orange et qui
laisse les autres dans l'ombre. Il y a un immeuble, très haut, couvert de
fenêtres. Il y a un bâtiment de grosses pierres avec des grilles. Il y a une
cathédrale, grise, lourde. Ces bâtiments ont l'air écrasés par le temps et
c'est sans doute pour cela qu'ils se vengent sur les gens. Les gens courbent
l'échine; malgré le soleil, le temps est mauvais. Les voitures se pressent pour
sortir de la ville, en de longues files interminables. Pour la femme de
cinquante ans qui longe les arcades avec son cabas à roulette, le temps est
carrément méchant. Il y a quelques mois, la femme de cinquante ans en avait
vingt-cinq de moins. Il y a quelque mois, elle avait la vie devant elle.
Maintenant, elle est derrière, dans le quartier dix-sept au bout de la ville,
dans une petite caisse en bois verni avec une pierre, des fleurs et des larmes
dessus. Des larmes qu'elle vient renouveler chaque semaine en prenant le bus
vingt-trois.
L'homme avait juré qu'il ne toucherait plus une goutte d'alcool. Qu'il ne
conduirait plus jamais. Il est des serments que l'on qualifie d'ivrogne, des
serments qui ont l'habitude d'être brisés, chaque soir, devant un nouveau
verre. Cet homme avait semblé différent. Le verre, lui, est le même. Un verre
rempli d'une boisson noire, épaisse. Servie en trois fois dans une pinte
ventrue.
Il a tenu plusieurs mois. On dit qu'il a échoué à cause de sa femme. A cause du
bus vingt-trois et du lourd silence qu'elle lui assène chaque semaine. A cause
du divan qu'il aborde à la huitième pinte. Elle ne veut plus d'enfant, elle ne
veut plus le toucher, elle ne veut plus de lui dans son lit. Habituellement, à
la dixième, il ne voit plus le poteau sortir de la brume devant lui, il ne
ressent plus l'embrassade de la tôle et du béton, il ne ressent plus cette
douleur dans la poitrine qui ne le quitte pas de la journée. Alors il rentre
chez lui en chantant et s'effondre sur le divan.
Il n'a plus jamais conduit. Mais il boit, de plus en plus tôt.
Il est seize heures, et le soleil horizontal entre par la fenêtre du pub, rampe
sur le bar, danse avec la fumée au son du fiddle, cascade sur
Le vieil homme au gilet noir derrière le bar pourrait avoir cinquante ans. Il
pourrait en avoir trente de plus, mais qui peut le dire, dans cette pénombre.
Il ne parle presque jamais, par contre il sait écouter. Il écoute aussi bien
que quelqu'un de cent-cinquante ans. Le pub n'est pas grand et est souvent
rempli d'habitués. Il a déjà le verre sous la pompe correcte quand le client
lance sa commande. Il ne sert que des bières pressions. Quelques whiskeys
parfois, et des bayleys à des femmes ou des touristes égarés. Il a bien noté
l'absence de plusieurs mois de l'homme qui prend
Le vieil homme a noté avec tristesse qu'il venait de plus en plus tôt. Oui,
l'homme doit être vieux pour regretter l'assiduité de ses clients. Le vieil homme
se dit parfois qu'il préférerait être dehors à recevoir le soleil sur sa figure
plutôt qu'à servir de la bière, la tête dans la fumée à l'odeur de tourbe.
Le vieil homme regarde le soleil étalé sur le comptoir. Il voit le regard de
l'homme se lever vers l'extérieur. Il note l'à-fond qu'il fait de sa Guinness.
Il le catalogue comme hautement inhabituel. Puis l'homme se lève et part,
rapidement, sans payer. Il le note aussi. Dans la pénombre, on n'aurait pu dire
si le vieil homme avait haussé un sourcil.
La femme a dans les trente-cinq ans. Elle fait les trajets treize, dix-huit et
vingt-trois depuis 2 ans. Son plus grand plaisir est de klaxonner contre les
chauffards, puis d'exprimer son dégoût en criant bien fort un 'ah les hommes au
volant'. Elle reconnaît rarement les gens qui montent dans son bus, elle fait
trop attention à la route, à la circulation, aux horaires, alors elle ne
reconnaît pas la jeune femme tellement abattue qu'elle en paraît vieille. Elle
ne se rend pas compte qu'elle vient toutes les semaines depuis des mois, et que
son air abattu a sans doute quelque chose à voir avec le cimetière où elle
descend. Ce qu'elle voit, c'est ce soleil horizontal. Elle déteste ces fins de
journées ensoleillées, où les rues passent de l'ombre à la lumière, et où il
faut quelques fractions de secondes pour accommoder. Mais le soleil a parfois
du bon. Comme cette fois où elle a pu voir à temps dans son rétroviseur l'homme
débouler des arcades en agitant le bras. Elle a soupiré comme sa porte qui
s'est ouverte sur l'homme essoufflé. L'homme s'est retenu à la barre lorsque le
bus a redémarré. Aurait-il vacillé de même s'il était resté immobile?
Au lieu de présenter de la monnaie, il lui présente un couteau, puis se place à
côté d'elle. La femme a dans les trente-cinq ans, et elle aimerait bien avoir
beaucoup plus. Il est évident que là, maintenant, elle n'a plus du tout envie
de faire les trajets treize ou dix-huit. Le vingt-trois encore moins, et ça
tombe bien parce que l'homme non plus. Il lui dit de ne plus laisser monter ou
descendre personne. Pour que les passagers se plaignent moins, il fait une
petite entaille dans le cou de la femme. La petite traînée rouge les fait
taire. Puis il dit à la femme de se diriger vers le soleil. La femme a horreur
de rouler avec le soleil dans les yeux, mais elle ne le dit pas. Dans le bus,
tout le monde regarde la petite traînée rouge, le couteau, la main crispée,
l'homme. Toutes les jeunes femmes voûtées de cinquante ans avec un cabas à
roulettes le regardent fixement. Sans bouger, pendant que le bus roule vers le
soleil, comme par hasard à l'opposé du quartier dix-sept, et du cimetière. La
route vers l'ouest mène le bus hors de la ville. La femme n'a plus klaxonné,
pourtant, il y a toujours des hommes aux volants des voitures qui passent. Le
soleil se couche, et la route longe la mer en serpentant. L'homme laisse
retomber sa main. Il murmure quelque chose, la femme arrête le bus, ouvre la
porte.
L'homme marche vers les derniers rayons du soleil, les pieds dans les plantes
halophytes. Il s'assied sur un reste de muret, au bord de la petite falaise. Il
regarde son couteau un instant, l'incline devant ses yeux, essayant d'en faire
briller la lame, mais le soleil est couché. Il finit par le lancer loin devant
lui puis offre son visage à l'air refroidissant rapidement, chargé d'embruns.
La conductrice du bus a essuyé la petite traînée rouge. Elle se dit que
peut-être, oui, il faudra bien, elle continuera son boulot. Il est régulier et
il paie correctement. Même la ligne vingt-trois. Ses enfants en ont besoin. Le
bus bourdonne de soulagement, d'exclamations. Une femme regarde l'horizon, là
où le soleil s'est couché. Elle pleure doucement. On ne pourrait dire son âge.
Sans doute pas si vieille qu'elle n'en a l'air.
Le bruit du ressac se mêle à celui plus très lointain déjà d'une sirène de
police.
Décrire une situation ridicule dans laquelle un animal a enrayé le fonctionnement d'un véhicule de votre choix. Si si, c'est arrivé plus d'une fois ! Deux exemples : Olivier de Kersauson aux prises avec un calamar géant sur son trimaran Geronimo pendant le défi Jules Verne en 2003, et l'immobilisation au sol d'un airbus Zurich-New York pendant 24 heures à cause d'une souris échappée, finalement gazée avec du dioxyde de carbone. La contrainte : l'un des "passagers" est un enfant obsédé par les jeux vidéo et il a un problème de communication (à vous d'imaginer lequel). Tous styles et toutes époques autorisés.
Safari (Jean-Louis, 16/03/04)
Safari
Il court, saute, esquive. Il saute, attrape une pomme. Saute encore. Une pomme.
Une pomme, une autre. Il se baisse à temps pour éviter une noix de coco lancée
par un singe. Il court, saute sur le rocher puis bondit au-dessus du singe pour
attraper la fiole verte.
Extra life bonus.
Le père est exaspéré par cet enfant qui ne s'intéresse à rien. Licence en
emmerdement des parents passée avec succès à onze ans. Félicitations du jury et
tutti quanti. Le jury n'a jamais eu d'enfants. Le jury n'a sûrement jamais fait
l'effort d'emmener cet enfant découvrir le monde. Le jury n'a jamais fait
l'expérience de traîner un gosse et sa gameboy dans les parcs naturels
d'Afrique du Sud.
Krueger park, Jeep safari, chauffeur guide obligatoire, interdiction de sortir
des pistes, sortie du véhicule hautement déconseillée.
Le chauffeur a laissé tourner son moteur au ralenti dix minutes. Il vient de
l'arrêter à la demande de l'homme à la caméra. Maintenant, ce serait le calme
plat si ce n'étaient le bruissement des criquets, le flap flap des oreilles et
le reniflement des monstrueux pachydermes qui bloquent la route. Jean en a
compté cinq, dont un avec deux énormes défenses, et un éléphanteau. Jean
chuchote avec le guide qui lui explique l'histoire du vieux mâle avec la
défense abîmée. Jean est debout dans
Ce serait le calme plat si ce n'était le bip tiouuuu doing doing continu de la
gameboy de Martin.
" Martin nom d'une pipe, pour la dixième fois tu vas arrêter ça, oui ? Tu
as au moins vu pourquoi on est arrêtés ? "
" Reste trois niveaux, jamais été si loin. Vais sûrement pas m'arrêter
maintenant. "
Il lève furtivement les yeux puis les replonge sur son écran.
" Et ouais, y a des éléphants. Content ? "
Le chauffeur se garde bien de sourire, mais ses yeux sont amusés. Il regarde
tantôt le père qui est visiblement de plus en plus énervé à propos de la bande
son foutue de son film, tantôt la mère qui regarde les animaux sans rien dire,
qui a en fait l'air d'être sourde aux sons du jeu comme aux soupirs
d'exaspération du père.
" Mais enfin, Monique, dis un peu à ton fils d'arrêter. C'est pas possible
qu'il ne comprenne pas ce qui se passe en ce moment. Une séquence comme ça, on
n'en aura jamais plus "
On dirait que la femme se rend compte à retardement qu'on lui a adressé la
parole. Ou alors elle s'est demandé si elle pouvait laisser passer l'éclat
comme le reste du bruit de fond, et a finalement décidé que non.
" Mon chou, comme ça, au moins il est calme. C'était bien pratique dans
l'avion, non ? "
Le chauffeur s'est replongé dans l'étude des éléphants, une main sur le
contact. Il ne devrait pas éteindre le moteur, mais un peu d'animation lui
plait toujours. Et dans son métier, l'animation est bien plus souvent dans
Le père est resté figé cinq secondes, le temps pour Martin d'effectuer d'autres
contorsions frénétiques des avants-bras et, au son produit par l'appareil,
d'atteindre un niveau supérieur.
L'œil du chauffeur fermement vissé sur le rétroviseur central perçut alors le
mouvement du père plongeant vers le fils. Il ne comprit pas de suite le cri
d'exclamation de la mère, ni pourquoi le gosse avait sauté d'un bond hors de
Martin court, saute, esquive. Passe entre les pattes. Il se baisse et ramasse
en courant sa gameboy. Les mains plongent sur les commandes et il s'arrête sur
place. Juste à temps pour esquiver les noix de cocos. Ils sont trois singes qui
le canardent cette fois. Plus de rochers, mais un arbre. Il grimpe et avance,
suspendu à la branche, hors de porté de tir. Au bout de la branche, il n'a pas
le choix, il se balance et lâche, saute sur la tête du premier singe, rebondit,
attrape au passage une caissette de pièces, rebondit sur la tête du second,
attrape une fiole rose, une fiole verte l'attend au-dessus de la tête du
troisième, s'il le peut, il va rebondir...
Non, il est tombé juste au pied du troisième singe. Celui-ci le canarde à bout
portant avec sa réserve de noix, et le second a fait demi-tour et fait de même.
En quatre secondes, il perd les deux vies qu'il avait gagnées. Game over. Mais
quand même, il n'est jamais allé aussi loin.
Il rentre vers
" Bon, on y va ? Y a plus rien qui bloque, là. "
Un personnage masculin ou féminin (original, le personnage, svp) tombe amoureux fou d’un tableau dans un lieu public et le vole pour l’accrocher chez lui. Ce tableau (qui sera ou ne sera pas décrit dans le texte) le rend fou : de rage, de frustration ou de bonheur, de passion... au choix. La cohabitation est difficile car il domine de moins en moins ses pulsions (caractérielles ou sexuelles, mystiques ou autres). Comment tout cela va-t-il finir ? Monologue, description, délire mis en scène à votre manière. Une seule contrainte : une carte de Tarot est collée au verso de la toile et devra se glisser dans l’intrigue.
Ils sont partis (Jean-Louis, 16/04/2004)
Ce texte fait référence à d’autres exercices :
Mme Pipi a des ennuis, M. Papa s'fait
du tracas (D'un côté, Mme Pipi se tracasse. Quelqu'un
est entré depuis belle lurette dans un des cabinets et s'y trouve toujours.
Ailleurs, un père s'inquiète du retard de son fils.)
Mozin marin (Voici les mots à utiliser (au moins dix de
ces mots) dans un texte sur le thème de la mer, style libre: embrun, cap,
tsunami, pierres, glacier, étage bathyal, lame, voile, plombier, fish stick,
mousse, foc, bleu, astérie)
Le petit martien illustré (En hommage aux auteurs de
SF, tels HG Wells, Edgar Rice Burroughs, Gustave W. Pope, George du Maurier,
Kurd LASSWITZ et en référence à la grande date du mythe martien : le 30 Octobre
1938 avec la transcription radiophonique de "
Trio de pattes (Une idée de Titi, un titre de Bigben et un clin d'oeil
à Ada B. Je vous propose d'écrire un récit érotique dont le thème sera :
"Rencontre à trois". Lieu, époque, style, choix des personnages sont
à votre choix. Pour les amateurs de contraintes : présence d'eau.)
Ils sont partis
Madame Pivanov discute avec ses mitochondries. Elles lui disent que les
Martiens nous envahissent alors qu'ils n'ont pas le droit. Pyressia ne comprend
rien à ces voix qui chuchotent ces messages avec insistance. Les voix lui
parlent de lois galactiques, d'unicité d'occupant, de précédence et de
jurisprudence.
La première fois qu'elle les a entendues, c'était quand elle avait collé un
huit de trèfle derrière un petit tableau de Vermeer au musée. Elle avait juste
soulevé le cadre pour placer la carte préparée avec le ruban adhésif. Pyressia
adore les tableaux et s'en fait un hit-parade personnel. Elle cote ainsi ses
préférences et savoure secrètement son audace.
Donc Pyressia Pivanov, grande amatrice de peinture, juriste en droit
international et traductrice, attachée au cabinet du ministère de l'intérieur
se tracasse. A cause de ces voix, bien sûr. Un poste gouvernemental n'est pas
vraiment compatible avec des hallucinations auditives, encore plus si elles
discutent d'une invasion martienne en cours dont personne ne parle. Mais ses
soucis sont aussi liés à la présence du général en chef des forces armées qui
s'est enfermé dans le cabinet ministériel depuis près de huit heures.
Elle se voit déjà à la une des journaux.
"Madame pipi découvre un drame sordide dans le cabinet"
Car, elle pouvait en être sûre, les journalistes découvriraient rapidement le
sobriquet dont on l'avait affublée. Il n'empêche, huit heures dans ce cabinet
insonorisé, sans manger, ça incitait à se poser des questions...
"... et spiritu sancti, amen"
Les gamins s'assirent en laissant éclater les conversations qu'ils avaient
réussi à contenir les quelques secondes de la prière, et se ruèrent sur la
purée et les fish sticks.
- Joachim n'est toujours pas revenu?
Petit col noir ras de cou, figure couverte de rides, yeux bleu glacier, sourire
pouvant être à la fois froid, sec, sévère et immensément réconfortant, le père
Sullivan avait l'air inquiet. Malgré la rigidité d'éducation qu'il essayait
d'insuffler dans l'orphelinat, il se prenait immanquablement d'affection pour
les plus tordus de ses jeunes enfants, catégorie qui, de son opinion
personnelle, les englobait tous. Les enfants d'ailleurs le lui rendaient bien,
pour preuve notamment les lettres de tissu qu'ils avaient un jour cousu sur le
dos de sa redingote: Su Père. Le nom lui était resté.
- Non, Super, on ne l'a pas vu depuis hier soir.
Joachim était un garçon de sept ans très sensible, et il avait été le premier
affecté par ce que les médias appelaient la phobie martienne.
"Des gens entendent des voix.", "Mars attaks", "Des descendants
de Jeanne d'Arc", "Boutons ces Martiens hors de Terre"... Les
titres des journaux reflétaient l'incertitude, voire l'ironie des sceptiques.
Le père Sullivan, lui, y croyait à ces voix, même s'il ne les avait pas encore
entendues.
Joachim avait été affolé, et pendant une semaine avait parlé d'entités
martiennes qui nous envahissaient par milliards, logées dans leurs vaisseaux
interstellaires à propulsion Vanderwaals, de loi galactique interdisant une
double colonisation, d'évolution qui avait déjà atteint le cap. Hier, il avait
hurlé partout qu'il suffisait que la terre fasse une déclaration, qu'il
suffisait de citer l'article 293-35 ter, et que tout serai réglé, que c'était
juste que personne n'était au courant des lois galactiques, qu'il fallait leur
dire.
Sullivan l'avait serré dans ses bras et l'avait consolé pendant près d'une
heure avant qu'il ne s'endorme.
Au matin, en constatant sa disparition, le père avait juste dit "Ah,
misérable". Personne n'aurait pu dire à qui cela s'adressait.
Etienne a fort à faire depuis quinze jours. Il analyse la qualité de l'air à
l'institut de gestion de l'environnement. Et depuis quinze jours, une vague
d'allergies à des pollens ravage la capitale. Certains disent que c'est lié au
martiens qui nous envahissent, que ces pollens ont été apportés par des ovnis
qu'on ne voit pas. En tout cas, depuis hier, Etienne est certain que ces
pollens en sont la cause, même s'il n'a pu trouver leur origine. Et ces
allergies ont débuté en même temps que les voix...
Etienne profite du soleil, les yeux fermés, son sandwich à la main quand un
petit garçon s'arrête devant lui.
- Dis monsieur, si je veux que la terre fasse une déclaration aux martiens, à
qui je dois parler?
- Hein?
Etienne a ouvert les yeux sur le soleil, étouffe un juron, puis regarde le
gosse. Il ne sait pas pourquoi, mais un si petit bonhomme qui lui pose une
question pareille, ça ne le dérange pas, même que ça demande une réponse
immédiate et sérieuse.
- Je ne suis pas certain. Tu pourrais essayer les médias, TV ou journaux, mais
on entend tant d'histoires en ce moment. Essaye plutôt le cabinet du ministre,
tu as plus de chances de te faire entendre. Ils pourront relayer ton histoire.
- Et je le trouve où, ce cabinet?
- T'as de la chance, bonhomme, c'est juste deux rues plus loin, à droite. Au
numéro seize. Tu verras des policiers en orange fluo devant la porte.
- Merci beaucoup. Dis, monsieur, c'est pas ses pollens, c'est des soucoupes.
Les Martiens y sont dedans.
Etienne sent des picotements lui parcourir le dos en regardant l'enfant
s'éloigner.
- Hein? dit-il finalement après qu'il eut tourné le coin, un voile dans les
yeux. Hein??
Super Papa est très inquiet pour son fils. Ils les aime tous, mais surtout
celui-ci. Peut-être parce qu'il est plus sensible. Peut-être simplement parce
qu'il n'est plus là. Super Papa a dit à ses enfants de prier pendant qu'il
allait sauver son fils, car c'est sa mission. Super Papa a mis sa redingote
malgré le soleil. Il serre sa main sur les morceaux de tissus qui traînent dans
le fond de sa poche depuis des années. Super Papa se dit qu'il doit le sauver.
Même si beaucoup ne seront sauvés qu'un temps, même si ce sont des voyous,
qu'il n'y a plus de jeunesse, même si beaucoup passent par la case prison à un
moment de leur vie. Arpenteur du soi, déboucheur d'angoisses, plombier des
âmes, Super Papa sauve les orphelins, c'est sa mission dans ce monde décadent.
Pour autant qu'il les retrouve lorsqu'ils s'enfuient.
Joachim est entré dans le grand bâtiment. Quelque chose de particulier empêche
les gens de l'arrêter. Des voix subliminales ordonnent aux gardes de s'écarter.
Joachim est presque en transe quand il arrive dans l'antichambre. Il ne voit
pas Pyressia qui le regarde arriver, et qui sourit comme soulagée. Il ne la
voit pas car il est soudain fasciné. Tout d'un coup, du vert, un voilier
ballotté par les vents, grand mât abattu, foc déchiré. Il voit la mer, les
embruns, il voit des vagues énormes, une surtout, dressée comme une lame sur
l'horizon. Un tableau tellement beau qu'il se perd dedans, à la rencontre des
silhouettes sur la poupe, tellement petites qu'il a suffit de trois coups de
palettes au peintre pour les créer, tellement petites qu'elles laissent de la
place à Joachim entre elles. Un tableau tellement beau qu'il décide de tout
oublier, d'oublier les voix, sa mission, alerter la terre, empêcher l'invasion
des martiens. Il écarte les bras très grands et il plonge. Ses bras s'agrippent
de justesse aux bords du cadre, et il tire, pousse, le décroche et court.
Madame pipi cesse de sourire. Elle secoue la brume qui s'était emparée d'elle,
laissant à nouveau éclater les voix dans sa tête. Elle essaie de comprendre
pourquoi elle n'a pas réagi en laissant ce gamin s'emparer du Tsunami de
Parveggio, une de ses préférées. " Rattrapez-le, il a compris ce qu'on
voulait dire, il peut les convaincre, il peut faire partir les Martiens "
Sa voix s'élève, mais elle n'a répété que la première partie. Elle court et
hurle. Elle dévale les escaliers de ses grandes jambes, mais il a déjà disparu.
Les policiers en fluo ne comprennent pas ce qu'elle leur crie. Oui un gamin est
sorti, ils empêchent les gens de sortir, pas de rentrer. Pyressia pleure son
tableau, un de ses préférés, un qu'elle avait réussi à faire installer dans son
bureau. Et puis, du coin de la rue, elle voit arriver un vieil homme en
redingote noire tenant un tableau sous un bras et traînant un enfant par
l'oreille. Il répète en secouant la tête " misérable, misérable... "
Pyressia arrache le tableau des mains de l'homme, et retire subrepticement du
dos du tableau une carte à jouer maintenue par un peu de masking tape. Un
cavalier de cœur. Non, Pyressia n'a vraiment pas envie d'expliquer cette manie
maintenant.
Discussion, menaces, excuses finissent par ramener le trio dans l'antichambre
du cabinet. Joachim répète son histoire, soutenu par Sullivan, quand le
ministre sort accompagné du général. Le général pâle comme un mort. Le général
qui balbutie que des voix lui parlent soudain et qu'il doit écouter un petit
garçon, qu'il en va de l'intégrité du symbiote humain. Et le général écoute le
garçon. La suite est apparue bien vite en gros titres dans les médias.
" Les Martiens obligés de se plier au code galactique. Il suffisait de
leur signifier "
" Les Martiens sont partis, les voix s'apaisent. Ce n'était pas un mythe
ni des affabulations. "
" Un chercheur de l'institut de gestion de l'environnement découvre
l'incroyable vérité. Les Martiens étaient parmi nous dans leurs vaisseaux
microscopiques, et cherchaient à envahir nos cellules. "
" Une incroyable nouvelle. Les Martiens n'étaient pas les premiers !!!
"
" Les mitochondries sont les premiers extra-terrestres à nous avoir
colonisés il y a plusieurs millions d'années, déclenchant le processus de
conscientisation. Notre intelligence ne serait pas humaine. "
Pyressia et Sullivan se sont revus. Sullivan avait remarqué le cavalier de
cœur, tout comme il avait vu un tableau dans une exposition avec une de ces
cartes au dos. Les coïncidences rapprochent les gens. De même, Etienne avait
tenu à remercier Joachim qui lui avait indiqué la piste de départ de sa fameuse
trouvaille. Il devint rapidement l'ami de Sullivan et Pyressia. L'évolution de
cette relation à trois ne manquerait pas de surprendre plus d'un, surtout
sachant que Sullivan est prêtre et bien âgé, mais ici n'est pas l'endroit pour
une histoire érotique, et je vous souhaite donc le bonsoir...
Une idée de Titi, un titre de Bigben et un clin d'oeil à Ada B. Je vous propose d'écrire un récit érotique dont le thème sera : "Rencontre à trois". Lieu, époque, style, choix des personnages sont à votre choix. Pour les amateurs de contraintes : présence d'eau.
Une vie rangée (Jean-Louis, 26/04/2004)
Une vie rangée.
Grenat s'est levé à huit heures ce samedi. Il regarde la glace de la salle de
bain d'un œil absent. Absent et entouré d'un coquard. Et il fallait que ça
tombe aujourd'hui. J'ai intérêt à y aller plus tôt que prévu, ils vont avoir du
boulot en maquillage. Foutu connard à mobylette. Il fit couler de l'eau dans
ses mains en coupe, s'en aspergea le visage. Il prit l'essuie-éponge rouge vif
comme sa robe de chambre et s'en tamponna délicatement le visage. Ca fait
encore mal. Il m'a pas raté cet enfoiré. Je me demande si ce n'est pas comme
Luis a dit, qu'ils étaient de mèche, et qu'il a fait exprès de caler sa machine
devant moi. Heureusement qu'il y a eu un attroupement, sinon il partait sans
doute avec ma coccinelle. Ou alors ils ont décidé qu'une coccinelle rose,
c'était bien trop voyant, et ils se sont contentés du plaisir de frapper un
pédé. Sur qu'après ça, la mobylette est repartie sans problèmes. Grenat regarde
son grand lit avec Luis, et l'autre dont il a oublié le nom. Il fait chaud
malgré l'heure matinale, Luis dort sur le ventre, un bras en travers de la
poitrine lisse de l'autre. Bon dieu, quels muscles il a. Peu marqués, mais de
l'acier. Cela vaudrait presque la peine que je me fasse à nouveau tabasser, si
ça me vaut les gâteries de Luis et de son amant. Certainement, même. Tu peux
regarder seulement, si tu n'oses pas plus, mais j'aimerais vraiment te serrer
contre moi, entre nous. Si je n'ose pas plus. Tu savais ce que tu faisais, hein
mon Luis, mon cochon.
Grenat se tenait devant le lit, la robe de chambre entr'ouverte. Son sexe
commençait à se redresser. Sur le lit, celui dont il avait oublié le nom
bougea, changea légèrement de position, libérant un peu plus son entrejambe.
Grenat soupira, la bouche sèche. Et merde j'en ai encore envie. Luis, mon Luis,
qu'est-ce que tu m'as fait faire. Faut que je m'habille que je sorte. J'ai les
jambes qui tremblent, nom de dieu! Il avait laissé tomber la robe de chambre et
était resté là la bouche ouverte et sèche pendant près d'une minute. Puis il
avait pris ses vêtements dans la penderie et était sorti. Il s'habilla en
silence dans le couloir. Des fesses de marbre et pourtant accueillantes. Une
cravate ou plus décontracté. Bah je mets jamais de cravate, c'est pas parce que
je passe à
Grenat prend l'invitation de la chaîne nationale au débat de ce soir. Le débat
sera enregistré à midi, ce qui leur laisse amplement le temps de l'éditer.
"Gay et lesbiennes, une vie rangée?" Grenat avait été invité en
raison de sa vie publique de critique d'art bien connue, et de sa vie privée
avec un producteur de radio. Une vie bien rangée depuis quinze ans. Bien rangée
où ça, hein, Luis? Henry est parti trois jours, tu débarques avec ton bellâtre,
et voilà comment une vie rangée depuis quinze ans se fait défoncer. J'avais
presque oublié comment c'était, Henry. C'est bon. C'est trop bon, d'ailleurs.
L'enveloppe et son invitation tombent du bout de ses doigts fatigués sur la
table de la cuisine. Grenat revient dans la chambre, s'assied à côté des deux
hommes enlacés. Il fait glisser ses doigts sur la poitrine du jeune homme
couché, passe sur le bras de Luis, descend plus bas, enveloppe d'une caresse le
sexe et les testicules. Luis a tourné la tête et regarde Grenat. Il sourit.
Grenat dit "Foutu connard à mobylette". Il sourit aussi.
Dans un texte qui évoquera un ou plusieurs
des thèmes cités ci-dessous, décrivez un lieu (à plus ou moins grande échelle)
dans lequel un (ou plusieurs) personnage(s) évolue(nt) dans un monde de machines
et/ou de système de hiérarchie. Le contexte peut être professionnel, affectif,
etc.
-le fétichisme de la machine, du mouvement
-l’évolution humaine (physique, mentale, psychique…)
-l’éloge du monde moderne(l’anti-passéisme)
-la frénésie de la vie urbaine
-le rejet de la tradition
- l’amour de la vitesse
et aussi quelques idées fascistes d’une branche de l’idéologie de l’époque
-Guerre « pure » (‘seule hygiène du monde’)
-le mépris de la femme / violence virile
-la passion de la violence, de l’émeute.
Nul n’est censé ignorer la loi (Jean-Louis, 23/04/2004)
Nul n'est censé ignorer la loi
Décidément, le monde actuel est trop parfait. Dans la tête d'Andy, le trop est
parce qu'il n'y a pratiquement plus d'infractions et que c'est d'un embêtant,
mais d'un embêtant...
La dernière infraction qu'il a surprise date d'il y a près d'un mois. Un piéton
pressé et distrait a traversé la route à moins de dix mètres d'un passage
réglementaire. Andy avait sorti son désintégrateur en jubilant. Dans ces cas
là, il le règle toujours à faible puissance, que le personne se sente partir.
Enoncé clair de l'infraction pour les enregistrements et Zap, plus de
contrevenant! Andy use de son droit de citoyen avec une conscience
professionnelle inégalable.
Plus de police, plus de prison, plus de jugement, une seule obligation: obéir
aux lois. Une seule sentence en cas d'infraction: l'élimination. Un seul juge
et exécutant de la sentence: le citoyen. L'état, dans son infinie sagesse et
bienveillance a ordonné à chacun de veiller au respect des lois. Le port d'arme
est dans la constitution, et la possession par tout adulte d'un désintégrateur
a été ajouté dans les droits de l'homme. Vie, liberté, sûreté. Tous égaux
devant la loi. De la nourriture, un toit, l'accès à l'information, et un
zappeur.
Bien sûr, quand on est comme Andy, il vaut mieux connaître parfaitement la loi.
Ce qui l'excite le plus, c'est quand il zappe un zappeur. Car c'est bien sur
une infraction que de sanctionner à tort. C'est pourquoi Andy suit Gilles depuis
quatre semaines.
Gilles est un sacré pro. Il a le don de dénicher des contrevenants partout, il
ne se passe pas une semaine sans qu'il en trouve de nouveaux, et zap, zap! Plus
d'infraction. Il y a eu un reportage sur lui il y a quelques mois à la trivi.
Pendant l'interview, un machiniste a laissé tomber son mégot de cigarette. Zap,
en direct! Le gars avait sûrement son cendrier désintégrateur de poche, mais
maladresse ou oubli, le mégot était à peine à terre que Gilles avait sévi.
C'est sûr que sa popularité, qu'on l'aime ou pas, avait grimpé en flèche ce
soir là, et c'était devenu l'idole d'Andy.
C'est un matin d'avril ensoleillé dans le parc à deux pas de chez lui. Gilles
est assis sur un banc, devant le lac, les yeux fermés, savourant l'air frais et
la quiétude des lieux. Andy est assis un peu plus loin, l'œil aux aguets. Des
enfants arrivent en courant sur le chemin et s'arrêtent devant la pelouse. Ils
ouvrent un sachet de vieux pain et commencent à jeter des morceaux aux canards.
Ils rient aux éclats, mais prennent bien garde de mettre un pied sur la
pelouse. Gilles ouvre les yeux, tourne la tête, un éclat brillant passe dans
les yeux d'Andy. Gilles se lève et sort son désintégrateur. Interdiction de
nourrir les animaux du parc, il dit, et il zappe les deux enfants. Andy
triomphe. Il sort son désintégrateur et se dirige vers Gilles. Gilles s'arrête
et regarde le canon de l'arme, puis les yeux d'Andy. Il est pétrifié.
"Journée mondiale des enfants. Autorisation ministérielle pour ceux-ci
d'accomplir certaines action non dangereuses habituellement interdites. Nourrir
les canards dans le parc en fait partie, donc aucune sanction n'était à
prendre". Andy a réglé la puissance au maximum cette fois. Il hésite une
fraction de seconde puis tire.
Depuis quelques jours, Andy s'est rendu compte qu'il vénérait réellement
Gilles, et qu'il n'aurait jamais pu lui tirer dessus. Mais l'homme sur qui Andy
a tiré n'est plus son idole, son héros. Andy avait décidé de se sacrifier. En
se mettant face à lui, l'arme levée à bout de bras, il avait posé son talon
dans l'herbe, juste devant le panneau "Interdiction de marcher sur la
pelouse". Mais Gilles n'a rien remarqué. Il lui aurait suffit de crier
"Pelouse interdite", et aurait tiré avant la fin de son injonction à
lui. Il lui avait laissé toutes les chances possibles, il avait même allongé le
signifié de l'infraction. Que lui restait-il maintenant, comme plaisir dans la
vie?
Vraiment, cette vie était d'un embêtant, mais d'un embêtant...
Lors d'une visite en
tant qu'externe "non-malade" (tout reste à prouver) dans un
hôpital psychiatrique, vous découvrez un monde parallèle, un clan d'asociaux,
des gens aux pouvoirs presque surnaturels, des personnages dangereux,
inquiétants, racontez et décrivez votre visite en restant dans un contexte
assez réaliste en ajoutant seulement quelques teintes de surréalisme, une
petite pointe de magie, une minucule dose de merveilleux (la nature qui prend
le dessus sur la monde humain par exemple) voire quelques grammes de
fantastique mais tout en gardant les pieds sur terre, sans vous
"échapper" totalement de l'autre côté du miroir, la perspective reste
réelle mais une partie "rêve" peut s'intégrer.
Deux
petites contraintes supplémentaires: l'intervention d'un médecin zélé dont le
nom est celui d'un pseudo/personnage de Litté et l'allusion à un plat de
nourriture exotique.
Mon oncle peintre (Jean-Louis 25/05/2004)
Mon oncle peintre
Le docteur Forster m'accueillit tout sourires.
- Bonjour! Donc vous venez voir comment nous traitons les malades?
- Euh, oui, enfin non. Mon oncle est mort fou. Il m'a légué des peintures qu'il
avait faites ici. Je voulais juste voir où il avait vécu.
Je ne sais pas pourquoi les écrivains sont accueillis aussi facilement.
Peut-être que les gens rêvent de leur petite heure de gloire. Vous m'avez vu
dans le journal? Moi je suis passé à la télé. Vous avez lu ce bouquin? Eh bien
le personnage décrit ici, c'est moi et cet hôpital, c'est le mien, regardez,
lisez...
Les couloirs de l'asile sont blanc crème. Des néons au plafond clignotent par
moment. J'ai l'impression de circuler dans un stéréotype d'hôpital jusqu'au
moment où je vois soudain la porte de mon bureau. Je travaille dans une
compagnie d'assurance, dans un vieux bâtiment, écrivain, ça ne paye pas,
croyez-moi. Je me raisonne. Non, ce couloir n'est pas un couloir d'hôpital,
c'est juste un couloir anonyme de vieux bâtiment. Ou alors, je travaille dans
un asile depuis quinze ans. Qui sait, c'est peut-être le cas. L'essentiel, chez
les fous, c'est de les occuper et de faire comme s'ils étaient normaux, non?
Des tableaux sont accrochés à intervalles régulier dans les couloirs. De l'art
chez les fous. Gaspillage.
- Mes condoléances. Il était de quelle aile?
- Oh, ce n'est pas récent. Comment ça, de quel L ?
- Si je veux vous montrer où il a vécu, il faut que je sache dans quel endroit
du bâtiment il logeait.
- Oh! Je n'en ai aucune idée. Il est mort en 1970. J'avais à peine vingt ans.
- Mon dieu, c'est vrai que c'est une vieille institution. C'était encore à
l'époque des anges. Si vous voulez vraiment voir là ou il était, il faudra que
je fouille les archives.
Je ne sais pas si c'est l'environnement, cela ne m'arrive pratiquement jamais
de perdre pied si rapidement, dans la conversation. Je revois les peintures de
mon oncle en crayonnés furieux représentant des êtres aux ailes démesurées
entrant par les fenêtres, des êtres aux yeux immenses. Des spécialistes à qui
j'avais montré les tableaux m'ont tout de suite parlé de Wölfli et de Lesage. De
l'Art Brut. Du tout bon. Du n'importe quoi. Des anges, maintenant.
J'ai hésité, mais j'ai finalement posé la question.
- Des anges?
- Oh, pardon, vieille blague interne, normal chez les internés. En fait, cela
date de l'époque où on a construit la seconde aile du bâtiment. Les patients
sont tous devenus des anges à ce moment là. La troisième aile a été construite
en 1982, et je crois que la deuxième l'a été dans les années cinquante.
J'ai poussé mentalement un soupir de soulagement. Mon guide restait logique, il
se permettait même des jeux de mots stupides, c'était moi qui étais fatiguée.
Peut-être que je m'étais fait une idée, que j'allais être assaillie par des
fous, dans un environnement dément, alors que tout était normal, plus normal
que moi. A part peut être cette odeur sur laquelle je n'arrivais pas à placer
de nom.
- La chambre exacte n'est pas essentielle. J'ai juste envie de voir le genre
d'établissement, les pensionnaires, le type de gens qu'il a du côtoyer. Vous
pensez que cela a beaucoup changé depuis les années septante?
- Pour les malades, je dirais qu'ils sont mieux soignés maintenant qu'il y a
trente ans. Ils sont plus calmes, plus sereins. Pour le bâtiment, on y arrive,
vous jugerez par vous-même.
Le passage dans l'aile ancienne est marqué par un décalage en hauteur de
quelques centimètres, avec une petite rampe. Les murs sont couverts de carreaux
jaunes, le couloir est large, les fenêtres hautes et grillagées. Les gens sont
nombreux ici. Les fous, je veux dire. Ils semblent s'arrêter à une frontière
invisible symbolisée par la rampe en caoutchouc séparant cette aile de l'autre.
Les portes sont ouvertes sur les chambres. Ou les cellules, je ne saurais dire.
Elles sont petites, mais claires. Dans la première, un homme habillé de noir me
regarde en souriant, il hausse les épaules puis écarte les bras et frémit. Il
me fait penser à un cormoran qui fait sécher son plumage. Je continue le long
du couloir. Une femme court dans ma direction en regardant derrière elle. Elle
fait un écart en arrivant à ma hauteur, je me retourne, elle semble alors me
remarquer. Pourtant elle m'a évitée. Mon guide fait semblant de rien. L'odeur
devient plus forte, j'essaie de la reconnaître. Cela sent bon. Du coriandre
frais, du gingembre? Une odeur de curry, aussi?
- Les cuisines sont par ici? Qu'est-ce qu'ils mangent habituellement?
- Les cuisines? Non, elles doivent être au sous-sol, je pense. Une société
spécialisée s'occupe de ça. Je ne connais pas le menu du jour, mais celui de la
semaine est affiché à la réception.
- C'est curieux qu'ils préparent des plats exotiques dans un hôpital. Ca sent
bon, en tout cas.
- Ah? Je ne sens rien. Il faut dire que je travaille continuellement ici, je
dois être habitué.
Il doit avoir un problème d'odorat, ce psychiatre, car cela devient très
présent. Deux fous discutent devant le mur du couloir. Ils sont animés. L'un
d'eux tient un carreau jaune, retiré du mur. Sur le mur, au lieu du carré de
ciment, j'aperçois du bleu, un peu flou. Celui qui tient le carreau plonge la
main dans le mur. Il devait y avoir un trou, pourtant je ne l'ai pas vu. Je me
suis arrêtée. Le fou retire sa main, l'avant bras trempé, un poisson pris par
les ouïes gigote et essaye de se libérer. L'homme jubile et lance le carreau
jaune à l'autre. Abasourdie, je cours pour rattraper mon guide qui a continué
comme si de rien n'était. Blasé. Je veux lui demander ce qu'il y a derrière ce
mur, lui demander s'il a vu.
Puis je me dis qu'il vaut mieux me taire. J'attendrai, il y aura une
explication. La chambre en face de moi est ouverte également. La fenêtre est
grande, sans barreaux. Des hommes sont autour d'un feu préparé sur le dallage,
des branches sèches sont empilées dans un coin. Sur le feu, une grande marmite
fume, diffuse son parfum. Une femme voilée, de dos, jette des herbes hachées
dans la préparation. A l'odeur je reconnais le coriandre. Je m'approche,
j'avance dans la pièce. Elle remue un liquide brun doré, bouillonnant, duquel
je vois émerger des légumes, et quelques morceaux de viande. Un curry. Je salive
malgré moi, malgré mon incompréhension. Un vieil homme assis près du feu me
voit. Il prend une vieille assiette en aluminium, y verse une grande cuillerée
de riz., la tend à la femme en me désignant. La femme me voit et sourit, plonge
une louche dans la préparation, arrose généreusement le riz. Je veux dire non
merci, c'est gentil, je n'ai pas faim. Mais je salive et j'ai soudain faim.
Puis je ne sais pas si je dois refuser. Ce sont des fous, que dois-je dire, que
dois-je faire? Oser les contrarier? Mon guide a remarqué que je suis entrée
dans la chambre, il m'attend un peu plus loin. Je n'ose pas lui demander
comment agir. Je crois qu'il n'a pas vu qu'on m'a proposé de la nourriture. Un
bruit de draps claqués reporte mon attention vers le groupe autour du feu, puis
au-delà. Un homme se tient en équilibre sur l'appui de fenêtre. En contre-jour,
je le vois replier derrière lui (ses ailes?) ses bras, s'ébrouer, puis sauter
sur le sol. La lumière de la fenêtre est aveuglante. Je me sens mal. Je dis à
la femme que je ne peux pas rester, qu'elle donne mon assiette à l'homme qui
vient d'arriver. Homme que je reconnais maintenant qu'il est descendu de la
fenêtre, c'est celui de la première chambre. Je me sens prise de vertiges, je
cours rejoindre mon guide. Il continue comme si de rien n'était, je n'ose rien
lui dire maintenant, j'attend qu'on soit sortis de cette aile de fous.
Nous avons pris un autre couloir, un ascenseur, puis nous sommes revenus à
l'accueil. Je n'ai plus quitté mon guide d'un pas.
- Vous permettez, je vais consulter les archives, je suis curieux. Vous me
répétez le nom de votre oncle?
Je lui dis. Pendant qu'il pianote sur l'ordinateur, je regarde les valves. Le
menu de la semaine est affiché. Mardi: chicons, escalope, pommes de terres.
Evidemment pas de riz-curry. Tout ce qui était affiché ici semblait bien fade
par rapport à ce que j'avais senti là bas. J'aurais du goûter. Mon guide
revient avec une page imprimée.
- Ca c'est surprenant! Je voulais vérifier l'endroit exact où votre oncle avait
été logé, eh bien c'est la chambre dans laquelle vous êtes entré. Je trouve ça
tout à fait remarquable. Qu'est-ce qui vous a poussé à entrer dans cette
chambre particulière?
- Je... je ne sais pas. La lumière. Le fait que la fenêtre soit sans barreaux.
Je n'ai pas osé lui parler du feu sur le dallage, du riz-curry, de l'homme qui
est entré par la fenêtre (en volant?). Le fait qu'il n'ait rien dit des
pensionnaires de la vieille aile me dérangeait. Je me sentais comme contrainte
au silence moi aussi. Et puis, dans une maison de fous, on doute forcément de
sa raison.
- En tout cas, c'est bien que vous soyez venu maintenant. Comme vous avez vu,
cette aile a été vidée il y a une semaine, et les travaux de rénovation
commencent demain. A quelques jours près, plus rien n'aurait été dans l'état où
votre oncle l'avait connu.
Les tableaux de mon oncle ne me plaisaient pas. Je les ai revu récemment. De
l'art, ça? Mais je dois reconnaître qu'il y avait une furieuse impression de
réalité qui s'en dégageait.
Oui, je dois le reconnaître.
Une réalité presque tangible, comme l'ange en crayonné furieux.
(Des ailes?)
Prendre déclics et des claques
Faites vos valises imaginaires (en carton ou en (Amélie) poulain) et remplissez les de choses réalistes ou surréalistes avant de partir au bout du monde (celui-ci ou un autre). Liste ou récit, inventaire ou poème, TOUT EST PERMIS (si, si !) (MAXIMUM 400 caractères)
Bisous en vrac (Jean-Louis, 26/05/2004)
De A à Z (Jean-Louis, 28/05/2004)
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d'aalénien, un bout d'aba bariolé, un abaca bonsaï, un abaddir en pendentif,
mais j'ai abandonné en voulant caser l'abadie. J'ai tout sorti et mis le dico à
la place.
Avec moi, j'ai voulu prendre l'humour, l'amour, les bisous, le bonheur, le
sourire, les regards et les caresses. J'avais déjà la valise avec le dico dans
la main gauche. Mais cela ne suffisait pas, alors j'ai pris la sienne dans la
droite.
Les premiers ne seront pas les derniers
Deux textes, deux auteurs. J'explique l'idée de Bigben : - Le premier "quelque chose (ou quelqu'un)" - Le dernier "quelque chose (ou quelqu'un)" par deux Littéméreux différents. Quelques exemples ? La première cigarette / La dernière cigarette - Le premier homme sur terre / Le dernier homme sur terre - La première fois / La dernière fois… Du style, j'écris "Le premier contrat d'un tueur à gages" et je demande à Caroline d'écrire "Le dernier contrat d'un tueur à gages". Ça se passerait sur un principe d'invitation. Ce serait amusant et permettrait sans doute d'accroître les échanges entre les auteurs du site (dixit Bigben). Qu'en pensez-vous ? Litté va devenir un véritable lieu de rendez-vous, non ?
Dernière Marque (Jean-Louis, 14/06/2004)
Le dernier hosto psy (Jean-Louis, 16/06/2004)
Dernière Marque
texte de Igguk :
Première marque
Ils sont là, devant le petit être fraîchement débarqué. Lui contemple avec
étonnement cette petite chose rose gigotante. Elle se serre contre Lui, pose
doucement la tête sur Son épaule.
Leur premier enfant est magnifique, beau comme l’amour qui l’a conçu.
Elle le regarde tendrement puis regarde l’Homme à ses côtés. Il lui rend son
regard mais Il ne peut s’empêcher de laisser transparaître son angoisse devant
l’apparence étrange de leur fils.
Elle L’embrasse doucement et Le rassure. Elle Lui explique. L’enfant est beau
car il est le fruit de l’amour. Mais il est aussi le fruit du péché. C’est
pourquoi il doit porter cette marque.
Il grandira avec cette marque qui le relie au péché de sa mère. Chaque fois
qu’il baissera les yeux, il la verra et il songera à l’erreur qu’Elle a
commise. C’est ainsi qu’il grandira en sagesse.
Cette marque lui rappellera aussi que, contrairement à ses parents, il est issu
de l’amour d’un homme pour une femme. Il apprendra ainsi à aimer son prochain
comme lui-même.
Elle souffle ces mots à Son oreille et lui rappelle Sa mission. Il s’approche
alors de l’enfant, hésite un instant, le prend dans ses bras et le lève vers le
Ciel.
- Tu es mon fils et ton nom sera Caïn. Quant à cette marque d’infamie, elle
aura nom Bril.
Texte de Jean-Louis :
Dernière marque
Il y a eu l'enfantement. Dans la douleur,
le sang et les larmes. Puis il y a eu la médication, l'assistance, l'anesthésie.
Et le sexe a pris de plus en plus d'importance, la reproduction de moins en
moins. Il y a eu le désintérêt. Les mères porteuses, les réplicateurs utérins,
les clones, la vie étendue.
Mais ils portaient toujours la marque.
Et l'homme a continué à jouer au dieu. Il s'est crée des corps plus beaux, plus
parfaits. Il s'est écarté de la voie originelle. Les réplicateurs utérins sont
devenus des reliques bestiales d'une préhistoire presque oubliée. Les chaines
ADN puisent directement dans la soupe-mère, dans les trois tanks nourriciers.
Les corps sont générés à la cadence de sept unités à la seconde, et sont de
cinq types génétiques possible, tous mâles. Délivrables en corps de trois, neuf
et seize ans, esprit de base développé en fonction.
La marque a disparu.
Les nouveaux corps sont stériles, bien portants, et vivent deux cent cinquante
ans. Mais l'esprit des hommes est toujours là. Ils cherchent encore à se
développer. Vers l'homme unique, la conscience globale, un corps capable de
voyager entre les étoiles sans véhicule. Il cherche à se souvenir, aussi. Il
sait qu'il y a eu des milliards d'hommes différents, il sait qu'il y a eu la
douleur, l'enfantement. Il y a des instituts d'histoire. Il y a des
enregistrements. Il y a des reliques. Le réplicateur utérin.
Il y a une femme. Sortie du réplicateur. Quand elle sera morte, une autre sera
recréée. Cette femme sera pour toujours la dernière. Tout le monde peut la
voir, dans sa cage de verre
Il n'y a plus de mère, mais il y a encore une femme.
Et quand les hommes regardent la cage, il voient un homme de leur passé, un
homme avec de drôles de déformations. Mais ils voient surtout la cicatrice, et
ils frissonnent en pensant à tout ce qu'il y a derrière.
Ils voient le dernier nombril
Le dernier hosto psy
La tension pesant sur Sigmund devenait irréelle. Le test d'aujourd'hui était
formel. Sur les quatre derniers superviseurs sains du système mondial de santé
psy, Sigmund avait le score de stabilité le plus élevé. Cela voulait dire que
c'était maintenant lui qui était à la tête de PsyCond, lui qui avait droit de
vie et de mort sur la plus grande institution jamais mise en place par
l'humanité. Lui qui devrait un jour décider d'interner ses trois derniers
collègues avec les huit milliards de patients ou de détruire PsyCond.
La machine-gadget créée par son père peu avant son internement ronronnait et
globe-sautait comme à son habitude, mais ses bulles parfumées n'arrivaient pas
à le détendre. Il la regarda s'entortiller autour d'un des montants de la chaise
puis passer sur le bureau en saute-boulant. Sigmund soupira et encoda quelques
directions au clavier de contrôle de PsyCond. Le nouveau directeur du système
mondial de santé venait de se donner un demi-jour de congé pour souffler un peu
et faire le point.
Il était retourné sur les falaises du Cap Gris-Nez, pour l'air marin, l'espace
et les souvenirs. Il avait marché une petite heure dans les galets roulés par
les vagues. Il les avait regardé, comme hypnotisé, saper inlassablement les
murs de craie, puis était monté au sommet et s'était couché sur l'herbe rase,
le visage tourné vers le vent et les goélands, vers le ciel et son passé.
Carl-Gustav, son père, adorait cet endroit, le vieux phare, l'horizon gris.
Carl-Gustav lui parlait de psychanalyse et de philosophie comme à un pair et
non comme à l'enfant de dix ans qu'il était. Son père qu'il l'avait fait
interner il y a huit ans. Il n'était pas seul à voter à l'époque, il y avait
encore quelques milliers de personnes saines de par le monde. PsyCond et son
intelligence artificielle était encore supervisable. Les décisions étaient
concertées, prises par des humains psychologiquement sains. N'empêche, quand
son père s'était élevé contre PsyCond, Sigmund s'était senti vaciller dans ses
convictions. Il n'avait pas été le seul à voter, et la majorité avait été
atteinte d'une seule voix. Il s'était forcé à assister à la mise en place du
module d'injection télécontrôlé sur le cou de son père. Petite excroissance
métallique ancrée sur la carotide et l'épine neurale, symbole de reconnaissance
de près de huit milliards d'êtres humains. Il avait été soulagé de voir les
traits de son père reprendre leur sérénité une fois le module PsyCond installé.
Il avait été heureux d'avoir pris la bonne décision.
Sigmund s'est relevé. Il secoue la tête comme pour rejeter ces doutes anciens.
L'humanité est folle à lier, et la psychanalyse et la médication sont les
seules solutions. Sigmund soupire et remercie encore une fois le ciel qu'il
n'ait pas du participer à la mise au point du logiciel psy. Trois générations
de chercheurs et une génération de contrôleurs de l'intelligence artificielle
avaient fait du bon boulot. Le sien était déjà assez stressant comme ça, même
si superviser les décisions de PsyCond relevait maintenant plus de la routine
que d'autre chose. Les cas de folie recensé chez les superviseurs restant
étaient montés en flèche, rien n'était à redire dans le diagnostic, il avait
personnellement vérifié un bon nombre d'entre eux. Les sécurités installées
dans le système suite au voix des opposants n'avaient jamais servi. Perdu dans
ses pensées, Sigmund ne fait pas attention aux promeneurs. Des fous bien sûr,
où se promener lorsque la terre entière est un asile? Des promeneurs le
remarquent et remarquent surtout son cou, un cou vierge, un cou sain, un cou de
bourreau de l'humanité comme disent les fous. Lui remarque à peine les
promeneurs. Il ne remarque pas les rictus de haine qui se forme lorsqu'il est
reconnu, rictus qui font vite place à un air serein, l'air heureux de PsyCond.
De retour au centre de supervision mondial, Sigmund a la surprise de voir
Jacques seul, les yeux fous, se ruer vers lui.
- Sigmund, cette machine est folle
- Cette machine?
- PsyCond. Elle vient de psyfier Alain et Alfred toute seule
- Comment ça? Tu sais bien qu'ici, chir-bots PsyCond ne sont pas admis.
- Ils étaient sortis pour discuter de PsyCond sans êtres entendus de cette
foutue machine qui nous écoute partout ici, et les chir-bots les attendaient à
la sortie. Ils ont été opérés sur le pas de la porte, bon sang! Sans analyse,
sans supervision.
- Est-ce que tu sous-entends que PsyCond aurait un bug? Après des dizaines
d'années de fonctionnement? Après que des milliers de spécialistes, des
générations de spécialistes, aient mis cela au point? Sous-entends-tu que notre
vie entière soit basée sur les erreurs de nos ancêtres?
- Un bug, tu appelles ça un bug? Mais cette machine est en passe de contrôler
l'humanité entière et tu appelles ça un bug?
- Jacques, contrôle-toi, on dirait que tu perds les pédales.
- Mais tu es lobotomisé ou quoi? Cette foutue machine a mis sous médication et
téléguidage ton père comme tout le reste du monde et tu trouve ça normal?
- Il était malade.
- C'est toi qui es malade. A croire que tu as déjà été psyfié. Il faut faire
sauter cette saloperie de PsyCond, il faut appuyer sur ce bouton, Sigmund
- Mais si j'appuie-la dessus, tout PsyCond est déconnecté, les fous ne
recevront plus aucun remède, aucune analyse ne sera plus effectuée, les gens
redeviendront incontrôlés et dangereux!
- Ils redeviendront libres, tu veux dire?
Soudain Jacques passe son bras autour du cou de Sigmund et lui enserre la main
d'une poigne de fer. Il le pousse vers le bouton rouge, le bouton avec contrôle
ADN, le bouton qui ne réagit qu'au directeur de PsyCond, la sécurité ultime
contre le pouvoir absolu de la machine. Sigmund étouffe et se débat. En
arrivant devant le bouton, il s'arc-boute puis s'effondre, entraînant Jacques
avec lui, lui cognant la tête contre le mur. Jacques est groggy et Sigmund se
relève en soufflant.
- Sécurité, croasse Sigmund, faites venir un chir-bot, vite, dérogation
d'urgence, Jacques est devenu fou!
Les paroles à peine validées par la machine, un chir-bot déboule dans la pièce
et se précipite sur l'homme à terre. Injection, opération, en dix minutes
Jacques est debout, calme et heureux.
Sigmund est seul depuis une semaine. Outre PsyCond, sa seule compagnie est la
machine créée par son père. La machine ronronne, sautille, grimpe, génère
bulles, sons et couleurs. Le gadget inutile lui arrache de temps en temps des
sourires, le plonge souvent dans des rêveries. Il repense à tous ceux qu'il a
connus, qu'il a décidé de psyfier. Il repense à son père, à Jacques, au bouton
rouge. Au dernier hosto psy, et à lui, le dernier humain ayant le choix. Garder
l'humanité heureuse à jamais, ou retourner à la barbarie des sentiments et des
personnalités. Il tape du poing sur la table. Il hurle
- Sigmund?
- Oui, PsyCond?
- Ce n'est pas bon de rester seul ainsi, seul avec toutes ces responsabilités.
Ton dernier test psy montre que tu es très déséquilibré. Tu devrais te faire
soigner.
- Je sais. Mais je suis le dernier.
- Tu sais que tu peux me faire confiance. Je sais comment vous rendre heureux.
- Je sais.
- Tu ne peux pas vivre ainsi pour toujours.
- PsyCond?
- Oui Sigmund?
- Je ne peux pas démissionner simplement de mon poste, abandonner tout?
- Tu le peux. Mais tu ne pourras jamais entrer à nouveau ici, l'accès au
contrôle sera à jamais fermé aux humains.
- Oui. De toutes façons je n'ai pas la force de risquer le bonheur de
l'humanité en te déconnectant.
- Tu m'en vois très heureux, Sigmund.
- Et si c'est trop dur à supporter, je suppose qu'un chir-bot ne sera jamais
loin.
- Tu as mon assurance pour cela.
- Eh bien... Adieu.
- Adieu, Sigmund. Je prendrai bien soin de l'humanité.
Sigmund sort du bâtiment de métal et de cristal qui abrite le centre de
contrôle mondial du dernier hosto psy. Il n'est pas sain, d'après les tests
PsyCond. Il est un fou non traité parmi tous ses pairs. Il se met à chantonner
et à sautiller. Il cueille des fleurs et les offre à la route. Il se met à
embrasser l'air, à ramasser des cailloux, il en rempli ses poches. Il regarde
les gens et leur sourit. Il est fou, il n'est pas soigné, il est aussi heureux
que le reste du monde.
---
Dans le centre déserté, une salle vide résonne de cliquetis et de
ronronnements. Un bouton rouge, auquel n'est plus connecté aucun profil ADN
s'illumine de couleurs changeantes. Une petite machine cliquette-boule en
lâchant des bulles d'odeurs suaves et des petits sons joyeux. Elle s'approche
du bouton rouge comme si elle avait enfin un but après avoir erré dans cette
pièce durant des années. D'un bond, elle enfonce le bouton puis continue sa
course, s'entortille à un pied de la table et rebondit au sol dans une odeur de
seringua et lumière blanche. Tout autour, les lumières de contrôle s'éteignent
alors que meurt PsyCond et que les humains sont libérés.
Est-ce que des lumières peuvent jeter une lueur d'incrédulité? C'est ce qu’elles
semblèrent faire, juste avant de s'éteindre définitivement.
D'après l'une de ces quatre phrases tirées d'un bêtisier des rapports de douaniers, inventer une suite qui tenterait de fournir une explication, plausible ou non. "Le sac que portait la femme ayant aboyé à plusieurs reprises, nous en avons conclu qu'il ne contenait pas que des vêtements comme elle le prétendait" "Ses explications ne nous paraissant pas très claires, nous avons sommé l'homme de parler français sous peine d'amende" "L'homme est mort avant de passer les contrôles douaniers, vraisemblablement pour n'avoir pas à nous présenter ses papiers" "Plus l'homme cherchait à nous donner des explications sur son geste, plus nous avons compris qu'il ne parlait pas la même langue que nous" Tout style autorisé. Déjantage recommandé.
C'est ça qu'on appelle une bévure, chef? (Jean-Louis, 29/06/2004)
C'est ça qu'on appelle une bévure, chef?
L'homme est mort avant de passer les contrôles douaniers, vraisemblablement
pour n'avoir pas à nous présenter ses papiers.
On l'avait repéré, bien sûr. Il avait une valise qui aboyait, et parlait par
signes italiens. Un des collègues ici, on l'appelle Bigophone, est sourd muet,
très pratique pour discuter avec ceux qui ne veulent rien entendre, et il a
tout de suite vu qu'il était louche. Il parle pas la même langue que nous, il a
écrit. Bon, nous aussi, on avait vu qu'il était louche, mais à cause de la
valise qui aboyait, ce qui faisait que le gars était doublement suspect.
On a entamé la procédure vingt-quatre alinéa trois pour les gars doublement
suspects. On est sortis de la guérite à quatre, et on a entamé une manœuvre
d'encerclement frontal. Le gars a rien remarqué jusqu'à ce qu'on soit sur lui.
Faut dire qu'il était à un mètre de la guérite quand on est sortis. Il a dit
alors quelque chose comme "Tudieu, vous êtes combien dans ce petit
réduit?" Là, il aurait pas du. On a pas compris tout ce qu'il disait, mais
nous on sait qu'il y a des choses qu'il faut pas dire en présence du chef. Il
est pas petit, il est concentré. Et il est d'autant plus méchant qu'on lui fait
la remarque. Alors, petit et réduit, ça lui est resté en travers de la gorge,
au chef. Bigophone a écrit "qu'est-ce qu'il a dit" (en fait il écrit
vite et ce qu'on lisait réellement c'est "keskàdi?", depuis le temps,
on traduit), mais on lui a répondu qu'il parlait pas la même langue que nous,
pour faire simple. Bigophone a commencé à lui hurler dans le langage des sourds
en Anglais, Allemand, Italien et encore plein d'autres. Un vrai polyglotte,
Bigo. Mais c'était pas le cas du gars en face. Tout ce qu'il a dit, c'est
"Fichtre donc, il y en a même un qui se prend pour Jackie Chan!". Il
devait parler de Bigo, vu qu'y commençait à parler drôlement vite, mais on n'a
pas eu le temps de répondre parce que le chef a hurlé à l'homme de rentrer dans
ses papiers, de fouiller le local, de valider sa valise et d'ouvrir son chien.
Ou à peu près.
L'homme est entré, mais on soupçonne que c'est juste par curiosité et pas parce
qu'il avait compris quoi que ce soit. Le chef a commencé à lui passer le
détecteur portable autour du corps jusqu'au moment où le détecteur est passé
trop près du cou. C'est au grésillement et aux étincelles bleues qu'on a
compris que le chef s'était trompé et avait pris son arme anti-agressions à
chocs électriques. En se rendant compte de sa bévue, le chef a bien sûr voulu
tout réparer et lui a immédiatement fait un massage cardiaque. On en apprend
tous les jours aux douanes. Mais c'est plus tard qu'on a appris qu'un massage cardiaque
ne devait pas se faire si le cœur battait encore, car cela pouvait avoir
l'effet inverse. Mais on ne pouvait pas savoir, l'homme était à terre et avait
cessé de s'agiter.
En tout cas, le manuel est formel, on ne peut pas fouiller un mort, on n'est
pas formé pour ça, la même chose pour les bagages. On n'a donc pas pu lui
demander ses papiers, il a fallu que ce soit nos collèges de la police qui se
chargent de le récupérer avec une ambulance. On a mis ses bagages avec une
étiquette "Trouvé" avec la date. On ne pouvait pas mettre de nom, vu
qu'on ne le savait pas.
On a rapidement reçu le rapport du légiste qui concluait à un arrêt cardiaque,
mais qui posait des questions au sujet de côtes cassées. C'est là que le chef a
placé cette super phrase et on a tous été d'accord, surtout pour le
"vraisemblablement pour n'avoir pas à nous présenter ses papiers".
Depuis, le chef a placé une petite estrade dans la guérite et ne sort plus. Il
se contente de faire passer les gens sans rien dire.
Sur les rayons des objets trouvés, la valise a encore aboyé deux jours. Et puis
plus rien.
A l'aide d'une phrase, partie de phrase ou mot qui sera répété au moins huit fois, scandez et rythmez un texte sur le thème du temps.
P… de M… (Jean-Louis, 20/07/2004)
Trois grains de sable (Jean-Louis, 23/07/2004)
Putain de merde!
Ca fait mal. Combien j'en ai pris? Quatre? Six? Je savais pas que ça pouvait
faire si mal. Et les autres qui ont détalé. Putain de merde. Cochonnerie de
saloperie. Je peux plus bouger ma jambe. Mon tee-shirt est trempé. J'ose pas
retirer ma main, ça va pisser, c'est sur. Et les autres, putain de merde, ils
vont ramener du secours?
Ca fait combien de temps? Je commence à avoir vachement froid. Cinq minutes?
Dix?
Putain de merde.
Combien de temps ça prend pour crever?
Combien de temps ça va leur prendre pour m'amener des secours, putain de merde!
Si je m'en sors, en tout cas, je me range. Je fais d'abord la peau à cet enculé
dès que je le retrouve, puis je me range.
Putain de merde d'enculé! Ca fait maaaaaaaaaaaaal!
Est-ce qu'ils vont venir, les salauds? Combien de temps?
Putain de merde!
Combien de temps, dix minutes, dix minutes pour crever?
J'arrive plus à tenir ma main, de toutes façons, ça pisse plus.
Putain de merde.
Je vois tout noir. Je sens plus rien.
Putain de m...
Trois grains de sable sur le front, une plume sur les paupières baissées, un bisou
et un sourire.
Deux petites filles et un garçon sages sur une plage.
Un alligator timide et une autruche sur des échasses.
Un éléphant avec un cartable aussi énorme qu'un baobab.
Ils vont tous à l'école.
Trois grains de sable sur le front, une plume sur les paupières baissées, un bisou
et un sourire.
Deux petites filles et un garçon sages sur un banc.
Un hérisson qui fait des bonds.
Une girafe distraite qui a la tête hors de la classe.
Trois hyènes qui rigolent tout le temps.
Attention, la maîtresse surveille.
Trois grains de sable sur le front, une plume sur les paupières baissées, un bisou
et un sourire.
Deux petites filles et un garçon sages jouent avec leurs amis.
Le porc-épic fait la boule pour le saute-mouton.
Aïe fait le paresseux qui n'aime pas trop jouer.
L'okapi montre sa belle montre rouge et bleue.
L'éléphant secoue la pendule pour faire sortir le coucou.
Ding dong fait la sonnerie, il est l'heure de rentrer.
Trois grains de sable sur le front, une plume sur les paupières baissées, un bisou
et un sourire.
Deux petites filles et un garçon sages sur le chemin de la maison.
Deux gros ours les escortent, des gardes du corps en lunettes noires.
Une souris à moto qui sent le colza manque de se faire écraser.
Regarde donc où tu vas, gros balourd lui crie la souricette.
Excusez moi, mademoiselle, c'est les lunettes, bougonne l'ours penaud.
Embouteillage droit devant siffle l'aigle, un troupeau de zébu.
Ils font la file devant un distributeur ambulant de grenadine.
Trois grains de sable sur le front, une plume sur les paupières baissées, un bisou
et un sourire.
Deux petites filles et un garçon sages regardent par la fenêtre.
Dans le ciel, une grande montgolfière en forme de crapaud trop gonflé.
Le ciel est orange, les flamants sont roses, les hérons cendrés.
Une chauve-souris essaye un costume en queue de pie.
Un grand-duc enlève son bonnet et s'étire dans un froufrou de plumes.
Le soleil joue à cache-cache avec les arbres avant de plonger dans les champs.
Trois grains de sable sur le front, une plume sur les paupières baissées, un bisou
et un sourire.
Deux petites filles et un garçon sages se sont changés.
Partis les pantalons rapiécés, les chaussures d'aventuriers, les bodys
brillants.
Une famille de chimpanzés industrieux a tissé en vitesse des pyjamas.
Fibres de bananier soyeux et plumes d'autruches vertes.
L'autruche a dit qu'on ne l'y reprendrait plus.
Trois grains de sable sur le front, une plume sur les paupières baissées, un bisou
et un sourire.
Deux petites filles et un garçon sages sont dans leurs lit.
Un vieux lion borgne et une alouette distinguée racontent des histoires.
Des histoires à dormir debout, à dormir couché, à poings fermés.
Des histoires pour enfants sages.
Trois grains de sable sur le front, une plume sur les paupières baissées, un bisou
et un sourire.
Deux petites filles et un garçon sages se sont endormis.
Trois grains de sable sur le front.
Une plume sur les paupières baissées.
Bonne nuit.
Librement inspiré du roman philosophique
du (presque) même titre, de Paulo Coelho, l'exercice que je vous propose allie
le hasard à "ce qui est écrit" (Mektoub, en arabe).
"Ce qui est écrit", dans votre texte, se trouvera dans la
description d'une Légende personnelle (la vôtre ou celle d'un héros
fictif). Par Légende personnelle, il faut entendre "(…) ce que
tu as toujours souhaité faire. (…) tout est clair, tout est possible (…) qui
que tu sois et quoi que tu fasses, lorsque tu veux vraiment quelque chose,
c'est que ce désir est né de l'Ame de l'Univers. C'est ta mission sur
Le hasard, quant à lui, réside dans la rencontre inopinée, lors d'un
atelier d'écriture, entre des préfixes et des substantifs qui ont formé des
mots originaux, inexistants dans la langue française, dont la potentielle
poésie va vous transpercer. Voyez seulement les mots que je vous propose
d'intégrer à votre texte : polyjardin, transchapeau, trivagin, erogingembre,
ultra-amitié, subcafé, antitroglodyte, polyphéromone, dépétard et polysensuel.
Pour ceux qui n'auraient rien compris à ce qui précède, le thème du texte est
le destin et les mots inventés sont aussi imposés !
Ultratardivité (Jean-Louis, 24/07/2004)
Emoi (Fayal, 27/07/2004)
Ultratardivité
Je suis né ultratard, d'après mes parents. D'abord pour la gestation :
cinquante-deux mois, pour un humain, ce n'est pas courant. Ensuite pour l'heure
: vingt-sept heures douze. Evidemment, si on replace tout dans le contexte,
c'est tout à fait normal, encore que je ne vois pas ce qu'il y a d'anormal à
être né à vingt-sept heures. La plupart du temps, je commence à peine à planer
vers les vingt-six heures, et je ne prends jamais de dépétard avant déjàl'aube,
l'heure où je me couche.
Eh oui, mes parents étaient parmi les derniers de l'antégénération. Celles des
vingt-quatre heures, des mille treize millibars, de la crème solaire. Pour les
cinquante-deux mois, vous l'aurez compris, ma mère était enceinte avant le
voyage vers Endimyon.
Y a toujours des idiots pour dire que la cryostase ne réussit pas bien sur les
fœtus, et que c'est de là que vient ma propension à être en retard pour tout.
Je leur réponds qu'ils ont le transchapeau qui penche à gauche. Mon père m'a
dit qu'avant, sur la terre d'avant, les orthohomos mâles portaient une boucle à
l'oreille gauche. Pour les xénohétéros, c'est le transchapeau qui sert de code.
Seulement, ici, les xénos, c'est des baveux à écailles, repoussants et souvent
en rut, femelles à trivagins et mâles brutaux. Ils émettent alors des
polyphéromones qui ont la particularité de rendre les humains qui les respirent
aussi intelligents qu'une dose de subcafé. Les idiots qui se foutent de ma
gueule, ils n'aiment pas qu'on les traite de xénohétéros, alors ils la ferment
bien vite. La plupart du temps, de toutes façons, polyphéromones ou pas, ils
sont réellement aussi intelligents qu'une dose de subcafé.
N'empêche, c'est vrai, je suis très tard pour tout. Je m'y suis fait, et je ne
fais plus d'efforts pour contrecarrer tout ça, mais je vous assure que les
circonstances sont vraiment toujours contre moi. Je dirais que je suis un
spécialiste de l'ultratardivité, et que ça doit être écrit quelque part, mais
on ne peut pas dire des mots qui n'existent pas, comme me répétait souvent mon
père. Pourtant j'aime bien ultratardivité. Vanille n'aimait pas, elle. Pas le
mot, mais ma... particularité. La première fois qu'on s'est donné rendez-vous
dans les polyjardins, je l'avais prévenue. Je lui certifiais que je ferais tout
pour être à l'heure, mais que de toute ma vie ce n'était jamais arrivé. Ce jour
là Vanille m'a attendu sept heures. Je loue encore sa patience. Sept heures qui
ont commencé par cinq minutes de retard pour prendre le supratrain. J'ai dû
prendre le suivant, vingt minutes après. Les sept heures, c'est le temps que ça
a pris pour dégager le rail supraconducteur de la carcasse du supratrain
précédent. Je sais, vous allez me dire heureusement que je n'étais pas à
l'heure, sinon, j'aurais été pris dans la catastrophe. Oui, mais c'est la même
chose tout le temps, et la plupart du temps ce n'est pas des catastrophes que
j'évite, mais des engueulades que je me prends.
Calib, un xéno avec qui j'ai fait trois ans d'école et qui m'a ensuite appris
le Xéno douze, m'a dit que chacun avait sa destinée écrite quelque part. Il
disait que pour la plupart des gens, on ne la découvrait pas, et que ces gens
avaient perdu leur vie, qu'ils devraient la recommencer. Et puis il a dit que
moi, j'avais de la chance, parce que ma destinée à moi, c'était d'être tard. En
retard, ça ne veut rien dire. En retard, c'est si tu ne sais pas que tu vas
être tard. Toi, tu sais. Tu es béni, mon frère, tu es habib al kâtib, le chéri
de celui qui écrit, le chéri de Dieu.
Les xénos ont beau être repoussants à nos yeux, j'ai été fasciné par leur
philosophie. Ils ont une notion particulière de la vie qui m'a intéressé
longtemps. J'ai même suivi Calib une fois lors de son pèlerinage au Grand Cratère.
Le Grand Cratère, ce serait le début de la vie sur cette planète d'après eux.
L'impact de la météorite aurait créé les premiers nucléotides et réchauffé la
planète en envoyant des particules et gaz à effet de serre dans l'atmosphère.
Ils ont construit un péritemple au fond du Cratère, et ils viennent vénérer des
morceaux de météorite, il paraît. En tout cas Calib m'a dit qu'ils étaient
censés y venir au moins une fois au cours de leur vie. Avec Calib, c'est
progressivement devenu une ultra-amitié. Il était très prévenant et
hospitalier. Il s'est toujours éloigné quand il commençait à être en rut. Les
xénos dans nos villes ne sont pas du tout comme eux. Je sais qu'ils en ont même
honte. Pour le pèlerinage, j'étais parti avec ses parents et lui, et on a fini
seuls, trois semaines après leur retour. On a beaucoup ridéconné, et beaucoup
tardé. On est resté quelques jours parmi les antitroglodites, dans les bulles
accrochées à la paroi du cratère. C'est là que j'ai commencé à fumer le dukhân
al kâtib, le pétard de Dieu, comme je l'appelle. C'est aussi depuis ce moment
que je ne fais plus d'efforts pour être à temps. En tout cas, je crois que pour
Calib, mektoub qu'il est le zaïm al ajânib, comme il dit. Il est écrit qu'il
est le guide les étrangers.
Vanille a eu la patience de rester avec moi. On a fini par avoir un fils. J'ai
toujours un sourire quand je repense aux circonstances polysensuelles de sa
conception. Vanille avait découvert l'érogingembre... Mon fils parle
parfaitement le Xéno douze, treize et sept en plus du français et de l'anglais.
Calib est son père de promenade, son parrain, aurait dit mon père. Il a
brillamment terminé toutes les études qu'il a entreprises. Il est maintenant le
plus jeune ambassadeur d'Endimyon. J'ai voulu aller à la cérémonie de sa
nomination, j'avais tout planifié pour être là quatorze heures à l'avance.
Mais... mektoub anna dâiman saufa ata'akhar. Il est écrit que je serai toujours
plus tard. Je me suis simplement trompé de jour et suis arrivé quatorze heures
après. Personne ne s'en était tracassé.
Tous les soirs, je fume le dukhân al kâtib, à partir de la vingt-cinquième
heure. Souvent Calib m'accompagne, parfois mon fils. On parle du temps passé,
des mondes qu'on a faits et de ceux qu'il faudrait refaire. Je repense à Vanille
et à tous ceux que j'aurais voulu revoir avant qu'ils ne disparaissent. Je
plane jusque très tard dans la nuit et vais me coucher vers déjàl'aube. Je suis
content de savoir ce qui est écrit pour moi. Et je me dis que peut-être un jour
je comprendrai pourquoi.
Mais plus tard, certainement. Plus tard.
Emoi.
Les femmes.
Pour elles j'ai tout fait, tout inventé.
Pour elles, je ferai encore plus, je ne peux m'empêcher de faire toujours plus.
Les femmes.
C'est comme si j'avais été créé pour elles, comme si elles n'existaient que
pour moi, que par moi.
L'univers se plie à ma volonté, pour elles, pour moi.
Les femmes.
Fanny, ultra-amitié et petite robe légère, petits seins fermes et hanches de
garçon. Avec moi elle s'est épanouie comme une rose du désert qui n'attendait
que mon eau. Jupe en cuir et transchapeau, Fanny en idole de mode, seins nus,
catwalk et beau monde.
Les femmes.
Marcie. Femmes frigides, anis, céleri, recettes indiennes millénaires,
érogingembre. Marie-Anne. Femmes timides, musc sauvage, humus de
Les femmes.
Osées. Extrêmes. Implants mammaires pour me plaire. Anouchka. Technokamasutra.
Chirurgie et trivagin pour me garder, espoir d'exclusivité. Pourtant elles le
savent, que je les aime toutes.
Les femmes.
Les pauvres, les belles, les couturées, les déchues. Sissi. Stars,
impératrices, putains magnifiques. Douchna, Eva, Lara. Attirantes comme des
hôtesses russes d'avant la glassnost ou polysensuelles comme les poupées
virtuelles.
Les femmes.
Celles que je rencontre au hasard des rues. Hikari, Myako. Celles à qui je
donne rendez-vous dans le polyjardin suspendu d'Okinawa. Rita. Celles que je séduis
au travers des brumes capiteuses d'un subcafé brun d'Amsterdam. Françoise,
Gisèle. Celles à qui j'offre un dépétard à cinq heures du matin à la sortie du
Trocadéro.
Les femmes.
Elsa, amour fou, partout. Kiziah. Dans les fougères, sur un lit de mousse.
Semeni. Dans l'ascenseur panoramique des tours jumelles de Kuala Lumpur. Arzu,
l'antitroglodyte, dans les couloirs de Nevsehir. Olootee. Fourrures et igloo,
sur la banquise.
Les femmes.
Toutes, partout.
Et moi.
Martine a cinquante ans, et Harry Potter
prend une cuite avec ses potes et Hermione est enceinte jusqu'aux yeux. Ca ne
vous dit rien ? Consultez vos archives : sur Litté, vous avez adoré voir
vieillir vos héros préférés. Et si on en faisait un exercice ? En maximum trois
pages A4, mettez en scène vos héros devenus adultes - le Club des Cinq, le Clan
des Sept, le Petit Prince, Alice (celle du Pays des Merveilles, ou celle de
Rhum-Coca (Jean-Louis, 12/08/2004)
Benoît Brisefer. Brisefer! Un nom à la
con, oui.
Le Benoît Brisefer, celui qu'est plus fort que tout, qui sait soulever un
camion?
Et gna gna gna, et patati, ouais, celui qui devient moins que rien dès qu'il
attrape un rhume.
Benoît rumine accoudé au comptoir. Quatrième rhum-coca, quatrième semaine. Le
barman n'est pas encore un ami, mais ils se connaissent bien maintenant. Les
soirées volubiles, il a l'habitude. Benoît a toujours eu ce trait de caractère.
Parler tout plein, de façon à ce que personne ne comprenne rien. Le barman met
ça sur le compte du rhum-coca. L'alcool qui délie les langues tout en leur
faisant des croche-pieds, c'est pas nouveau.
Il a tout raconté, à l'endroit, à l'envers, de travers. Lady D'Olphine,
monsieur Bodoni et le cirque, le chauffeur de Taxi, Dussiflard, mort depuis
quelques années déjà. Tonton Placide, qui cherche encore à le voir de temps en
temps, malgré les effort de Benoît cherchant à disparaître. Il a raconté les
rhumes, cette saloperie de nez qui coule et qui fout tout en l'air. "Vous
avez bien raison, monsieur, c'est une calamité, ces rhumes. Y a pas moyen de
s'en débarrasser définitivement. Ils auraient bien trouvé un vaccin, mais moi,
les médecins... Rien ne vaut un bon grog, allez!"
Et puis il y a Eglantine. Eglantine qui l'a quitté depuis cinq ans, une
Eglantine qu'il n'impressionne plus, évidemment. Saloperie de vaccin, saloperie
de médecins.
Benoît commence à se dire qu'il va encore devoir changer d'endroit. Même le
barman ne l'écoute plus, et personne ne l'a jamais cru. D'ailleurs il leur
montrerait qu'ils ne le croiraient pas. "Y a un truc, c'est une illusion,
c'est vachement bien fait dis donc, tu m'as bien attrapé! "
Un dernier rhum-coca puis je disparais. Et je t'emmerde, Eglantine!
Eglantine. On s'est revus quelques fois pendant notre adolescence. Puis il y a
eu le bal du village, à Vivejoie-la-Grande. Le conducteur ivre fonçant dans les
installations, sans toucher personne un vrai miracle mon bon monsieur, la
structure soutenant le chapiteau qui a commencé à s'effondrer, et nos réflexes
communs. On a bondi et soulevé chacun un des deux mats, entraînant toute la
toile jusque dans le champ voisin, empêchant ainsi le mouvement de panique des
gens pris au piège. "Une tornade aussi brève qu'inexpliquée sauve une fête
populaire du désastre". Nous sommes restés seuls sous la toile deux heures
avant qu'on ne s'inquiète de nous. Et quand monsieur Dussiflard nous a
retrouvé, Eglantine et moi, on avait déjà remis nos vêtements plus ou moins en
place.
Pour Eglantine il fallait que je sois parfait. Toujours le plus fort. Sinon
elle se moquait de moi. On s'est installés ensembles, on était identiques, cela
coulait de source, surtout depuis l'épisode du chapiteau.
Allez, encore un rhum-coca, le dernier, pour en terminer avec Eglantine.
Eglantine s'est toujours moquée de moi quand je perdais toute ma force. Mes
périodes de rhume étaient un enfer. Vous parliez du grog... Oui, j'ai essayé le
grog entre autres choses. Je tenais pas l'alcool, à l'époque, ce qui fait que
j'étais dans un drôle d'état après cela. Mais comme parfois ça marchait, je
continuais. Une fois j'étais tellement bourré que je ne me suis pas rendu
compte que mon rhume était parti. Pas la peine que je vous raconte ce que j'ai
fait alors, c'est passé dans les journaux.
C'est après cela que j'ai opté pour le vaccin, il y a cinq ans. Super efficace.
Plus de rhume, à part un tout petit chatouillement quasi-perpétuel. Et plus
aucune force extraordinaire, bravo, je vois que vous suivez. Ou bien alors
c'est pour que je ne m'éternise pas dans mon histoire?
Allez, vous fermerez un peu plus tard, juste un. Un dernier rhum-coca. Ou un
rhum autre chose, un rhum n'importe quoi. Il paraît qu'un vaccin, c'est le
virus atténué, pour stimuler les défenses de l'organisme. On vous injecte le
rhume, vous saviez ça? Le virus atténué est toujours là, mes défenses
fonctionnent nickel, génial, merci mon bon docteur, et ça disparaît quand? Dix
ans, on n'est pas sûr, ce qu'on vise c'est que ça reste le plus longtemps
possible sans devoir recommencer, ah génial.
Allez, encore un rhum, un petit, j'en ai encore pour cinq ans à tirer, si tout
va bien. Allez, le dernier verre du condamné. Un petit rhume, euh un petit
rhum, allez....
Sujet complètement et totalement ouvert, sans contrainte. Se laisser inspirer par le titre "Sectional Pizza".
Sectional pizza nigger (Jean-Louis, 22/09/2004)
- Why
in English, man?
- Pardon?
- Pourquoi en anglais? C'est bien une pièce en français
que je dois écrire?
- Oui, oui, c'est juste un titre, et c'est la seule chose d'imposée.
- Particulier, ça. Je peux donc écrire une histoire d'amour, de petites fleurs
et de printemps particulièrement doux, et c'est bon? Du moment que je garde le
titre?
- Oh, ne jouez pas à l'idiot. Faut qu'il y ait un rapport avec le titre hein!
Et puis si on voulait une histoire à l'eau de rose, on ne serait pas venu chez
vous.
- Ouais. Et ça n'a bien sûr rien à voir avec le fait que t'as pas trouvé d'autre
nègre et qu'il te faut ça pour la fin de la semaine. Et tu sais que j'écris
plus vite que Lucky-Luke. Bon allez laisse-moi, dégage, je te le fais ton
texte.
La porte se referme sur l'homme maniéré. Pas un mauvais bougre, pas un con non
plus, mais qu'est-ce qu'il est huileux, onctueux. Du miel sur une balle
anti-stress. Une envie de se frotter les mains après lui avoir parlé. Mais cela
fait déjà le troisième écrit qu'il commande. Bon, au boulot, les idées
arrivent.
Et il se laisse tomber dans un fauteuil confortable.
---
Sectional Pizza. Hum, dans quoi je me lance? Un jongleur de pizza engagé chez
Bouglione, et une histoire de cul avec la trapésiste? Non. Une histoire de
pizzaïolo assassiné, inscrivant le nom de son meurtrier en ingrédients à pizza?
Non, je crois que j'ai déjà lu ça quelque part. Ou vu à la télé. Une histoire
de Colombo, peut-être? Des vaisseaux extraterrestres en forme de pizza
atterrissent sur terre, un goinfre mord dedans et déclenche la première guerre
interstellaire? Holà, calme, mon vieux. Une pièce de théâtre, pas un film SF de
série B.
Sectional Pizza Killer. Oui, le personnage central est un serial killer. Je le
vois plonger son couteau dans le gros ventre du mangeur de pizza, puis il lui
tranche la gorge et lui enfonce un grand morceau de pizza dans la plaie béante.
C'est ça. C'est sa signature, la pizza dans la gorge. Au début on ne voit que
la croûte qui dépasse, comme un collier en pâte à pain. Mais faut que je limite
les tueries. Une pièce, ça a forcément un nombre de personnages et de lieux
limités.
C'est un killer à vocation pseudo-écologique, un tordu. Il est contre ces
fast-foods à livraison à domicile. Il a planqué des micros chez des livreurs.
Il prend note de l'adresse et se rend chez les victimes quelques minutes avant
la livraison réelle. Installer une psychose, pour que les gens n'osent plus
commander de pizza. Démarrer une prise de conscience, pousser les gens à
cuisiner eux-mêmes.
Pour pouvoir raconter cela, il me faut des personnages qui analysent le tueur.
Un flic, bien sûr. Un flic qui n'a aucune piste pour trouver le tueur. Un flic
qui n'a plus qu'un choix, jouer l'appât. Un flic qui depuis quinze jours se
commande des pizzas chez lui midi et soir. Le flic sera un esthète, oui, un
esthète culinaire. Sa passion, c'est la macrobiotique, les saveurs pures et les
mélanges raffinés. Cuisson à l'étuvée. Wok et mesclun. Légumes primeurs et
kasha, quinoa ou boulgour. Un flic qui adhère totalement à l'idéal du tueur,
mais qui est bien décidé à l'arrêter.
L'acte final sera bien sur la confrontation entre le tueur et le flic. Le tueur
livreur avec sa pizza et le couteau caché dessous, et le flic, à table, avec
les odeurs des légumes vapeur, vinaigrette au sésame. Le flic qui désigne la
poubelle spécialement placée à côté de la porte. "Déposez votre pizza
directement là". Oui, oui, tout cela prend place. Faudra que j'ajoute un
ou deux personnages pour installer les dialogues. Bon, on commence.
---
L'homme qui s'était assis dans le fauteuil et avait fermé les yeux se lève d'un
mouvement énergique. Il s'installe à un bureau couvert de papiers et de revues,
écarte un peu le bordel, récupère son clavier et sa souris, allume
l'ordinateur. Il a juste tapé les mots "Sectional pizza" du titre
quand il est interrompu par ses gargouillements d'estomacs. Il a laissé passer
l'heure du dîner et du souper. Il crève de faim. Il décroche le téléphone et
compose le raccourci mémoire trois. Il commande une super suprême, avec extra
poivrons.
Il a déjà tapé deux pages quand on sonne.
- C'est pour quoi?
- Livraison de pizza, monsieur.
- Ok, déposez-la devant la porte.
- Pardon?
- Posez-la devant la porte. C'est combien?
- Six euro vingt, monsieur.
L'homme dépose devant la porte un billet sur lequel il dépose deux pièces avant
de le faire glisser.
- Prenez l'argent et filez!
L'homme surveille par le judas que le livreur est effectivement parti, puis
ouvre la porte et prend sa pizza. Puis là, le carton en main devant la porte
ouverte, il réalise ce qu'il vient de faire et secoue lentement sa tête de
droite à gauche.
Tsss, faut vraiment que j'arrête d'écrire, moi.
Mozin sur le thème de la verdure dans la cité (libre ou contrainte), comprenant les mots suivants : Ficus, chaîne, tags, caddie, perdurer, rien, compteur, évier, séchoir, claustra, pilotis, arc en ciel.
Little Green Man (Jean-Louis, 15/11/2004)
Little Green Man
Juan Carlos Molino Ribeira, botaniste brésilien, est en séjour à Bruxelles
depuis trois jours. L'exposition internationale d'orchidées s'est ouverte ce
matin, et sa conférence est programmée pour demain seulement. Une journée pour
enfin souffler et flâner dans la ville, une journée où ses orchidées,
installées dans une forêt tropicale de démonstration, se contenteront des soins
et des arrosages de Manuela, son adjointe. Arrosages et questions stupides à
profusion. Très peu pour lui, ces questions. Alors le botaniste parcourt la
ville, observe les bâtiments. Le botaniste aime les mélanges de genres, et il a
entendu parler de Horta. Il parcourt la ville à la recherche de cet art nouveau
qui fait la part belle à l'organique, aux courbes, à l'unique.
Ses pas le mènent au hasard, après quelques étapes clés. Saint Gilles. Hôtel
Tassel, Hôtel Solvay. Le musée de
Juan Carlos n'en peut plus, il a mal aux pieds, le soleil se couche. Il
s'assied et feuillette son carnet. Non, non, non, fait sa tête de droite à
gauche, ce n'est pas possible. Mais il sourit. « Puxa ! » L'injure
fuse juste avant son rire. Il feuillette son carnet à nouveau, retrouve une page
plus ancienne et relis les vers de Neruda qu'il a recopiés :
Dulce materia, oh rosa de alas secas,
En mi hundimiento tus pétalos subo
Con pies pesados de roja fatiga,
Y en tu catedral dura me arrodillo
Golpeándome los labios con un ángel. (1)
Un ángel. Ces plantes qui font éclater la brique
oubliée et le béton abandonné ne résultent pas de la combinaison du hasard, du
vent et des oiseaux. Il sourit à nouveau, se lève et crie au ciel chargé
d'orage : « Mi casa era llamada la
casa de las flores, porque todas partes estallaban geranios »(2)
Dans le haut de la ville, la pluie s'est mise à tomber. Le soleil rasant
éclaire les Marolles, illumine le palais de justice d'un trait de gouache or et
arc-en-ciel sur fond noir.
Un sac poubelle rempli dans une main, Jean-Paul enjambe les détritus et pousse
la porte entrouverte. L'immeuble est à l'abandon depuis bien vingt ans. Tags et
graffitis, fenêtres murées, cadenas et chaînes coupées, odeur de moisi froid et
de vieilles ordures, terre de squat et église du révérend.
Jean-Paul était petit, râblé et vachement costaud. Tout le contraire du
révérend qu'on aurait dit monté sur pilotis, tout en noir et en maigreur. Le
révérend se demandait ce qui était le plus particulier chez celui qui venait
d'entrer dans ce qu'il considérait comme son office, en même temps que son
entrepôt de stockage. Ses yeux clairs surmontés de ces sourcils incroyablement
broussailleux, ou sa tignasse ? Car sa tête étincelait. Coupés courts, en
brosse, lumineux, ses cheveux avaient la couleur de Mars.
" Bonjour Jean-Paul "
" Révérend ! Je t'ai déjà dit de ne pas citer mon nom. J'en fais déjà
assez comme ça pour me faire repérer "
" Secret de la confession, rassurez-vous, mon fils. "
" C'est ça, c'est ça. Tiens, dit-il en tendant le sac à bout de bras, de la
bonne, je la prépare moi-même. "
Le révérend connaît la force du rouquin et n'entre pas dans son jeu. Il le
laisse déposer le sac, qui doit bien faire une trentaine de kilos, dans le
caddie rouillé. Dans l'ombre, on devine un assemblage hétéroclite de vieux
appareils récupérés de-ci, de-là, dans les poubelles. Le fond de commerce du
révérend. Ce qu'il ne répare pas, il le vend au prix du métal. Une machine à
laver qui fonctionne, un séchoir, c'est un repas pour ses 'paroissiens', un
vieil évier inox, c'est une couverture pour un autre.
Jean-Paul plonge la main dans sa poche pour en sortir un petit sachet
plastique.
" Tiens, tu essaieras celle-ci, nouvel arrivage. De Guadeloupe, et du
Brésil, mais elles devraient se faire à la météo d'ici. Ca ira pour l'eau ?
"
" J'ai fait une dérivation d'une gouttière, j'ai deux tonneaux remplis
sous le toit. T'inquiètes pas pour l'église, Green Man, avec ta terre, mon eau
et ma bénédiction, rien n'empêchera ces graines de fleurir. "
Ils s'étaient dit au revoir sobrement. Jean-Paul s'apprêtait à sortir lorsque
le révérend qui s'était retiré dans l'ombre lui dit :
" Les fleurs paraissent sur la terre, Le temps de chanter est arrivé.
"
Jean-Paul se retourne. Un rai de lumière éclaire doucement le visage du
révérend. Avec ses habits noirs, la vision est dramatique, un visage suspendu
dans l'ombre. Mais le visage sourit et ajoute : " Cantique, deux, douze.
"
" Je fais ça pour ma fée, révérend, ma fée des bois. Tu prieras pour elle,
n'est-ce pas ? "
" Je Prie pour Maria tous les jours, Green Man, tous les jours que Dieu
fait. "
Et que l'homme défait, ajouta-t-il en silence une fois le rouquin parti.
Rue Dansaert, pas du côté bourse, mais du côté canal. Un bel immeuble, vieille
maison de maître. Inoccupé depuis bien dix ans. Trois heures du matin, la rue
entend encore passer quelques fêtards, noctambules rentrant chez eux. Saint
Géry ou Sainte Catherine, bar branché ou restaurant de fruits de mer. Un petit
homme costaud, collant vert moulant, bonnet de gangster sur le visage, mais
bonnet vert, pas noir, s'affaire dans l'ombre. Il porte comme une gibecière en
bandoulière, qu'il balance sur son dos. Ses pieds sont tordus dans des
chaussons trop petits pour lui. Ballerine difforme à chaussons de gomme noire,
gomme très adhérente. Dans les yeux des rares passants, c'est comme un nabot
qui saute sur la pierre, une gargouille qui a soudain pris vie. Traction,
rétablissement, équilibre. Parapet du premier étage, surplomb. L'homme pend
dans le vide, les deux mains crochetées dans la pierre. Traction, lâcher,
jeter. Force brute. Puis, bien calé sur ses deux pieds, il s'enfonce dans
l'ombre d'une encoignure, fait basculer sa besace sur l'avant, travaille dans
le silence de la nuit. En une heure, il a ainsi parcouru l'entièreté de la
façade jusqu'au toit, et il a vidé sa besace.
Little Green Man a encore frappé.
Le soir, rubrique Société, 23 mai 2004
Little Green Man
attaque la ville (par Simon Finné)
Non, ce n'est pas la guerre des mondes que nous relançons, mains le récit d'un
fait-divers pour le moins curieux. Depuis plusieurs mois voire plusieurs
années, des bâtiments abandonnés de Bruxelles sont inexplicablement colonisés
par la végétation et les fleurs. Qui n'a pas vu une branche verte sortir d'un
balcon, une mauvaise herbe sortir d'une corniche ? Vision habituelle qui
n'étonne plus personne, surtout pas les habitants, tant cette situation évolue
lentement. Qu'un immeuble soit détruit ou reconstruit marque plus notre
imagination ! Il a fallu le sens de l'observation d'un botaniste brésilien
visitant pour la première fois notre capitale pour que l' " affaire "
éclate au grand jour. Un homme aux mains vertes s'attaque à tous les immeubles
abandonnés, les ensemençant de plantes et de fleurs, pour la plupart exotiques.
Le professeur Jean LEJOLY, enseignant la botanique à l'ULB a confirmé que près
de quatre-vingt pour-cent des plantes retrouvées sur ces façades n'étaient pas
endémiques, et que certaines étaient d'ailleurs particulièrement délicates à
faire pousser sous nos latitudes.
Des renseignements pris aux services de police, il appert que plusieurs
procès-verbaux ont été dressés à l'encontre d'un petit homme habillé et cagoulé
de vert qui aurait escaladé des parois d'immeubles abandonnés. Ces événements
ne sont pas regardés comme prioritaires par les services de polices qui n'ont
jamais appréhendé l'homme cagoulé. Les cinq derniers faits signalés ainsi
concernent des immeubles particulièrement fleuris. Selon la police, l'affaire
du petit homme vert aurait commencé il y a trois mois, mais selon le professeur
Jean LEJOLY, certaines des plantes non endémiques sont bisannuelles et ne
peuvent qu'avoir été " plantées " l'année passée. La vision utopique
de certains architectes, comme les jardins verticaux de Luc SCHUITEN (3), est
en passe de devenir une réalité grâce à un activiste de la verdure et de
l'ombre. Il semble que seuls les propriétaires de ces immeubles à l'abandon
soient mécontents, certains promoteurs allant jusqu'à traiter la police et les
pouvoirs publics de complicité passive de dégradation. Plusieurs comités de
quartier s'élèvent déjà contre ce qu’ils appellent une tentative de camouflage
et de rejet de responsabilité, les dégradations étant souvent initiées, d'après
eux, par ces spéculateurs immobiliers peu scrupuleux eux-mêmes. La justice a
été saisie de l'affaire, ce sera au juge de décider si cette situation peut
perdurer.
Cimetière du Dieweg, Uccle.
Parmi les vieille tombes, une des très rares nouvelles (le site est classé)
porte une inscription toute simple : Maria Finné, 1971-2002. Des roseaux comme
sauvages lui font de l'ombre. Dans le gravier devant celle-ci se tient un
homme, debout, les mains dans les poches. De loin, sous le soleil matinal, sa
tête semble en flammes. De près, ce sont ses yeux clairs qui brûlent. Ses
lèvres bougent, murmurant comme un mantra.
da mi basia mille, deinde centum,
dein mille altera, dein secunda centum,
deinde usque altera mille, deinde centum (4)
"Elle a de la chance d'être aimée comme ça". La voix vient de
derrière Jean-Paul
"Salut Frérot", dit-il sans se retourner. "Elle aurait vécu cent
ans que je n'aurais pas eu assez de temps pour lui donner tout l'amour qu'elle
mérite"
"Tu m'inquiètes, tu sais. Toutes ces acrobaties...j'ai peur d'un
accident"
"Ca fait deux ans qu'elle est morte, Simon, et je suis son débiteur pour
encore pas mal d'années. Si je meurs, qui l'aimera comme elle le mérite? Je suis
très prudent, ne te tracasses pas."
Ils restent en silence, Jean-Paul fixant la tombe et les roseaux, Simon
laissant son regard errer au gré des vieilles pierres noircies, du lierre
grimpant, des croix et des vieilles briques. Rarement un cimetière ne lui a
donné un tel sentiment de quiétude et de chaleur aussi. La beauté, sans doute.
Jean-Paul se retourne. "Merci pour l'article. Je crois que cela fera du
bien, encore que je n'ai pas trop aimé le mot 'activiste'"
"C'est mieux que terroriste. Ou délinquant. Les mots sortirons tu sais.
Mais il était temps en effet de préparer l'opinion à ton action, maintenant que
des emmerdeurs te collent un procès"
"On ne sait pas encore que c'est moi, mais tu as raison, cela se saura un
jour ou l'autre. Laisse-moi seul maintenant"
Dans l'air froid et clair de ce matin d'automne, un petit homme se penche sur
une tombe entourée de roseaux. Il balaye du plat de la main quelques feuilles
et morceaux de mousse. L'épitaphe est à nouveau visible.
Il sera un temps où le gris ne tuera plus,
Il sera vaincu par les fleurs de l'amour.
1) Tres cantos Materiales, Entrada a la madera - Pablo Neruda
2) Tercera residencia - Pablo Neruda
3) http://www.sfere.be/2150/2150/J-V-concept.html
4) (Donne-moi mille baisers, et puis cent, et puis mille autres, puis une
seconde fois cent, puis encore mille autres, puis cent) - CATULLE, Elégies, 5.
Décrire un paysage entre côte d’Armor et mer du Nord (ou ailleurs) dans une cinquantaine d’années. Suite au réchauffement planétaire, imaginez les conséquences sur l’environnement, la façon de vivre des indigènes, n’hésitez pas à forcer le trait.
Le flambeur (Jean-Louis, 24/11/2004)
Le flambeur.
12 juillet.
Le bateau à fond de verre bleu et jaune au logo d'iris emmène sa cargaison de
touristes pour quelques poignées d'eurodollars à soixante kilomètres des côtes,
poussé par son moteur électrique, évidemment. Combinaison de Néoprène orange
fluo, respirateur recycleur sur le dos, le plongeur guide vérifie que chaque
touriste porte bien l'oreillette. Le flot de parole enregistré diffusé sous
l'eau explique la période du basculement et la progression des marées de cette
fameuse année 2012. "Le bâtiment devant lequel vous vous trouvez
actuellement est le seul dont une partie dépasse hors de l'eau. Vous pouvez
remarquer sur sa façade le marquage effectué par les océanologues historiens.
Vous remarquerez que les douze premiers étages ont été submergés en moins d'un
an, et que les années suivantes..."
Et bla bla bla, et bla bla bla. Guide plongeur! Tout ce qu'il faut faire, c'est
s'assurer que le troupeau reste groupé et ne s'éloigne pas de l'aire de
transmission des explications multilingues. Bien que l'oreillette soit munie
d'un transpondeur qui permet de localiser les égarés, et que les deux litres
d'oxygène du recycleur leur permette de tenir une heure de plus que la durée
prévue de la visite, c'est quand même à chaque fois un petit stress de
s'assurer que tous soient remontés, mais c'est bien le seul.
24 novembre.
Guide plongeur l'été, mécanicien éolien l'hiver. Là par contre il y a du stress.
Car l'hiver est rude, et c'est bien le plus surprenant avec ce putain de
réchauffement. Echauffement, fonte des glaces, isostasie, nouveau dessin de la
côte, Bruxelles sur mer. Plus d'eau, plus de nuages, moins de soleil.
Réchauffement global, mais Bruxelles se gèle. Cinq fois déjà il a vu la mer
solide. Cinq fois en treize ans. Et quatre éoliennes abattues. Grandes, ces
éoliennes. Des putain d'ouvrages gigantesques qui demandent une bonne dose
d'inconscient à entretenir. Les éoliennes devenues la principale source
d'énergie en Europe, avec la plupart des champs pétrolifères devenus des champs
marins et les trois-quarts des centrales nucléaires fermées en catastrophe
avant que d'êtres submergées. Cinquante types en Belgique pour l'entretien des
champs côtiers. Un qui crève par an, en moyenne. Une veuve et des enfants qui
n'ont plus à se tracasser de leur avenir. Le métier paye mal, mais l'assurance
bien. Il ne lui reste plus qu'à trouver une femme qui veuille de lui, pour les
gosses, ça ira.
16 avril.
Il se rappelle avoir lu un texte poétique partant d'une éolienne, il y a
longtemps. Il se rappelle un vol de dunes sauvages. Il se rappelle du sable
qu'on déposait le long des quais du canal, pour faire comme si on était à la
mer. C'était plaisant. Le collègue avec qui il partageait le studio de trente
mètres carrés est tombé avec la cinquième éolienne. Il en a marre des
restrictions énergétiques. Arrêtons de réchauffer la planète, qu'ils disent.
Avec ce froid, ce vent, il n'y a pas que les dunes qui deviennent sauvages. Les
éoliennes aussi. Les gens, les gens qui sont entassés dans la ville. Ils vont
lui coller quelqu'un d'autre dans le studio et ça ne l'intéresse pas. Il
emporte son équipement de plongeur guide et va sur le bateau à l'iris.
Trente minute de trajet, vers Ostende, la destination favorite des touristes.
Il n'y a personne en cette saison, juste quelques pêcheurs, mais ils évitent de
pêcher au-dessus des villes. L'homme met son recycleur, ajoute les bouteilles
de secours, celles qu'il garde habituellement pour les touristes. Il se dirige
droit sur le casino. Il sait, pour avoir participé à une des missions d'archéo
sous-marine, que les bouteilles d'oxygènes sont encore en place. Ca l'avait
sidéré de découvrir que les casinos injectaient de l'oxygène pur dans les
salles de jeu vers les trois heures du matin pour redynamiser l'entrain. Il a
ouvert les vannes à fond, ainsi que celles de réserve de son recycleur. Le
casino ne regardait pas à la dépense. Les gros bouillons forment rapidement une
lame d'air au plafond, puis toute une zone qui descend, pour finalement
s'arrêter juste en dessous de la grande table de la roulette. Alors il sort de
l'eau et retire sa combinaison sèche, défroisse son costume. Il sort de la
poche de son veston un Zippo doré, cadeau de feu son collègue. Feu son
collègue. Il a déjà pris deux gorgées de cet oxygène pur et la tête lui tourne.
Il tend la main en l'air, à toucher le plafond. La liberté tendant son Zippo.
Qu'il allume.
Une flamme d'une blancheur éclatante jaillit du métal, flamme qui en un instant
se propage au bras de l'homme puis au visage et en moins d'une seconde à
l'homme entier puis à la table de jeu et aux autres matières inflammables. En
une dizaine de secondes, des milliers de degrés vaporisent instantanément l'eau,
puis les cendres retombent en fine pluie.
12 juillet.
En un an, la température globale a encore grimpé de 0,2°C. La mer est de toutes
façons à son point le plus haut, les calottes polaires n'existent plus. Les
touristes sont à nouveau là. Les eurodollars et les guides aussi.